[EVENT ; lune 1194] La Marée Noire.

Fleur de Lys quant à elle sait parfaitement pourquoi elle est venue… ou plutôt, elle croyait le savoir. Guidée par son sens du devoir exacerbé, et par un enthousiasme douteux, elle s’est une fois de plus jetée corps et âme au secours de ceux qui ont besoin d’aide, à savoir, cette fois-ci… la vallée tout entière. Comment résister ?

Mais une fois sur place, la jeune guerrière a quelque peu perdu de son sourire conquérant – son sourire censé lui remporter toutes les batailles – en constatant l’ampleur des dégâts. Qu’avait-on fait à sa rivière, à ses joncs, à sa plage et à son océan ? Elle était restée sans voix face au spectacle du delta souillé par une épaisse substance huileuse et noire, défigurant le paysage jusque dans son âme. L’odeur en elle-même était insoutenable et lui donna un haut-le-cœur.

Un inexplicable sentiment de tristesse s’empara d’elle, souvenir enfoui de ses premiers jours de vie dans un Cerfblanc ravagé. Elle était née une deuxième fois en découvrant les terres de Valeemar, ses embruns marins et ses forêts, et sentait désormais obscurément qu’il était de son devoir de veiller sur son berceau.

Bien vite, donc, elle se joint à l’effort, gagnée par la fièvre du travail entamé par les félins présents ; et ils sont déjà nombreux, tous clans mélangés, sans distinction et sans même attendre la trêve de la pleine lune. Fleur de Lys en frissonne, touchée par cet élan de solidarité qui s’affiche en plein jour et qu’elle aimerait pérenne.

Déterminée à sauver le monde, la jeune guerrière avise la plus grosse branche dans son champ de vision et se met en tête qu’elle arrivera à la porter seule. Ce qui s’avère plus difficile que prévu, naturellement ; aussi laisse-t-elle échapper un soupir de soulagement lorsqu’elle entend Souvenir Irréel interpeller derrière son dos. Tout sourire, elle se tourne vers lui et l’accueille d’un ronronnement.

« C’est gentil Souv ! J’y arriverai bien toute seule, mais puisque tu es là… » Ou comment sauver les apparences ! « Fais attention à ne pas rouvrir ta blessure, ça m’embêterait que tu te fasses mal bêtement » … une deuxième fois, veut-elle ajouter, mais se retient très fort. Franchement, quelle idée son frère et lui ont-ils eue de se battre ainsi ? Lys a beau les aimer tous les deux, elle ne s’est pas privée de les traiter de cervelles de souris lorsqu’elle a appris la nouvelle. Et depuis, elle fait la tête à Blizzard… enfin, elle essaie, entre deux blagues et coups de langue affectueux. Elle n’a jamais été douée pour en vouloir durablement à quelqu’un.

D’autres, par contre, n’ont aucun mal à s’envoyer des piques, détruisant au passage sans le savoir les rêves de fraternité universelle de Lys. À l’approche du barrage, la branche d’arbre toujours entre les crocs, elle et Souv sont témoins d’un échange de paroles acerbes entre le lieutenant de la Rivière et une guerrière de l’Ombre. Entre eux, un apprenti que Lys plaint aussitôt pour sa position délicate… une chose est sûre, elle n’aimerait pas être à sa place, d’autant plus qu’Ombre Fantôme a l’air férocement irritée.

« Wow, je me demande ce qui a pu se passer entre eux pour créer une telle animosité… Tu crois qu’on devrait intervenir ? » chuchote-t-elle à son ami tout en jetant des coups d’œil inquiets aux félins en question.

Comme si elle n’avait pas assez de causes désespérées sur les bras.

« Si ça t'amuses de te déchirer la peau, tu peux venir, oui. »

Mélodie des Étoiles lâche son fardeau et relève la tête, étonnée par ces paroles quelques peu avenantes qu’elle ne s’attendait en réalité pas à recevoir. Mais elle se rend compte à cet instant, lorsqu’elle enfin son visage à hauteur de celui ou plutôt celle qui lui fait face et qu’elle croise ses yeux verts, que ce n’est en réalité pas une inconnue. Oh, on ne peut pas pour autant dire que les deux sont proches, loin de là. Elle se sont en réalité seulement croisées à deux reprises, ou peut-être parfois entraperçue à l’occasion d’une assemblée. Mais les maigres instants et paroles qu’elles ont partagés n’ont pas fait d’elles des amies, bien au contraire. Mélodie des Étoiles ne peut s’empêcher de serrer les crocs en la reconnaissant. Si elle s’était rendu compte de son identité plus tôt, elle aurait choisi de ramasser dans branches dans son coin toute seule. A présent, il ne faisait aucun doute que les instants qui allaient arriver ne seraient pas aussi propice à la bonne entente qu’elle espérait.

« Comment tu vas depuis le temps ? Enfin je veux dire, le Clan des Etoiles t'ayant accepté, tu dois moins douter… Non ? »

Comme elle s’en doutait, Feu de Forêt doit avoir un bien mauvais souvenir d’elle. Il est vrai qu’elle ne s’était pas vraiment montrée exemplaire pendant cette fameuse entrevue dans les terres libres. Elle avait cherché le conflit, allant jusqu’au bout de sa colère même quand l’autre en face se montrait plus avenante. Toutes les excuses qu’elle avait cherché à se montrer ne suffisait pas pour effacer cela. Mais aujourd’hui c’était la situation inverse, et même si Mélodie des Étoiles n’imaginait pas se faire accueillir avec un sourire par la guerrière adverse, elle aurait cru que peut-être cet incident ne serait pas remis sur le tapis. Les yeux pleins d’une fausse gentillesse avec lesquels elle était fixée la mettait encore plus sur les nerfs. Si elle avait quelque chose à lui dire, qu’elle le fasse au moins en face.

« Merci bien, tout va parfaitement bien pour moi. »

Siffla-t-elle, sa queue battant rageusement l’air. Elle la fusille du regard. Elle se fera claire elle, au moins. Si Feu de Forêt voulait jouer ce jeu-là, elle ne la laisserait pas gagner aussi facilement.

