Two against the night [Ronce & Ardeur]

Elle est allongée, étalée plutôt même sur une pierre moussue. Elle observe placidement le monde autour d’elle se faire peu à peu plus silencieux, plus sombre. Les ombres de la nuit gagnent peu à peu la bataille contre la lumière du jour, comme tous les soirs. Le soleil laisse sa place à la lune sans beaucoup de résistance.

Si un autre observait Ardeur des Braises à cet instant, il pourrait la croire profondément fatiguée et lasse. Elle est aussi immobile que la pierre qui lui sert de nid, pivotant seulement de temps à autre une oreille lorsqu’un bruissement ou un soupir se fait entendre dans un coin. Mais c’est en réalité tout le contraire. Elle boue d’impatience et d’excitation. Lorsque tout se sera enfin fait vide et calme, elle pourra s’échapper.

C’est une bien étrange prisonnière que nous avons là. Elle a l’un des nids les plus confortables de tout le clan, personne ne lui demande rien. C’est à peine si sa mère ne lui apporte pas sa nourriture sur un plateau tous les jours, car « tu as besoin de force après tout, c’est pour tes petits ! ». Merci bien, mais elle sait se nourrir seule. Et ce n’est pas parce qu’elle a eu des chatons qu’elle est soudainement devenue une incapable bon sang ! Bon, d’accord, la chasse n’a jamais été son fort, mais même pour les patrouilles, cela fait des lunes et des lunes que son nom n’a pas été appelé. Elle a seulement pu observer la frénésie liée à la marée noire de loin, coincée dans ce camp tout moisi. Et si elle a le malheur d’oser mettre une patte dehors pour aller prendre l’air, elle est sûre de rencontrer le regard condescendant d’anciennes reines ou même de certains guerriers qui sont certains de savoir mieux qu’elle comment il convient de s’occuper de ses gosses. (A savoir, on ne peut à priori jamais les laisser seuls pour s’occuper un peu de soi-même, quel égoïsme de seulement y penser !). Mais qu’on lui fiche la paix. Elle se fiche de leurs opinions et le leur fait bien savoir, mais devoir éviter ses propres camarades dès qu’elle se trouve hors du camp, ce n’est pas vraiment sa définition de la liberté. Elle attend donc la nuit.

Après quelques instants encore passés à patienter (elle commence à croire qu’elle va finir par prendre racine sur ce stupide rocher), elle délie finalement ses muscles pour sauter le plus discrètement qu’elle le peut au sol et s’approcher de la sortie. Ses quatre protégés sont normalement à l’abri de la pouponnière. Épine Fleurie (Ardeur a toujours un peu de mal à se faire à ce nom), sa mère, bien qu’assez récalcitrante face à ses échappées, accepte de veiller sur eux dès que besoin. Enfin… C’est ce qu’elle croyait avant de l’apercevoir du coin de l’œil s’avancer comme une ombre vers elle, infiniment plus discrète qu’elle ne pourra jamais l’être.

« Petite Ronce n’est toujours pas venu dans la pouponnière… Je voulais juste te prévenir. »

Sa mère lui indique une petite silhouette à peine perceptible dans l’obscurité. Ardeur des Braises soupire.

« Laisse, je vais m’en occuper. »

Elle s’approche de lui, s’asseyant à ses côtés et regarde dans la même direction que lui, cherchant à quoi il peut bien être occupé. Elle ne voit rien de particulier. Regarde-t-il seulement la nuit ? Elle tente d’attirer son attention.

« Qu’est-ce que tu regardes de si intéressant ? Ton frère et tes sœurs sont tous avec Épine Fleurie. Tu ne vas pas les rejoindre ? On va encore venir m’enguirlander si je te laisse tout seul ici… Et puis, tu as besoins de dormir. Sinon, tu vas rester minuscule toute ta vie tu sais ? Ah moins que… »

Après tout, ce n’est pas la première fois que Petite Ronce reste dehors bien après tous les autres. Cela n’a pas l’air de le gêner outre mesure, il dort à d’autres moments. Ardeur des Braises s’entend souvent dire que ça ne doit pas être bon pour lui de vivre en décalage, mais c’est sa vie après tout. S’il n’est pas fatigué… Elle le fixe un instant avant de se décider.

