Amie ou Ennemie ? [Ardeur & Abysse]

L'après midi était déjà bien entamé. Le soleil commençait à décliner lentement, très lentement, pour finir par disparaître totalement dans l'espace de quelques heures. Les arbres et les brins d'herbe s'agitaient légèrement au gré du vent, frais par rapport à la chaleur printanière de la saison des feuilles nouvelles. Aujourd'hui, Nuage des Abysses n'avait rien eu à faire. Aucun entraînement ne lui avait été prodigué, aucune corvée non plus, elle n'avait ni eu à changer les litières des anciens, ni à débusquer les éventuelles tiques fourrées dans leur pelage vieilli par l'âge. Et en ce qui concernait dialoguer avec d'autres apprentis... Il n'y en avait pas, à part l'apprenti guérisseur du Clan. Donc Nuage des Abysses était la seule à dormir dans la tanière des apprentis. Mais bon, au moins elle avait de la place et tout était paisible, exactement comme elle aimait.

La féline au pelage mi-long et cendré avait donc décidé d'aller faire un tour, vu que personne ne se préoccupait de ce qu'elle pouvait faire, ou même d'elle tout court, aujourd'hui. A la sortie du camp, elle huma l'air, afin de vérifier si un éventuel orage ne se manifesterait pas pile quand elle serait dehors. Elle détestait être totalement trempée, surtout par la pluie. Mettre ses pattes dans l'eau ne la dérangeait pas. Mais se faire mouiller par la pluie forte tombant du ciel, oui. C'était plutôt étrange, d'ordinaire c'était l'inverse. Les félins n'aimaient pas la pluie mais cela ne les dérangeait pas d'être un peu mouillés par elle. Et ils détestaient mettre ne serait-ce qu'un bout de griffe dans l'eau. Sauf pour le Clan de la Rivière, eux, c'était des nageurs nés.

Les pattes de la petite apprentie finirent par la conduire sur le chemin aux cristaux, dans les Terres libres. Elle n'avait pas vu qu'au fil de ses pensées, elle avait énormément progressé dans sa promenade et avait fini par arriver sur ce chemin, qui comme elle le savait, menait là où se trouvaient ses ancêtres, là où l'on pouvait communiquer avec eux. Jamais cette occasion ne lui avait été donnée, mais c'était normal. Elle n'était ni chef, ni guérisseuse. Elle était juste une simple apprentie, destinée sans doute à devenir chasseresse un jour. Nuage des Abysses se demanda alors comment aurait pu être sa vie si elle était née dans un autre Clan. Par exemple,  celui du Tonnerre. Elle aurait été une guérisseuse, dans ce Clan. C'est sans doute ce qui lui aurait le mieux convenu. Ensuite, il y avait le Clan du Vent. Avec sa sagesse et sa façon d'établir de bonnes stratégies, aurait elle réussi à faire partie de leur conseil ? Après, c'était le Clan de la Rivière. Elle aurait pu y apprendre à nager et également à chasser le poisson en nageant. Enfin, il restait le Clan de l'Ombre. Un Clan qu'elle n'avait jamais approché de très près, à vrai dire, mais qui l'intéressait autant que les autres. D'ailleurs, elle imaginait plutôt bien leur odeur, qui était plutôt bizarre. Elle n'y était pas habituée. En fait.... Non, elle ne l'imaginait pas.

Un membre du Clan de l'Ombre était là, tout près.

Nuage des Abysses savait qu'elle était en terres libres, alors tout allait bien. Néanmoins, elle voulait identifier le félin présent, qui l'avait vu, elle le savait. Alors elle miaula de son ton neutre habituel :

_ Qui est là ?

Spoiler:

Ardeur des Nuages soupira. Le soleil amorçait sa descente dans le ciel, l’après-midi filait trop vite, trop loin. Elle aimerait lui courir après, le rattraper et pouvoir profiter de ce petit bout de journée qui restait. Mais non, elle était prisonnière, retenue par cette tâche ingrate qu’on avait osé lui refiler. Ça faisait partit de son apprentissage, le clan en avait autant besoin de des proies etc. Elle savait tout ça, on le lui avait bien trop souvent rappelé. Mais quand même ! Pourquoi c’était toujours sur elle que ça tombait ? Pourquoi est ce que les guerriers ne perdaient jamais de temps à aller chercher de la mousse eux ? En plus, elle avait déjà dû y aller 7 levers de soleils plus tôt… Si seulement chacun pouvait s’occuper de sa propre litière et de sa propre nourriture, tout serait plus simple. Ce serait vraiment le rêve, une vie ou elle n’aurait à chasser que pour elle, à ramasser de la mousse pour son propre nid, qu’elle ferait bien douillet comme il faut… Mais non, il fallait qu’elle passe une après-midi à ramasser de la mousse, et c’était pour la pouponnière.