« Si je me souviens bien, les étoiles n’étaient pas les plus présentent à l’époque, et j’avais toutes les raisons de douter… Mais nous sommes ici à présent, et j’aurais pensé que tout cela était derrière nous. Peut-être serait-il temps de laisser derrière toi le passé, Feu de Forêt ? »

A cet instant, la meneuse de la rivière eu conscience d’un autre félin qui les rejoignait d’un bond d’un air empressé. Elle eut à peine besoin de le regarder pour le reconnaître. Espoir du Matin et elle étaient nés à peu de temps d’intervalle et avaient grandis ensemble. Il était légèrement plus âgé qu’elle et elle l’avait toujours respecté et apprécié. Elle soupira, se rendant compte qu’il venait sûrement afin de tenter de calmer leur querelle digne de chatons. Il savait parfois se montrer plus tempéré là où elle était impulsive. Elle ne pouvait décidément plus tourner le dos à la femelle rousse et la laisser se débrouiller avec son buisson à présent.

« Merci Espoir… Je pense qu’une troisième paire de pattes ne sera pas de trop pour nous aider à déplacer et caler ce buisson dans le barrage. »

En face, la guerrière du Tonnerre est rejointe par un félin à l’air anxieux que Mélodie peine à reconnaître. Elle ne peut entendre distinctement l’ensemble de ses paroles mais son pelage évoquant celui d’une chouette la conduit à penser qu’il doit s’agir de l’apprenti guérisseur du Tonnerre. Néanmoins, ses derniers mots la font tiquer. Ainsi, Feu de Forêt se nomme à présent Forêt de Flamme.

« Alors tu as aussi changé de nom, en fin de compte. »

C’est un simple constat, une pensée dite tout haut. La meneuse de la rivière la fixe d’une manière étrange, tentant de comprendre quelque chose. Il semble donc que les démons du passé aient été les mêmes pour chacun. Et que tous aient trouvé des manières différentes de s’en débarrasser. Elle soupire à nouveau, comme si les mots qu'elle s'apprête à prononcer lui écorchaient la gorge.

« … prends ton temps si tu as besoin de te faire soigner. On peut s’occuper de ça. »

Allez, il est temps de reprendre le travail.

HRP:

Davantage amusée que vexée, je hausse un sourcil. Immature ? Combien de fois me ressortira-t-il ce mot ? Dix ? Vingt ? Trente fois ? Lors de nos précédentes rencontres, il m'a toujours tenu le même discours lorsque je lui tenais tête ou que j'exprimais mon mécontentement. Quand comprendra-t-il que, contrairement à lui, je ne veux pas avoir affaire à lui ? Ce n'est pas parce qu'il tient à renouer avec sa « famille » que je veux faire de même. Il n'est rien pour moi. Tout au plus un chat agaçant qui mériterait qu'on l'écorche vif. Mais soit, s'il est assez idiot pour continuer d'insister sans comprendre que je ne veux pas de lui, alors j'estime avoir le droit de lui répliquer comme bon me semble.

- Ah ? Parce qu'en plus tu te croyais spécial ? Navrée, tu n'es pas le seul à recevoir un tel traitement.

Mais pour qui se prend-il ? Il s'étonne de mon agressivité après tout ce que j'ai pu lui dire par le passé ? Décidément, s'il y en a un qui refuse d'évoluer, c'est bien lui. Après nos affrontements, je me suis concentrée sur mes camarades, sur ma vie au clan. Mon quotidien s'est poursuivi sans que je ne cherche à m'encombrer de choses futiles. Il devrait faire de même et avancer comme je le fais. Au lieu de cela, il préfère se murer dans le passé, à la recherche d'une famille qu'il n'aura jamais. Cela me désole. Si l'envie de lui répliquer me démange, un chat de mon clan, que je reconnais par sa voix, tient visiblement à se faire remarquer et coupe notre échange. Je pose alors sur lui ce même regard empli de colère que j'adressais quelques secondes avant à mon demi-frère.

- Ce ne sont pas tes affaires, Constellation de Lumière. Retourne au barrage.

Le pauvre a vraiment mal choisi son moment. Dans d'autres circonstances, je me serai sans doute détournée pour revenir à mes premières occupations, mais au lieu de cela je reste plantée en face du matou gris et ignore mon camarade. Droite et pleine d'assurance, je décoche une nouvelle fois un regard au lieutenant, accusateur.

- Je me rappelle de ces autres fois où tu m'as qualifiée d'immature Eclat de Rire, et j'en viens désormais à me demander si au fond tu ne cherches pas à trouver un mot qui pourrait te désigner, toi. Regardes-toi ! Tu refuses de te rendre à l'évidence! Quand tais-je déjà laissé entendre qu'une quelconque relation serait possible entre nous ? Jamais. Et tu refuses de l'admettre. J'ai toujours été claire avec toi mais tu t'acharnes jusqu'à te heurter à la réalité. Tu es toujours le premier à m'approcher avec de beaux mots, mais lorsque tu réalises une nouvelle fois que je ne te verrai pas comme ce que tu aimerais, tu changes bien vite de ton et de discours. Et c'est exactement ce qu'il est en train de se passer à cet instant présent. Tu n'as pas changé.

Une fois de plus, j'ai l'impression de le voir se débattre avec ce passé si douloureux pour lui. Je suis le témoin de ses recherches infructueuses. Jamais il ne retrouvera les pièces de son enfance brisée. Cette partie de son histoire ne se reconstruira pas. Il doit accepter de vivre avec. Je ne suis pas la réponse à son problème.

- Ta malhonnêteté envers toi-même me donne la nausée. Si tes vieux démons te hantent encore, si le fait d'avoir perdu te mère te ronge toujours, ce n'est pas mon problème. Cesse de me mêler à tes histoires. Grandis et tourne la page.
L'ultime conseil que je lui donne est bien vite accueilli par un commentaire de son fils, que je regarde désormais d'un air las.