« Tu peux aussi venir avec moi si tu veux. Une petite ballade nocturne, qu’est ce que tu en dis ? Je pourrais te montrer un peu tout ce qu’il y a dehors. »

Two against the night

▬ Ft : Maman Ardeur

Plus la journée touchait à sa fin, plus le chaton semblait déborder d'énergie. Oh, bien sûr, Petite Ronce n'était pas du genre à courir inutilement dans tout les sens... Il lui arrivait tout de même de courir ou trotter, notamment pour haper les guerriers revenant de patrouilles ou de rondes de chasse. Mais enfin, il était plutôt calme, et mesuré dans ses gestes. Disons que son regain de vitalité était plutôt visible à la lueur inhabituelle dans ses yeux bleus livides. L'animal était posté dans un recoin du camp, après avoir écouté une énième histoire d'un ancien qui visiblement, ne se rappelait pas la lui avoir déjà narré... Oh, Ronce ne lui en tenait pas rigueur. Il avait du respect pour les guerriers au repos. Aussi, il s'était contenté d'hocher la tête au récit du vieux chat, vérifiant au passage que Présage des Rats était toujours assoupi. Il ne l'aimait pas trop, du moins, sa personnalité apparante ne lui donnait pas trop envie d'avoir à faire à lui.

Tiens ! Dent de Sabre s'autorisait un petit repas ! Petite Ronce trottina en sa direction, curieux d'en savoir plus sur le déroulé de sa journée. Après tout, il se passait quelque chose d'étrange, dans un endroit lointain que le chaton ne pouvait qu'à peine imaginer. Bien sûr, il ne comprennait pas vraiment de quoi il s'agissait, mais peut être que le lieutenant pouvait lui donner quelques informations ? Au final, Petite Ronce est stoppé dans sa lancée. Une silhouette sombre, reconnaissable malgré l'obscurité qui commençait à gagner en force, semble invitée par Sabre à se joindre à lui. Curieux tout ça... Requiem et le grand matou sont pourtant assez solitaires... Peut être ont-ils à discuter de la chose bizarre qui se trâme au loin...? Dubitatif devant ce curieux phénomène, le chaton s'assoit, histoire d'écouter plus ou moins ce qui se raconte mais... Voilà que l'astre lunaire se dessine sur la voute céleste. Bien vite, son attention se focalise sur cette magnifique apparition, qui fait luire ses yeux ternes. Que c'est joli... Il se souvient avoir eut la chance de l'observer près du ruisseau rocheux, après s'être fait surprendre par le mystérieux Requiem du Silence, justement. Un petit souffle s'échappe de son museau. Il aimerait tant observer un tel spectacle d'un autre point de vue que celui du camp... Les terres de l'Ombre doivent regorger de postes d'observation magnifiques, non ?

Tout absorbé qu'il était à détailler les lueurs de la lune dessiner des clairs-obscurs sur les contours du camp, Petite Ronce sursaute légèrement en entendant la voix de sa mère. Bien vite, il tourne la tête en sa direction, et lâche un ronron d'aise à savoir Maman Ardeur à ses côtés. Le chaton noir à toujours fait montre d'une maturité assez précoce, et pourtant, maintenant qu'il est avec sa Maman, il se montre pleinement chaton. Puis aussi, Libre et Tigresse ne sont pas là pour lorgner et préparer des piques sur son attitude enfantine. Aux mots de sa mère, le jeune éprouve une succession d'émotions différentes, une légère honte, un peu de frustration -comment ça rester minuscule ? Comme Patte Libre ?- mais c'est finalement un large sourire qui l'emporte. Un félin qui critique Maman Ardeur sur sa façon de gérer ses enfants ? Il aimerait bien voi ça ! Le pauvre animal risque d'être bien reçu ! « Je regarde la nuit maman. » miaule-t-il d'une voix plus douce qu'à l'usuelle. Tonalité qui aurait engendré des remontées acides chez son aîné ou Tigresse. Ce n'est ni une justification, ni un point qui mérite d'être développé. Juste la vérité. Pourquoi mentirait-il à son idôle de mère, ou pourquoi essaierait-il d'enjoliver la réalité ?

