To save an ocean [lune 1194 - VdC MN]

Spoiler:

Il se trouve à la frontière de deux mondes. Cette ligne, imaginaire et qui pourrait pourtant faire couler le sang, il hésite devant. Oh, il s’agit seulement d’un instant. Peut-être moins d’une seconde. Il n’a pas le temps, il n’est pas là pour lui, mais pour son clan. Alors il n’a pas le temps pour les doutes, les hésitations, encore moins pour les souvenirs réels ou imaginaires. Et pourtant… Pourtant, il ne peut les retenir. Des souvenirs d’enfance, doux et agréables, des souvenirs de miel chauffés par un soleil d’été. Ils étaient alors encore quatre, seulement deux à présent pour Loup. Leur monde était simplement fait de jeux, jusqu’à ce qu’ils grandissent. Pour Appel du Loup, grandir avait été synonyme de séparation. Peut-être était-ce cela qui avait fait qu’il n’avait jamais pu devenir l’adulte qu’on espérait qu’il devienne. Il s’en rend compte à présent, depuis peu en fait. Les souvenirs de ses innombrables disputes avec Épopée des Lucioles et avec bien d’autres qui dansent devant ses yeux le lui ont fait comprendre. Il a toujours manqué de maturité, n’a pas voulu faire face aux vérités qui l’attendaient, n’a pas voulu faire face aux autres, et aux responsabilités que ça impliquait.

Derrière cette frontière devant laquelle il s’est presque arrêté, les territoires du Clan de la Lune. Cela veut surtout dire une chose pour lui. Il s’agit du clan dans lequel sa mère a grandi. Mais surtout, du clan dans lequel son frère a choisi de s’exiler. Serval avait préféré le clan de la Lune à ses frères et sœur. Alors une certaine curiosité démange le cœur de Loup, une certaine émotion l’étreint. Il est un guerrier du Tonnerre, le sera toujours. Mais il ne peut nier ressentir peut-être une certaine connexion avec la Lune lui aussi.

Lorsque l’ancien ambassadeur du clan de la Lune s’est retiré, Loup a longuement hésité avant de se proposer. Ocelot & lui étaient tous deux des candidats idéaux, ce n’était un secret pour personne que la moitié de leur famille se trouvait là-bas. Sa sœur n’était pas intéressée, ou avait fait semblant de ne pas l’être pour lui laisser la place. Enfin bon. Peu importe comment, il en était là. Il franchit d’un bond la ligne, sans laisser paraître à quel point cela est pour lui un geste étrange, au goût de l’interdit. Il se trouve pourtant dans la légalité la plus parfaite, il y a une bonne raison à sa venue, et son rang lui permet la transgression des frontières.

Il file à travers les bouleaux, la vitesse lui permet de bloquer les pensées qui viennent s’échouer dans son esprit dans répit. Ce n’est ni le lieu ni le moment. Il ne sait pas où aller car n’a aucune idée de la localisation du camp de la Lune et se fie seulement à son odorat pour suivre la trace de félin la plus fraîche. Il n’a pas vu la situation de ses propres yeux, mais cela semblait tout de même urgent. Assez pour mettre en péril la survie des clans au complet à priori, et si ce n’est pas sûr il y a tout de même un doute.

« Qui es-tu ? Que viens-tu faire ici ? »

Il se stoppe, ou plutôt se fait stopper par la voix autoritaire. Autoritaire & effrayée. Il ne savait pas jusqu'ici que les deux étaient assemblables. Devant lui une féline blanche au pelage touffu, elle lui crache presque dessus, et il peut voir qu’elle tente de se faire le plus grand possible alors qu’elle le fusille de ses jolis yeux vairons. Il faillit presque lui répondre avec une répartie cinglante, c’est l’habitude. Il la ravale au dernier moment, fais un pas de recul, en geste d’apaisement. Il n’est pas sur son territoire, il vient en paix.

