Catch me if you can [Mésange & Reflet]

Silence. Respirations. Mes yeux s’ouvrent dans un sursaut, aussitôt agressés par la lueur qui passe par les branches. Retard ! Je suis en retard. Cette conclusion m’atteint de plein fouet à la seconde même où je m’éveille, bondissant sur mes pattes sans faire plus attention aux grognements de mécontentement qui se font déjà entendre. Oui ben ça va, gros tas, vous avez qu’à vous réveillez aussi. Vous n’avez pas de mentor prêt à vous déchiqueter en petits morceaux qui vous attend au dehors vous, bande de chanceux.

Cela dit, ce n’est pas ça qui va m’empêcher de prendre le temps de bien lisser toute ma fourrure, de mon poitrail au bout de ma queue, sans oublier de me débarbouiller la figure. Quand je me souviens de l’état dans lequel je passais tout mon temps durant mon enfance… Mais maintenant, moi, Reflet des Nuages, je suis grande, et je fais attention à mon apparence ! En effet, je tiens à me démarquer du chaton à l’apparence et aux manières souvent misérables que j’ai pu être. Et après tout, il me semble que la maîtrise de l’apparence est la clé de la réussite dans pas mal de situations. Regardez par exemple, là, je vais faire semblant de sortir en trombe, totalement essoufflée, appuyant bien sur ma respiration pantelante pour que Plume de Mésange comprenne que j’ai fait absolument tout ce que j’ai pu, et qu’enfin, c’est pas de ma faute si je suis en retard ! Vraiment pas.

Disons que je me suis un peu laissée emportée, hier. Une fièvre étrange, alors que le jour baissait. J’étais avec quelques camarades au dehors, et avant que nous ne nous en rendions compte, la nuit avait filé derrière nous. Mais peu importe. Je ne suis pas de ceux qui chassent sans cesse le temps, qui le laisse filer entre leurs pattes, de ces guerriers grincheux qui râlent sans cesse que le matin vient trop tôt, que bon sang, il fait déjà nuit ! Moi le temps, il m’appartient, et je le malmène comme je le veux. La seule chose qui peut me rattraper, c’est le sommeil, me dis-je en tentant de bloquer un bâillement. Mais je saurai le tenir à distance pour la journée.

Je finis donc par sortir d’un pas décidé après avoir vérifié soigneusement que tous mes poils soient bien en place et brillants, et qu’aucun brin de mousse ne soit resté coincé nulle part dans mes pattes. Une fois avoir jeté un œil en dehors de la tanière des apprentis et avoir repéré ma mentor près de l’entrée du camp, je traverse le camp en trombe et dérape devant elle pour m’arrêter, la respiration pantelante, je pousse même le jeu jusqu’à toussoter un peu, faisant semblant de devoir reprendre ma respiration avant de parler.

« Huf…Huf…Pardon… Retard… J’ai pas fais exprès promis ! »

Je ne lui laisse pas le temps de répondre, je suis quand même pas folle. J’avais rendez-vous avec Plume de Mésange à l’aube, mais la lumière hivernale qui commence déjà à baigner le camp m’indique que cette heure est dépassée depuis déjà bien quelques longues minutes.

« Bon, maintenant que je suis là, qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ? Une petite matinée de chasse ? Je suis sûre que le clan en a bien besoin par ce temps ! On va patrouiller sinon ? Garder le clan de la Rivière à l’œil ? On ne sait jamais de quoi ils sont capables par ce temps !! Ou une évaluation ?? »

J’attends avec impatience ma toute première évaluation qui tarde à arriver. Il faut absolument que je montre à tout le monde de quoi je suis capable ! J’ai hâte de comparer mes performances avec celles de mes sœurs. Je tente encore de dissimuler un baillement avant de reprendre, cherchant à noyer ma chère mentor sous un flot de paroles pour ne pas avoir à subir ses remontrances.

« Bon, en tous cas, faudrait qu’on se bouge, on va geler sur place autrement hein ? »

Sans plus attendre, je me jette dans la sortie du camp. C’est vrai qu’il fait froid, des plaques de neige couvre la forêt et l’air gelé me pique. Je suis même obligée d’ébouriffer mon beau pelage que je viens de lisser pour m’aider à garder ma chaleur. Je jette un œil derrière moi, redoutant déjà l’instant inéluctable ou Plume de Mésange va me rattraper.

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catch me if you can !

lune 1208 - plume de mésange & reflet des nuages

Une branche cassa.
Il n'y avait rien derrière elle. Ni devant. Elle était seule, perdue dans une forêt dont elle connaissait les moindres recoins. Les moindres cachettes. Pourtant, l'épaisse chappe de brouillard camouflait tout ses repères. Cet arbre à l'écorce si particulière, proche du camp, avait disparu. Le bosquet dans lequel elle aimait débusquer de petits rongeurs s'était volatilisé. Et quand elle voulut revenir sur ses pas, elle fut incapable de suivre sa propre trace. Une ombre - ou bien était-ce une silhouette ? - titillait son regard, persistant à rester dans la périphérie de sa vue sans jamais complètement se dévoiler. Une autre branche cassa. Et elle releva violemment la tête.

