EVENT- Mission 7

Un pas. Puis un autre. Chacun m’en coute, ravive le feu qui incendie mon épaule. Il ne m’a pas raté. Faute de savoir appliquer des toiles d’araignées sur moi-même, ou de vouloir perdre du temps à l’expliquer à mes camarades provisoires, je dois supporter le doux filin rouge qui se faufile avec discrétion sous ma fourrure et aspire à chaque foulée ma force vitale. Tiens bon. Je contrains ma tête à rester haute, mon regard, ferme, tandis que je clôture la marche en soulevant l’arrière-train du chien galeux entre mes crocs. J’espère que mon sang n’attira personne.

Malgré le pelage qui me chatouille le museau, je scanne les alentours, sans en rater une miette. Le camp du Tonnerre est donc dans cette direction ? Une bien précieuse information. Mais alors que je détaille les buissons, l’un d’entre eux frémit, puis s’écarte. Sans hésiter, je laisse choir notre prisonnier, dégaine mes griffes et réveille mes muscles, prête à retourner dans la mêlée. Mon cœur se calme, le gout cuivré qui peigne encore ma langue s’accentue, mes sens s’affinent, et une étrange clarté éclaire mes pensées.

Mon flair, ainsi décuplé, me porte alors l’ombre d’un effluve, une senteur boisée et à présent familière. Le Tonnerre… J’essaie de dénouer mes épaules et d’adoucir mes nerfs, mais ces derniers se crispent à la vision de la femelle grise. Un long pelage de pierre striée d’ivoire et d’ébènes. Une stature large, épaisse. De nombreuses cicatrices et, surtout, un iris d’or, et l’autre de sang. Âme de Venin. La nouvelle lieutenante du Tonnerre, ainsi qu’une meurtrière, d’après les dires de Mouette Rieuse. D’ailleurs, ils devraient être ensemble, non ?

Je n’écoute que d’une oreille les félicitations de la vétérane. Elles sont destinées à son camarade, davantage qu’à Nuage d’Orage ou moi-même. Ses explications, cependant, me soulagent quelque peu. Mouette Rieuse et Nuit Polaire doivent rentrer eux aussi.

Mes yeux glissent vers le corps de notre prisonnier, dont la cage thoracique se soulève avec difficulté. L’achever… Chacune des toiles d’araignées qui maintiennent tant bien que mal son sang est une preuve de notre volonté de le garder en vie. Même s’il m’en coute de l’admettre, la meurtrière a raison. Le Code du Guerrier interdit de tuer si possible, à moins que l’adversaire ne le respecte pas. Maintenant qu’il ne nous est plus utile, ce serait un gaspillage de plantes et d’énergie de le soigner. Et l’abandonner à son sort ici revient à le condamner. Autant abréger ses souffrances. Et ne pas risquer qu’il survive.

J’acquiesce en direction de Nuage de Muflier. Pas qu’il n’ait besoin de mon accord, bien sûr, mais je me refuse de le laisser seul face à ses actes. Je ne détourne pas le regard, lorsqu’il s’approche pour exécuter l’ordre de sa lieutenante. Ni aux légers spasmes qui secouent l’inconnu une dernière fois, ou à ses pupilles qui se voilent. Où va aller son âme ? Certainement pas au Clan des Étoiles.

« Il est temps pour nous de rentrer. »,, j’annonce en me tournant vers Âme de Venin.

Elle est… plus petite que je l’imaginais. Je dois baisser la tête pour lui parler. Mais sa présence, elle, est écrasante. Je ne lui fais pas l’affront de gaspiller ma salive pour me présenter. Elle ne l’a pas fait et, si elle le souhaite, elle n’aura pas de mal à trouver nos noms. Dès lors qu’elle nous donne son accord, je lance un regard inquisiteur à Nuage d’Orage, une proposition muette de rentrer ensemble. Après tout, il va falloir que je repasse par son territoire. Et avec la Horde qui rôde, mieux vaut ne pas s’isoler trop longtemps. L’apprenti partage mon avis et, après une légère ondulation de la queue en guise d’au revoir, je m’éloigne avec lui d’Âme de Venin et de Nuage de Muflier.

Quelle étrange journée. Mon cœur est divisé entre la fierté d’avoir rempli notre mission, le soulagement de savoir notre adversaire hors d’état de nuire et le poids de sa vie perdue. Rien dans le Code ne l’interdit. Est-ce le bon choix pour autant ? Face à un kidnappeur qui nous a pistés pour mieux nous sauter à la gorge dès lors que l’on fut séparé ? Oui. Rien ne peut justifier un tel comportement. Je soupire. Les chats ne sont parfois pas aussi gris que j’aime le penser. Je ne suis pas aveugle, nous souhaitions tous sa mort. À l’occasion, pour protéger les siens, il faut se salir les pattes. J’espère juste que Nuage de Muflier n’aura pas de mal à laver les siennes, ce soir.