Savoir pour prévoir, afin de prévoir - ft Ardeur de la Tigresse

La Tigresse n’était pas revenue au Clan de l’Ombre depuis si longtemps que cela. On avait cru à son mensonge pour justifier son départ, personne n’avait cherché à creuser plus loin, du moins on ne lui avait pas dit en face et ça l’arrangeait. Revenir avec une portée n’était pas passé inaperçu, néanmoins le fait est qu’elle n’est pas Reine à proprement parlé. Ainsi, Pluie d’Étoiles lui a accordé une apprentie. Sans doute était-ce prévu avant son départ. Elle ne savait pas trop ce qui poussait le gris à prendre cette décision, mais ça l’importait peu. L’Escadron aurait aimé avoir du temps pour former ses enfants et ne pas le perdre autre part, mais elle n’avait pas le choix. Voilà deux lunes qu’elle était donc la mentor officielle de Lys Nuageux. Si d’ordinaire la calico était du genre à prendre au sérieux les entraînements, là elle avait bien d’autres choses en tête. Entre ses blessures, ses petits, sa famille, ses projets, ses complots et le départ inopiné de Brume Argentée... Difficile de concentrer son esprit sur un chaton turbulent. Ce matin-là, elle s’étirait donc méticuleusement, appliquant les mixtures préparées par Épine pour ses cicatrices. Ce n’était plus vraiment douloureux, quoiqu’un peu, c’était surtout gênant pour se mouvoir.

Elle effrayait d’autant plus avec une telle allure. La gueule complètement défigurée, l’œil crevé, les oreilles tailladées, le corps strié par les cicatrices... La Horde et ses membres avaient laissé de belles traces sur elle. Tigresse finissait de s’appliquer les plantes lorsqu’elle entendit les cris dérangeants d’une novice trop enjouée. Voilà que la minuscule créature aux yeux vairons se lançait dans un long monologue épuisant. Elle réclamait de s’entraîner aux techniques de combat. Ardeur de la Tigresse grognait de façon audible, relevant les babines pour signifier son mécontentement en la voyant gesticuler autour d’elle. La petite n’était pas méchante, ni forcément mauvaise, elle l’ennuyait simplement. La toute nouvelle mère coula un regard vers le campement, cherchant du regard ses enfants ou son frère, mais ni l’un ni l’autre ne pointait le bout du museau dehors. Tant pis, elle attendrait le lendemain pour leur parler un peu plus en privé. L’imposante femelle s’étira, passant devant l’apprentie sans lui accorder l’attention qu’elle réclamait. Elle prit tout son temps pour choisir une proie, puis elle se tourna vers l’enfant, fronçant le museau en la regardant de haut en bas :


La guerrière s’affala au sol, dégustant son repas sous le regard insistant de la petite chose à côté d’elle. Quelle idée elle avait eu de ne pas s’imposer auprès de son meneur... La voilà obligée de supporter cela... Elle croqua à pleins crocs dans la viande et une fois son repas engloutit, elle se releva. Elle n’était pas au maximum de sa forme physique. Ses blessures ne se rouvriront pas, mais elle sentait que sa peau tirait. L’éborgnée posa son unique œil bleu glacial sur la novice, la transperçant du regard silencieusement. Finalement, elle lui tourna le dos et s’avança vers la sortie du campement.



Elle sentit les yeux des gardes se poser sur elle. Elle s’était déjouée de leur surveillance plus d’une fois, ils devaient sans doute en avoir assez... L’Escadron marchait au travers du territoire, s’arrêtant dans une petite clairière sombre où régnait un silence pesant et où les branches des arbres tentaient de toucher le sol. Elle inversa les rôles, venant rôder autour de Lys Nuageux à la manière d’un charognard, l’inspectant sous tous les angles, l’air critique. Son épaisse patte se posa sur ses flancs. Elle était mince sous tout ce pelage. Et surtout, elle était minuscule. Une bien misérable créature à côté de l’immense Tigresse. Au moins, elle est une femelle, c’était déjà ça à prendre... Son cas n’était pas tout à fait perdu.


Elle souffla bruyamment, s’asseyant en face d’elle en enroulant sa queue autour de ses pattes. En plus de cet air effrayant et menaçant -qu’elle avait déjà avant d’être défigurée- il y a sa voix qui s’était durcie. La guerrière était plus froide qu’auparavant.