Si Plume de Mésange émit un faible miaulement de douleur lorsque sa tête cogna contre la paroi rocheuse, aucun des guerriers autour d'elle ne lui en fit la remarque. Encore un peu dérangée par son rêve, elle allongea ses pattes hors de sa litière et balaya d'un regard frustré les corps endormis de ses camarades. Elle aussi aurait aimé continuer un peu plus longtemps sa nuit mais ce songe, qu'elle ne faisait pas pour la première fois, lui laissait toujours une impression... étrange, presque désagréable. Elle avait installé son coin vers le fond de la tanière, là où la pierre n'était pas très haute ; la température y était plus stable qu'à l'entrée mais le plafond y était plus bas. Ce réveil n'était pas le premier dans ce genre et elle pesta encore une fois contre cette décision - la sienne, au passage. Tout en évitant les couches réparties sans logique apparente sur le sol de la tanière, Mésange se faufila vers l'ouverture qui donnait sur le camp. La fraîcheur matinale fut la première à l'accueillir, suivit par le piquant de ce qui se révéla être une nuit dégagée. De la buée s'éleva de sa gueule, transformant sa respiration en de petits nuages éphémères. Du regard, elle devina néanmoins qu'elle n'était pas la première réveillée. La première patrouille était en train de se préparer tandis que dans le lointain, par-delà la clairière et la cime des arbres, se devinait les toutes premières lueurs du jour. Un bâillement sonore lui échappa et elle s'ébroua, essayant de chasser le souvenir déplaisant de son rêve. Peut-être devrais-je en parler à Ombre des Chouettes...

Aujourd'hui était une journée comme une autre. La guerrière rayée avait donné rendez-vous à son apprentie à l'aube. Un peu plus tôt qu'à l'accoutumée. Et rien que d'imaginer les jérémiades de Reflet des Nuages sur l'heure indue qu'elle avait fixée, Mésange sentit une pointe d'irritation. Cela faisait désormais quatre lunes qu'elle s'occupait de l'apprentissage de la jeune chatte et pour l'instant, il lui était compliqué de dire si elle appréciait le temps passé avec elle. Elle a la frivolité d'un chaton, papillonne comme si tout lui était dû... et n'a aucune idée de ce que lui réserve l'avenir. D'abord fière d'être nommée mentor pour la seconde fois, Plume de Mésange avait rapidement déchantée en voyant l'énergumène qu'elle s'était récupérée. Reflet des Nuages était une apprentie bourrée d'énergie, une pipelette digne d'un moineau mais avec de gros problèmes d'attention. Et elle craignait de ne pas réussir à assez dégrossir ses capacités ; sans parler de lui inculquer quelques notions autre que l'amour-propre. Elle ne voulait pas baisser les pattes - ce n'était clairement pas son genre - mais les récents évènements tiraient déjà sur la corde raide.

L'aube était déjà bien avancée lorsque Plume de Mésange vit son apprentie débouler de la tanière des apprentis, le pelage étonnamment peigné pour un chat venant de se réveiller. Cela faisait maintenant un moment qu'elle attendait que cette dernière daigne montrer le bout de son museau. S'il avait fallu que je vienne la chercher... La guerrière repoussa une vague d'agacement.  Cette dernière, surexcitée, l'abreuva de paroles, oubliant certainement un instant qu'elle était censée s'être levée tout récemment. Cette réflexion fit discrètement soulever les moustaches de Mésange. Le jour où elle se taira, les oiseaux auront des dents. Ce n'est que lorsque la jeune tigrée s'élança vers l'entrée du camp qu'elle se décida de stopper enfin son enthousiasme mal placé. Ses pas rejoignirent rapidement ceux de sa jeune apprentie, qu'elle dépassa sans trop de difficulté avant qu'elle ne s'éloigne trop du camp. Se mettant devant elle au dernier, elle força cette dernière à s'arrêter. « Ceci demoiselle, » elle appuya ses mots d'un regard acéré, sa queue battant à ses côtés, « était une piètre comédie. » Sa langue claqua dans sa bouche, signe de son mécontentement. Elle attendit quelques secondes, et alors qu'elle allait reprendre, une idée lui traversa la tête. « La prochaine fois, si tu as le temps de faire ta toilette avant de me rejoindre, peut-être auras-tu aussi le temps d'attendre avant de croquer ta première souris hm ? » Et Plume de Mésange fit demi-tour, droit vers le camp. Elles ne s'étaient éloignées que d'une vingtaine de mètres, alors regagner l'entrée ne leur prendrait pas longtemps. Tout en marchant, Mésange reprit : « Plutôt que d'aller aux abords de la frontière le ventre vide, il vaut mieux pour toi manger un morceau. Les gargouillis de ton estomac ne nous seront d'aucune aide en cas de rencontre. » Par habitude, ses pattes se posèrent dans ses traces de pas. La neige crissait doucement sous ses coussinets. « Mais avant tout ça, j'ai une question pour toi. Je veux que tu me dises pourquoi, d'après toi, chaque membre du clan est important. Des chatons aux anciens. » Un petit sourire naquit sur ses lèvres quand un vieux souvenir fit surface. « Même si, je te l'accorde, certains anciens feraient mieux de chercher des tics dans leur propre pelage. » Repensant aux paroles de Reflet des Nuages, elle se demanda un instant si cet exercice pourrait servir en quelque sorte d'évaluation. Mésange avait besoin de savoir comment la jeune chatte tigrée se positionnait par rapport à l'ensemble du clan, comment elle voyait sa place. « Une fois que tu m'auras répondu, va prendre une proie sur le tas de gibier et on pourra enfin y aller. » Finalement de retour, elle s'assit, enroula sa queue autour de ses pattes et posa son regard vert pâle sur son apprentie, dans l'attente de sa réponse. Voulant malgré tout la motiver - si la promesse de nourriture n'était pas assez - elle ajouta sur un ton provocant : « Et nous pourrons voir laquelle de nous deux est la plus rapide, même si je n'ai que peu de doutes sur la question. »

hrp:

Je filais à bonne allure, avec aux lèvres le sourire de l'innocent. Mais je dois avouer qu'intérieurement, je n'en menais pas large, surtout en attendant ce rythme derrière moi. Tap, tap, tap tap, tap. Les pas de Plume de Mésange qui me talonne, se rapproche de plus en plus... elle est sur moi, et me dépasse, et c'est avec un grand boum que ma pauvre petite tête atteint son poitrail de plein fouet. Je relève des yeux ébahis devant elle, l'air de celle qui ne comprend rien à ce qui vient de se passer. Je me prépare déjà à reprendre mon petit numéro "ben alors, Plume de Mésange, tu es mal réveillée ? Tu ne m'as pas vue ou quoi ?" mais je n'en ai même pas le temps ! C'est une véritable agression ma parole.

