You got your finger on the trigger but your trigger finger's mine [Merle Blanc]

Son corps la faisait souffrir un peu plus à chaque pas, lui rappelant incessamment cette scène d’horreur dans laquelle elle avait été plongée. Les images défilaient sous ses yeux, sans qu’elle n’arrive à s’en défaire. Elle n’avait qu’une envie, c’était oublier, ne plus voir les crocs scintillants du renard maculés de sang, ne plus voir les petits corps sans vie des petits de sa sœur, ne plus ressentir la culpabilité de ne pas tous les avoir sauvé. Une pointe au cœur la transperça une nouvelle fois, alors qu’elle s’enfonçait un peu plus profondément dans le marécage de l’Ombre. La brume quasiment permanente du lieu semblait être le reflet de son esprit, ne parvenant pas à garder les idées claires, à sans cesse la ramener à ce passé qu’elle détestait tant. Les mêmes questions tournaient en boucle dans sa tête : pourquoi est-ce que Queue de Pie avait pris un compagnon dans un autre clan ? Pourquoi avait-elle infligé cela à ses enfants ? Si elle n’avait pas trahi le code du guerrier, ce malheur ne se serait jamais abattu sur elles. Les étoiles étaient sans pitié. Un frisson lui parcourut l’échine alors que, les pattes pleines de boue, elle finit par franchir la frontière entre le territoire de son clan et les Terres Libres, n’étant régis par les lois d’aucun chat. Instinctivement, elle aurait dû se mettre sur ses gardes, il n’était pas rare de tomber sur des chats étrangers en ces terres, mais son esprit était ailleurs, bien loin de ce qu’elle devrait faire. Ses pensées basculaient sans arrêt entre les flashs d’horreur, et les tentatives de se souvenir de la description de la plante que l’envoyait chercher Epine, la vieille guérisseuse du clan.

Merle Blanc finit par arriver à destination, traversant la clairière et s’approchant du vide laisser par le puit sans fond, elle se laissa quelques instants à la contemplation de la noirceur, du néant. Une odeur de proie vint chatouiller ses narines, c’était un endroit connu pour regorger des gibiers, la féline se força à ignorer l’eau qui lui montait à la bouche : elle n’était pas là pour chasser des animaux, mais des plantes. Elle se détourna du gouffre et s’avança dans l’herbe qui lui arrivait jusqu’au ventre, cherchant parmi ses brins la feuille si bien détaillée par Epine. Elle cherchait une plante sombre, au bord pointu, à l’odeur tenue… N’étant pas habituée à pister des herbes, l’escadron dû investir toute sa concentration à la recherche de la tant convoitée. Après un long moment d’étude du sol, elle finit par tomber sur ce qui semblait être ce qu’elle cherchait. Se rappelant des consignes de la guérisseuse, Merle Blanc saisit délicatement la base de la plante entre ses crocs et pinça, coupant soigneusement la base de celle-ci. Le pulpe au goût amère envahit sa bouche, elle se retint de pester avant de passer aux plants suivants. Elle répéta plusieurs fois l’opération, voulant en ramener le plus possible. C’était un long voyage pour arriver jusqu’ici, autant ne pas le faire trop souvent et ramener un bon paquet. Le museau dans les plantes, la concentration plongée dans les herbes, elle n’entendit par l'ennemi arriver dans son dos, seule sa voix perçant le silence ambiant la tira de sa tâche, la faisait sursauter.

La femelle blanchissante se tourna la fourrure hérissée, en position de défense, prête à se jeter dans le combat s’il le fallait. Après tout, elle ne pouvait savoir sur quel type de chats elle allait tomber. Sa pélise en bataille retomba légèrement sur son dos lorsqu’elle reconnut le pelage long et blanc, accompagnée d’une odeur portant le mélange d’eau salé et de poisson, de la Cheffe du Clan de la Rivière, Etoile Polaire. Ton regard s’assombrit alors que ton cœur tambourina plus fort dans ta poitrine, ton esprit et ton corps dissonant sur tes ressentis face à la femelle. Pourquoi si le Clan des Etoiles lui en voulait tant d’avoir eu des sentiments à l’égard de cette chatte, ne cessait-il de les mettre sur le même chemin ? Merle Blanc se remémora avec un pincement au coeur leur dernière altercation, où elle avait failli se noyer, sauver de justesse par Etoile Polaire avant que ses émotions n’explosent en un tourbillons de reproches. La honte fourmillait sur sa peau, elle avait instantanément regretté d’avoir balancé de tels propos à la Cheffe aux yeux verts, elle avait manqué de respect et de discernement.

