Mouette Rieuse était réveillé tôt. Il avait pris cette habitude depuis sa nomination en tant que lieutenant de la Lune. Bien plus matinal qu’auparavant, il avait dorénavant une petite routine bien organisée. Il commençait par prendre le temps de se lever, en étirant bien ses muscles, en faisant une belle toilette et en saluant ses camarades qui commençaient eux aussi à émerger. Lorsque la température se réchauffait un peu plus, il sortait dehors, profitant du silence reposant qui régnait sur le campement. Tous se reposent, même les inépuisables chatons de la pouponnière. Il se contente d’une maigre souris, n’aimant pas se remplir l’estomac de si bon matin, et la déguste aux côtés d’un ami. La présence de Souvenir des Étoiles lui manque un peu de temps en temps, mais il est toujours présent, juste un peu plus occupé et il le comprend parfaitement. Ce jour-là, Mouette Rieuse affichait son habituel sourire angélique, ses yeux pétillaient tandis qu’il engloutissait son repas matinal. Contrairement à lorsqu’il était encore novice, aujourd’hui il prenait le temps de se nourrir sans se précipiter à la chasse.

Il avait amélioré ses compétences de prédateur, il était déjà moins médiocre, mais ce n’était pas non plus son point fort soyons franc. Il avait la théorie, mais pas toute la pratique. Sa maladresse l’emportait encore, plus souvent qu’il n’ose l’admettre. Après une courte discussion avec une camarade, il finit par prendre congé. Son regard glissa jusqu’à une pierre en hauteur sur laquelle il se perchait pour faire les patrouilles. Il n’aimait pas prendre place au même endroit que Souvenir des Étoiles, il estimait qu’il n’avait pas à le faire. Grimpant en un saut sur la roche, il se mit en position et miaula assez fort pour être entendu par ceux présents sur la place et ceux dans les tanières. Le campement s’était bien éveillé, il était temps d’envoyer les premières patrouilles. Il nomma quelques guerriers, félicita ceux qui revenaient des patrouilles nocturnes, puis il se retira et ne manqua pas de taquiner les quelques apprentis bien trop pressés de partir avec les adultes.

Mouette Rieuse avait toujours été apprécié au sein de son Clan, mais il l’était d’autant plus depuis qu’il était devenu guerrier. Son comportement avait changé, il était moins enfantin et avait appris à grandir, même s’il lui manquait encore bien des choses, il avait tout de même fait des progrès. Certains admiraient la façon dont il se débrouille en tant que jeune lieutenant, d’autres doutent encore un peu de ses capacités mais il ne les blâme pas, lui-même n’est pas tout à fait sûr de lui. Ayant du mal à exprimer ses sentiments, il ne se sent pas légitime d’échouer alors il encaisse beaucoup et n’ose pas demander conseil sous peine d’être moqué. Il sait qu’il finira par trop accumulé, mais malheureusement il n’est pour l’instant pas prêt à communiquer sur tout cela. Sans oublier qu’il est encore touché par la disparition de sa grand-mère et de Cendres de Rosée, sujet sensible duquel il n’a que peu parlé.

Aujourd’hui, le jeune bicolore se décida donc à profiter du temps brumeux pour prendre l’air et pourquoi pas tenter de ramener quelques petits rongeurs en supplément. Parcourant la place principale en esquivant les boules de mousse des chatons, il emprunta la sortie pour atteindre la forêt. Ses yeux ambrés parcoururent les alentours, brillants d’un éclat particulier. Il marcha calmement au début, croisant le chemin de quelques novices en pleine course. L’ambiance était légère, cela l’apaisait grandement. Les oiseaux chantaient timidement, les feuilles craquaient sous ses pattes et le soleil faisait quelques apparitions entre deux épais nuages. Atteignant finalement la forêt de bouleaux, reconnaissable grâce à la couleur blanchâtre des troncs, il commença à se concentrer sur les diverses odeurs l’entourant.