La chatte tricolore, resplendissante -enfin encore plus qu'à l'ordinaire quoi, Maman Ardeur est toujours la plus jolie des félines de l'Ombre de toute façon- dans l'univers nocturne, miaule alors une proposition des plus intéressantes. En un éclair, voilà le petit matou sur ses pattes fines. Sortir du camp pour admirer encore plus la nuit ?! Un peu qu'il est partant ! « Oh oui ! Enmènes moi avec toi !! » répond-il sans aucune retenue. « Ou est-ce qu'on va ?! » commence-t-il en tournant autour de sa mère, complètement electrisé à l'idée de cette sortie inattendue. « J'ai déjà vu les abords du ruisseau roch- » Oups. « Enfin je veux dire, ça à pas l'air d'être le plus intéressant alors, on peut peut être aller ailleurs ? » espère-t-il se rattraper. Le calme et mesuré chaton qu'il est se met à sautiller sur place, retrouvant une once d'apaisement quand la jolie guerrière tricolore se décide finalement à marquer le premier pas d'une ballade promettant de rester gravée dans la mémoire de son fils.

:copyright:️ 2981 12289 0

HRP:

Elle sourit à la réponse du chaton aussi sombre qu’elle est colorée. Elle se serait gentiment moquée de cette réponse pour n’importe qui d’autre, mais la voix douce qu’il emploie avec elle la stoppe immédiatement dans cet élan. Elle ne peut prétendre comprendre cette obsession pour la nuit, elle n’a jamais eu de telle lubie. Elle tente de rester un instant immobile à ses côtés, de se mettre à sa place, mais rien n’y fait, elle n’a jamais été très douée à cet exercice, avec qui que ce soit d’ailleurs. Et après tout, elle n’en a jamais eu besoin. Elle a toujours pensé que vivant sa vie pour elle-même et non pour les autres, l’empathie était une qualité qui ne lui manquerait pas tant que ça. Elle a découvert récemment qu’elle aimerait parfois en avoir un peu plus, réussir à se sentir plus proche de ses enfants lorsqu’elle se rend compte combien son ignorance à leur sujet est grande. Elle aurait pensé qu’ils lui ressembleraient. Elle a compris que deux personnes distinctes, aussi ressemblantes soient-elles, sont toujours séparées par un gouffre immense. C’est du moins l’impression qu’elle a lorsqu’elle tente pour les premières fois de comprendre une certaine réaction à un certain moment et inversement. Mais peu importe après tout, elle sait, elle sent l’amour qu’elle porte aux trois boules de poils nées il y a deux lunes de cela, et toute la distance physique ou non du monde ne saurait l’effacer.

Elle sourit franchement à la réponse surexcitée de Petite Ronce qui commence à tourner autour d’elle en s’exclamant combien il est prêt à aller au dehors. Elle réfléchit déjà à là ou elle pourrait l’emmener lorsqu’elle surprend dans son discours une mention du ruisseau rocheux. Hm ? Voilà qui est intéressant, on lui ferait des cachotteries ? Pour l’heure, elle s’inquiète plutôt que les exclamations aigües de son fils ne réveillent la moitié du camp. Pas qu’elle ait peur de représailles, qu’ils viennent donc, mais tout de même se retrouver avec des guerriers pas réveillés sur les pattes, ça ne fait pas tellement partie de ses plans de « tranquillité » du soir.

« Chuut. J’ai compris j’ai compris, on va y aller. ».

Elle fait taire le chaton en posant délicatement sa queue sur son museau, étouffant elle-même un rire dans le même temps.

