Ne crains pas de nouer des liens - Feat Petit Bouleau

Accompagnée de deux guerriers, je reprends le chemin du camp, une souris dans la gueule. Bien que le temps soit encore froid, on peut très facilement sentir que le soleil cherche à se refaire une place parmi le vent et les nuages, ce qui n'est pas pour me déplaire. A nous trois, nous avions décidé tôt ce matin qu'il serait bien de profiter de cette journée quelque peu ensoleillée pour ramener de la viande fraîche pour le clan. Nous n'avons malheureusement pas trouvé grand-chose, à peine un rongeur et un oiseau à se mettre sous la dent. Mais ça reste déjà ça. Les anciens seront heureux de pouvoir trouver quelque chose de savoureux sur le tas de gibier.

Le fait d’apercevoir les quelques buissons délimitant le camp m'informe que nous avons atteint notre destination plutôt rapidement. Nous choisissons alors de finir la route sur un petit trot afin de réchauffer nos muscles ankylosés par l'air frais. Étrangement, ma patte blessée ne m'est pas inconfortable ce matin, alors autant en profiter pour se défouler car il n'en sera certainement pas de même demain. Généralement je m'impose des étirements au réveil pour m'éviter de me blesser dans la journée car ma patte a toujours tendance à se raidir si je ne la prépare pas convenablement et c'est donc pourquoi je ne m'autorise que très rarement ces courses dont je raffolais autrefois. J'ai bien trop peur d'aggraver mon état bien que cela fasse désormais plusieurs lunes que mon cas doit être stabilisé. Je laisse échapper un soupir tandis que je m'avance en direction de la pile de gibier pour y déposer ma prise. Enfin… Je ne peux plus y faire grand-chose maintenant...

Lorsque mon groupe décide de finalement se séparer, j'en salue chaque membre d'un signe de tête avant de balayer le camp du regard. Chacun vaque à ses occupations, les guerriers partent patrouiller, les apprentis s'entraînent en jouant, les reines veillent tandis que les anciens racontent leurs récits aux plus jeunes. M'attardant sur ces derniers, je remarque rapidement qu'un manque à l'appel. Je me rapproche alors de la pouponnière pour finalement découvrir un Petit Bouleau isolé. Je décide de le rejoindre.

Une fois à sa hauteur, je lui adresse un large sourire qui se veut amical. Je le sais timide, alors je ne voudrais pas l'inquiéter ou le rendre mal à l'aise en l'approchant trop brutalement. Je viens me poster à ses côtés puis désigne le groupe de chatons entourant les anciens. Je penche la tête sur le côté dans le but de le questionner. Tu ne veux pas aller te joindre à eux?

