In the muddy water we’re falling [Merle]

In the muddy water we’re falling

Tout devint sombre, dépourvu de lumière. Le silence engloba son corps malmené par les flots, couvrant le vacarme assourdissant de ses pensées torturées. L’eau s'immisça dans sa gorge, puis ses poumons, laissant s’échapper le peu d’oxygène qu’il lui restait. La peur la saisit, la panique sembla la prendre à la gorge alors qu’elle battait frénétiquement des pattes dans l’eau, tentant désespérément de revenir à la surface. Son arrière-train rentra de plein fouet dans un rocher alors que le courant l’emportait loin des terres de l’Ombre, lui arrachant un gémissement de douleur. Soudain, sa tête réapparut à la surface et sa cage thoracique se dilata lorsqu’elle aspira goulûment l’air, ressentant un fugace soulagement avant que le courant ne la tire de nouveau vers le bas, l’immergeant totalement. Petit à petit, ses forces la quittèrent, plus le temps s’écoulait et plus ses pattes s’affaiblissaient, fatiguées de battre inutilement les flots agitées de la rivière Delta. Le froid mordant de celle-ci commençait à endolorir ses muscles, rendant l’effort encore plus difficile, rendant ses chances de regagner la surface encore plus fébrile.

Allait-elle mourir dans cette rivière ? Les yeux de Merle s’écarquillèrent malgré l’eau quand elle réalisa finalement qu’elle n’y parviendrait pas, qu’elle n’était pas en capacité de regagner la surface. L’air commençait de nouveau à lui manquer, elle n’avait pas l’habitude de se trouver en apnée. La terreur s’installa en elle, lui nouant le ventre : elle allait mourir, ne jamais revoir son frère et sa sœur, ne jamais rentrer chez elle dans le Clan de l’Ombre.
Puis, Merle cessa de se débattre. Laissant une sinistre pensée lui traverser l’esprit : voulait-elle vraiment vivre ?

Alors que son corps commença à sombrer dans la rivière, une mâchoire agrippa son cou, la ramenant à la surface, dès que sa tête fut immergée elle respira à nouveau par automatisme. Qu’est-ce qu’il se passait ? Non… non, elle devait mourir, pourquoi est-ce que ses poumons fonctionnaient à nouveau ? Merle se mit à s’agiter, à se débattre, non plus pour sauver sa vie mais pour s’enfoncer à nouveau dans les eaux profondes. Qu’est-ce qu’il se passait ? Alors qu’elle voulut pousser un cri de protestation, de l’eau rentra dans sa gueule, l’empêcha d’émettre le moindre son. Elle continua à agiter mollement les pattes, se résignant encore une fois : elle allait vivre, elle allait revoir son frère et sa sœur, elle allait rentrer chez elle au Clan de l’Ombre. Etais-ce ce qu'elle désirait réellement ?

Le corps de Merle toucha finalement à nouveau la terre ferme, s’écroulant sur la rive elle recracha plusieurs gorgées d’eau. Tout son corps lui faisait mal, ses muscles étaient fatigués et tremblants, une vive douleur lui parcourait l’arrière train. Elle n’avait qu’une envie : se rouler en boule dans sa litière et dormir une lune entière. Pourtant, au lieu de fermer ses yeux, elle les ouvra grand, posant son regard sur la fourrure blanche si familière de la femelle qui se tenait en face d’elle. La peur qu’elle avait ressentie en se noyant la saisit à nouveau, Etoile Polaire .


Merle décela une pointe de reproche dans la voix de la Cheffe, qui la figea encore plus sur place. Est-ce que le Clan des Etoiles la mettait à l’épreuve ? Pourquoi parmi tous les chats du Clan de la Rivière, il fallait que ce soit Etoile Polaire qui la sauve ? Le cœur de la femelle battit un peu plus fort dans sa poitrine alors qu’elle détaillait les muscles saillants de la femelle, visible sous sa fourrure trempée, plaquée contre sa peau.


Etoile Polaire se montrait dorénavant curieuse envers la situation, Merle pouvait le voir à ses yeux. Elle se sentit rougir de plus belle sous son pelage blanc et noir, elle se sentait honteuse de s’être presque noyée, honteuse d’avoir été sauvée par la belle femelle, honteuse de la raison de sa noyade. Elle se reposa encore la question : à quoi jouait le Clan des Etoiles, était-ce une épreuve qu’il lui envoyait ? Pour la tester ? Allait-il encore plus la punir si elle n’agissait pas de la bonne façon, si elle n’arrivait pas à faire taire ses maudits sentiments ? Cela faisait maintenant plusieurs dizaines de lunes qu’elle ne s’était pas, ou presque pas adressé la parole, évidemment que les sentiments de Merle à son égard n’était plus aussi fort, voire plus du tout présent. Mais comment oublier la personne pour qui on a ressenti pour la première fois de l’amour ?

Merle voulut lui répondre, mais les mots se noyèrent dans sa bouche, comme si l’eau était toujours dans sa gorge et ses poumons. Elle ne pouvait dire la vraie raison de sa chute, comment lui expliquer qu’elle était tellement obsédée par son pelage changeant, qu’elle avait glissé dans l’eau pendant qu’elle observait son reflet dans celle-ci ? Non, elle ne pouvait pas dire cela de vive voix, elle avait trop honte. Ce reflet était maudit, elle n’aurait pas dû se regarder. Le Clan des Etoiles la punissait pour les sentiments qu’elle avait ressentis envers cette féline du Clan de la Rivière, et voilà que lorsqu’elle avait le malheur de vouloir regarder son horrible reflet, elle manquait de se noyer avant d’être sauvée par ladite féline.


Elle marqua une pause, risquant de croiser le regard de la cheffe.


Les dents de Merle claquèrent, son corps entier tremblait sous le choc et l’épuisement, mais elle se redressa tout de même sur ses pattes, refusant de se montrer faible. Puis elle entreprit de mettre une patte devant l’autre, ne sachant même pas qu’elle direction prendre. Son instinct lui dicta de s’éloigner de la rivière, sans qu’elle ne réfléchisse réellement au chemin qu’elle devait prendre pour rentrer chez elle.

Lune 1216

In the muddy water we’re falling

Son prénom dans la bouche d'Étoile Polaire fut comme une aiguille en plein cœur, faisant se contracter violemment chacun de ses muscles. Elle jeta un regard à celle qu’elle considérait comme la cause de l’envahissement du blanc sur son pelage de jais, plus le temps passait, et plus leur pélisse devenait similaire.


La politesse d'Étoile Polaire mettait quelque peu Merle mal à l’aise. Elle savait que la femelle se montrait courtoise en vue de la situation, elle venait de lui sauver la vie et ne la chassait pas directement du territoire. Mais l’escadron noire et blanche ne pouvait pas s’empêcher de sentir le malaise grandir de plus en plus, de tous les chats du Clan de la Rivière, pourquoi allait-il fallu que ce soit elle qui vienne à son secours ?


Un léger sourire en coin se dessina sur les babines de la Cheffe alors qu’elle s'asseyait,, signe qu’elle invitait Merle à se reposer quelques instants avant de retourner chez elle. Merle la défia quelques secondes du regard avant de se raviser, elle n’était pas idiote au point d'offusquer la cheffe d’un autre clan, bien qu’elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une rancœur sourde au fond d’elle. Comme si c’était de sa faute à elle, si Merle avait ressentit des sentiments à son égard, alors qu’elle n’avait rien à voir avec cela dans le fond. Elle resta un long moment silencieuse, tantôt à éviter son regard, tantôt à ne pouvoir s’empêcher de lui jeter des coups d'œil en coin. Ses émotions la tiraillaient de part en part alors que son corps cessait peu à peu de trembler au fur et à mesure que son pelage séchait. Ses yeux s’attardèrent un instant sur ses pattes pleines de boue alors qu’elle se remémorait les discussions qu’elles entretenaient aux assemblées. Autrefois ses souvenirs étaient si précieux à Merle, maintenant ils s'étaient teintés d’un goût amer. Evitant volontairement de répondre à sa proposition d'être soignée par la guérisseuse de la rivière ou encore sur une possible blessures, Merle commença d'un ton tranchant :


Merle déposa un regard à la fois lourd de sens, et tout à fait dénué d’une quelconque intention. Elle-même ne savait pas à quoi elle jouait. Les deux femelles n’étaient plus des apprenties, elle n’était même plus sous une patte d’égalité maintenant que Nuit Polaire avait reçu la bénédiction des étoiles ainsi que ses neuf vies, et avaient pris le nom d'Étoile Polaire. Visiblement, si le Clan des Étoiles avait bien décidé de la punir elle pour son péché, celle-ci n’avait reçu que bénédiction au lieu d’une malédiction comme elle. Une pointe de jalousie s'empara de son esprit alors qu’elle n’avait toujours pas quitté la femelle du Clan de la Rivière des yeux, de son regard indéchiffrable. Est-ce que le fait que Merle soit la seule à être punie signifie qu’Etoile Polaire n’avait jamais rien ressenti à son égard ? Non, évidemment que non elle n’avait rien ressenti, comment est-ce que Merle pouvait se montrer aussi bête et naïve ? Pire, comment pouvait-elle encore espérer que ses sentiments fussent réciproques ?


Merle rajouta dans un murmure presque inaudible, comme si elle s’adressait à elle-même :


Le regret et la douleur laissèrent une empreinte dans chacun des mots qu’elle prononçait, elle baissa les yeux et se releva péniblement.

Lune 1216