- Crois-le ou non mon p'tit, mais ce père dont tu es si fier, ce chat qui est devenu lieutenant et qui représente désormais son clan, s'est un jour jeté sur une apprentie lorsqu'il était guerrier. Cette apprentie, tu l'as en face de toi.

Mais ce n'est pas uniquement en raison de cela que je ne tiens pas à le voir. Il n'est pas plus ma famille qu'un chat de la Lune ou du Tonnerre. Ma priorité reste et restera l'Ombre. Je n'ai que faire des autres. Finalement, c'est avec une certaine attitude hautaine que je reviens vers Éclat de Rire, un sourire narquois au coin des lèvres.

- Enfin, la petite apprentie s'en est relativement bien tirée, n'est-ce pas ?

Son fils ne comprendra pas mon allusion, mais le matou gris, oui. J'en suis certaine. Il ne peut pas avoir oublié ce jour où, poussé par mon jeu, il s'est mis à m'implorer de l'excuser, les yeux rougis par la tristesse, face contre terre. Ce jour-là, il avait perdu toute sa dignité et s'était agenouillé devant une apprentie ennemie alors qu'il se prétendait guerrier. Loin d'un acte glorieux qui s'était de plus accompagné par l'apprentissage de ce qui pouvait faire la fierté d'un clan, la nage, je comprends qu'il n'en ait pas parlé à ses enfants. Mais qui sait, cela ne saurait peut-être tarder ?

J'ignore les premières paroles, mais la simplicité et l'arrogance avec laquelle elle lance les dernières me fait frémir. Le félin de l'Ombre s'est éloigné, du moins je ne le vois plus. Me voilà seule, en compagnie de ma demie-soeur, mon fils et mon passé. Je vois Péridot me regarder, les yeux plein d'interrogation, prêt à me demander de quelle histoire parle l'Ombreuse. Je n'ai plus envie de leur cacher qui j'étais vraiment. 

"Regarde moi Péridot. Elle a raison, et je ne m'en cache pas. Je ne vous ai jamais caché la vérité sur ce vieil Eclat de Rire, je ne vous en ai pas parlé. Pourquoi me diras tu, et quel est cet ancien ? Ha, le décrire... J'en frissonne rien qu'en pensant à ce félin, qui un jour fut moi. Tu le sais, Mélodie des Etoiles n'est pas vraiment ta grand-mère, mais Odyssée des Glaces. Celle ci, arrogante et égocentrique au possible, m'éleva de la sorte et s'enfuit de la Rivière, exilée. Pourquoi ? Figures toi fiston, qu'elle transmettait des informations au Clan de l'Ombre, la plus haute des trahisons. Mais la trace qu'elle avait laissé en moi, ne s'effaça pas, elle ne partit pas comme elle de ma vie. Alors je restais celui là, arrogant et méchant comme une teigne. Lorsque j'appris la naissance de Petite Ombre et Petite Vague, je redoublais de colère envers ceux qui, finalement, avaient gâché ma vie. Et un beau jour, je la rencontrais enfin. Celle qui, par le simple fait d'être née, provoquait en l'ancien démon que j'étais une haine sans borne. Crois bien que, immature et égocentrique comme j'étais, j'ai vite perdu patience en sa compagnie. Les piques qu'elle me lançait, les remarques sur ma mère... J'ai finit par lui sauter dessus, plein de rage, de tristesse et de désespoir. Après quelques minutes de combat, je me suis calmé, mais elle en a saisit l'opportunité de me faire chanter : quelques instants plus tard, me voilà en train d'apprendre à nager à ma demie-soeur, sous peine d'être rapporté à la rivière comme assassin. Je ne vous ai jamais raconté cet épisode de ma vie, ni ceux d'avant, car comme chaque instant passé à Cerfblanc, je le regrette. Mais ce que je regrette par dessus tout, c'est que vous ayez à subir à travers Ombre Fantôme les traces de mon regrettable passé. Mamie Lumy, elle, a réussit à faire sortir de moi cet effroyable être que j'étais, celui qui n'aime personne. Elle m'a élevé comme une mère, m'a appris à rencontrer la beauté, la gentillesse. Et aujourd’hui me voilà, changé à jamais par l'amour de Mélodie des Etoiles et ta mère, un amour que j'aurais du recevoir plus tôt. Mais rien n'excuse celui que j'étais avant, en revanche je veux que toi, Fierté et tes sœurs vous souvenez d'une chose : l'Eclat de Rire égocentrique et hargneux qui attaqua Ombre Fantôme n'est pas le votre, celui qui prends soin de vous et cherche à réparer les erreurs du passé."

Je me tourne à présent vers Ombre Fantôme.

"Tu as beau de fermer et refuser d’admettre que les gens changent, Ombre Fantôme, mais tu devrais te confronter à la réalité au lieu de rester dans ton ignorance pathétique." /

Et elle le sort, ce nom. Ce nom dont j'ai décidé de me séparer, il y a des lunes déjà, et qui malgré tout me suit encore maintenant. Si la vie ne veut pas me faire oublier le passé, soit, mais qu'elle me laisse au moins un peu de répit. Je frémis, mais garde cette fois ci mon calme. Hors de question de succomber, une nouvelle fois, au poids de mes souvenirs. Je serre les dents, et ferme doucement les yeux. Il revient, son visage, ses mots, sa voix. Accompagné de mes démons, il susurre à mon oreille mon nom, et toutes ces choses que je m'efforce d'oublier, ou tout du moins accepter depuis tant de temps.

Laisser derrière moi le passé ? Mais qu'a t-elle perdu, elle ? Des cousins éloignés, surement ? Une dizaine de fleurs et de brins d'herbes qu'elle aimait pour leur couleur ? Elle a gagné un rang, une place dans son clan, l'acceptation du Clan des Etoiles. Enfin, à vrai dire je n'en sais rien, mais elle semble bien heureuse à présent, me demandant même d'oublier mon histoire. Si seulement elle savait... Si seulement elle se doutait une seule seconde de ce que j'ai pu vivre. 

