Clair de lune et lucioles | ft. Echo des Dryades

Les nuits étaient toujours plus agitées pour Echo des Dryades depuis l'enlèvement de leurs petits. Elle était las de la quiétude des siens, qu'ils aient manqué de vigilance ou plutôt parce qu'elle en avait manqué elle-même. Ils avaient perdu leur nouvelle génération, et plus encore, elle craignait pour leur sécurité. Peut-être était-ce dans cet élan si désespéré que ses camarades avaient élu Rêverie du Loir comme leur meneur légitime, espérant que sa sagesse puisse les guider. Mais quand bien même la tricolore le respectait en tant que compère, sa feignantise ne lui était pas indifférente et elle attendait beaucoup de lui.

Sûrement aurait-elle préféré quelqu'un d'aussi ferme que Chant du Lion ou Foudre Noire par exemple. Celle-là même qui la poussait du bout des pattes dans l'espoir de la réveiller, alors même que son sommeil en était léger. Elle cligna légèrement des paupières, sans s'ébrouer, alors que la jeune chatte venait de prononcer son nom. Elles devaient partir, toutes deux, engagées dans cette patrouille de nuit. La guerrière se leva alors, le corps engourdi par cette nuit encore manquée mais ne tarda pour autant pas à rejoindre sa camarade qui l'attendait à l'entrée du camp. De là, la femelle s'étira en silence, un petit sourire en coin tandis que la noiraude fixait le ciel de ses prunelles d'or. « Parée à l'aventure ? » murmura-t-elle finalement après s'être déployée de tout son être. Elle ne souhaitait aucunement réveiller tous ces venteux qui dormaient à la belle étoile. « Au moins, le mauvais temps nous aura épargné, on devrait sentir chacune des traces sans soucis. » clama-t-elle toujours aussi silencieusement, avant de se dresser sur ses deux pattes, prête à se dégourdir les pattes et peut-être faire disparaître ces vilaines courbatures. Et d'un hochement de tête, lança : « Je te suis. », la désignant purement et simplement comme la meneuse de patrouille de cette nuit.

Foudre Noire n'était pas bien bavarde, pourtant ses allures gênées eurent le don de faire sourire gentiment la calico. Du peu qu'elle s'en souvienne, la noiraude avait toujours eu des pensées similaires aux siennes. Elle s'y voyait encore, en tant que Petite Dryade à courir après un Nuage Foudroyant afin d'apprendre à être formidable guerrière, comme tant d'autres petiots. Le temps passant vite, elles en étaient ainsi là à s'entraider dans une patrouille frontalière pour la survie de leur clan : loin de l'image du chaton ennuyant pour tout novice.

Et fidèle à elle-même, la tigrée hocha la tête, toujours aussi mutique, en guise de remerciements. La queue haute, la cadette la suivit de près, les sens en éveil. Sous une douce brise, les deux comparses traversèrent la Lande de Bruyère, bientôt caressées par leurs feuilles violacées. Seul le parfum de ces plantes flottaient dans l'air, et malgré la proximité avec la frontière : aucune senteur ennemie ne vint lui titiller les naseaux. Tout était étrangement calme, et pour sûr que la dernière patrouille n'était pas encore passée. Alors, quand Echo des Dryades eut fini son affaire, elle s'approcha de la féline qui l'attendait au sommet d'un monticule, profitant de l'air pur qui la traversait. La tricolore s'arrêta, écoutant ce que sa camarade aurait à dire d'un air interrogateur. « Cette nuit est particulièrement belle. » se dit-elle, presque surprise par sa propre voix. Comme quoi, elle pouvait parler et il était presque dommage qu'une si jolie voix soit tue. La guerrière souffla un peu de la truffe, amusée avant de lancer, un sourire en coin : « Pas que la nuit. » assurée. Elle ne laissa aucune émotion la traverser qui pourrait démontrer une gêne de sa part, comme si tout ce qu'elle pouvait annoncer était trivial.

Puis alors qu'elles furent perchées sur cette colline, une vague de lumière se mit à émaner des bruyères, faisant resplendir toutes leurs couleurs. Le spectacle n'était pas courant, mais le temps les avaient suffisamment gâtées pour les éveiller. « Des lucioles. » souffla-t-elle, émerveillée. Elle songea à sa patrouille, son devoir, mais il avait été accompli sur ce bout du territoire. Alors, de quelques bonds, elle redescendit du monticule et plongea dans cet océan de lumière, sourire aux babines. Non sans un regard à Foudre Noire, l'invitant à la rejoindre dans ce festival d'insectes.

La belle noiraude hésitait. Elle la fixait depuis son monticule, partagée entre son envie de la rejoindre et le devoir qui lui incombait. Pourtant, elles avaient rempli une part de leur mission, ne devrait-elle pas s'aérer l'esprit ? Mais Foudre Noire avait une réputation d'acharnée du travail en plus d'être silencieuse, ce qui réduisait ses chances de mieux la connaître de moitié.

La calico soupira à cette pensée, fixant les lucioles avec un sourire qui commença à s'effacer. Peut-être serait-il mieux de reprendre son rôle de patrouilleuse et faire mine de rien ? Elle faillit acquiescer au fin fond de son cœur avant qu'une tornade sombre ne lui passe devant le museau, lui frôlant la truffe de sa queue au passage. Décontenancée, Echo des Dryades la fixa en silence, clignant parfois des yeux avant que sa camarade ne montre tout son entrain et sa bonne humeur. Elle la défiait, et aussitôt ce sourire évanoui refit surface, de même que l'éclat de ses prunelles, aussi étincelant que les lucioles qui les entouraient. « C'est ce que tu vas voir ! » lança-t-elle d'un air de défi, campée sur ses quatre pattes.

Puis, d'un coup d'un seul, elle s'élança dans la lande réveillant aux passages les quelques insectes endormis qui s'illuminèrent sous le tremblement de ses pas de course. Elle le savait pourtant, question course : Envolée des Nymphes avait toujours été la meilleure jusqu'à son accident. Son endurance n'était pas la meilleure, mais cette course était une bouffée de bonheur de la calico, qui se voyait en la guerrière tigrée.

Mais soudain, son entrain se mua en une chute lamentable. Concentrée dans cet événement de joie, elle ne fit pas attention à la pauvre racine qui dépassait du sol et dans laquelle sa patte finit par se mourir. Un bref cri de stupeur sortit de sa gueule et elle finit sa descente dans quelques roulades. Véritable tue-bonheur, la calico s'assit quelques instants dans la réflexion de qui venait de lui arriver. « Hm. » maugréa-t-elle, avant de s'ébrouer. Elle oubliait presque pourquoi cela avait commencé et où se trouvait donc sa camarade. L'avait-elle entrainée dans sa chute ou avait-elle fini plus loin ? Tant de questions qui ne la traversèrent que tardivement alors qu'elle la cherchait du regard presque affolée.