« Mais il faut qu’on fasse ça bien d’accord ? Si on se fait repérer, ça veut dire qu’on a perdu et il faudra qu’on rentre. »

Une fois assurée qu’elle a réussis à apaiser l’excitation de son enfant, elle relâche la pression qu’elle maintenait sur sa mâchoire, lui lance une pichenette affectueuse sur la joue et commence à s’éloigner en lui faisant signe de la suivre. Elle se prend à jouer totalement le jeu au milieu du secret de la nuit, avec pour seul témoin son fils, la voilà qui se fait serpent, ramassée sur elle-même et féline, guerrière qui avance contre la nuit comme si le moindre bruit pouvait réveiller un monstre féroce. Ardeur des Braises ne sera jamais la féline la plus discrète du clan de l’ombre, elle sait même en être très loin, mais ce soir là elle peut presque croire qu’elle l’est…et le faire croire à Petite Ronce également. Ils s’éloignent de la clairière à cette heure ci embrumée dans laquelle est caché le camp. Alors qu'ils progressent, Ardeur garde un œil attentif sur la silhouette de son fils qui se découpe à peine dans l’obscurité, elle ne veut pas l’admettre mais elle aurait un peu de mal à le voir s’éloigner d’elle plus que nécessaire. Elle secoue la tête et attend un instant que son attention soit attirée par quelque chose, se rapproche de lui d’un seul coup en lui envoyant une pichenette sur l’épaule du bout de la queue.

« Bouh ! Alors, je t’ai eu ? »

Ils ne sont plus à la portée d’oreilles indiscrètes à présent, hormis peut-être la patrouille denuit qu’elle espère loin, et elle rit, fière de sa blague nulle et déjà utilisée 3500 fois. Enfin, ça n’est pas tous les jours qu’elle emmène un de ses enfants dans la nuit et la brume, alors elle espère avoir peut-être plus de succès cette fois ci. Elle reste près de Petite Ronce, flanc contre flanc et se penche pour voir son visage auquel elle adresse un étrange sourire.

« Dis donc, j’ai cru entendre quelque chose au sujet du ruisseau rochaux tout à l’heure ? Hmm ? »

Oui, elle l'avait eu.

Elle est penchée au-dessus de lui, le frôlant presque du museau lorsqu’il se retourne brusquement, ses grands yeux clairs écarquillés. D’aussi près, elle peut voir ses poils fins se dresser sur son échine, ses pattes fines et hésitantes sur le sol accidenté des marécages. Soudainement, dans l’obscurité de la forêt et dans les vibrations de la nuit que les entoure, il lui semble bien frêle. Tentant de repousser cette vision – il n’était pas question de devenir un bourreau de liberté, comme sa propre mère après tout -, elle imite son fils et s’assoit, elle aussi sur le sol froid, afin de lui laisser le temps de dérouler son récit.

Ardeur des Nuages se serait sans doute impatientée face à un chat aussi lent pour expliquer une simple mésaventure. Elle l’aurait bousculé, se moquant et lui intimant impatiemment d’en venir au cœur des faits. Mais elle a appris durant ces dernières lunes à prendre sur elle, à laisser le temps. Bien sûr, elle se moque gentiment de lui et le taquine souvent, mais elle montrerait les crocs si quelqu’un s’en prenait sérieusement à lui, quel que soit le sujet. Dans le camp animé et lumineux, les taquineries semblent plus propices que dans la noirceur de la nuit. Alors une fois n’est pas coutume, elle garde le silence, ravalant sa malice qui ne brille plus que dans ses yeux. Et puis, en faisant cet effort de l’écouter réellement, elle se surprend à sourire en imaginant le tout petit Ronces « pister » l’escadron, Requiem. Elle laisse un rire silencieux s’échapper de sa gorge à cette image. Mais bon, tout de même, elle ne peut s’empêcher d’être un peu jalouse. Elle-même est coincée au camp toute la journée, et voilà que son propre chaton sort en douce avec un autre guerrier. Elle fait mine de renifler de mécontentement.

« Tout de même, dis donc, tu aurais pu venir me chercher avant de sortir… Je t’aurai emmené moi ! Je t’aurai montré des choses encore plus intéressantes que le ruisseau. »

Elle sourit à cette idée, elle et ses quatre rejetons en promenade dans la forêt. Lorsqu’elle-même était devenue apprentie, Epine manifestait souvent l’envie de l’accompagner dans ses sorties, ce que la jeune Ardeur n’avait de cesse de refuser : Hors de question d’avoir une maman collante dans les pattes ! Mais aujourd’hui, elle comprend cette envie de se trouver aux côtés de sa famille. Savoir qu’elle ne sera pas celle qui les verra attraper leur première proie lui procure une pique étrange au cœur. Elle aimerait leur faire découvrir le monde et ses multiples opportunités, partager avec eux le plaisir de longues courses effrénées et d’escalades périlleuses dans les rochers. C’est un futur plan qu’il faudra mettre à exécution. Mais pour d’autres nuits, d’autres jours.