"Non Mélodie des Etoiles, crois moi, oublier ou laisser le passé derrière soit n'est pas aussi simple que ce que tu semble penser. Tu ne sais rien de moi, ni de mon histoire, alors on, rien n'est derrière moi."

Je lance ces paroles sans cette fois ci aucune animosité, mais plutôt du mépris. Elle a beau être Meneuse de la Rivière, et
 moi Forêt de Flammes, la gentille et mignonne petite chatte, je refuse que l'on me prenne pour une idiote. Vestige du Temps est loin de moi, s'occupant à l'autre bout du barrage d'une branche réticente, et me voilà seule. Seule face à celle qui signifie pour moi tout ce que je m'efforce de faire partir. 

Je frémis à la vue de celui qui semble se nommer "Espoir". Une nouvelle paire de pattes ne ferait en effet aucun mal, mais la compagnie d'un seul Riveux me suffit amplement. Non pas que je nourrisse à l'égard des autre clans quelque sorte de haine, mais surtout car, en ce moment, le désire de solitude me ratrappe. La dernière chose que je veux, c'est de m'écrouler une nouvelle fois sous les yeux de Mélodie des Etoiles. Alors j’acquière et sourit au nouvel arrivant.

"En effet, ça n'est pas de refus. Je suis Forêt de Flammes et toi, tu es..." 

Je ne sais que dire pendant quelques minutes, alors me tais et baisse la tête. Mais Nuage de Chouette vient troubler mes pensées, toute gênée de devoir faire face à deux félins d'un Clan autre que le Tonnerre. Je lui souris gentiment, n'ayant même pas remarqué mes blessures. Je m'apprête à lui répondre lorsque j’étends, une nouvelle fois sa voix.

"Et oui, comme tu le vois chacun n'as pas eu à affronter uniquement les étoiles noires, mais aussi son destin." Je la regarde, les yeux presque plein de larmes et la queue tremblante. "Je te laisse en effet prendre le soin d'arracher ce buisson, et vais m'occuper de moi, pour une fois." Je la regarde une dernière fois, ainsi que son compagnon de Clan. "Après tout, vous aussi êtes sacrément griffé, on ne peut pas bien travailler si c'est dans la douleur. Ne crois pas que c'est une invitation à passer au delà de nos différents Mélodie des Etoiles, mais des travailleurs lents ça ne sert à rien." 

Je lui tourne le dos, et m'approche de Nuage de Chouette, retrouvant ma vraie Forêt de Flammes. 

"Merci Nuage de Chouette, ça ne serait pas refus." /

Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel lorsqu'un nouveau chat se présente à moi. Un autre fils d'Eclat de Rire qui plus est… Le regard noir qu'il me lance à son arrivée, sa détermination à vouloir me couler le bec qui ne fait aucun doute, suscitent mon intérêt. Il me plaît bien celui-ci, d'autant plus que sa repartie semble bien meilleure que celle de son frère. Je pense qu'il y a matière à s'amuser avec lui. Car s'il pense pouvoir s’immiscer dans nos affaires en déballant des sornettes sans subir de représailles, c'est bien mal me connaître. J'écoute donc ce qu'il a à me dire, d'une oreille attentive.

- Wow, alors comme ça le lieutenant n'est pas en mesure de se défendre seul lui aussi ? Dis-je sur un ton ironique.

J'ai bien eu du mal à contenir ces mots qui ne souhaitaient qu'une chose : sortir hors de ma gorge pour aller se heurter à la figure du mâle. Lui qui m'a reprochée quelques instants plus tôt d'avoir fait appel à un camarade pour me venir en aide – chose bien sûr erronée qu'il aurait sans doute remarquée s'il possédait ne serait-ce que la moitié d'un cerveau – se faisait à présent défendre par un apprenti. Ah oui… Il est beau l'esprit de famille. Néanmoins je pense que dans ce genre de situation, mieux vaut parfois savoir tenir sa langue si on ne veut pas embarrasser son père adoré. Vint ensuite le tour de ce dernier.

- Que c'est touchant… J'en aurais presque la larme à l’œil.

Ignorance pathétique dit-il ? Je ne pense pourtant pas être celle qui refuse de voir la vérité en face. Il a peut-être changé, étant devenu plus docile, mais après tout je ne vis pas avec lui pour le vérifier. S'il y en a bien un qui se moque de ce que peuvent dire les autres, c'est bien lui. Qu'y a-t-il de difficile de comprendre dans les mots « ne m'approche plus » ? Rien. Alors pourquoi continue-t-il d'insister ? Faut-il que j'use d'autres moyens pour le faire percuter ? Est-ce vraiment cela qu'il souhaite à m'importuner de la sorte ? Je soupire. Cela ne servirait à rien, stupide comme il est. Mon regard s'attarde une fois de plus sur Fierté des Nuages qui reprend la parole à la suite de son géniteur.

- M'as-tu déjà rencontré ? As-tu simplement entendu parler de moi ? Non. Alors ne viens pas me déballer des leçons de morale sur ma vie dont tu n'as de toute évidence aucune idée.

Pour qui se prend-il juger ma vie sans savoir de quoi elle est faite ? Avoir échoué ce qu’Éclat du Rire a réussi ? Quoi donc ? Qu'il me le dise, je suis toute ouïe. Je n'ai jamais souhaité devenir lieutenante ni même fonder une famille. Cela viendra sûrement un jour, mais ma situation actuelle me convient parfaitement. Il me fait bien rire, les jeunes usent toujours de ces stratagèmes pour tenter de blesser les autres. Malheureusement pour eux, ce ne sont que dos mots infondés qui ne font pas sens. Avant que l'apprenti ne s'en aille je lui adresse quelques derniers mots.

- Tu emplois le mot loyauté, mais en connais-tu seulement le sens ? Je n'ai juré loyauté qu'à mon clan, pas à celui de la Rivière et encore moins à ton père. Si pour toi se montrer loyal c'est parler avec courtoisie et taire ses opinions, je suis navrée, moi j'appelle de la lâcheté. Je ne m’aplatis pas face aux autres comme a pu le faire ton père à mes pattes.