Parfois, Ardeur souhaiterait que sa mère n’ait jamais décidé de rejoindre le clan de l’ombre. Elle avait envie de de partir seule en vadrouille, sans tous ces guerriers aux airs contrariants et aux paroles assommantes sur le dos. Oui, elle rêvait de liberté, d’individualité, d’indépendance ! Et puis l’instant d’après, elle revenait à la réalité. Elle devait bien se l’avouer, ses amis lui manqueraient, Nuage de Vipère par exemple. Peut-être même qu’un jour elle pourrait regretter la présence d’Ombre Fantôme… Bon. Elle revint à ses moutons, le tas de mousse à ses côtés ne cessait de monter. Elle allait devoir faire plusieurs tours pour tout transporter… Cette corvée la fit grogner d’avance. Elle coinça un paquet de mousse sous sa gorge et en prit un autre dans sa bouche. Elle commença ainsi son trajet, priant pour que personne ne la voit. Tout le monde à l’air grotesque dans cette position, mais elle est persuadée de l’être encore plus.

Elle s’immobilise au son de l’eau. Effarée, elle met quelques temps avant de se localiser. Le bruit qu’elle entend, c’est la chute. Donc elle est près du chemin aux cristaux… Elle s’est trompée de chemin. La mousse doit lui monter au cerveau, elle ne sait même plus ce qu’elle fait. Mais quelle idiote. Bon. Elle pose son fardeau, ouvrant et refermant sa mâchoire pour s’assurer qu’elle fonctionnait encore après être restée si longtemps crispée sur la mousse. Puis elle hume l’air, l’odeur effacée du clan de la lune parvenant jusqu’à ses narines. Elle est donc aussi près que cela de la frontière ? Elle s’avance un peu, et derrière les buissons lui apparaît le chemin de terre qui marque la frontière. Ah oui, elle était vraiment près alors. Tellement près que l’odeur du clan de la lune était partout, bien plus forte qu’auparavant, comme si un membre du clan se tenait à deux pas de là. Elle le vit après l’avoir senti. Une silhouette d’un gris uni, tout près.

Un sourire fleurit sur le visage d’Ardeur. Peut-être que cette fin d’après midi n’allait pas être si ennuyante que ça après tout. D’après la taille de l’autre, ce devait être un apprenti. Ardeur banda ses muscles, se prépara à sauter, toute tremblante d’excitation…

« Qui est là ? »

Elle reprit sa position de départ, un air déconfit plaqué sur le visage. Vraiment, elle avait la poisse aujourd’hui. Pourquoi ne pouvait-elle pas s’amuser un peu ? Juste un peu ? Elle soupira, puis se recomposa son air fier habituel avant de sortir des buissons, souriant de tous ses crocs.

« C’est moi ! Je suis Ardeur des Nuages, et tu es ...? »

Elle pouvait le voir à présent, c’était une femelle qui lui faisait face. Ardeur s’approcha d’elle sans gêne, reniflant son odeur si différente. Elle fronça le museau, puis se recula après son inspection. En réalité, la luneuse ne sentait pas mauvais, mais l’apprentie de l’ombre usait souvent de tout un tas de mimique sans aucunes raisons. D’ailleurs, elle remarqua avec surprise que l’autre apprentie était restée bien calme devant son apparition. Elle haussa un sourcil, se demandant sur quelle personne étrange elle était tombée.

« Je voulais te faire peur, j’allais te sauter dessus… Tu aurais pu attendre un peu avant de me remarquer. A cause de tout ça, ma surprise a raté. Tu aurais au moins pu faire semblant d’avoir peur ! »

Elle s’arrête, la mine boudeuse. Bien entendu, c’est un peu de sa faute si elle a raté son coup. Elle n’a même pas pensé à se placer face au vent. Mais ça, elle n’en dit rien.