Pour le moment, devant la question de Ronces, un petit sourire narquois naît sur ses babines. Des sorties à la limite du code du guerrier, elle en a connu quelques-unes. De ses souvenirs de chatons, il n’y a rien d’autre qu’une enfance surprotégée bien trop encadrée pour n’importe quelle sortie opportune. Mais apprentie… elle en a bien profité pour enchainer les bêtises. Toute fière, la voilà qui se prépare à raconter ses exploits à son fiston, bombant le torse pour ajouter à l’héroïsme de son adolescence.

« Eh bien, une fois, je suis sortie dans les terres libres avec un de mes amis. On s’est retrouvés dans la forêt, et on a trouvé un nid de seeeer- »

De serpents. Ils avaient trouvé un nid de serpents, et avaient trouvé ça très drôle d’en attraper un pour le ramener au camp et faire une mauvaise blague aux reines de la pouponnière. Quelle connerie, elle s’en rend compte maintenant en imaginant le petit Ronces devant un reptile potentiellement venimeux. Bon, ce n’était peut-être pas le meilleur exemple.

« De souris. C’était un nid de souris. On a fait un énorme festin, j’ai tellement mangé ce jour là que j’ai dû rentrer au camp en roulant », pouffe-t-elle. C’est en fait un peu éloigné de la vérité. Elle avait en fait été privée de repas ce soir-là, et avait passé les sept levers de soleil suivants à s’occuper de la tanière des anciens. Bon, ça n’était peut-être pas très intéressant cette histoire dit comme ça en fait.

« Hmm… Une fois, je suis allée visiter les cristaux de lune. C’est un lieu normalement un peu interdit, mais ils sont tout près de nos territoires. Tu veux qu’on aille les voir ? »

A peine cette idée lui a-t-elle traversé la tête qu’elle a très envie de l’y emmener. Elle est sûre que les pierres brillantes sauront fasciner Petite Ronces, surtout en pleine nuit. Lui qui est déjà attiré par la blancheur laiteuse de la lune. Elle trépigne à l’idée de lui présenter cette petite merveille. Le chemin qui y mène est dangereux, mais il est encore si petit, elle pourra le porter durant la montée. Trépignant d’impatience, elle lui indique le chemin.

« Je te promet que tu vas adorer. C’est autre chose que le ruisseau que t’as montré Requiem, tu vas voir ! Viens par ici. »

Elle s’éloigne dans la nuit en direction de la montagne.

Spoiler:

Elle avait attendu avec impatience la réaction de Petite Ronce, et les exclamations qui fusèrent dans la nuit lui donnèrent entière satisfaction. A présent qu’elle avait appris qu’un guerrier avait emmené son fils découvrir les mystères de la forêt avant elle, elle était déterminée à lui montrer bien mieux. Oui, elle décrocherait les étoiles du ciel pour les aligner devant ses yeux ébahis s’il le fallait. Hors de question qu’un parfait inconnu émerveille plus ses propres enfants qu’elle-même ! Après tout si elle était souvent jugée pour la trop grande liberté qu’elle leur laissait (ce qui la faisait bien rire, car les plus sévères étaient souvent de vieux guerriers qui n’avaient jamais daigné poser les yeux sur leurs propres gamins), elle voulait par-dessus leur laisser le souvenir d’une enfance hors norme, drôle, intéressante. Elle trépignait d’impatience donc, et partit à petits bonds en direction du chemin escarpé qui montait vers la cascade tout en lui répondant.

« Je ne vais tout de même pas te divulguer les secrets des cristaux avant que tu ne les ai vu ! Quel intérêt sinon ? Suis-moi plutôt par ici. »

Si elle n’avait jamais réussi à apprendre à modifier son pas pour ses rejetons, il lui était à présent naturel de s’arrêter de temps en temps dans ses bondissements pour jeter un œil derrière elle sur la fourrure noire du plus petit, et le laissait la rattraper. Elle devait parfois la chercher en plissant les yeux pour la déceler dans le noir, ce qui la faisait sourire. Un vrai chasseur de l’ombre. Tout le contraire d’elle. Mais quand ses grandes prunelles grises se relevaient, c’était la lune qui semblait apparaître sur le sol boisé.