Toisant le jeune félin d'un regard glacial et sévère, je reprends plus fort tandis qu'il se détourne.

- La prochaine fois avant de l'ouvrir, fais-moi plaisir, réfléchis un coup. Ça t'évitera peut-être de te ridiculiser.

Elle adresse un dernier regard à son demi-frère.

- Et toi, apprends à tes fils à rester à leur place. Ils te font honte. Sifflais-je. Vous m'avez suffisamment fait perdre mon temps.

Ces derniers mots adressés aux deux chats restants, je m'en vais moi aussi retourner au barrage pour continuer ce que j'avais commencé avant que l'on vienne m'interrompre. Si je suis à peu près certaine que les deux apprentis ne viendront pas m'adresser la parole à l'avenir, je doute encore quant à leur père. S'il s'approche à nouveau de moi malgré mes avertissements, je ne garantis pas de ce qu'ils pourrait advenir de lui.

Alors que je pensais être enfin débarrassée de ces matous à l'odeur persistante, j'entends derrière moi un feulement que je ne parviens pas à comprendre correctement, mon attention déjà reportée sur la construction du barrage. Le poids qui s'abat soudain sur mon dos me fait alors réaliser le sens des paroles prononcées. Sans que je ne puisse réagir, je me retrouve clouée au vol, le ventre tourné sur le ciel avec un apprenti me surplombant. Là où je vois que ce dernier ne se fait pas prier pour sortir les griffes et me menacer avec, je reste de mon côté calme et m'efforce de ne pas céder à la colère qui, je sens, refais surface en moi. Je veille ainsi à ce que mes griffes restent bien rétractées au sein de mes pattes, non sans lutte, je dois bien l'avouer. A répondre par la violence à cet apprenti qui de toute évidence ne parvient plus à se contrôler, l'Ombre risquerait d'en souffrir. Si je parvins en revanche à simplement le repousser sans qu'il ne se fasse blesser, alors la Rivière serait désignée fautive.

Tout en observant la patte qui ne tarderait pas à s'abattre si personne ne réagissait, je rassemble mes pattes arrière contre l'estomac du jeune matou non pas dans le but de le blesser, mais bien pour l'écarter de moi. C'est alors qu'un chat jusqu'à présent resté silencieux s'interpose et attrape l'apprenti pour le tirer hors de ma portée. Il a de la chance, il se serait davantage fait secoué si je m'étais chargée personnellement de le repousser. Me sentant déchargée de mon fardeau, je me relève puis m'ébroue pour faire tomber les grains de sable pris au piège dans mon pelage. D'un air critique, j'observe alors Nuage de Péridot se faire sermonner par un guerrier que je ne reconnais pas mais à qui j'adresse un hochement de tête en guise de remerciement. En voilà enfin un qui se trouve doté de bon sens ! Mes yeux suivent finalement le tas de fourrure honteux qui s'éloigne tandis que je me passe un coup de langue sur les poils dans le but de les discipliner. Quand je disais à Éclat de Rire qu'il fallait que ses fils apprennent à rester à leur place, je n'étais pas dans le faux. A agir impulsivement, les voilà déshonorant leur clan. Adressant un dernier regard noir au lieutenant du clan averse avant de – je l'espère – me détourner pour de bon et sans que l'on ne vienne plus m'importuner, je lance, perfide :

- Tel père, tel fils.

Éclair Ambré écoutait les ordres que donnaient Étoile de Jais et Dent de Sabre alors qu'un ambassadeur du Tonnerre venait d'apporter des informations dramatiques au Clan de l'Ombre. Le guerrier au long pelage avait écouté ses paroles avec étonnement et appréhension, ayant du mal à imager ce qui venait de leur être décrit. Un monstre marin se vidait de son sang empoisonné dans la mer ? Il resta pensif un moment à essayer d'évaluer les conséquences que cela pourrait avoir sur leur clan, et même la vallée entière. Le Clan de l'Ombre ne vivait pas très proche de l'eau, et même si la rivière passait aussi aux abords de leur territoire, ils ne seraient sûrement pas trop touchés. Cependant il ne pouvait pas en dire autant des Clans du Tonnerre et de la Rivière.

Son chef décida donc de la marche à suivre et lui assigna Ailes de Corbeau comme partenaire pour aller voir ce qui en retournait et aider les autres clans à gérer la situation. Éclair Ambré s'inclina devant le meneur et partit à la recherche de son camarade dans le camp. Il trouva ce dernier près de la réserve de gibier et lui rapporta la situation :

« Ailes de Corbeau, il y a eu un accident en bord de mer. Étoile de Jais veut que nous rejoignions les autres clans à la Rivière Delta pour voir exactement ce qu'il se passe et les aider si besoin. »

Éclair Ambré connaissait le caractère bien trempé du guerrier blanc tacheté et se doutait que la nouvelle ne lui plairait sûrement pas. Depuis qu'il était petit, le félin aux yeux vairons avait toujours entendu son aîné mépriser les autres clans. Bien qu'il le respectait et trouvait qu'il était un grand guerrier, il n'était pas forcément d'accord avec ses idées très arrêtées sur leurs voisins de la vallée. Pour Éclair Ambré, la haine et la guerre ne menaient à rien et ne faisaient qu'éloigner tous ces chats qui avaient pourtant tant à partager. Oh, si jamais une attaque survenait et qu'il devait défendre son camp, bien sûr qu'il se battrait aussi, il était un chat loyal et patriote. Mais jamais il ne chercherait le conflit de lui-même.

Après la réponse de son aîné, ils se mirent en marche pour traverser leur territoire, suivant l'ambassadeur du Tonnerre ainsi que d'autres de ses camarades du Clan de l'Ombre qui avaient été désignés pour enquêter. Aux côtés d'Ailes de Corbeau, Éclair Ambré ressemblait à un chaton à peine sorti de la pouponnière. Déjà que le matou aux yeux clairs était plus grand que n'importe qui dans leur clan, le mettre à côté du plus petit guerrier devait donner un bien étrange spectacle. Ils étaient comme le jour et la nuit. Seuls les cicatrices dissimulées sous son long pelage et son regard pouvaient témoigner de son âge et de son rang de chasseur.