La fraîcheur de l’air fut son premier constat, pénétrant ses naseaux et lui faisant même un peu mal à la tête, puis vint l’arôme des feuilles humides, celles des fougères et de l’herbe et même celle de l’écorce des arbres. Puis... celle d’un rongeur. Un petit campagnol caché dans un buisson, n’ayant pas encore senti la présence du félin. S’aplatissant au sol, Mouette Rieuse patienta calmement et en silence avant de s’avancer vers sa proie, prêt à bondir dessus à la moindre occasion. Alors, lorsque celle-ci se présenta, il ne la manqua pas et bondit sur ses pattes arrière pour l’attraper entre ses griffes. Cependant, ce à quoi il ne s’attendait pas, c’était la pente cachée par le buisson ! Lâchant l’animal dans sa chute, il roula tout le long puis s’écrasa contre... oh par le Clan des Étoiles, contre un autre chat !

La roulade enfin finie, il se releva difficilement, s’ébroua -étant plein de poussière et de terre-, puis posa ses yeux sur la malheureuse victime. Oh non, c’était Forêt de Bambou ! Il sentit ses oreilles se chauffer de gêne et avant même qu’elle n’ait eu le temps de se remettre de ses émotions il rigola nerveusement en s’excusant maladroitement :



Il s’éloigna d’un ou deux pas, plongea son regard dans le sien et souri de tous ses crocs, seule chose qu’il savait faire à la perfection. Il pointa du bout de la patte un endroit et continua.



L’humour, son éternel allié. Le noir et blanc pouffa doucement, encore plein de brindilles qu’il tentait un peu naïvement d’enlever. Aaah... la honte !

Le rire franc de la jolie minette rassura le cœur de Mouette Rieuse. Au moins, il ne l’avait pas blessé et elle ne semblait pas vexée. Face à l’inquiétude de Forêt de Bambou, il fit non de la tête puis regarda ailleurs, gêné, lorsqu’elle bondit sur ses pattes pour l’inspecter de plus près. Il sentait ses oreilles chauffer et il eut presque un souffle de soulagement lorsqu’elle s’éloigna un peu. La réponse de la tigrée lui arracha une esclaffe, le détendant un petit peu. En la regardant du coin de l’oeil, il se rendit compte qu’il ne lui avait jamais réellement parlé. Ils se connaissaient et s’étaient déjà croisés auparavant, par le biais d’une amie commune, mais jamais ils n’avaient eu l’occasion de passer un moment à deux.

Il faut bien avouer que déjà apprenti Mouette, bien que sociable, ne parlait en réalité qu’à peu de personnes, trop préoccupé par ses entraînements et ses objectifs. Dorénavant, il se sent un peu pris au dépourvu face à ses camarades. Alors qu’il aurait dû tisser des liens lors de son apprentissage, il s’est contenté de simplement essayer d’être le meilleur. Et aujourd’hui, il se retrouve à devoir tenter de construire quelque chose avec les siens, sauf qu’il est bien plus maladroit qu’auparavant. Pourtant, il savait que l’élégante femelle était tout à fait gentille et qu’elle ne se moquerait pas de lui, pas méchamment du moins.

Mais il se disait qu’elle devait déjà avoir un a priori sur lui, de part Lionne principalement. D’abord car leur relation fut assez conflictuelle au départ, donc elle lui a peut-être raconté toutes les fois où il a pu être cassant et arrogant. Plus jeune, Mouette Rieuse ne mesurait pas ses paroles et pouvait donc se montrer assez agressif. Même s’il a changé ça aujourd’hui, Forêt de Bambou ne peut rien en savoir. Alors il se dit que, peut-être, elle ne l’apprécie pas tout à fait ou qu’elle est gentille par nature ou habitude, pas par “amitié”.

Le regard émeraude de la minette dériva sur les pattes blanches du plus âgé qui finit par regarder à son tour lorsqu’elle pointa du bout de la queue des plantes prises au piège entre ses coussinets. Face à son explication, il s’excusa brièvement et se déplaça en dandinant un peu, tentant de décoller les fleurs du dessous de ses pattes.


La délicatesse de la guerrière le prenait au dépourvu. Il a beau être extraverti, il est tout de même plutôt incompétent lorsqu’il s’agit d’interagir avec douceur. Il a toujours eu beaucoup de mal à exprimer ses sentiments et accepter la générosité ou le tact des autres. Il croit toujours mal interpréter les paroles et ne sait jamais vraiment ce qu’il ressent. C’est ce qui avait provoqué autant de tensions avec Lionne. Et c’est la principale raison pour laquelle il se mets autant de pression à tout vouloir gérer seul.