Ils arrivèrent bientôt près de la bande de terre sur laquelle le passage de n’importe quel félin des clans était permis afin de gagner la grotte qui abritait les joyaux. De l’autre côté de la rivière féroce qui s’enfonçait dans le ravin, les terres de la Lune. Mais Ardeur n’a que faire de ces histoires de frontières, et Ronce en sera déjà bien assez bassiné lorsqu’il sera apprenti. Alors elle se contente de l’attirer à elle d’un mouvement de queue pour le garder près d’elle. Entre la pente et l’obscurité, elle tient à rester entre lui et le vide.

« Fais bien attention ici, reste loin du vide. On va commencer à monter par-là, et je te porterai à la moitié du trajet d’accord ? »

Elle lui indique le chemin rocailleux dont la pente devient en effet plus ardue à mi-chemin. Dotée ‘un équilibre naturel, elle n’a que peu de mal à bondir de rocher en rocher, mais doit cependant s’appliquer afin de ne pas risquer de faire dégringoler de cailloux sur Ronces qui la talonne. Sa toute petite silhouette sur le flan de la montagne la fait douter d’elle, et de l’aventure qu’elle leur a fait entreprendre lorsqu’elle se retourne pour le surveiller. Elle ne tarde donc pas à redescendre vers lui. La guerrière n’aime pas imposer de choses à ses enfants sous le couvert de la sécurité, encore moins les prendre pour des nouveaux nés. Mais ici, elle est bien forcée d’admettre que c’est sûrement nécessaire. Elle se rapproche de lui et happe la peau tendre de son cou avec toute la douceur dont elle est capable.

« Désolée, ça sera sûrement plus simple comme ça, et on ira plus vite ! », a-t-elle le temps de souffler en vitesse avant de l’attraper fermement. Pas question de le laisser dégringoler ! Elle tente de monter aussi vite qu’elle le peut avec ce nouveau poids qui pend de sa gueule. Si elle-même commence à se fatiguer, Petite Ronces doit être mal en point. Peut-être pourront-ils dormir à la belle étoile ce soir ? Les Faux leur offriront sans doute avec plaisir un abris propice…

L’ouverture sombre de la grotte se dessine enfin bientôt devant eux, et Ardeur pose le chaton sur le plat en soufflant, légèrement essoufflée par la montée. Elle se remet cependant bien vite, si impatiente de lui montrer le spectacle ! De l’extérieur, la grotte semble totalement ordinaire, un trou béant dans la montagne, à peine dissimulé par la cascade qui coule à grand bruit juste devant, jaillissant de sa source qui se situe à quelques longueurs de queues au-dessus. Il faut d’abord y pénétrer, puis s’enfoncer plus avant dans la tiédeur de la terre avant de pénétrer dans le sanctuaire prétendument sacré, la grotte surplombée d’une ouverture ronde par laquelle la lumière de la lune vient frapper les pierres brillantes comme milles étoiles. Pour une fois, Ardeur décide de ne pas précéder Ronces, le laissant pénétrer à son rythme avant elle dans la grotte, attendant en trépignant sa réaction.

Ardeur des Braises l’a regardé se faufiler dans l’ouverture de la roche devant elle, les yeux écarquillé, l’ombre s’emparant peu à peu de son petit corps qui fini par se faire totalement avalé par la caverne. Mais elle reste juste derrière, la truffe de temps en temps caressée par le bout de la queue de son petit. Elle rit lorsque sa voix, un brin paniquée, s’élève dans la noirceur.

