Mauvaises graines [ Ardeur des Nuages ]

La nuit était tombée depuis quelques temps déjà mais Nuage de Vipère n'arrivait pas à fermer l'œil. Il écoutait les respirations paisibles de ses camarades de tanière et ne pouvait s'empêcher de les envier. Étaient-ils tous endormis ? Son frère, en tout cas, l'était profondément. Il pouvait sentir sa cage thoracique se soulever et s'abaisser doucement, frôlant sa fourrure. Il aurait voulu le réveiller, lui demander de lui tenir compagnie dans cette nuit trop étouffante, mais il ne pouvait s'y décider. Il semblait bien trop heureux quand il dormait. Il s'en voudrait de le déranger dans un moment aussi reposant, il en avait bien trop besoin.
Alors il était seul.

Il suffoquait ici. L'air était lourd, beaucoup trop chaud, il devait sortir. Il se leva doucement pour ne pas réveiller Nuage de Crotale, l'observa quelques instants, puis se dirigea vers la sortie.

« Regarde où tu mets les pattes, cervelles de souris ! »

Il venait de marcher sur la queue d'un jeune apprenti, Nuage de Pluie où quelque chose dans le genre. Il avait à peine six lunes et ne semblait pas savoir à qui il s'adressait.
Il se baissa pour mettre son visage à sa hauteur, montrant les crocs.

« Ose me redire ça demain, avorton. »

Nuage de Vipère et son frère étaient les deux plus vieux apprentis du clans et ils ne se gênaient pas pour profiter du pouvoir que ça leur octroyait. Ils avaient le même mauvais caractère et la même langue acérée - bien que Vipère était convaincu que son frère était le plus vicieux des deux - et certains plus jeunes tremblaient devant les deux serpents. Et il avaient bien raison, selon l'apprenti brun.

Ne s'occupant déjà plus du matou, il sorti discrètement de la tanière des apprentis. L'air était frais, agréable ; un léger vent lui apportait l'odeur si particulière de la nuit, réconfortante et pleine de promesses.
Il se sentait déjà légèrement mieux, mais sa solitude le tourmentait toujours. Il n'y avait qu'avec son frère, et à moindre mesure, son mentor, qu'il ne se sentait pas profondément seul.
Il chassa ces pensées de son esprit. Après tout, ce n'était pas parce qu'il n'y avait personne pour le voir qu'il devait se laisser aller.

Comme chaque jour, elle s'était démenée pendant toute la journée, s'agitant sans raisons pour pouvoir espérer tomber d'épuisement à la nuit tombée. Comme chaque jour, elle a regardé les lueurs du jour décroître, avalées par les ombres du soir. Comme chaque jour, elle attend que le sommeil vienne, mais celui ci reste insensible à son appel. La moiteur de la tanière des apprentis et les respirations régulières des autres donnent envie à Ardeur des Nuages de hurler. Elle aimerait pouvoir retrouver en sortant la familiarité du jour. Elle aimerait qu'il n'y ai plus de nuits, rien d'autre qu'un soleil rassurant qui régnerait sur le monde pour l'éternité. Mais c'est impossible, alors elle se force à se faire toute petite et à ne pas remuer, en priant les bras de Morphée de venir la cueillir. Elle écoute les minutes s'égrener lentement, au rythme des respirations. Mais tout semble infiniment plus long, la nuit... Le temps s'étire comme un élastique, déforme les lois auxquelles il est soumis pendant le jour. Jusqu'à ce qu'un mouvement dérange la lenteur de la nuit.

Quelqu'un se lève, semble marcher sur un autre félin au vu des exclamations endormies qui s'élèvent. Ardeur des Nuages, dérangée dans la somnolence agitée dans laquelle elle était tombée, relève la tête, oreilles dressées. Elle reconnaît la voix de Nuage de Vipère, un apprenti bien plus vieux qu'elle se plaît à taquiner sans cesse. Malgré elle, un sourire fleurit sur ses lèvres tandis qu'elle se lève pour suivre le félin brun au dehors. Peut-être vient-elle de trouver un remède à son ennui et à sa solitude.

« Salut Vipère. Qu'arrive t-il donc à notre cher apprenti-presque-guerrier? Monsieur a fait des cauchemars? »

Fait-elle d'un ton moqueur en passant son corps par l'entrée de la tanière des apprentis. Elle savoure la fraîcheur de l'air nocturne sur son pelage, s'étire afin de réveiller ses membres. Elle balaie le camp du regard, redécouvrant chaque détail à la lumière de la lune. Tout semble changé, silencieux et seul. Mort. Elle frissonne, se rapprochant inconsciemment de son ami, qui possède pour qualité d'être bel et bien vivant. Elle masque son trouble en continuant à parler, pas question que Nuage de Vipère puisse un instant penser qu'elle a peur ou quoi que ce soit du style. Elle, avoir peur? Quelle bonne blague.

« Bon alors, aventurier des nuits, c'est quoi ton plan de ce soir? Naturellement, je suis de la partie. Tu auras besoin d'une brave guerrière pour s'assurer que tu ne te fais pas bouffer en chemin. »

Elle bombe le torse, voulant paraître impressionnante. Heureusement qu'elle possède une fourrure bien fournie, la faisant paraître plus imposante qu'elle ne l'est en réalité. En attendant, elle ne supporte pas de rester inactive au milieu de ce camp sans vie, elle aimerait vite sortir.