« Je viens du clan du Tonnerre, en tant qu'émissaire. Mène-moi à ton camp, je dois parler à Étoile de Nuit. »

Il est le premier à s’étonner de l’essoufflement qui transparaît dans sa voix. Était-il si pressé que ça ? La guerrière qui lui fait face paraît en tous cas plus sage que lui, plus mature. Ses poils retombent déjà en ordre sur son échine alors que son regard hésitant cherche une preuve au fond des yeux de glace du matou. Elle n’en trouvera pas, Loup a les yeux de son père, un mur glacial auquel quiconque se heurtera. Il n’a pas de secrets à livrer nichés au fond de ses pupilles, pas à la première inconnue en tous cas. Mais elle hoche la tête, ramasse la proie qu’elle avait auparavant déposé à côté d’elle, et lui indique le chemin d’un signe de la queue.

Le trajet s’effectue dans le silence le plus total. Vestale Céleste se demande ce qu’elle a bien pu faire pour mériter cela. Trouver un ennemi sur les terres de la lune… Il s’agit sans doute d’un de ses pires cauchemars. Elle n’a aucune idée de la posture à adopter dans cette situation. Si le mâle du tonnerre avait eu des mauvaises intentions, elle n’aurait eu aucunes chances face à lui. Elle décide donc de le croire, parce que ça lui facilite grandement la vie pour être honnête, mais elle n’aurait de toutes façons jamais renvoyé chez lui un ambassadeur. Ce n’est pas son rôle de vérifier ses dires. En attendant, elle espère que le trajet se terminera vite, parce que le silence qui s’étire est assez gênant, et le regard brûlant du matou sur son dos encore plus. Au moins il n’essaye pas de lui parler, avec le moineau qu’elle a dans sa gueule elle aurait eu tout le mal du monde à lui répondre en paraissant crédible. De son côté, Appel du Loup se demande s’ils sont liés d’une quelconque façon. Ils pourraient être de la même famille. Ou non. Il secoue la tête, il doit constamment se répéter qu’il n’est pas là pour ça. Ils arrivent enfin auprès de l’arbre camp après plusieurs minutes, et Appel du Loup laisse Vestale Céleste aller chercher la meneuse sombre de son clan. Le chat gris et blanc de son côté ne manque pas un instant pour expliquer la situation, cela évitera sans doute à tout le monde l’instant gênant ou les questions flottent dans les airs sans être posées. Il se présente, et il sait d’avance que son nom en fera peut-être tiquer quelques-uns. Il ne peut s’empêcher de jeter des regards de côtés pour observer les visages des luneux, se demandant malgré lui si untel ou unetelle connaissait Mélopée.

« Je suis Appel du Loup, un nouvel ambassadeur au tonnerre, il y a un problème dans la mer. L’eau est devenue noire, un monstre de bipède y répand son sang. Nous ne savons pas encore quels peuvent être les éventuels dangers associés mais… Tout le monde a l’air d’avis de tenter de bloquer l’avancée de cette immondice, tous les clans seront tôt ou tard concernés si ça se répand dans la rivière. Je viens donc pour vous prévenir mais également pour vous demander si vous vous joindrez ou non à nous pour lutter contre ce… cette chose. Les clans de la Rivière et du Tonnerre sont actuellement présents là-bas, et d’autres ambassadeurs doivent être à ce moment même en train de prévenir les clans du Vent et de l’Ombre. »

Sa queue bat l'air rageusement avant qu'il ne se rappelle de sa position et prenne une posture plus détendue. Il a l'impression de demander de l'aide et n'aime pas ça. Pourtant, la menace est extérieure, le danger concerne tout autant chaque clan. Il ne sait comment nommer ce qui ronge l’eau, lui-même ne l’a pas vu de ses propres yeux. Ce qu’il apporte comme informations doit sembler bien maigre aux yeux des luneux, mais lui-même n’a pas reçu énormément d’indications. S'il s'est auparavant adressé au clan entier, il regarde à présent Étoile de Nuit dans les yeux, tentant de lui faire comprendre combien la situation est sérieuse, car il n’est pas sûr d’y être parvenu avec les mots.