« Je suis juste derrière toi. Ne t’inquiète pas, il ne peut rien t’arriver ici après tout ! »

Bientôt, la lumière au bout du tunnel. Une lumière bleue pâle qui agresse presque le regard, mais qui l’attire aussi tellement qu’il est presque impossible de s’en dérober. Mais elle préfère tout de même repose son regard Petite Ronce, ses yeux gris virevoltants dans toute la pièce. Elle rit de bon cœur alors qu’il vient sautiller autour de ses pattes, sautant avec lui et lui rendant son étreinte. Le nid de la lune. C’était joli, oui Petite Ronce avait toujours été de tous les ardeuriens le plus poétique, peut-être voyait-il le monde d’un œil différent, d’un œil plus neuf, ou plus beau. Ardeur se riait de tout, et lui s’émouvait de tout. Peut-être étaient-ils les deux faces d’une même pièce au fond. Elle observe cette ombre aux yeux de lunes qui s’amuse à sauter sur les rayons lumineux, tentant de les emprisonner sans succès dans ses petites pattes.

« Tu risques de bien vite te faire attraper en venant ici tous les soirs. Pas que nous fassions une grosse bêtise mais… ça peut rester notre secret non ? »

Elle lui adresse un clin d’œil. Elle n’est pas sûre que les guérisseurs apprécient plus que ça que leur sanctuaire soit squatté nuit après nuit par un apprenti guerrier, mais hors de question d’interdire à Petite Ronce de revenir, lui qui aime tellement la lune et la nuit, elle l’a rarement vu aussi déchaîné qu’à cet instant. Il n’a pas besoin de connaître ces histoires de traditions, de religions… elle même vit très bien sans. C’est bien plus simple de simplement apprécier la vie sans toutes ces histoires non ? Et elle ne voit pas bien pourquoi seuls les guérisseurs auraient le droit de venir admirer ces éclats de lune.

« Je suis contente que ça te plaise en tous cas. J’ai bien eu raison de t’amener ici hein ? C’est bien mieux que ce que t’a montré Requiem du Silence quand même non ? »

Elle le taquine, mais elle reste quand même très fière d’elle même. Au vu de sa réaction, elle pourrait presque croire qu’elle lui a décroché la lune. Elle lève la tête vers le croissant blanc qui se trouve pile dans l’ouverture circulaire de plafond, créant un puit de lumière. Elle invite Petite Ronce à venir s’asseoir près d’elle et à lever le nez.

« Pourquoi est-ce que tu crois qu’elle s’amuse à grossir, rapetisser, disparaître et réapparaître toi ? »

Elle ne se pose jamais de questions de ce genre, mais ce soir, elle se demande ce que le cerveau de Petite Ronce trouvera de jolies explications à ce phénomène.

« Requiem m'a fait découvrir le monde de la nuit, tu me fais visiter celui de la Lune, c'est trop chouette ! Quand je serais grand, je vivrais avec la Lune ! »

Elle ronronne devant l’excitation du petit, jubilant presque de cette “victoire” sur Requiem lorsque Ronces expliqua vouloir plus tard “vivre” avec la lune, quoi que cela veuille dire. Bien sûr qu’elle gagnait, après tout elle connaissait bien mieux son fils que le vieil escadron, c’était tout simplement naturel mais elle en restait très satisfaite. Et elle n’a pas fini de la lui montrer la lune, alors elle l’a guidé jusqu’au centre du puis de lumière, tout proche des cristaux, et en levant les yeux l’astre lumineux se trouve juste là, si proche et si loin à la fois.

« Ben, c'est pour marquer le temps qui passe. C'est pour expliquer l'âge des choses et régler la vie des guerriers. Du moins, c'est ce que j'ai observé. »

Un éclat de rire échappe à la jeune guerrière calico. Elle avait oublié. Loin de n’être que le petit chaton innocent et rêveur auquel on pouvait s’attendre, Petite Ronce été également béni d’une logique et d’un sens de l’observation acéré. C’était son digne fils après tout. Elle le ramena contre elle dans son éclat de rire, lui offrant une accolade un poil bourrue, son rire ne se tarissant qu’aux prochaines paroles du petit.

« Bien sûr que tu pourras revenir ici. Tu es libre comme l’air mon fils, ne laisse jamais les traditions et règles des autres te limiter dans la vie ! Mais pour ne pas t’attirer trop de soucis, parfois il faut simplement apprendre à les contourner. »

Ardeur des Braises offre un clin d’oeil au chaton sombre, persuadée qu’il comprendra plus tard ce qu’elle raconte. Elle réfléchit un instant. Se faire une promesse… Elle vit dans l’instant présent Ardeur, et les promesses, ce n’est pas le mieux pour ça. Elle n’aime pas trop ça, mentir ne lui pose pas souvent de problèmes, mais pas à son propre fils.