Une fois arrivés à la Rivière Delta, Éclair Ambré put constater de lui même l'effroyable événement qui s'était produit. Un monstre gigantesque était déchiré de part et d'autre, comme si la foudre elle-même était venue le griffer de sa patte étincelante. Il sombrait, petit à petit, dans les flots qui autour de lui avaient pris une teinte noire et poisseuse. Ce sang se rependait rapidement et se dirigeait vers la rivière, où des membres de tous les clans essayaient de construire une sorte de barrage pour le ralentir. C'était un événement inédit et Éclair Ambré fit une prière silencieuse au Clan des Étoiles pour que les choses s'arrangent rapidement. Il se tourna vers Ailes de Corbeau :

« Même dans notre ancienne forêt une telle chose ne s'était pas produite... D'après toi, devrions-nous aller poser des questions aux autres chats déjà présents ou nous joindre à la construction du barrage ? »

Éclair Ambré préférait donner à son camarade le choix des décisions, après tout il était plus âgé et sûrement plus expérimenté que lui.

Un instant Souvenir Irréel est à ses côtés, portant avec elle des branches pour le barrage, et l’instant d’après il a disparu. Fleur de Lys tourne la tête, interloquée, juste à temps pour voir son ami se jeter sur un apprenti du Clan de la Rivière. Muette de stupéfaction, elle assiste sans réagir à la scène qui se déroule sous ses yeux. Elle n’a jamais vu la sentinelle dans une telle colère. Pris dans le feu de l’action, il ne bégaie plus du tout ! Lys entend avec une clarté sans appel les paroles qu’il assène à l’intention de l’apprenti bagarreur. Elle est impressionnée par son courage et sa rapidité d’action. Qui aurait cru que sous sa fourrure crème sommeillait un héros œuvrant pour la paix entre les clans ?

Mais bientôt, le héros revient la queue basse, comme embarrassé par son propre coup d’éclat. Lys continue à le fixer, puis lâche brutalement la branche de bouleau qu’elle tenait encore entre ses crocs, pour s’exclamer :

« Wouah, Souv ! »

Pendant quelques secondes elle est incapable de dire quoi que ce soit d’autre, se contentant de regarder le guerrier avec de grands yeux admiratifs. Puis, prenant conscience qu’être fixé ainsi le rend probablement encore plus mal à l’aise, elle cligne des yeux, détourne le regard, adopte une attitude nonchalante.

« Je veux dire… Oui tu as raison, continuons à consolider le barrage. »

Mais tout en reprenant le travail interrompu, elle ne peut s’empêcher de lui jeter des regards à la dérobée. Au bout de quelques minutes, un sourire malicieux fait son apparition sur ses babines. Leurs pelages se touchent presque, et elle se rapproche de son ami pour lui donner une bourrade affectueuse assortie d’un ronronnement amusé.

« C’était très impressionnant, ce que tu as fait. Et très courageux », dit-elle simplement, espérant que ses mots redonneront au guerrier un peu de sa confiance en lui.

Cependant, le courage ne suffit pas pour déplacer de lourdes branches et le barrage est loin d’être fini. Fleur de Lys avise justement un large rondin de bois, et non loin, deux félins du Clan de l’Ombre qui viennent à point nommé de faire leur apparition près de la rivière. Incitant Souv à la suivre d’un mouvement de queue, elle s’approche en trottinant des deux nouveaux venus. L’un est très grand, presque effrayant avec son air renfrogné ; l’autre paraît bien plus petit à côté, et Lys pourrait penser qu’il s’agit de son apprenti si la lueur au fond de ses yeux ne trahissait pas une profonde sagesse. Ces deux-là ont vécu, leur corps parle pour eux. Lys pourrait être intimidée si la curiosité de côtoyer des membres du clan de naissance de son père n’était pas la plus forte.

« Bonjour ! Vous tombez bien, mon ami et moi, on aurait besoin d’aide pour déplacer le gros rondin, là-bas. Si on s’y met tous les quatre on devrait y arriver, non ? » miaule-t-elle du ton enjoué qui ne s’attend certainement pas à un refus.

Fleur de Lys n’a pas l’habitude de se présenter ; en règle générale, sa réputation la précède, quand le gris métallique de ses yeux ne trahit pas d’emblée son héritage. À voir son grand sourire, cependant, on aurait du mal à croire qu’il s’agit bien de la fille de Jeu Macabre, que certains au Clan de l’Ombre appellent encore le Traître.

Spoiler:

Pourquoi fallait-il toujours que les Bipèdes leur causent des problèmes ? Jusqu'à maintenant, Éclair Ambré s'était dit qu'ils étaient plutôt discrets à Valeemar et moins envahissants que dans l'ancienne forêt, mais maintenant il commençait à émettre des doutes. Et si par leur faute tout le gibier se retrouvait contaminé ? Si la substance noir continuait de se déverser dans leurs rivières quand la Saison des Neiges arriverait ? Le jeune guerrier secoua la tête, il devait réfléchir à une solution plutôt que de jouer aux pessimistes.

Le félin n'avait pas été étonné de la réaction d'Aile de Corbeau quand il lui avait annoncé leur mission du jour. Bien sûr qu'il ne voudrait pas discuter avec des membres du Clan du Tonnerre, cela semblait évident. Pourtant, son aîné ne pouvait-il pas se rendre compte qu'aucun différent ne les opposait aujourd'hui ? Peut-être avait-il de la rancœur par rapport à guerre passée qu'Éclair Ambré n'avait pas connu... Il attendait désormais la réponse de son camarade, même s'il se rendait compte qu'il n'aurait peut-être pas dû lui laisser le choix de leurs actions. Vu le caractère d'Aile de Corbeau, il imaginait mal celui-ci lui répondre avec enthousiaste de voler au secours des autres clans. Et il ne se trompa pas, car ce dernier lui fit part de ses réticences. Éclair Ambré se dandina d'une patte sur l'autre, hésitant.