Avoir l’impression de déranger et être terriblement gêné à l’idée qu’on puisse lui faire des compliments. Il se souvient encore de sa nomination en tant que lieutenant où il crut bien vouloir s’enfuir lorsque tous l’ont félicité. Il essaye de faire des efforts, mais il fallait y aller petit à petit sinon il allait imploser ! Aidant Forêt de Bambou à ramasser son bien, il releva la tête.



Il pensa à Feuille des Neiges, qu’il avait déjà rencontré plusieurs fois. Sans ses connaissances médicales, peut-être n’aurait-elle pas aussi bien vécue seule ? Il se dit que si par malheur il arrivait quelque chose et qu’aucun guérisseur ne serait là il faudrait qu’il puisse réagir, au moins les bases. Il jeta un regard en biais à sa camarade.



Il pouffa et finit d’attraper la dernière fleur. S’avançant d’un pas, il fit un signe de la queue à Forêt de Bambou pour qu’elle le suive. Il voulait lui parler un peu plus, maintenant qu’il en avait l’occasion. Un rayon de soleil vint se frayer un chemin à travers les arbres pour atteindre son pelage, le réchauffant un peu. Il constata la rougeur des feuilles, la fraîcheur du vent et l’épaisseur réduite des arbres. La saison pluvieuse allait débuter.



Il aurait sincèrement aimé pouvoir prendre des nouvelles avant. Pouvoir discuter de tout et rien, ne pas penser à lui et son stress. En tant qu’apprenti, il avait rencontré plusieurs personnes avec qui il aimerait discuter aujourd’hui. Mais plus le temps passe, plus il a la nette impression que les relations avec des chats d’autres clans seront impossibles. Les tensions sont fortes. Il se rappelle encore des avertissements de Cendre des Rosées, du regard insistant de Feuille des Neiges... Finalement, il n’est pas sûr d’être prêt pour tout ça. Il doute grandement de lui-même, alors qu’au fond il sait très bien qu’il prendra les bonnes décisions et que Souvenir des Étoiles lui fait pleinement confiance.

Mais il doute. Et il aimerait écouter la vie d’autrui, rien qu’un instant. S’intéresser à quelqu’un et ne plus penser à lui. Forêt de Bambou, délicate et douce, semble être la personne idéale pour reposer un peu ses nerfs. Il a vraiment besoin de se canaliser.

Ce que Mouette Rieuse appréciait grandement chez Forêt de Bambou, en dehors de sa douceur, c’était son éternelle bienveillance et le fait qu’elle cherchait toujours une solution alternative aux combats et à l’animosité. Il pouvait sans aucun doute deviner une infinie gentillesse chez la femelle. Il pouffa avec elle lorsqu’ils rassemblèrent les dernières graines et il afficha de grands yeux pleins d’étoiles lorsqu’elle se proposa pour lui enseigner quelques bases médicinales. Il accepta avec joie, hochant vivement la tête. Il est vrai que Bambou est la sœur d’Hermine des Nuages et en se rappelant ce détail il affiche une mine pleine d’admiration... la brune semble s’intéresser à diverses choses. Ils se baladent ainsi, côte à côte, leur silence permettant aux oiseaux de chanter. C’était apaisant. C’était comme s’ils se déconnectaient de tout, rien qu’un instant. Si Mouette Rieuse a bonne mémoire, il croit se souvenir que son père était le mentor de Forêt de Bambou, comme quoi c’est assez étonnant qu’ils n’aient pas appris à se connaître bien avant. Il sourit à sa réponse. Chasseresse est un rôle honorable, il sait que lui en serait bien incapable.