Une piètre comédie ? Mince alors, moi qui me pensait bonne actrice... Ma queue bat l'air et je lève un regard mécontent vers la guerrière brune qui me toise de toute sa hauteur. Même si d'accord, elle a peut-être ses raisons de ne pas être la plus heureuse du monde ce matin, elle pourrait au moins apprécier un peu tous mes efforts pour tenter de l'apaiser. Mais bon, j'attends que la tempête passe, soupirant discrètement en m'asseyant. J'ai souvent tendance à me montrer peut-être, j'avoue, ouvertement provocante, mais quand Mésange est déjà remontée comme ça...  Ce n'est pas que j'ai peur hein ! Mais elle n'est pas très rassurante. Avec un peu de chance, ça va bientôt être fini et on va pouvoir commencer le programme de la journée... Hein, quoi ? Comment ça faire demi-tour ? Je bondis sur mes pattes, offusquée alors que ma mentor a déjà fait volte-face.

« Mais ! L'entraînement ! Il faut chasser tôt le matin pour remplir la réserve de nourriture ! On va se faire piquer tous les bons coins ! Eh ! Mésaaange ! »

Rien n'y fait, elle marche d'un pas décidé vers le camp. N'y croyant toujours pas, je me décide finalement à la rejoindre d'un pas scandalisé après avoir regardé avec regret vers la liberté qui aurait dû m'être présentée ce matin. Franchement, je pense que l'un des soucis de Mésange est qu'elle manque singulièrement d'humour. J'aimerai le lui faire remarquer, mais elle a déjà repris la parole.

« Je peux contrôler ma faim pendant une matinée ! Promis, mon ventre sera hy-peer silencieux ! »

Mais je comprends que l'affaire est déjà pliée lorsque Plume de Mésange reprend avec une question sortie de nul part. Qu'est ce que c'est que ça ? Elle veut juste me punir en fait hein ? Pfff, franchement, c'est nul. J'hésite un instant à bouder, me murant dans une courte minute de silence obstiné. Mais après ce laps de temps, alors que la guerrière s'installe au centre du camp, je suis bien obligée de faire une tentative de réponse après un dernier regard peu amène. Elle est évidente sa question d'abord, je n'ai même pas besoin de chercher longtemps pour y répondre. Je me lance avec toute la confiance du monde, certaine que je vais pouvoir filer aller chercher une proie bien vite, même si ma fierté me souffle que je ne devrai pas manger juste pour prouver à Plume de Mésange que je peux passer la matinée sans.

« Bien sûr, le chef est important pour diriger le clan ! Et le lieutenant le seconde et donne la garantie d'un nouveau chef en cas de mort du premier. Le guérisseur fait le lien avec le clan des étoiles et soigne tout le monde. Les guerriers chassent et montrent de quel bois on se chauffe aux autres clans quand ils franchissent les frontières ! Et les apprentis sont le futur du clan. »

Je termine d'un air victorieux et tout fier, satisfaite de faire partie de ce "futur du clan" avant de me rendre compte que je n'ai pas totalement fini.

« Les chatons euuuuh... sont le futur du clan aussi ? Mais un futur plus lointain ? Et les anciens... Eh bien, tu l'as dit toi même, ils ne servent pas à grand chose et ne font que nous embêter avec leurs litières sales et leurs tiques ! Ils feraient mieux de les chercher dans leur propre pelage. »

Je reprends ses mots, elle ne peut pas m'en vouloir comme ça si je dis quelque chose de pas bien hein ?

« Bon alors, c'est bon ? On peut y aller maintenant ? Enfin- Je peux aller manger ? Et après on y va ? »

Je peine à tenir en place, me trémoussant pour résister à l'envie de courir vers le tas de gibier qui me démange les pattes.

Des regards interrogatifs leur furent lancés alors que Reflet des Nuages la rattrapait. Un air boudeur était apparu sur son visage, qui n'était pas sans lui rappeler d'autres situations où Plume de Mésange s'était vue donner la même expression. Ce n'était pas la première fois et ça ne serait certainement pas la dernière ! Chaque nouvelle session d'entraînement amenait son lot de caprices, de plaintes, de réflexions personnelles sur comment elle devrait lui enseigner... Son apprentie n'avait aucune limite, n'avait aucune conscience de savoir quand s'arrêter et il était aisé de deviner que ça finirait par lui porter préjudice plus tard ; bien que ce soit son rôle d'éviter cela. Mais au vu de leurs deux caractères, elle doutait d'y arriver. Et fondamentalement, de le vouloir.

Cette petite est un défi sur pattes. Malgré les jérémiades qui avaient accompagnées sa question, Reflet des Nuages daigna lui répondre après une bonne minute d'un silence renfrogné. Et pour une fois, ses paroles furent justes et d'une certaine façon, équilibrées. Son petit commentaire sur les anciens l'a fit doucement sourire. Même si sa réponse pouvait paraître simpliste au premier abord, Mésange en fut satisfaite. Elle avait comprit dans les grandes lignes et c'était ce qui comptait le plus. L'absence de remarque fut également notée, ce qui conforta la guerrière dans sa lancée. L'apprentie avait besoin de quelqu'un pouvant tenir tête à son insatiable... dynamisme. La question était plutôt de savoir qui craquerait en premier.