« Je ne sais pas Aile de Corbeau... Tu as raison, moi aussi je me demande parfois pourquoi le voyage ne nous a pas plus uni. Mais c'est peut-être le moment de se prouver qu'on a tort ? »

En effet, c'était sûrement la meilleure occasion depuis des lunes de voir les clans s'associer à nouveau et oublier leurs rivalités pour un bien commun, pour assurer la survie de tous les chats de la vallée. Le Grand Voyage avait peut-être inculqué de nouvelles valeurs de solidarité et d'union entre les clans, et ils ne s'en rendaient pas encore compte ? Éclair Ambré voulait y croire. Il réfléchit à un argument pour convaincre le vétéran.

« Et puis tu sais, nous n'aidons pas que le Clan de la Rivière en construisant un barrage. Cette même eau souillée pourrait se retrouver dans nos ruisseaux, et surtout dans le ventre de nos proies. Si nous la ralentissons le plus tôt possible, nous nous assurerons aussi que le Clan de l'Ombre n'est pas touché ? »

Ils furent coupés dans leur conversation car une voix féminine les interpellèrent. Éclair Ambré se retourna pour voir arriver une féline bien plus grande que lui au pelage blanc et aux yeux d'argent. Ces derniers, d'une couleur étonnante et rare lui rappelait définitivement quelqu'un... Elle était accompagnée d'un matou crème, tout aussi haut sur pattes et qui semblait porter dans son regard la trace d'une certaine culpabilité. Leur odeur familière l'informait qu'ils étaient leurs voisins du Clan de la Lune. Éclair Ambré jeta un coup d’œil furtif et inquiet vers Aile de Corbeau qui, il le savait, n'hésiterait pas à les envoyer balader. Il le prit de court et répondit en vitesse avant que ce dernier ne puisse ouvrir la bouche.

« Oui pas de problème, on veut bien ! Allons-y. »

Le petit guerrier ambré donna un léger coup d'épaule à son camarade de clan et plongea ses yeux dans les siens. Son regard insistant voulait dire "pense à ce que je viens de te dire juste avant". La petite troupe se dirigea alors vers le rondin et se mirent à essayer de le soulever. Éclair Ambré se sentait littéralement tout petit à côté des trois autres chats, et il savait qu'il ne serait pas d'une grande aide, la force n'étant pas un de ses atouts. Cependant, une petite aide valait mieux que pas d'aide du tout. À quatre, ils parvinrent à soulever le bout de bois et avancèrent doucement vers le barrage. Le félin aux yeux vairons ne pouvait arrêter de jeter des coups d’œil à la femelle de la Lune, il était sûr de l'avoir déjà vu quelque part... Mais oui ! Bien sûr, comment ne l'avait-il pas reconnu ?

« Petit Lys ? Par le Clan des Étoiles, comme tu as grandi ! »

Dans son étonnement, Éclair Ambré lâcha le rondin en ouvrant la bouche et trébucha légèrement sur une racine, ce qui secoua le rondin qui vint se cogner contre les pattes d'un peu tout le monde. Ses oreilles lui brûlèrent pendant quelques secondes mais il plongea à nouveau son regard dans celui de la féline. Pas de doutes, c'était les yeux d'Étoile Destinée. Il avait du mal à croire qu'une féline aux traits aussi fins pouvait aussi être la fille de Jeu Macabre. Le souvenir de l'ex-lieutenant lui revint en tête, lui à qui il n'avait pas parlé depuis si longtemps... La dernière fois qu'il l'avait vu, c'était pendant le Grand Voyage, aux côtés de l'ex-meneuse de la Lune et de leurs enfants justement. Il reprit le rondin entre ses crocs et articula :

« Enfin, tu dois avoir changé de nom depuis. »

Il éprouvait tout à coup une grande curiosité pour la guerrière, fille du chat le plus intriguant qu'il avait pu rencontré de toute sa vie.

ft. Museau Nacré & Vestiges du Temps & Valeemar.


La Marée Noire.
« I've seen the red, I've seen the blue, take all of me. »

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Museau Nacré a dormi toute la matinée. Le Génie se sent épuisé depuis quelques jours, comme si une part de son optimisme et de son énergie s'était envolée avec la vie de sa bien aimée. Le matou n'a pas quitté Mélodie des Étoiles une seule seconde depuis le début de sa maladie ; et même en convalescence, son angoisse est trop forte pour la laisser hors de sa vue plus de quelques instants. Cependant, les heures passées à prendre soin d'elle, à veiller à ce qu'elle ait tout ce dont elle a besoin, en plus du temps occupé à assurer sa position de guerrier et de Génie, ont bien fini par avoir raison de lui. Il a dormi toute la nuit, ne s'est même pas réveillé lorsque sa Mélodie s'est levée pour remplir son rôle de cheffe. Maintenant il ouvre les yeux, plus reposé que jamais, prêt à affronter une nouvelle journée. Mais le calme qui lui provient du campement l'alarme aussitôt ; le clan de la Rivière a toujours été très actif au matin, le silence de l'aube brisé par les jeux des chatons, les discussions des guerriers et les entraînements des apprentis. Il a beau tendre l'oreille, seules quelques conversations agitées lui parviennent. Museau Nacré se lève et intercepte un guerrier qui lui raconte, de manière totalement paniquée, les événements de la matinée : un ambassadeur du Tonnerre est arrivé avant même le départ de la patrouille de l'aube, décrivant avec effroi l'état de la rivière, teintée de jais à cause d'un monstre endormi, fait des Bipèdes sans hésitation. Il n'en faut pas plus au matou pour bondir hors du camp, le cœur battant à toute vitesse, pressé de retrouver sa Mélodie. Il n'aime pas la savoir avec autant de chats de différents clans.

En quelques battements de queue, Museau Nacré atteint la rivière en delta, frontière avec le clan du Tonnerre. Il est surpris par le nombre de félins qui s'y trouvent, d'ores et déjà actifs à la construction d'un barrage qui semble peiner à avancer. L'air sent le Vent, le Tonnerre, l'Ombre, la Rivière et même la Lune. Museau Nacré est parcouru par un élan de fierté en observant tous ces félins travailler côte à côte, réminiscence certaine du périple entre Cerfblanc et Valeemar. Dans le lot, son regard tombe rapidement sur Mélodie des Étoiles, aussi facilement qu'un aimant est attiré par du métal. Il fronce aussitôt les sourcils en voyant son air décontenancé, presque blessé. Le félin remarque Feu de Forêt dans la foule, et aussitôt il comprend qu'une dispute a dû éclater entre les deux félines. Museau Nacré en sait suffisamment pour savoir que les relations n'ont pas toujours été au meilleur durant le voyage.

Il s'apprête à avancer et à rejoindre sa douce pour la réconforter, mais son corps se fige lorsqu'il aperçoit le monstre des Bipèdes qui gît dans la mer. L'odeur nauséabonde lui était parvenue bien avant, mais son esprit préoccupé par sa Mélodie, il n'y avait pas fait attention. Mais maintenant l'infection lui prend les narines et le fait même éternuer. L'eau noire et collante qui borde la plage lui arrache une plainte douloureuse et il sent une vive colère monter en lui. Les Bipèdes ont déjà détruit son ancienne forêt, doivent-ils faire subir le même sort à cette magnifique vallée ? Le Génie observe avec tristesse un oiseau pris au piège, au loin. Il n'a jamais aimé chasser, même pour ses propres besoins. Cette injustice lui donne envie de bondir sur le premier Bipède qui se présenterait à lui et de lui griffer le visage. Si Museau Nacré n'a jamais été de nature violente, il n'exclut pas les cas de force majeure qui le pousseraient à user de sa force de guerrier.

Perdu dans ses pensées, il n'entend pas la féline rousse qui vient se poser à côté de lui, hésitante. Museau Nacré sursaute en sentant son regard posé sur lui, mais lorsqu'il la regarde dans les yeux, il ne peut y voir qu'une douceur et une gentillesse qui lui arrachent un sourire. La rouquine sent le Tonnerre mais respire le calme.

« Je crois... je ne pense pas t'avoir déjà vu avant. Je suis Vestiges du Temps, du clan du Tonnerre. » Sa phrase est ponctuée par une pointe de fierté qui fait ronronner Museau Nacré. « Mais je sais qui tu es, tu es le compagnon de Mélodie des Étoiles, n'est-ce pas ? » Le Génie hoche la tête et c'est à son tour de se sentir fier. Vestiges du Temps lui laisse un regard amusé. « Je sais... je sais que Forêt de Flammes et elle ne s'entendent pas vraiment, et j'ai peur qu'une discussion vienne de rouvrir certaines plaies. Forêt de Flammes est... est mon amie, et les clans ont besoin d'entraide, non de dispute. Est-ce que l'on peut passer un petit pacte, toi et moi ? Je m'occupe de distraire Forêt de Flammes, et tu t'occupes de Mélodie des Étoiles ? »

Son ton est incertain, comme si elle se sentait illégitime de proposer une telle chose à un guerrier plus âgé qu'elle. Mais Museau Nacré n'a que son cœur pour lui répondre et c'est avec joie qu'il accepte sa nouvelle mission. Il observe un instant la guerrière du Tonnerre rejoindre son « amie » (parce que, en toute honnêteté, il n'est pas certain que la féline ait choisi le bon mot, tant il reconnaît l'intensité dans ses prunelles à la mention de Forêt de Flammes, la même qui brûle dans ses yeux lorsqu'il regarde Mélodie des Étoilés), en pleine séance avec Nuage de Chouette, l'apprenti-guérisseur du clan. Vestiges du Temps enveloppe doucement l'autre féline de sa queue, d'un geste d'une telle tendresse qu'il se force à détourner les yeux, leur laissant leur moment d'intimité. Il l'entend lui parler cependant, avec une fermeté qui contraste avec sa douceur d'antan.

« Hey, Forêt de Flammes ? Tout va bien ? Est-ce que je peux t'aider à nettoyer tes plaies avec Nuage de Chouette ? Ou à... à autre chose ? Si tu te sens, il reste à faire... »

Museau Nacré laisse son esprit divaguer un instant, s'arrêtant sur chacun des félins présent sur la plage. Il doit s'avouer que son manque d'observation le laisse un peu perplexe : il ne reconnaît pas grand-monde, même si beaucoup semblent en âge d'avoir assisté à plusieurs assemblées. Museau Nacré a toujours été de ceux qui ont une mémoire sélective, et les chats des autres clans, s'ils ne lui sont pas hostiles, n'éveillent pas assez son intérêt pour retenir tous leurs noms. Dans un coin il remarque cependant Cœur de Chouette, l'ancienne meneuse du clan de l'Ombre, occupée à déplacer un gros rondin de bois. Lorsqu'elle croise son regard, il lui répond par un battement de queue cordial, et elle lui sourit. Museau Nacré finit enfin par rejoindre sa Mélodie et il peut sentir sa colère émaner de loin. Il a toujours détesté la voir souffrir et il prend le temps de poser délicatement sa queue sur son épaule. Au passage, il salue Espoir du Matin qui semble accaparé par sa tâche. Museau Nacré se positionne face à sa bien-aimée, une partie du buisson entre ses pattes, une autre dans sa gueule. Il ne le pose que pour observer la lumière de sa vie.

« Comment te sens-tu ? Je suis désolé de ne pas m'être réveillé ce matin, tu aurais dû me prévenir, je serais venu t'aider. Mais je suis là maintenant, et on va créer le meilleur barrage du territoire ! »

Il tente de la faire rire, timidement, hésitant. Par quelques paroles, il essaie de lui témoigner tout son amour et tout son soutien, malgré le monde qui les entoure. D'un coin de l'oeil il peut observer Vestiges du Temps faire la même chose avec Forêt de Flammes. Museau Nacré sourit malgré lui. Heureusement que certaines âmes sont là pour en tempérer d'autres.