C'était l'heure. Comme souvent, Petit Bouleau était réveillé avant le lever du soleil. Il se leva doucement, et regarda ses camarades toujours endormis dans la pouponnière. Ils semblaient si calmes, et surtout si proches... Il sortit tranquillement de la pouponnière pour profiter du calme remplissant encore le camp. Petit Bouleau appréciait ce moment où le camp commençait doucement à se remplir, et où les autres membres du clan se réveillaient. Il sentit le vent souffler sur son pelage, et même si le froid le faisait trembler, il resta là pour profiter de ce moment. Le calme, cette sensation que la vie est un long fleuve tranquille, et que tout va bien se passer de la meilleur façon possible rendait Petit Bouleau heureux. Il voulait rester là toute la journée, et juste observer le temps passer.
    Soudain, il entendit un cri strident venant de derrière lui. Il se dirigea comme à son habitude vers l'antre du guérisseur, où il avait un petit coin à lui d'où il pouvait observer les autres chatons s'amuser. Ces derniers se regroupèrent devant la pouponnière et commencèrent leurs jeux. Ils avaient l'air de bien s'amuser.... Il te suffit juste de t'approcher d'eux, ils voudront sûrement jouer avec toi se dit-il. Ils vont surtout s'écarter en voyant un chaton aussi bizarre. Il soupira et attendit calmement dans sa cachette.
    Au bout d'un moment, la voie fut libérée devant la pouponnière et Petit Bouleau s'y redirigea. Les autres chatons s'étaient dirigés vers les anciens. Petit Bouleau aurait pu y aller, il adorait lorsque les anciens lui racontaient des histoires, mais il ne voulait pas gêner le plaisir des autres chatons qui avaient l'air de bien s'entendre. Il se posta devant l'entrée de la pouponnière et débuta une toilette méticuleuse. Il s'attachait beaucoup à ce que les autres pouvaient penser de lui et voulait être vu comme un chaton assez propre. D'un coup, l'âme de chaton de Petit Bouleau refit surface lorsqu'il vit un pissenlit virevolter au grès du vent. Il voulut l'attraper et mit un coup de patte. Cela provoqua un léger courant d'air, qui fit s'envoler la plante. Elle retomba alors vers lui, et il s'amusa ainsi pendant quelques instants avant de se rappeler qu'on pourrait le voir ainsi, et s'arrêta. 
    Au même moment, il vit quelqu'un se diriger vers lui. Il reconnu Séquelles du Passé. Pourquoi venait-elle vers lui ? Il voulait vite s'enfuir dans la pouponnière, mais c'était déjà trop tard. Lorsqu'elle arriva à son niveau, elle lui fit un grand sourire et lui montra à l'aide d'un mouvement de tête le groupe distant de chatons. Il vit qu'elle faisait de son mieux pour le mettre à l'aise, mais actuellement Petit Bouleau avait très chaud sous son pelage. Il regarda le groupe de chatons, puis dirigea son regard vers Séquelles du Passé. Il n'arrivait pas à supporter le regard des gens, il baissa donc les yeux, et sortit d'une voix quasi indiscernable :

- Ils ont l'air de bien s'amuser, je trouve aussi...

    Il scruta le pelage de Séquelles du Passé. Elle m'a peut être pris en pitié. A quoi est-ce que je ressemble ? Je doit être si ridicule...

Petit Bouleau doit se sentir bien seul sans personne pour s'occuper de lui. À cet âge nous avons besoin de compagnie, sans cela il devient facile de sombrer peu à peu dans la dépression. Et sans parent pour l'épauler, j'ai bien peur que ce soit bientôt le cas de ce pauvre petit. Qui plus est, il ne possède ni frère ni sœur avec qui s'amuser et grandir. Il reste toujours seul à regarder la vie du camp se dérouler sous ses yeux, sans y participer. Au passage des autres, il s'écarte, ne va pas vers eux. Mais avec du recul, on se rend aisément compte que les autres ne cherchent pas non plus à aller vers lui. Cela doit être difficile pour lui, d'autant plus qu'en l'observant un tant soit peu nous pouvons remarquer que le chaton hésite. Je suis certaine qu'il apprécierait jouer avec les autres jeunes, il n'a simplement pas encore la force nécessaire pour aller leur demander de se joindre à eux. Et cela peut se comprendre, lorsque l'on tend la patte, même timidement et que nos camarades n'y prêtent pas attention, il est normal de se décourager, surtout à cet âge. Je porte alors un regard compatissant sur le chaton. Je ne suis pas sa mère et ne la remplacerai jamais cependant j'aimerais être celle qui l'aidera à s'ouvrir. Je n'aime pas voir les enfants dans un tel état. C'est pour cette raison que je me suis approchée de lui pour l'encourager à se joindre au petit groupe. Malheureusement Petit Bouleau ne semble pas avoir deviné le fond de ma pensée, je secoue donc la tête pour lui signifier qu'il m'avait mal compris. Dans ces moments-là où j'ai besoin de faire passer une idée complexe il devient difficile pour moi de m'exprimer, la parole serait bien plus enviable. Hélas je ne la possède plus. Il va falloir que je trouve autre chose pour qu'il puisse me comprendre. Une idée germe soudain dans mon esprit. Doucement, je me penche en direction du petit et viens presser gentiment ma tête contre le dos de la boule de poils dans le but de le pousser légèrement en avant, en direction de l'antre des anciens. Je lui souris ensuite. Tu n'as pas à redouter leur réaction, je suis certaine qu'ils te feront une place parmi eux si tu prends la peine d'aller les voir.

Le silence s'installa après ces mots prononcés par Petit Bouleau. Ces mots n'allant que dans un sens entre eux deux, allier la timidité de Petit Bouleau à l'apparent silence de Séquelles du Passé n'arrangeait rien au dynamisme déjà quasi absent de cette conversation. Cette dernière finit par s'approcher de Petit Bouleau. Il eut un léger mouvement de recul, mouvement mécanique acquit par habitude. 
  Cependant, la situation présente semblait différente au yeux de Bouleau. Pour une fois, il se sentit pendant un court instant plus en sécurité, et resta devant Séquelles du Passé. Il sentit sa tête sur son dos et le mouvement qu'elle essayait de lui insuffler. Le corps fragile de Petit Bouleau suivit le mouvement, et ses yeux vinrent à fixer l'antre des anciens. Même s'il était encore jeune et avait beaucoup à apprendre, il comprit ce que voulait la guerrière. Il se retourna pour la regarder. La tête levée, pour chercher son visage, il ne savait pas quoi dire. Le message était clair, elle voulait sûrement l'aider. Lorsqu'il comprit vraiment ce que cela signifiait, il ne put s'empêcher d'être ému. Avoir quelqu'un qui se préoccupe de soi, c'était un sentiment réconfortant que Petit Bouleau n'avait pas l'habitude de ressentir. Il baissa la tête, et fixa le sol, ne sachant toujours pas quoi dire. Il faut que tu dises quelque chose, sinon elle risque de partir ou de te trouver bizarre... Une infinité de pensées défilaient dans l'esprit de Bouleau, ne sachant comment réagir face à cette situation nouvelle, face à de la gentillesse et de l'attention. Tout ce qu'il n'avait jamais espéré se présentait à lui. Jamais il n'avait osé rester aussi longtemps à côté d'un inconnu. Un inconnu ? Il releva encore la tête et regarda rapidement Séquelles. Non... Il eut une bouffée de chaleur et l'impression d'étouffer sous son pelage. Le cerveau en ébullition, il commençait à sentir quelque chose en lui. Actuellement, il se sentait un peu... mieux. Il ne dit rien et, sans réfléchir ou laisser quelconques pensées parasites gâcher sa première initiative, il se rapprocha de Séquelles et frotta doucement sa tête contre elle.

J'aimerais énormément voir ce petit gambader avec les chatons de son âge, le voir s'amuser avec eux. Je n'aime pas voir un chaton souffrir. Cependant ma volonté seule de le faire s'intégrer aux autres ne peut être en mesure de l'aider. Il ne faut pas que cela vienne uniquement de moi, il est nécessaire que cela vienne également de lui. Pour l'aider dans un premier temps je pourrai l'accompagner jusqu'à la tanière où ses camarades se régalent de vieilles histoires. Peut-être se sentira-t-il rassuré de savoir que je me trouve à ses côtés ? Je pourrai simplement rester légèrement en retrait pour qu'il ne craigne pas d'être seul et que les autres chatons ne pensent pas que je l'assiste, ce qui lui éviterait de toute évidence quelques moqueries qui pourraient rendre mal à l'aise Petit Bouleau. Et puis les anciens seront également présents. Je sais qu'ils se feraient une joie de recevoir la boule de poils pour lui conter de merveilleuses histoires. Néanmoins le mouvement de recul dont faire preuve le jeune matou m'en dit long sur la situation. Il ne se sent pas encore prêt à aller affronter les autres et je le ne forcerai pas à avancer si ce n'est pas ce qu'il souhaite. En aucun cas je ne veux risquer de le braquer davantage. Alors lorsqu'il se rapproche de mon flanc pour venir frotter sa tête contre moi je ne peux que l'accueillir tendrement. Instinctivement je viens entourer le petit de ma queue dans un mouvement lent et rassurant tout en le couvrant d'un regard aimant. Doucement je me penche ensuite au-dessus de lui jusqu'à finir par me coucher contre lui. Ainsi à sa hauteur je lui adresse plusieurs coups de langue sur le sommet du crâne. Par ce geste j'espère lui faire prendre confiance mais aussi apaiser sa crainte. S'il en est de la sorte avec moi alors il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement avec les autres. Mais ça, il ne le comprendra que lorsqu'il se sentira véritablement en sécurité. Quoi qu'il en soit nous prendrons tout le temps dont il aura besoin. Tandis que je caresse doucement les côtes de Petit Bouleau du bout de ma queue, je tente de réitérer ma question différemment. Du bout de la griffe je dessine alors une flèche pointant le groupe de chatons avant de la barrer d'une croix. Tout en veillant à garder mon air réconfortant afin de le stresser le moins possible, je penche la tête sur le côté. Pourquoi ne cherches-tu pas à les rejoindre? Je me doute bien de sa réponse mais avant de pouvoir l'aide à faire un pas en avant, peut-être a-t-il besoin d'en discuter pour éloigner l'intégralité de ses peurs ?

Petit Bouleau avait les yeux fermés. Il n'avait pas besoin de les ouvrir, il voulait juste profiter du moment présent. Le contact de Séquelles du Passé sur son frêle corps de chaton donna à Petit Bouleau, pendant une fraction de seconde, l'impression d'exister, d'être présent et surtout de ne pas être rejeter. Il se sentait vivant, et pour la première fois, Petit Bouleau émit un léger ronronnement. Il essaya de s’agripper à ce sentiment le plus longtemps possible, comme s'il savait déjà que tout cela n'était qu'une illusion et que sous peu, la froide réalité allait inévitablement lui retomber dessus.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, il avait l'impression d'être sorti d'un rêve, et cette sensation était peu agréable. Il sentit un frisson au niveau de ses côtes, mais il était trop tard, et il le savait. Le vide reprit petit à petit sa place dans le cœur de Petit Bouleau, et il leva tristement sa tête en direction de celle de Séquelles du Passé. Cette dernière dessina une sorte de flèche au sol, pointant directement les autres chatons, puis la barra. De prime abord, il resta un peu perplexe, et fixa le dessin pendant quelques secondes. Puis il dirigea son regard vers les chatons pointés par la flèche. Il avala difficilement sa salive, sa gorge s'étant anormalement asséchée. Il avait étrangement chaud sous son pelage. Je.... je ne peux pas....
Séquelles du Passé attendait sûrement qu'il lui réponde quelque chose. Mais il lui était insupportable de seulement regarder les chatons et de s'imaginer les approcher. Pourquoi est-ce si dur ? Cela ne pose aucun problème aux autres, pourquoi suis-je si... bizarre ? Perdu dans ses pensées, Petit Bouleau plongea inconsciemment dans un état de semi-somnolence, comme il avait l'habitude de faire quand il se trouvait seul dans la pouponnière. Cette habitude lui permettait de supporter la solitude et de se laisser porter par son imagination.
Non ! Il se réveilla rapidement, et se mit droit sur ses pattes, en direction de Séquelles du Passé. En la revoyant, il perdit évidemment tout confiance en lui. 

- Je ne vais pas aller les déranger, si ? En plus, ils ne voudront jamais d'un chat aussi étrange que moi... 

Le regard abattu, il baissa la tête et fixa le sol, seul endroit du camp qu'il pouvait regarder avec assurance.