La pointe d’humour dans sa voix n’aida pas Merle Blanc à ne pas se retrouver irriter par les propos de cette dernière. Elle n'appréciait guère qu’on se moque d’elle, même si Etoile Polaire était dans tous les droits de porter de telles paroles, elle devrait déjà s’estimer heureuse qu’elle ne l’ai pas étripé pour un tel affront. Elle se força à se calmer, car visiblement la guerrière de la rivière ne semblait pas lui en vouloir pour son comportement de la dernière fois, elle était chanceuse, n’importe qui aurait pu s’en faire un ennemis à vie à sa place. Les yeux d’Etoile Polaire détaille sa pélisse couturée de cicatrices, alors que Merle Blanc rassemble d’une patte légèrement tremblante les quelques pousses d’herbes récolté, avant de s’asseoir et s’enrouler sa queue autour de ses pattes. Même si cette dernière ne semblait pas lui en vouloir, Merle Blanc tenait tout de même à s’excuser pour son comportement qui avait dépassé les limites, surtout quand elle aurait dû se montrer reconnaissante envers ce sauvetage.

“Décidément, c’est bien souvent que nos chemins se croisent Etoile Polaire.” Elle marqua une pause, les pupilles rendues à deux fentes. “Je tenais à m’excuser pour mon comportement de la dernière fois, j’ai perdu le contrôle et ce n’était pas digne d’une guerrière.”

Elle l’était sincèrement, désolée, mais elle ne pouvait pas empêcher cette lueur de défi de s’allumer dans son regard. Ne pouvant s'ôter de l’esprit qu’elle avait été béni par les étoiles alors qu'elle avait été maudite, au même statut que sa sœur.

Le mot “sottise” dans la gueule d’Etoile Polaire avait mis les nerfs de Merle Blanc à rude épreuve. Elle se faisait violence pour se forcer à ne pas réagir, à ne rien dire, à garder profil bas. Pourtant, elle avait de nouveau envie de lui hurler au visage, ses émotions tourbillonnaient en elle avec violence. Il fallait qu’elle garde le contrôle, elle ne pouvait pas laisser tout exploser comme la dernière fois, non, pas une deuxième fois. De plus, si elle avait le malheur d’agresser une deuxième fois la cheffe de la Rivière, elle savait qu’elle ne s’en tirait pas aussi bien cette fois-ci. Bien qu’elle avait toujours eu du mal à l’accepter, les deux femelles appartenaient à deux mondes distincts, bien différent, qui ne pouvait se rejoindre en aucun endroit. Pourquoi s’épuiser à courir après quelque chose qui n’aura jamais lieu ? Quelque chose d’en plus banni par les étoiles ? C’était ça, il fallait qu’elle arrête de prendre toutes les paroles d'Étoile Polaire trop à cœur, elles étaient simplement deux personnes de clans différents, opposés, des adversaires, voire ennemis en temps de guerre. Elle pourrait très bien se battre un jour, sur le champ de bataille. Si elle voulait être fidèle à son clan, il fallait qu’elle arrête tout ça le plus vite possible. Ses sentiments, bien que vieux de plusieurs décennies de lunes et emmitouflés au plus profond d’elle, avaient besoin de totalement disparaître. Si elle avait accepté qu’ils restent terrés dans les tréfonds de sa conscience, il fallait maintenant qu’il n’en reste rien. Pourtant, la simple vue de la féline blanche ou le son de sa voix, avait le don de toujours les faire grandir un peu plus, d’une façon totalement inexplicable. Sa tête luttait contre un cœur déraisonné, un cœur illogique. Comment pouvait elle encore éprouver quelque chose pour elle après ne lui avoir pas adressé la parole en plus de 30 lunes ? Cela n’avait aucun sens, son cœur fonctionnait peut-être juste mal.

