Cavalcade | Echo des Dryades

Ca faisait plusieurs fois déjà que le grand mâle s'arrêtait dans ses poursuites de proie et abandonnait sa traque lorsqu'il s'approchait des frontières déterminées des territoires locaux. Il avait bien compris au gré de ses rencontres avec les chats du coin qu'ils tenaient très fort à ce qu'aucun étranger ne les franchisse et encore moins pour chasser. S'il comprenait le principe puisqu'il avait été chat d'un groupe dans le même esprit auparavant, le solitaire devait bien avouer qu'avec le nombre de territoires attribué de Valeemar c'était un vrai casse-tête de trouver un proie qui n'appartiendrait potentiellement pas à quelqu'un d'autre.

Ce matin-là, il état d'une humeur maussade, massacrante même, bien que son visage ne laisse entrevoir que son habituel air froid et désabusé. Ca faisait deux fois qu'il chassait près de cette frontière et que sa proie lui échappait non pas parce qu'il n'était pas capable de l'attraper, mas parce qu'elle détalait dans la mauvaise direction. A croire qu'elles étaient suffisamment malignes pour savoir qu'il n'avait pas le droit de mettre les pattes au-delà du marquage. Les moustaches frémissantes, Archange s'était tapi sous les fourrés, son regard glace dardé sur la lande devant lui. Il huma l'air ; les pistes étaient vieilles - et de toute façon même s'il tombait sur quelqu'un, ce qu'il avait vu des chats locaux était soit très bavard soit très peu menaçant, souvent les deux à la fois.

Sa décision était prise avant que l'occasion ne se présente sous la forme d'un jeune lapin un peu trop guilleret. Le corps du mâle se tendit alors que ses yeux se réduisaient à deux fentes. Il se ramassa sur lui-même en silence. Un battement de coeur. Puis il bondit en avant.

Les oreilles du latin l'entendirent un pas avant qu'il ne soit sur lui et la minuscule poursuite qui s'engagea suffit à les entraîner sur les terres interdites. Un coup de patte plus tard, le grand mâle avait enfin son déjeuner.

Visiblement, ce n'était vraiment pas un jour de chance pour le solitaire. A peine eut-il le temps de savourer la satisfaction d'avoir enfin achevé sa proie qu'une silhouette feulante bondit des fourrés non loin pour lui sauter sur le dos. Même s'il était massif, la surprise l'empêcha d'encaisser correctement l'assaut et il fut complètement déséquilibré. Il fit deux pas maladroits de côtés alors que son cerveau enregistrait ce qui se passait, tandis qu'à travers son pelage épais il sentait l'inconnu sortir ses griffes. Les deux finirent par rouler au sol, et le grand mâle s'extirpa de cette hostile étreinte d'un puissant coup de patte. Il se redressa d'un bond, les yeux réduits à deux fentes d'un bleu froid, et avisa rapidement la situation.

Son flair lui indiqua - sans grande surprise - que l'individu lui faisant face était une femelle du territoire dont il venait de bafouer les lois, à savoir ne pas chasser dans leurs frontières. Etant donné qu'il avait fait pas plus de cinq pas à l'intérieur pour achever le lapin, il aurait été intéressant de lancer un débat sur la signification de "chasser" - mais de toute évidence l'heure n'était pas aux débats. Et puis il n'était pas très bavard, de toute manière.

Son poil se gonfla légèrement, juste assez pour le faire paraître un peu plus imposant encore face à la chatte devant lui. Elle était plus petite - comme la majorité de ses congénères - mais visiblement taillée pour la vitesse et l'agilité. Il avait senti lors de son attaque ses muscles tendus sous son pelage blanc, roux et noir. Peut-être était-elle le premier chat de clan qu'il allait devoir prendre au sérieux. Peut-être finalement n'étaient-ils pas tous des enfants ou des pipelettes.

Quand à ce qu'elle lui cracha au visage, comme de coutume il ne se sentit qu'à moitié concerné. Cependant l'idée commençait à fleurir dans son esprit d'aller rendre une petite visite à ces solitaires qui n'en étaient pas tant - puisqu'ils vivaient en groupe - mais qui oeuvraient avec hargne à rendre la vie impossible à ceux qui n'avaient rien demandé. Il rabattit les oreilles contre son crâne, les muscles tendus et répondit d'un ton froid :

"J'ai traqué ce lapin. Ton clan ne peut pas en dire autant."

Ils devaient bien le sentir, s'ils avaient une once d'intelligence ces chats de clan, qu'il y avait dans leurs lois quelques petites faiblesses de ce genre. Ou alors ils s'assumaient clairement comme acceptant de profiter du travail des autres - tandis que de leur côté ils chassaient sans scrupule aucun dans les terres sur lesquelles les solitaires s'efforçaient de vivre. Une ombre passa dans le regard d'Archange, alors que quelques visions de dans ancienne vie s'affichaient brièvement sur sa rétine.
Qu'il avait été stupide.

"Qu'est-ce que tu veux ?" Murmura-t-il finalement.

La question l'intéressait réellement. Souhaitait-elle juste le chasser et lui prendre sa proie, ou réellement le punir pour qu'il lui passe l'idée de recommencer ? A quel point les menaces qu'il ne cessait d'entendre de la part des chats de clan étaient réelles ?