De son côté, Vestale Céleste est revenue s'installer discrètement auprès des siens pour suivre la suite des événements. Elle n'a jamais eu affaire aux bipèdes, elle était si jeune pendant le voyage qu'elle n'a presque rien vu de la destruction qui était alors en oeuvre dans la forêt de Cerfblanc. Son souffle se coupe presque lorsqu'un monstre de bipède est évoqué, elle a en tête toute sorte d'images terribles évoquées par les anciens ou encore par sa mère, lorsqu'elle était encore là.

Lisez-moi :

Fleur de Lys a l’âme d’une héroïne. Justicière des causes perdues, elle se jettera toujours à corps perdu dans la bataille, même lorsque tout espoir est vain – surtout lorsque tout espoir est vain. Un appel à l’aide est pour elle plus fort que n’importe quel serment, il transcende les frontières et les allégeances. Un appel à l’aide est sacré, impossible à ignorer. C’est pourquoi, lorsque le guerrier du Tonnerre fait son apparition dans le camp de la Lune, elle écoute son annonce avec un effroi grandissant, mais aussi un irrépressible sentiment de devoir.

« Nous devons leur porter secours ! » s’écrit-elle en cherchant Etoile de Nuit des yeux, afin de s’assurer que celle-ci partageait son opinion. Au lieu de la meneuse, son regard rencontre celui de Cendres de Rosée, qui l’intime au silence d’un froncement de sourcil désapprobateur. Bien des lunes ont passé depuis la fin de son apprentissage, mais Fleur de Lys ne peut s’empêcher de se sentir rabrouée comme un chaton par sa mentor. Ses oreilles se couchent sur son crâne et elle attend la réponse de l’Etoile avec fébrilité, se promettant déjà d’agir malgré elle s’il le fallait.

Elle n’est pas la seule à s’être exprimée cependant, et autour de l’Arbre-camp les réactions fusent, effrayées pour la plupart. Parmi elles, la guerrière reconnaît sans peine la voix de Souvenir Irréel. D’un bond, elle quitte la branche sur laquelle elle était perchée pour venir presser son pelage contre celui de son ami dans un geste réconfortant. Il n’est pas né, le monstre marin qui fera du mal aux siens ! Elle est loin d’imaginer l’ampleur réelle du désastre, mais sort déjà les griffes, prête à en découdre.

Heureusement, sa meneuse ne perd pas de temps et annonce la formation d’une patrouille de reconnaissance. « Je t’accompagne, Etoile de Nuit ! Tu viens Souv ? » Fleur de Lys demande ça avec un sourire, l’innocence et la naïveté incarnées. Elle va au-devant du danger, l’esprit léger, incapable de se douter du pire. Une fois de plus elle se lance dans la bataille, certaine que celle-ci peut être remportée, certaine qu’au final, tout n’est qu’un jeu. Ce n’est qu’une aventure de plus, dans laquelle elle veut entraîner son ami : allez viens Souv, allons jouer aux héros. Rien de grave ne pourra jamais nous arriver.

Cendres de Rosée, quant à elle, quitte le couvert de l’Arbre pour s’avancer au centre de la petite assemblée. Son visage est soucieux mais sa voix assurée. « Ceux qui restent, rejoignez-moi. Nous organiserons des tours de chasse pour que la patrouille d’Etoile de Nuit ait de quoi se nourrir et puisse se reposer à son retour. » Elle reporte ensuite son attention sur Eclipse Solaire, qui s’est déjà éloignée en compagnie de l’Ambassadeur. Si ses responsabilités ne l’occupaient pas tant, la lieutenante les rejoindrait volontiers pour prendre part à cette curieuse réunion familiale… Appel du Loup a-t-il seulement reconnu sa grand-mère ? Est-ce le hasard, ou le destin, qui l’a conduit dans le clan qui aurait dû être le sien ?

Retenant un soupir, la guerrière de jais pense qu’elle n’a pas fini de s’inquiéter en voyant son ancienne apprentie s’avancer avec détermination vers le point de rendez-vous. Quand Fleur de Lys cessera-t-elle de chercher les ennuis ? Je lui ai appris à se défendre. Mais Cerfblanc nous a montré que cela ne suffisait pas face aux bipèdes et les ravages qu’ils font à la terre…

Oui, la journée sera longue, et la nuit bien trop courte.