Alors, Merle Blanc écouta la suite du discours d’Etoile Polaire en silence, sans broncher. Elle baissa les yeux vers les herbes entre ses pattes quand elle mentionna Epine, puis la catastrophe qui les avait tous secoué sur les territoires bordant les cinq rocs. Sa dernière phrase eut l’effet d’une piqûre dans l’esprit de la femelle à la pelisse blanchissante, elle fixa son regard sur la cheffe, un regard qui s'obscurcissait de plus en plus en même temps que les souvenirs inondaient à flots son esprit encore vulnérable.
Si tous les clans avait vécu des catastrophes similaires au cours de la même nuit, Merle Blanc avait dû en affronter une deuxième, bien pire que la première. Le corps déchiqueté du chaton de sa sœur, noyée dans une flaque de sang apparut sous ses yeux humides. Les crocs scintillants du renard et son rire perçant le silence du marécage, la terreur dans les yeux de Queue de Pie, la paralysant. Le corps tordu du deuxième, sans la mâchoire puissante du monstre, puis la frustration extrême de ne pas avoir pu le sauver. Elle planta ses griffes dans le sol, le monde lui tournait l’espace d’un instant. Si c’était risqué de s’aventurer hors de son territoire ? Alors que c’était sur ses propres terres que le monstre avait sévi ! alors que c’était dans leur propre camp que la catastrophe avait fait rage ! Est-ce qu’Etoile Polaire était stupide pour penser une chose pareil ?

Le ton qu’employa l’escadron fut tranchant, bordé de douleur et teinté d’agressivité :

Un soupir s’échappa d'Étoile Polaire, accompagnée de sa queue fouettant l’air derrière elle. Décidément, plus les deux félines se cotoyaient, plus les choses s’envenimaient. Il était pourtant tellement évident qu’elle n’avait rien en commun, ça sautait à présent au visage de Merle Blanc, elle n’était rien l’une pour l’autre et elles ne le seraient jamais. La phrase qui suit ne fait que confirmer ses soupçons, la belle histoire qu’elle s’était inventée et auxquelles elle se rattachait comme une chatonne depuis des lunes et des lunes, se déchirait un peu plus à chaque instant. Elle en venait à l’évidence irréfutable, elle était mise devant le fait évident, cette fantaisie avait été un échappatoire quand elle allait mal, une espérance qui la maintenait parfois quelques instants au-dessus des ténèbres dévorantes. Visiblement, elle avait été engloutie tout entière, il ne restait plus rien, juste elle et son ombre, plus d’espérance, plus d’espoir, que de la douleur et de la solitude, de la peur et des traumatismes, des incompréhensions et des tensions.
Elle écouta Etoile Polaire continuer son discours, l’insulter, la mettre encore plus bas qu’elle ne l’était déjà, enfoncer le clou encore plus profondément, réduire à néant ce conte de fée qu’elle s’était montée de toute pièce durant son apprentissage. Sa queue fouettait elle aussi derrière elle, ses yeux étaient le reflet parfait des éclairs qui traversaient celui de la Cheffe, la tension montait sans s’arrêter. Puis un instant de flottement, une légère pause dans les paroles de la féline blanche, avant qu’elle ne prononce le mot de trop. Le sang ne fit qu’un tour dans les veines de Merle Blanc, ses yeux s’écarquillèrent aux souvenirs violents, la douleur transperça ses entrailles, son coeur déchirées se réduisit en lambaux, un grognement sourd monta dans sa gorge alors qu’Etoile Polaire se détourna, la provoquant encore plus.

Elle n’en pouvait plus.
Tout, tout était trop.
Elle en pouvait plus,
de souffrir, de voir les autres souffrir,
de suivre un code créer par les morts,
des morts qui l’avaient maudite.
Au diable les traditions, la logique, la sagesse.
Elle n’en pouvait plus, à ce moment-là, c’est la seule chose dont elle avait la certitude.