« J’aimerai beaucoup revenir avec toi un jour, ça serait un plaisir. Mais si jamais on en a pas l’occasion, chaque fois que l’on verra cet exact croissant de lune, on pourra penser l’un à l’autre. Comme ça, on sera toujours un peu ensemble tu ne crois pas ? Moi, je pense qu’elle sert aussi à ça la lune, elle voit tout et entend tout, elle garde nos secrets et nous aide à nous les rappeler quand on en a besoin. »

Elle ne se sentait pas souvent l’âme d’une poète Ardeur, mais peut-être la nuit était-elle propice à l’inspiration ce soir. Elle se penche pour frotter sa truffe contre celle de son rejeton en signe d’affection et pour sceller leur pacte.

« Mais pour devenir un grand guerrier, il faut beaucoup dormir la nuit pour bien grandir ! Allez viens, dépêchons. Je connais une super cachette dans les terres de notre clan, ça fait comme des cabanes. Et ouvre bien les yeux dans la descente ! »

Les arbres faux poussaient au bas de la montagne, ils y seraient bientôt et pourraient s’y effondrer de sommeil. Ardeur des Braises s’engouffre vers la sortie de la grotte, attendant que Petite Ronces passe devant elle après un dernier regard vers la lune.

Les deux ombres étaient descendues sur le flan de la montagne, la plus petite portée par la plus grande dès leur sortie de la grotte. Les faux poussent non loin de la frontière, ils y arrivent bientôt après un moment de marche dans la nuit. Tout s’est tu autour d’eux, seuls les bruits de leur pas, de leurs voix de temps en temps résonnent, accompagnés des bruissements de quelques insectes et, parfois, du chant d’un mystérieux oiseau de nuit.

Bientôt, les étranges arbres se dévoilent devant eux, leurs branches tordues s’ouvrant vers le ciel étoilé, leurs feuilles retombant en coupole vers les racines. Ardeur des Braises guide le chaton vers l’un d’eux, bien à l’abris de la forêt, tout contre ses racines.

Elle ronronne devant le pelage tout sali de Petite Ronce avant de remarquer qu’elle ne fait pas mieux. Mais sa propre toilette attendra. Déjà, le félin noir s’est lové tout contre elle et ses yeux se ferment. Il lui a murmuré quelques paroles, et déjà, il semble dormir, ses ronronnements s’apaisant bientôt pour laisser place à sa respiration paisible. Les yeux d’eau d’Ardeur continue à veiller sur lui, virevoltant au rythme des oreilles dansantes du matou. La guerrière au pelage ébourrifé sourit, pensant à ce que dirait la vieille Epine si elle les savait là. Oh ! Elle pouvait presque entendre ses jérémiades. Mais rien n’arriverait à Petite Ronce, pas lorsqu’il était avec elle. Elle ne regrettait rien de leur escapade, ou si il y avait une chose, c’était de ne pas en avoir fait plus tôt.

« Merci à toi aussi, c'était une chouette balade, et à demain ! », lui répond-elle, joyeuse, frottant son museau sur le sien en guise d'au revoir.

Un jour, elle les emmènerait tous, Empreinte, Patte Libre, Tigresse et lui. Bientôt… En attendant, elle passe un coup de langue sur la fourrure de ce dernier avant de se lever, marchant jusqu’à la limite de l’abris formé par l’arbre.

Elle aurait presque envie de danser aux bruits de la nuit ce soir, mais se retient pour ne pas briser la tranquilité du sommeil de son fils. Elle, se retenir de faire ce qui lui plait. Elle devait vraiment beaucoup l’aimer. C’était drôle, l’amour. Ca vous tombait dessus un jour comme ça… et tout était emporté. Pour cette nuit, elle se contentera de somnoler dans l’obscurité, les sens aux aguets, bercée par la respiration de Petite Ronce sur laquelle elle restait concentrée.

Spoiler: