Des ronces. Partout. Il marche entre elles, le museau au sol à la recherche du chemin qui mène à son nid. D’un trot nonchalant, il louvoie parmi les lianes aux crocs acérés, sous le regard vigilant des fleurs bleues dont les motifs rappellent un œil plissé par la méfiance. Il a l’habitude. Sans leur prêter attention, il relève la tête sans ralentir, renifle en quête d’une fragrance familière. Mais rien.
Alors il accélère. Il ne s’est pas tant éloigné, ça ne devrait pas être si difficile de rentrer, non ? Les griffes, qu’il pouvait négliger jusque-là, commencent à se faire de plus en plus hautes. De plus en plus resserré. Il contracte son ventre pour en esquiver certaines, se plaque au sol pour les suivantes, puis sprinte pour survoler les prochaines.
Non, il n’a pas pu passer ici, impossible. Il doit faire fausse route. Confus, il se résout finalement à faire demi-tour. Mais elles sont là.
Les ronces.
Plusieurs font fi des maigres poils qui ornent son torse et l’attrapent par le col. Il tente de les retirer avec précaution, mais d’autres rampent jusqu’à ses pattes, toutes aussi fragiles et dégarnies. Non, non, non, lâchez-moi ! Il s’arrache de leurs étreintes. Elles l’encerclent. Du sang coule le long de son cou. Ne voyant pas d’échappatoire, il fonce, droit devant lui, la tête baissée. Dans la gueule du tigre. Laissez-moi !
Un bruit strident retentit. Un crissement. Un monstre. Il a tout juste le temps d’apercevoir la lumière de ses yeux inonder sa prison. Impact.
* « … ! »
Le Petit halète ses yeux écarquillés vissés sur le plafond de la pouponnière. Une sueur désagréable plaque ce qu’il lui reste de pelage contre sa peau poisseuse. Parfois, il aimerait pouvoir se l’arracher jusqu’au dernier poil, tant elle lui est inutile. Trop parsemée pour le protéger, suffisamment pour l’étouffer. Il avait déjà essayé, une fois. Ou deux. Elle revient toujours. Frustré, il va pour se laver lorsqu’il remarque sa sœur, son miroir, blotti contre lui. Sans un bruit, il s’écarte, puis traine sa minuscule carcasse à l’extérieur. L’avantage d’être si dégarnie, si petit, c’est que c’est facile d’être discret.
Sous le ciel gris dont les nuages semblent pleins à craquer, il commence sa toilette. Ou il essaie. D’un geste maladroit, il lèche son torse, puis ses pattes. Il leur donne quelques coups pour la forme, avant d’observer ses coussinets. Doit-il en laver les creux ? Il n’en sait rien. Une goutte de sueur lui chatouille l’arrière de l’oreille. Dans un grognement agacé, il cherche à la déloger, mais ne fait que l’étaler, ce qui l’irrite plus encore.
Une odeur nauséabonde s’écrase dans la terre devant lui.
« Bouge de là, petit rat. »
Bien que la jeune femelle soit plantée devant lui, le Petit l’ignore au profit de la mousse à l’odeur infecte qu’il espère voir vite disparaître tant ses effluves empoisonnent sa langue et l’empêche de se laver en paix. La grise ne peut pas être suffisamment stupide pour le confondre avec un rongeur, non ?
« Tu comprends le chat, ou il faut te parler comme le font les rats ? »
Le Petit relève la tête vers elle, agacé qu’elle parle à son museau alors qu’il n’en a rien à faire. Puis il croise son regard. Son dégout. Son dédain. Si sa sœur était là, à sa place, l’aurait-elle toisée ainsi ? Oui.
Son sang ne fait qu’un tour. Du bout des crocs, il s’empare de la boule et la balance de toutes ses forces au visage de l’inconnue. Sans même attendre qu’elle s’y écrase dans un bruit humide, il se glisse sous son ventre et plante ses canines dans l’une de ses pattes arrière.
« Chest toi ! Chest toi qui pues le rat ! » gronde-t-il sans lâcher prise.
Patte Sauvage