Le dos vulnérable de celle qui l’avait tant blessé, dont les mots avaient tranché à vif dans sa chair, s’offrit à elle, presque comme une invitation.
Folle de rage, Merle Blanc se jetta en avant en hurlant, tout logique oubliée. La réalité était qu’elle n’avait aucune chance face à la Cheffe, qu’est-ce qu’une escadron blessée allait pouvoir faire face à une guerrière aux neuf vies ? Mais elle s’en fichait, qu’elle la réduise en pièces si ça pouvait lui chanter, rien ne pourrait égaler la douleur qu’elle ressentait à l’instant présent.

Les crocs plantés dans l’échine d’Etoile Polaire, Merle Blanc croisa son regard emplis de défi. Un frisson lui parcourut l’échine alors que son adversaire s’abaissa, avant de se jeter au sol dans un feulement de rage. Le corps de l’escadron heurta violemment le sol, lui coupant la respiration, le choc est puissant, rouvrant de vieilles blessures encore mal cicatrisées. La féline blanchissante roula sur le flanc, tentant désespérément de reprendre sa respiration, du coin de son oeil elle vit la cheffe revenir à la charge, elle esquiva l’attaque, parvenant à aspirer une bouffée d’oxygène avant de lancer ses griffes en direction de la fourrure blanche. Touchée. Aussitôt rendu coup pour coup. Mais Merle Blanc perdit vite l’avantage, sa vitesse était au-dessus mais sa force et ses techniques de combat en-dessous, elle n’était pas une véritable guerrière, elle était une escadron, formée à espionner et à parcourir des terres pendant des heures et des heures. Elle finit par se retrouver sur le dos, le ventre exposé, une griffe sous la gorge en signe de menace. Le souffle court, les deux femelles ne bougèrent plus, le regard plongé l’un dans l’autre. Les larmes coulaient toujours le long des joues de Merle Blanc, encore sous le coup des émotions. mais le temps semblait s’être arrêté, d’autant que les pensées incassables de son esprit torturaient. Elle ne voyait plus que ses grands yeux verts, proches des siens comme il ne l’avait jamais été. Elle ne voyait plus qu’elle et la vision semblait l’apaiser.

Elle s’attendait à ce qu’Etoile Polaire l’achève, lui donne la leçon finale qu’elle ne sera pas prête d’oublier d’aussitôt. Elle avait accepté son sort, elle était prête à encaisser une douleur qu’elle savait mériter. Elle était vaincue, et elle acceptait.
Mais rien ne se passa, le temps se suspendit alors que le visage de la cheffe n’était qu’à un souffle du sien, leurs yeux émeraudes se noyant les uns dans les autres. Alors, mille questions traversa son esprit, son cœur sembla rater un battement alors que l’autre finit par se redresser, renonçant à sa victoire. Merle Blanc n’en croyait pas ses yeux, elle la regarda d’un air hébété s’écarter de quelque pas, n’osant à peine croire à la situation. m’a-t-elle tellement sonnée que j’hallucine ?

Finalement elle reprit la parole, et l’escadron se releva avec une grimace de douleur, s’asseyant en face de son interlocutrice. Elle observa son visage se détendre et un léger rictus s'installer au coin de ses babines, quelque chose avait changé. Etoile Polaire se secoua, et les yeux de Merle Blanc devinrent rond de curiosité, d’attente. Elle l’avait impressionnée, c’était ça, elle semblait avoir réveillée la cheffe d’une longue sieste, comme si elle avait ressentis quelque chose qu’elle avait longtemps attendu. Elle ne put réprimander l’espoir qui battait en elle depuis qu’elle était apprentie, pourtant elle luttait contre autant qu’elle le pouvait. Décidément, leur relation était des plus étranges, et la femelle à la pelisse blanchissante ne savait absolument plus quoi ressentir. Sa colère et sa rage presque oublier, sa douleur mise de côté, ce combat avait semblé être un tournant dans la situation, un tournant des plus attendu. Elle passa une patte sur son visage, dégoulinant d’un mélange de bave et de sang. Elle prit la relève de la discussion, dans une voix encore ponctuée d’une légère amertume, le souvenir du goût du sang avait du mal à quitter ton palais, et les souvenirs des assemblées partagées se mêlés à ceux des crocs scintillants du renard, pour finir par prendre le dessus et calmer tes émotions hurlantes.