En effet, le noir et blanc semble avoir un don pour le combat, mais pas pour la chasse. Il est trop maladroit et trop bruyant. Et puis peut-être pas assez patient aussi... Même s’il a longtemps essayé de s’entraîner, il faut croire que certaines choses restent hors de portée. C’est pour cela qu’avec le début de la saison des feuilles mortes il culpabilise de ne pas pouvoir ramener autant de gibier que l’aurait fait un autre guerrier ou un chasseur. Il aimait la franchise de la femelle, qui ne souhaitait pas s’inquiéter d’autre chose que de la chasse. Lui est plutôt du genre à vouloir tout contrôler et s’assurer que tout va bien, même s’il sait qu’au final les tensions sont bien loin d’être maniables. C’est un peu une question de hasard... La guerre, les combats, l’animosité... tout ça, on ne le contrôle pas. C’est ainsi fait depuis la nuit des temps, aussi malheureux que ça soit.

Sans qu’il ne s’y attende, la minette lui renvois la question. Il écarquille doucement les yeux, restant un court moment interloqué. Il en pensait long sur tout cela. Mouette Rieuse avait parfois du mal à se trouver assez fort pour ce rôle. Il n’est pas sûr de le mériter, à vrai dire. Beaucoup d’autres guerriers, parfois plus expérimentés, auraient pu être lieutenants. Mais voilà, Souvenir des Étoiles l’avait choisi lui. C’était soudain, oui. Il ne s’y attendait pas, du moins pas si tôt. Évidemment il l’avait espéré de tout son cœur, depuis sa plus tendre enfance il ne faisait que répéter qu’il deviendrait chef un jour, le plus grand et valeureux chef du Clan de la Lune ! Cependant, la réalité est bien différente de ses songes d’enfant. S’il est toujours fermement accroché à son rêve, il comprend dorénavant mieux les enjeux que cela implique. Perdre des êtres chers, parfois... Comme Étoile de Nuit et Cendre des Rosées... Des gens qu’ils aimaient énormément ont disparus et ce malheureux événement lui a permis d’en arriver là où il est aujourd’hui. Il n’est pas vraiment certain d’être prêt à sacrifier d’autres personnes pour lui.

Il n’arrive pas à s’imaginer qu’un jour, peut-être, Souvenir des Étoiles mourra et qu’il devra prendre sa place. Il en rêve depuis si longtemps. Son unique objectif consiste en cela... devenir chef, prouver sa valeur au monde entier et protéger les siens, sa famille. Mouette Rieuse ne souhaite rien d’autre à part cela. Après un petit moment de silence où ses yeux se sont perdus dans la contemplation des arbres dénudés, il s’exclama simplement :



Sa queue s'agita, signe de bonne humeur, tandis qu’il rit doucement.


Il en était fier, de son ex mentor. Il l’admirait aussi. C’était un peu son père adoptif. Il lui a tout apprit. Il lui voue une confiance absolue et une loyauté infinie. Et même s’il ne le dira probablement jamais avec une telle sincérité, il l’aime beaucoup.



C’était la première fois qu’il en parlait aussi librement. Ça lui faisait du bien en quelque sorte de partager un bout de ses sentiments. Même s’il enfouie la plus grosse partie –c’est-à-dire sa culpabilité, son manque de confiance en lui et sa peur de l’échec- il arrivait au moins à se livrer un petit peu. Il n’avait jamais eu vraiment l’habitude de se confier et il faut avouer que ça le gêne toujours un peu, il ne voulait qu’on puisse croire qu’il se plaint alors qu’il a une opportunité en or et que surtout c’est réellement un honneur pour lui d’être lieutenant.



Encore une fois, Mouette Rieuse lui offre ce magnifique sourire angélique. Ce sourire unique qu’il est le seul à connaître le secret.

Tandis qu’ils continuaient de marcher à travers la forêt, toujours un amas de plantes dans la gueule, Mouette Rieuse jetait des regards en biais à la féline à ses côtés. Il n’avait pas eu beaucoup d’occasions de lui parler, mais elle était douce et gentille. Il voyait sans difficulté qu’elle était profondément bienveillante, Forêt de Bambou. Il se souvient qu’elle venait d’être nommée guerrière après que lui-même avait été nommé lieutenant, elle avait passé un long moment alitée chez la guérisseuse, ce qui pouvait sans aucun doute expliquer ses connaissances concernant les plantes. Ce n’est pas un savoir accordé à tous, mais pourtant cela restait très important à ses yeux, et il avait de toute façon toujours une soif infinie d’apprendre. A l’entente des paroles de la brune, il sentit ses oreilles chauffer et il détourna brusquement le regard, tentant de balbutier des remerciements maladroits. Voilà une chose qui n’avait guère changé, il avait toujours autant de mal à recevoir les compliments !