« Ta réponse était courte mais correcte. Tu apprendras avec le temps que toute cette organisation ne se résume pas qu'à de simples rôles et que toutes les petites interactions que nous avons les uns avec les autres sont aussi primordiales. Mais ça, c'est à toi d'en faire l'expérience. »

Voyant Reflet piétiner sur place, elle lui indiqua d'un mouvement de tête qu'elle pouvait aller chercher de quoi se remplir le ventre. Elle doutait sincèrement qu'elle ait retenu le moindre mot, vu comment son attention s'était uniquement concentrée sur son accord pour aller manger. Au moins, cette fois-ci, elle a attendu. Tout en gardant un œil sur Reflet des Nuages, elle jeta un regard circulaire. De nouvelles têtes s'étaient levées, certaines lui adressant un clin d'œil goguenard, d'autres se demandant certainement ce qui se passait. Sans aucun commentaire, elle se contenta d'attendre le retour de son apprentie ; ce qui ne tarda pas. Malgré les grands airs qu'elle se donnait, elle n'en restait pas moins excitée.

« Bon. Ce matin, pas d'entraînement au combat ou à la chasse. Et avant que tu protestes, » son ton se durcit un instant, coupant l'herbe sous la patte à toute plainte qu'elle aurait pu entendre, « je veux que ce soit toi qui mène cette sortie aux frontières, Reflet des Nuages. » Jusque-là, elles avaient toujours patrouillé ensemble ou en compagnie d'autres paires apprentis-mentors. Plume de Mésange avait une assez bonne connaissance de leurs terres pour aiguiller Reflet si besoin. « Tu connais le déroulé d'une patrouille. Comme nous ne sommes que deux, je veux que tu sois particulièrement attentive et que tu veilles à rester sur tes gardes. » D'un mouvement vif, la guerrière rayée se leva et donna une petite impulsion à Reflet pour qu'elle fasse de même. « Je te laisse décider par où on commencera. » Tout en s'engouffrant dans l'entrée du camp, elle se décala légèrement vers la droite, laissant la place pour que l'apprentie puisse la dépasser et mener leur petite expédition.

J’avoue que je n’entendis pas vraiment la totalité de la réponse de ma mentor, je compris surtout que ma réponse l’avait assez satisfaite et qu’on allait pouvoir y aller ! Dès que je reçu un signe clair que je pouvais bouger, je dérapais en direction du tas de gibier. Celui-ci était bien bas, peu étonnant pour un début de matinée hivernale. Mais peut-être qu’avec Plume de Mésange, on allait pouvoir remédier à cela ! Je suis si en forme que je suis sûre que je pourrai le remplir à moitié à moi toute seule. En attendant, je choisis une maigre souris et me hâte de l’avaler en quelques bouchées, savourant la chair filandreuse sous mes crocs. Je crois que le froid ne me dérangera jamais, tant que j’ai de quoi avoir le ventre plein et un doux tapis de mousse pour passer mes nuits. Rassasiée, j’ai l’impression de ne presque pas sentir l’air glacé qui me picotait la peau un instant auparavant. Après avoir soigneusement nettoyé mes moustaches, je peux enfin rejoindre ma mentor en quelques bonds. La journée va enfin pouvoir commencer !

Co-comment ça pas de chasse ou de combat ? Je ne pus même pas ouvrir la bouche pour tenter de négocier le programme de la journée que les paroles de Plume de Mésange m’en empêchèrent. Protester ? Moi ? Je voulais juste qu’on puisse en parler roooh. Vraiment pas sympathique la Mésange. Dépitée, je ne pus faire autre chose que de lui lancer un mauvais regard de côté, avant d’entendre la suite. Moi, mener une patrouille ? Ah ben ça, pas besoin de me le demander deux fois ! Je saute sur mes quatre pattes et bombe le poitrail, toute prête à montrer à Mésange que je saurais parfaitement assumer cette responsabilité.

« Ne t’inquiète pas ! Je vais être la meilleure meneuse de patrouille que tu aies jamais vue ! »

Nous voilà bientôt dehors après que Mésange ait donné le signal de départ, mais je la dépasse rapidement. Si c’est moi qui mène, je mène du début à la fin ! Premièrement, je me dirigeais vers la rivière (elle porte un nom mais je ne me souviens pas duquel, enfin ça ne me semble pas d’une réelle importance de toutes manières), ce qui compte c’est que c’est notre frontière avec le clan de la Rivière ! Et également la frontière la plus proche du camp, et moi, je suis sûre que ces faces de poissons auront vite fait d’en profiter s’ils le savaient. Je sautille entre les plaques de neiges et les branches dénudées qui sont tombées au sol pour tenter de mener Plume de Mésange du mieux que je le peux. Bien que je prends de plus en plus en muscle, ma mentor est toujours plus haute sur pattes que moi, et il est hors de question que je n’aille pas assez vite à son goût.

Enfin, les arbres se font plus éparses et laissent place à des buissons devant nous. L’eau est toute proche, je le sais. Mais pourquoi est-ce qu’on ne l’entend pas ? Curieuse devant cette anomalie auditive, je me précipite sans attendre Plume de Mésange et saute par-dessus la bande de buisson. Je lui dirai tout de ma découverte après !

« Oh ! »

L’exclamation s’est échappée. La rivière est toute gelée ! Mais ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai resauté aussitôt dans le buisson le plus proche, me vautrant dans des épines de ronces. Ouille ouille ouille. Et je ne peux même pas exprimer ma douleur ! Car il faut que je sois discrète ! J’appelle Mésange dans un murmure, en faisant le moins de bruit possible.