Il fut presque soulagé d'entendre la voix moqueuse  d'Ardeur des Nuages. Au moins, il n'aurait pas à rester seul avec ses pensées. Et puis, la jeune apprentie était tout de même bien moins ennuyante que la majorité de ses compagnons de tanière. Une belle bande de chatons apeurés, à peine capables de soutenir son regard quand il faisait preuve de son indéniable sympathie.
Reprenant son aplomb habituel, il réfléchit à toute vitesse à son programme nocturne. Il n'en avait bien sûr pas, mais plutôt mourir que de laisser croire à la jeune chatte que son insomnie le tourmentait tellement qu'il avait eut besoin de prendre l'air. Il pensait d'ailleurs qu'elle l'avait suivit pour l'exacte même raison mais il garda ses commentaires pour lui, désireux d'esquiver tout soupçons. Sa réputation en serait tachée à jamais, il en était certain.

« Je pars en exploration des terres libre, il planta son regard émeraude dans les prunelles bleues de l'apprenti, un sourire moqueur aux lèvre, tu t'en sens capable, chaton ? »

Il entreprit une rapide toilette, remettant en ordre son épaisse fourrure brune. Ardeur était passée apprentie il y a suffisamment peu de temps pour que Nuage de Vipère puisse en profiter et il y avait fort à parier qu'elle resterai "chaton" toute sa vie. Si Vipère n'avait pas la meilleure des mémoires, il n'oubliait jamais les innombrables surnoms qu'il distribuait allègrement aux membres de son clan. Et malheureusement pour elle, son amie venait d'en gagner un tout neuf.
Il se dressa sur ses hautes pattes, s'ébroua, rendant ainsi tous ses efforts pour aplatir son pelage inutiles, puis fit mine de scruter le camp de long en large, visiblement à la recherche de quelque chose.

« Tu veux qu'on attende qu'une brave guerrière passe par là ou on peut partir sans elle ? »

Puis il s'éloigna furtivement en direction de l'entrée du camp, sans un regard pour celle qui serait peut-être un jour membre de l'escadron à ses côtés.

« Moi j'y vais en tout cas, mais je comprendrai totalement que tu ai trop peur pour me suivre. »

Il était quasiment certain qu'elle le suivrait ; elle lui ressemblait en certains point et il était convaincu qu'elle ne le laisserait jamais qu'elle avait peur. Lui, en tout cas, n'aurait jamais accepté de passer pou un froussard.

Les terres libres? Les oreilles de la minette se dressent sur sa tête, elle s'est pour une fois faite attentive. La cadette n'est jamais vraiment entrée dans les terres libres, le seul lieu non ombreux qu'elle ait jamais visité étant le lieu d'assemblée. Elle sent un frisson d'excitation parcourir son dos tandis qu'elle adresse un bref signe de la tête à Nuage de Vipère, sans détacher son regard du sien. Elle, un chaton peureux? Il allait voir! Elle lui adresse un sourire en coin tandis qu'elle se fait cette réflexion. Le matou entame une toilette tendit qu'elle s'impatiente, sa queue balayant le sol et projetant des poussières sur son ami au fur et à mesure qu'il se nettoyait. Il sembla ensuite décider qu'il était temps de partir (enfin!) et s'engagea dans la sortie après quelques paroles moqueuses. Ardeur des Nuages le suivit en reniflant de dédain, agacée par ses remarques. Elle se met à sa hauteur, hors de question qu'elle reste derrière.

« Qui parle d'avoir peur? Sûrement pas moi en tous cas. »

Elle lui tire la langue en le dépassant. En temps normal, elle aurait eu honte de faire un geste aussi gamin, mais elle n'en a que faire avec Nuage de Vipère. De toute façon, celui ci la connaît déjà assez pour qu'elle puisse se le permettre. Elle s'amuse à rester devant lui sur quelques mètres, piétinant sur place en attendant qu'il la rattrape.

« Bon, tu sais où on va? Tu as déjà visité les terres libres? On dit que là bas, il y a des monstres énormes qui peuvent te tuer en une seule seconde! Tu sais si on en verra? Allez, faut qu'on se dépêche, il faudra être revenu au camp avant le matin. T'imagines sinon, les têtes d'Ombre Fantôme et de Poésie des Ours! Ombre Fantôme serait bien capable de me mettre en corvée pendant une lune entière. »

Elle ne tient plus en place, euphorique à l'idée de vivre tant d'aventures, et grimace en pensant aux corvées de tiques qu'elle doit parfois effectuer. Berk! Elle pense aux histoires qu'elle entendait des anciens dans son enfance, et se demande si tant d'horreurs habitent vraiment ces terres si mystérieuses. Oh là là, que dirait sa mère si elle savait où était l'apprentie à présent? Elle retient un rire à cette pensée, Nualla ferait sans doutes une attaque... Bon et à présent, il fallait aller par où? Elle attendait la réponse de Vipère alors que ses pattes la démangeaient déjà. Elle a si soif d'aventures...