Le bicolore resta tout de même attentif aux paroles de la chasseresse, essayant de dissimuler son malaise du mieux possible en bombant son torse. Il fut soulagé de l’entendre prononcer des phrases plus légères, plus réconfortantes. C’était ce dont il avait besoin, qu’on lui rappelle qu’il avait encore le temps et que rien ne pressait. Qu’il fallait qu’il apprenne à façonner son propre chemin et que cela ne se ferait pas en une lune. Il s’imagina discuter avec Dent de Sabre, notamment parce qu’il était le plus âgé, peut-être aura-t-il des réponses à lui apporter ? Le rire de la tigrée fut contagieux, surtout lorsqu’elle évoqua Nuage de Fruit, il se souvenait de sa propre hyperactivité en étant jeune et il vivait cela avec Nuage du Soleil, dorénavant. Ce n’était pas de tout repos effectivement ! Mais, de la même façon que Forêt de Bambou croyait en lui, il croyait aussi en elle. Elle avait les capacités et la douceur nécessaires pour être un superbe mentor.

Mouette Rieuse la détailla lorsqu’elle afficha un léger sourire, laissant apparaître le bout de ses canines. Elle le mettait déjà à l’épreuve ! Il se redressa, comme s’il était revenu plusieurs lunes auparavant. Il réfléchit un instant, pas vraiment sûr de la réponse correcte. Il n’avait été qu’une fois chez la guérisseuse, pour un simple rhume lorsqu’il était chaton. Le reste du temps, il préférait guérir de ses petites blessures lui-même. Et au fond, il aimait bien les choses ainsi. Passer du temps chez la guérisseuse n’est jamais bon signe pour sa santé. Il savait que les graines de pavot aidaient à calmer les douleurs, mais il ne savait absolument pas comment elles étaient utilisées, ni même si elles avaient d’autres avantages. Alors il cligna plusieurs fois des yeux et pencha sa tête sur le côté, répondant en espérant ne pas se tromper :


C’est vrai qu’il avait consacré, comme tous les apprentis guerriers, tout son entraînement à la chasse et au combat. Après tout, c’était le rôle d’un guerrier, nourrir et protéger. Mais peut-être serait-il intéressant, à l’avenir, d’apprendre à Nuage du Soleil quelques bases médicinales. S’il se trouvait seul dans une position délicate, il faudrait qu’il puisse savoir s’en sortir ! Et puis, Mouette Rieuse se dit que lui aussi pouvait être amené à devoir soigner quelqu’un ou se soigner lui-même si un guérisseur n’est pas à proximité. Ils comptent tous beaucoup sur ce rôle, en oubliant souvent qu’il ne peut pas être toujours présent pour tout le monde à tout instant.

Il huma l’air un instant, essayant d’ancrer dans sa mémoire le parfum du pavot. Car après tout, son museau serait sans doute son meilleur allié dans cet apprentissage. Il profita du calme environnant. Cette paix était presque idyllique, il aimerait que les choses restent ainsi pour toujours. Mais le cycle des guerres finit toujours par revenir. Il espérait tout de même ne pas avoir besoin des conseils de la chasseresse... Du moins, pas si tôt. Pas pour des choses aussi malheureuses. Il lui offrit un nouveau regard, plongeant ses yeux bleus dans ceux plus verdoyants de la femelle. Peut-être avait-il besoin de se faire de véritables amis, comme avec Nuage de la Lionne et Panthère des Glaces auparavant. Essayer de garder ses relations, de les faire évoluer.

Forêt de Bambou semblait vraiment gentille, il était facile de discuter avec elle. Il pourrait essayer d’être son ami, non ? Il n’était pas très bon avec les relations sociales. Il a toujours été extraverti, il attirait l’attention sur lui sans vraiment en prendre conscience, mais il était surtout très pudique, un peu réservé sur les bords. Il n’osait pas parler de lui, de ses sentiments et il était gêné lorsqu’on lui faisait le moindre compliment, alors ça ne facilitait pas les conversations. Pourtant, il se sait capable d’avoir de belles relations, comme avec Souvenir des Étoiles bien que cela dépasse largement l’amitié simple. Il était un modèle, une figure symbolique en quelque sorte.