« Mésange ! Méééésange ! Qu’est ce qu’on fait ? Ces traîtres ! Ils sont sur la frontière ! Il n’y a pas le droit hein ? C’est une invasion ?? On peut l’attaquer par surprise ?? Deux contre un on peut l’avoir et le ramener au camp non ?? »

Je l’observe cet intrus, tranquillement installé au milieu de la bande de glace, à fixer quelque chose sous ses pattes. Avec toute la glace, il peut tranquillement traverser et venir sur nos terres ! Il faut qu’on l’arrête ! Je me force à attendre les instruction de Plume de Mésange, mais mes griffes sorties et ma queue qui fouette l’air derrière moi trahissent mon excitation. J'ignore ce que fait Plume de Mésange derrière moi, est-ce qu'elle observe l'intrus ? Echafaude une stratégie ? On a pas le temps, il faut le bloquer avant qu'il ne se rende compte de notre présence ! Alors je me décide, de toutes façons c'est mon moment ! Et je bondis en feulant en dehors du buisson vers le chat de la rivière. Foi de Reflet des Nuages, ce bafouement de la frontière ne restera pas impuni !

Spoiler:

Plume de Mésange reconnut tout de suite la direction que prit son apprentie, qui les amenaient tout droit vers la rivière Delta. Et la frontière avec le clan de la Rivière. Décidément cette petite sait mettre les pattes dans le plat. Sans faire aucune remarque - que Reflet n'aurait même pas écouté par ailleurs - elle suivit son apprentie à travers la forêt. L'épaisse couche de neige qui recouvrait le sol s'était solidifiée avec la froideur de la nuit, donnant lieu à des plaques et quelques congères. Reflet des Nuages slalomait devant elle, traçant un chemin sinueux parmi les arbres et les branches mortes tombées avec le poids de la neige. En étant derrière elle, Mésange eut tout le loisir d'observer comment se comportait la jeune chatte tigrée. Déjà, elle n'était pas partie bille en tête, prenant le temps de jeter quelques coups d'œil derrière elle pour voir si la guerrière la suivait. Même si Mésange doutait que tous ses regards soient pour vérifier qu'elle soit toujours là, elle lui mit un bon point imaginaire. Son allure est également convenable, nota-t-elle. Bientôt, les arbres s'espacèrent de plus en plus, laissant la place au paysage dégagé des abords de la rivière et le silence qui les accueilli lui confirma que le cours d'eau était encore gelé. La guerrière allait prévenir Reflet de ne pas s'aventurer sur la glace quand cette dernière se redressa soudainement, une exclamation à la gueule. Mésange leva également son museau, curieuse, et sentit des effluves de poisson et—. Le clan de la Rivière.

Tandis que Reflet se réfugiait dans un roncier - elle ne put s'empêcher de questionner ce choix - la guerrière plissa des yeux, essayant de voir ce que faisait le chat adverse. Un peu plus en retrait que son apprentie, elle était encore partiellement sous le couvert de la forêt et put observer quelques secondes. Difficile de dire s'il les avait déjà remarquées. Le vent hivernal ne s'était pas encore levé aujourd'hui et la brise était faible, laissant les odeurs stagner sur place. Mais avec le raffut que venait de faire son apprentie, elle doutait sérieusement qu'il ne les ait pas entendues. Mésange entendit vaguement Reflet lui murmurer précipitamment quelques phrases mais elle n'y fit pas attention, gardant son regard sur la rivière. Elle allait justement s'avancer vers Reflet pour lui dire qu'elle pouvait sortir de sa cachette - le guerrier était probablement en train de pêcher, tout immobile qu'il était - quand elle vit son apprentie s'impatienter soudainement. Sa queue fouetta l'air plusieurs fois et elle comprit son erreur, trop tard malheureusement pour stopper la jeune chatte.

La première sensation qui la saisit à la gorge ne fut pas celle à laquelle elle s'attendait tandis qu'elle contemplait la scène d'un œil atterré. Ce n'était pas la consternation, ni même la colère. Ce fut la peur. Une peur si vive, si soudaine et puissante qu'elle lui scia les pattes quelques secondes, lui coupa la parole. Puis—. « Refl—! » Son cri raisonna étrangement fort à ses oreilles. Ses pattes se mirent à décoller du sol avec frénésie et la colère, brûlante, balaya le reste comme le vent le ferait d'un fétu de paille. Je vais la—.

Plume de Mésange se mit à courir après son apprentie, enfonçant ses griffes dans la rivière gelée pour obtenir une meilleure prise - et une meilleure vitesse. Lorsqu'elle rattrapa la chatte tigrée, elles n'étaient plus qu'à quelques mètres du guerrier et Mésange sentit son pouls s'accélérer. Pourvu qu'il ne croit pas à une attaque fut sa première pensée. Sa seconde fut plus pragmatique, plus logique aussi : que va-t-il penser de deux chats du Tonnerre qui foncent sur lui à toute allure ? Rapidement, Mésange donna un coup d'épaule à Reflet, pas assez fort pour l'envoyer bouler mais suffisamment pour faire dévier sa trajectoire. Enfin, elle la força à s'arrêter en se mettant devant elle. Elle encaissa le choc sans rien dire, sa fourrure se hérissant au fur et à mesure que son exaspération et son énervement montaient. « Reflet des Nuages ! » Elle retint un feulement, serrant les dents. « Par les étoiles, qu'est-ce qu'il t'as pris ?! » Sa phrase se termina par un sifflement de colère. Un bruit mouillé lui parvint derrière elle et elle se retourna d'un seul coup, grondant à moitié. Mais le guerrier de la Rivière, un chat au pelage beige, se contentait de les regarder les yeux ronds. D'un claquement de langue, Mésange s'adressa à lui : « Désolée pour cette interruption malvenue. Nous ne voulions pas déranger ta pêche. Mon apprentie s'est juste, » sa tête tourna vers Reflet des Nuages avec dans son regard la promesse qu'elle allait l'entendre parler, « sentie pousser des ailes ? C'est la première fois qu'elle voit la rivière gelée. Mais apparemment son cerveau l'était aussi. » Sa queue fouettait l'air comme s'il s'agissait d'un ennemi imaginaire. Se retenir de lui crier dessus d'avéra plus compliqué que prévu ; il était évident que Reflet n'avait pas réfléchi un seul instant à ce qu'elle avait failli faire - ou alors pas assez. Son expression se durcit brusquement. « C'est avec des réactions irréfléchies comme la tienne que l'on déclenche une guerre. Et n'essaies même pas de me sortir l'exemple de la grande guerre » sa voix se fit un moment plus basse, « je sais ce qui s'est passé. J'y étais. » Essayant un maximum de se calmer, Plume de Mésange détourna son regard de la jeune chatte, se concentrant à nouveau sur le guerrier. « Est-ce que tu voudrais bien rassurer mon apprentie bornée et nous dire ce que tu faisais ? » Ce faisant, elle pointa du bout du museau le trou dans la glace et maintenant qu'elle s'en apercevait, le petit poisson qui frétillait encore aux pattes du matou.