Alors qu’il continuait à s’habituer à l’odeur des fleurs dans sa gueule, un autre arôme dont il avait plus l’habitude vint à ses narines. Un rongeur, non loin d’eux. Il offrit à Bambou un large sourire et l’invita d’un mouvement de queue à s’en charger. Il pourrait essayer d’observer sa façon de faire. Mouette n’a jamais été très bon à la chasse, il était trop... bruyant. Et maladroit. Ses yeux pétillèrent à l’idée de voir une chasseresse à l’action. Il aimait vraiment en apprendre davantage, et à cet instant on dirait presque un chaton, ou un apprenti au choix.

Il bomba le poitrail, fier d’avoir visé juste, écoutant tout de même avec attention les explications de Forêt de Bambou. Être la sœur de la guérisseuse devait être particulier, se disait-il. Notamment au vu du passé troublé de la chasseuse qui s’était retrouvée contrainte à être alitée un long moment. Il se demanda si Hermine n’avait pas eu du mal à gérer cela, après tout soigner sa propre sœur devait être stressant... Ou peut-être pas. Peut-être que les guérisseurs étaient dotés d’un certain sang-froid ? Il n’y connaissait pas grand-chose, à vrai dire. Et il avait plutôt peur de poser des questions, il ne voulait pas paraître simplet ou déplacé. Mouette Rieuse laissa de la place à la guerrière, se tassant au sol pour que le rongeur ne puisse pas remarquer sa présence, et il observa la jolie minette se mettre en position. Ses yeux ambrés se fixèrent sur la féline qui, avec grâce et lenteur, s’abaissa contre le sol, ses pattes foulant la terre dans un silence religieux. Il détailla sa posture, ses muscles bandés et son visage concentré, en souriant doucement. Chacun de ses mouvements étaient calculés et exécutés avec précision, comme si tout cela était tout à fait naturel. Il en était bien incapable, lui !

Elle bondit sur sa proie, l’achevant rapidement pour ne pas la faire souffrir, et revint avec son butin coincé entre les crocs. Le lieutenant se releva et ria légèrement lorsqu’elle déposa l’animal entre ses pattes. Forêt de Bambou était surprenante, amicale et douée. C’était une guerrière dévouée à son Clan et à Souvenir des Étoiles, qui l’acceptait et avait confiance en lui. Et quelque part, cela réchauffait le cœur du bicolore de constater que quelqu’un croyait sincèrement en lui. Cela lui donnait la motivation nécessaire pour s’améliorer d’autant plus ! Il ronronna d’amusement en creusant un petit trou pour y loger le cadavre, prêt à être ramassé lorsqu’ils reviendront au campement... Mais quand allaient-ils revenir ? Il n’avait pas envie de retourner vaquer à ses occupations, il était bien ici, à discuter avec elle, sans forcément réfléchir à tout ce qui pouvait bien lui passer par la tête. Il la fixait toujours droit dans les yeux et afficha un large sourire, l’air un peu perdu, comme s’il ne contrôlait pas forcément ses paroles :



Il ironisait, tentant de détendre son propre cœur qui s’emballait. Il n’était même plus capable de tenir une conversation sans paniquer... En tout cas, il semblerait que son père ait fait un bon travail avec elle. Songe Cristallin était en effet l’ancien mentor de la femelle, mais aussi le père du lieutenant. Bien qu’ils n’aient jamais été très proches, il savait qu’il était un guerrier exemplaire et il avait su former une féline compétente. Il appréciait son sérieux, mais surtout le sourire qui illuminait de temps à autres son visage. C’était réconfortant d’avoir ce genre de personnes au sein de son Clan. Mouette Rieuse a toujours considérer les siens comme sa propre famille, un grand foyer qu’il se devait de protéger, d’aimer et de rendre heureux. Alors forcément, il ne pouvait être que satisfait de voir que la plupart semblait tous joyeux. Souvenir des Étoiles, plus sage que jamais, les nouveaux petits du Clan qui gesticulaient partout, loin d’être craintifs ou maladifs, les apprentis hyperactifs et les combattants prêts à tout pour ce Clan. C’était beau à voir et le noir et blanc voulait que cette harmonie puisse continuer à subsister, lune après lune. Il se détendait, petit à petit, et tandis qu’il léchait ses pattes, il leva les yeux vers la chasseresse :


Encore fallait-il qu’il réussisse à échapper lui-même à ce rongeur ! Il rit de bon cœur, mais reprit un air un peu plus sérieux. A vrai dire, cela devenait de plus en plus tendu dans la forêt, ce n’était peut-être pas une bonne idée que de vagabonder seul comme elle le faisait. Il lui offrit un joli rictus et s’exclama, un peu plus calme :

Il y avait quelque chose d’apaisant à simplement marcher ainsi au travers des terres qui l’ont vu naître. Mouette Rieuse aimait son poste et les siens, mais il prenait aussi le temps d’apprécier la solitude et le calme. Forêt de Bambou représentait bien cette quiétude. On ne pouvait qu’à peine distinguer le bruit de ses pas contre les feuilles froissées tomber au sol, de la même manière que son souffle semblait ne faire qu’un avec l’air. Il ne remarqua pas que son compliment lui fit baisser son regard et chauffer ses joues, car lui-même combattait ce sentiment en son for intérieur. Il ne se considérait pas comme étant timide, mais à cet instant il crût se rapprocher de ce trait de caractère. Son ton de voix s’était fait plus doux, son rire moins fort. Il ne voulait pas la déranger ou la gêner. Heureusement, le ronronnement qu’elle émit suffit à calmer les doutes du lieutenant qui se sentait alors plus léger. A son tour, il détourna le regard lorsqu’elle lui proposa de rattraper tout ce temps perdu, il sentait ses oreilles chauffer et il retenait un large sourire. Il bomba la poitrine, fier d’être un véritable sauveur, puis éclata de rire.

Une atmosphère tout à fait légère et douce s’était créée. Forêt de Bambou était une atmosphère à elle seule. Il avait la sensation que si un jour il avait besoin de tranquillité et de bons conseils il n’aurait qu’à se confier à elle. Ainsi, son envie de travailler dur pour préserver cette harmonie ne fit que s’amplifier. Il aimait l’odeur familière qu’elle dégageait, lui rappelant qu’elle était des siens, qu’ils rentreraient ensemble au campement. Il profita des faibles rayons qui les réchauffaient, avant de constater le changement sur le visage de sa camarade. Sceptique, il eut un moment de doute durant lequel il s’était persuadé qu’elle allait le rembarrer et qu’il avait sans doute trop vite parler. Qu’il l’avait blessé. Il était ainsi, Mouette Rieuse, il avait peur de perdre ce qui l’entourait. Et peut-être se projetait-il parfois un peu trop vite... Il l’écouta, la gueule entrouverte, prêt à s’excuser. Mais, en réalité, la remarque de la femelle fit sens. Il partageait ce sentiment, du moins partiellement. Le lieutenant savait que s’il le fallait il se battrait sans hésitation, avec rage même, mais il n’aimait pas non plus cela. Il préférait la paix. Mais il préférait ne pas jouer le rôle du naïf au sein d’une guerre.

Lui qui était spécialiste en combat se retrouvait face à une grande pacifiste. A vrai dire, lui aussi avait fait preuve de gentillesse et de sympathie envers d’autres chats extraclanique, mais pour autant il savait qu’il ne pardonnerait pas qu’on s’en prenne aux siens. Ce paradoxe le rendait probablement un peu méfiant envers les étrangers, mais il ne serait jamais le premier à lever la patte. Néanmoins, il était d’accord sur la conclusion, les combats ne réglaient jamais le fond des problèmes, cela avait été prouvé plus d’une fois auparavant. Et pourtant, encore aujourd’hui, les tensions ne cessaient de croître. Il continua de marcher, mais se rapprocha un peu d’elle pour caresser du bout de sa queue son pelage. Il lui offrit un joli rictus, comme à son habitude, et lui répondit :