hrp:

Le jeune guerrier avait revêtu son pelage épais d’hiver, ses poils longs et hirsutes lui donnant une carrure bien plus imposante que celle qu’il possédait réellement. Mais il n’en était pas mécontent : Alors que certains des guerriers du clan avaient manifestement du mal à réprimer leurs tremblements durant la mauvaise saison et semblaient préférer l’ombre des tanières au froid de l’extérieur, lui pouvait rester au dehors pendant des heures et vaquer à ses occupations variées sans rien changer à ses habitudes.

Ainsi, comme à l’accoutumée, Royaume Illusoire était sorti faire un petit tour matinal. Pas pour aller patrouiller ou chasser, non simplement pour apprécier les paysages, les crissements de la neige sous ses pattes, le froid qui picote les yeux, la blancheur du ciel dans lequel se confondaient les paysages neigeux les plus lointains. Le guerrier crème sifflote en trottinant, s’arrêtant ici et là pour déterrer un galet, écouter un oiseau solitaire qui résiste à la mauvaise saison en chantant. C’est par hasard qu’il s’est aventuré si proche des terres du tonnerre, par hasard encore qu’il a aperçu le trou au milieu de la rivière gelée. Un pan de glace semble s’être détaché, laissant un espace sur lequel une très fine couche de gel a recommencé à se former. Le chat s’avance prudemment, s’arrêtant pour écouter la glace après quelques pas. Il n’est pas recommandé de s’aventurer sur l’eau glacée au début de la saison ainsi, surtout pas alors qu’elle semble déjà manifestement fragilisée. Mais il pense aux reines de la pouponnière qui regardent avec inquiétude les guerriers revenir avec moins de proies et de poissons chaque jour, et il avance. C’est une aubaine d’avoir la chance de pouvoir pêcher en plein milieu de l’eau, là où les poissons ne s’attendent pas à le voir venir. Alors il s’assoit paisiblement au-dessus du trou, veillant à ne pas laisser son ombre le trahir, et attend, la patte prête à fendre la surface au premier éclat frétillant.

C’est pour ça qu’il n’a pas réagi au premier bruit qu’il a perçu à quelques longueurs de queues de là, tout occupé à tenter d’attraper le premier poisson qu’il avait vu. Prendre le temps de tourner la tête lui aurait fait perdre son opportunité, alors il ne l’a pas fait, et il a un beau poisson frétillant entre les pattes lorsqu’il peut finalement regarder ce qui vient – en l’occurrence une apprentie au pelage ébouriffé, toutes griffes sorties, qui arrive vers lui à toute allure avec un cri de guerre. Si son premier réflexe est à son tour de sortir les griffes et de se grossir, eu feulement lui échappant, oreilles plaquées contre le crâne, un peu dépassé par la situation, sa deuxième pensée est qu’elle risque de finir sous la glace. Sa troisième pensée est que la guerrière qui arrive derrière l’apprentie encore plus vite et dévie sa trajectoire ne risque pas d’arranger les choses.

Reflet des Nuages

La distance qui me séparait du chat que semblait si courte avant que je m’élance, mais à présent que je suis lancée, toutes griffes sorties, muscles bandés et cri de guerre à la gueule, elle me semble très longue, presque comme si le temps défilait au ralenti. Et malgré cela, j’ai à peine le temps de ressentir une pointe de satisfaction devant le bond de surprise de l’ennemi, qu’une silhouette me dépasse et m’envoie sur le côté en déviant ma trajectoire ?? Quoi ? Ils ont des renforts ? Je me retourne en feulant, prête à faire payer cet affront, mais me retrouve seulement devant une Plume de Mésange a l’air scandalisé. Mince alors. Je ne comprends pas tout de suite à quoi elle joue j’avoue. Est-ce qu’elle s’est trompée de cible ? Je réponds à son regard furieux par un air désemparé et coléreux. On n’a plus aucune chance maintenant qu’elle m’a ainsi coupé l’herbe sous la patte ! Elle m’a volé mon instant d’honneur.

« Eh ! A quoi est-ce que tu j- »

Mon nom retentit dans un feulement, si emplis de colère que des oiseaux s’envolent de la cime des arbres les plus proches. Je ne peux m’empêcher de sursauter, mes muscles se rigidifiant instinctivement devant une telle hostilité, tout mon corps se raidissant, mes oreilles retombant un instant sur mon crâne. J’aurais presque peur de ma mentor si je n’étais pas moi-même empli de colère devant ses actions. Et puis, me faire crier dessus et régir comme un chaton mouillé devant l’ennemi ? Pas question ! Alors je fais de mon mieux pour soutenir son regard et la toiser en retour avec hargne alors qu’elle continue de m’invectiver. Qu’est-ce qu’il m’a pris ? Je m’apprête à le lui dire ce qui m’a pris, il m’a pris de défendre mon clan et son territoire devant une menace évidente ! J’ouvre la bouche. La referme. Mésange s’est déjà détournée de moi alors qu’un drôle de bruit a retentit derrière nous. Un gloussement. A quoi il joue le gros balourd de la rivière ? ça le fait rire ? Ma queue bat l’air d’un mouvement rageant. Ma mentor s’adresse un instant à lui, s’excusant, ce qui m’énerve plus que tout. De quoi s’excuse-t-elle ? Mais je suis obligée de me faire petite lorsque ses yeux durs se reposent sur moi.

Je trouve tout cela injuste. J’ai seulement voulu protéger le clan, prévenir d’un envahissement du territoire qui semble plus que potentiel à cette époque. Tout le monde sait que le clan de la rivière est mis en difficulté par le froid, et ça ne serait pas la première fois que leurs guerriers font fi des frontières. Mais voilà que ça me retombe dessus, et Mésange me parle de la grande guerre. Je n’ai pas pu y combattre, mais j’ai vu à quel point cela était dur, je n’ai jamais voulu provoquer une telle chose ! Je voulais seulement me rendre utile… Faire mon travail bien. Je renifle, sentant les larmes monter du fond de mon être. Mais hors de question de pleurer ici. Alors je fais la dure, gueule retroussée, traits froncés, muscles tendus.

« Allons allons, ces choses peuvent arriver. Comme vous pouvez le voir, j’étais simplement en train de profiter d’une conséquence d’un dégel de ces dernières nuits pour pêcher au plus près de la source. Je ne comptais pas traverser la frontière, n’ayez pas d’inquiétude. J’espère tout de même que vous ne m’en voudrez pas d’avoir posé les pattes sur la rivière, le tonnerre n’ayant d’habitude que faire des poissons, je pense qu’il est légitime pour nous de tenter d’y faire des pêches lorsque cela est possible. Il faut bien se serrer les coudes entre clans par cette météo non ? »

Qu’est ce qu’il raconte celui-là. Je suis sûre que moi aussi je pourrai pêcher des poissons ! Qu’est ce qu’ils diraient au clan de la rivière s’ils nous voyaient tranquillement planté au milieu de la frontière ? A coup sûr on serait accusés de les envahir ! Moi je dis qu’on ne sait pas ce qu’il faisait ce chat ! Mais j’ai compris que ma mentor n’est pas prête à l’entendre, et je ne suis moi-même pas prête à tenter de le réexpliquer.
Le matou reprend cette fois-ci en se tournant vers moi, et j’en profite pour le fusiller du regard avant même d’écouter ses paroles.

« Ta mentor a raison sur bien des points jeune apprentie, mais plus que tout, il était bien imprudent de t’aventurer ainsi à toute allure sur une rivière gelée. La glace n’est guère très épaisse à cette période de l’année, et même les meilleurs des nageurs pourraient être pris par surprise et être entraînés sous l’eau s’ils venaient à tomber. »

Je réalise ce qu’il dit avec un temps de retard, tout occupée que je suis à lui faire comprendre que quoi qui pourrait sortir de sa bouche, je ne serai pas d’accord parce que de toutes façons je ne lui fait pas confiance. Mais un frisson me saisit à la nuque en m’imaginant glisser sous la glace et mourir, emprisonnée au fond de la rivière… Il dit ça pour nous faire peur hein ? Indécise, je tourne un regard de détresse vers Plume de Mésange, me retenant de galoper vers la rive.

« C’est…c’est pas vrai ! On est pas assez lourds quand même… »

Le chat semble ignorer ma remarque, se retournant déjà vers ma mentor.

« Je serai bien resté pour échanger plus de nouvelles avec vous, mais à en juger par tous les craquellements qui se font entendre autour de nous, je pense qu’il serait plus sage que nous rejoignons chacun notre côté de la rive. A bientôt donc peut-être qui sait ? »

Il ramasse son poisson et s’éloigne après une courte salutation de la tête, tout sourire. Ça me donne envie de lui tirer les moustaches, mais j’ai du mal à même oser bouger une seule patte… Alors je me contente de suivre Plume de Mésange en trottinant de la manière la plus légère que je puisse.

« Q-quand même, il se moquait bien de nous tu ne crois pas ? Comment tu peux être sûre qu’il disait la vérité ? »

J’ai du mal à avoir assez de confiance pour recommencer moi-même la discussion. Ma gorge semble encore bloquée des larmes que j’ai ravalé plus tôt, mais la colère aussi revient doucement !