Il prit une grande inspiration. Le Clan des Étoiles savait à quel point ses paroles étaient sincères. Jamais il ne pourrait se pardonner de ne pas avoir su protéger les siens. Il préféra s’expliquer, pour ne pas laisser un doute planer :



Donner corps et âme pour le Clan de la Lune, voilà ce que représentait sa loyauté. Il aida la chasseresse à grimper par-dessus un large tronc sur le sol, puis conclut :



Le temps des moqueries était loin, ce n’était plus de leurs âges. Comprendre et écouter, c’était ce qu’il apprenait à faire, jour après jour, saison après saison. Il espérait que le jour où la violence sera maîtresse, Forêt de Bambou saura le raisonner. De là où ils étaient, ils pouvaient apercevoir au lointain le campement qui devait sans aucun doute grouiller d'individus. Les leurs.

Le lieutenant aimait cette douceur qui se dégageait de la chasseresse. Elle semblait pleine de bonnes intentions et jamais il ne douterait de cela. Sa gentillesse était comme une évidence. Elle brillait par ça. Et son pacifisme, sa façon de voir le monde, était si candide et pur. Il ne pouvait qu’être sous le charme d’une telle âme. Il appréciait ce sourire qui ne quittait pas son visage, qui le rendait un peu gêné. Il détourna le regard, sentant son visage le brûler. Son souhait d’un monde meilleur, où nul n’aurait besoin de voir l’un des siens périr à cause d’une guerre, le touchait particulièrement. Dans un univers tel qu’elle le décrivait, Vaillance Éternelle serait encore vivant, auprès de ses chatons. Cette pensée le heurta. Il espérait devenir suffisamment bon pour voir les choses ainsi, lui aussi. Mais il savait qu’il pouvait compter sur Forêt de Bambou pour lui rappeler tout cela à l’avenir. Oui, Mouette Rieuse ne devait pas entrer dans ce cycle de la haine, il devait faire les choses différemment. Être plus intelligent que ça. Il devait donner toute son énergie pour faire de ce monde un monde meilleur dans lequel les futures générations pourront s’épanouirent sans crainte.

Les mots de la guerrière raisonnèrent en lui. Qui le protégeait lui ? Personne, se disait-il, parce que c’était ainsi. Il se devait de protéger les siens, et lui-même. Ce n’était pas leur rôle. Il fut pris de court par cette vague d’émotions qui le submergea. Les grands yeux pleins d’inquiétude de Bambou qui cherchaient les siens furent difficiles à affronter. Il ne pouvait pas se permettre de lui faire de la peine. Et cela lui réchauffa le cœur de savoir qu’il comptait pour elle, bien qu’ils ne se soient pas énormément connus. Il était apprécié... Et il sentait une réciprocité. Mouette Rieuse lui offrit un grand sourire, tandis qu’il plongea son regard dans le sien pour communiquer tous ses sentiments. Il voulait qu’elle sache à quel point il était sincère. A quel point chacun d’entre eux comptaient pour lui. Ils étaient une famille. Ce cocon lui était précieux et il voulait le préserver de la noirceur extérieure. Il voulait pouvoir voir le rictus de Forêt de Bambou pendant des lunes, il voulait qu’il ne s’éteigne jamais, car il lui faisait un bien fou.  


Il colla son pelage au sien comme pour mimer une accolade. Il aperçut le tunnel du campement. Il était temps de se séparer. Mais ce petit moment fut... très apaisant. Bien que son cœur fût en train de battre la chamade dans sa poitrine. Il pivota sa tête vers elle, soucieux de devoir s’éloigner. Mais on l’appelait déjà, pour une patrouille et pour recadrer un apprenti trop aventureux. Il jeta un coup d’oeil vers ses responsabilités, puis vers la brune. Mouette s’empressa et lui lécha l’oreille en s’exclamant :


Et lorsqu’il lui tourna le dos, il sentit son corps entier devenir un volcan. Bon sang ! Il lui avait lécher l’oreille ! Mais quelle idée... C’était trop affectueux, elle allait le prendre pour un fou ! Il trottina presque pour rejoindre d’autres guerriers, n’osant pas jeter un regard en arrière.

Quel idiot !