Son cœur battait encore la chamade tandis qu'elle attendait tant bien que mal la réponse du guerrier étranger. Il lui semblait maintenant évident qu'il n'allait pas se jeter sur son apprentie - qui était à quelques pas d'elle, le regard brillant de larmes contenues et pourtant emplis de colère. Elle n'avait pas vraiment fait attention à sa réaction quand elle s'était jetée à la poursuite de Reflet des Nuages, trop occupée à la rattraper, mais il était clair que le chat pêcheur avait rapidement compris la... situation ? et n'en avait pas pris ombrage. Loin de là même, puisque un gloussement brisa le silence tendu ; provenant du guerrier de la Rivière. Du moins, c'est ce dont Plume de Mésange essayait de se convaincre. C'était toujours mieux que l'autre alternative... Le timbre de voix du chat était accommodant, amusé même, et sur le moment la guerrière rayée eut du mal à concilier ce qui venait de se passer avec le sentiment assuré qu'il dégageait. Mais cela ne l'empêcha pas de renifler bruyamment du museau lorsqu'il se perdit dans des explications bien trop longues à son goût. La rivière Delta était connue pour concentrer toutes les tensions entre les deux clans. Et avec les gelées de ces derniers jours et le cours d'eau figé, il était difficile de ne pas penser à cette... brèche dans leur frontière respective. Mais Mésange avait la foi tenace que le souvenir des combats, quelques lunes auparavant, était encore assez frais dans les mémoires de tous pour éviter tout débordement ou excès de zèle. De plus, elle ne savait aucunement pêcher, alors autant que faible réserve de proies soit utile à d'autres. Mais les paroles du guerrier à l'égard de Reflet des Nuages eurent enfin raison de la colère qui vibrait encore dans ses veines et ce fut la peur, insidieuse, qui s'y logea à la place. La glace. Elle - non plus - n'avait pas réfléchit quand elle s'était élancée sur la rivière gelée, et maintenant que le chat beige pointait ce détail, ses oreilles percevaient d'infimes bruits, qu'elle avait tout d'abord attribuée à l'eau qui filait sous la couche de glace. Il valait mieux qu'elles filent d'ici, et vite.

« Merci pour ce conseil que nous allons suivre également. » Sans rien montrer de la frayeur qu'elle ressentait, Plume de Mésange le remercia d'un petit signe de la tête. Cependant, elle ne put s'empêcher de lui lancer une dernière parole alors qu'il s'éloignait déjà vers son territoire. « La prochaine fois que tu pêches dans le coin, essaies de rester un minimum attentif à ton environnement, ça te serviras toujours... » Pendant quelques secondes, elle laissa son regard traîner sur son pelage clair, incertaine quant au fait qu'il ait entendu son propre conseil avant de se concentrer sur un problème autrement plus pressant. Elle se rapprocha subtilement de Reflet, observant du coin de l'œil sa réaction. Cette dernière semblait à la fois énervée par le comportement du guerrier et effrayée par ce qu'il venait d'insinuer. Clairement pas le moment pour lui crier dessus à nouveau. Tout en écoutant la question de Reflet, Mésange refoula l'appréhension qui l'a saisi à l'idée de traverser à nouveau la fine couche de glace et lui répondit sur un ton légèrement plus posé et calme. « Tu préfères attendre de voir s'il a raison ? Je ne sais pas toi, mais je ne suis vraiment pas tentée de faire une petite trempette aujourd'hui. Quant à ce qu'il s'est produit... » Elle posa son regard vert pâle sur son apprentie, pesant le pour et le contre de sa réaction. Cela faisait plusieurs lunes qu'elle avait repris les rênes de son apprentissage et elle commençait à savoir comment l'apprentie marchait et de quelle façon elle réagissait. Elle était butée, impulsive, compétitive et en même temps parfois incroyablement naïve. Reflet des Nuages avait aussi des problèmes de confiance en soi, qu'elle cachait sous une bonne couche d'entêtement. Des traits de caractère qui n'arrêtaient pas d'entrer en conflit avec Plume de Mésange. Mais la guerrière savait qu'elle aussi n'était pas tout le temps facile à vivre et que, quand bien même elle se fichait de comment la jeune chatte la percevait, son but restait de l'entraîner pour faire d'elle une guerrière... peut-être pas accomplie, mais au moins consciente de ses forces et de ses faiblesses, et qui pourrait avancer dans sa vie. Pour éviter que la jeune apprentie ne se braque plus encore, elle devait lui faire comprendre pourquoi elle s'était mise en colère. Plus facile à dire qu'à faire ça, je le sens.

« Je sais que ton action ne partait pas d'un mauvais sentiment, Reflet des Nuages. » Quelques secondes passèrent avant qu'elle ne continue. « Et avant que tu me dises que tout ça était injuste, je veux que tu réfléchisses. Je veux que tu comprennes pourquoi ce n'était pas une bonne idée, de foncer tête baissée comme tu l'as fait. » Parce que au fond, c'était ça le problème : le fait qu'elle se soit jetée toutes griffes dehors sur un guerrier qui avait probablement deux fois son âge. La jeune chatte rayée n'était certes pas encore une spécialiste du combat, mais elle n'était pas non plus dégourdie. Son attaque, si elle avait réussie, aurait pu avoir des conséquences désastreuses sur la relation entre les clans. « Et je veux que tu me laisses parler, et t'expli—. » Un craquement, sourd et bruyant, lui coupa la parole et lui hérissa le pelage. En jetant un coup d'œil sous leurs pattes, elle remarqua de fines cassures - prêtes à s'agrandir. « Mais pour l'instant, on va déjà rejoindre la terre ferme. »

La rivière n'était pas très large, à peine dix longueurs de queue, mais elles ne pouvaient pas la traverser comme elles l'avaient fait - c'est-à-dire en courant - à l'aller. « Passe devant. » Plume de Mésange indiqua le bord de la rivière du menton, les paroles du guerrier de la Rivière résonnant encore à ses oreilles. Les gelées des derniers jours avaient été fortes, mais elle ne tenait pas plus que ça de voir s'il avait eu raison. « Comme tu es plus légère que moi, il y a moins de chance que la glace cède sous toi. Répartis uniformément le poids de ton corps sur tes pattes. Sers-toi de ta queue pour garder l'équilibre et ne pas glisser. » Elle passa derrière son apprentie, qu'elle poussa doucement du bout du museau pour lui donner l'impulsion. « Si tu sens un craquement, ne t'affoles pas. Reste concentrée sur tes pattes et avance doucement. Je veux que tu me montres comment tes pattes peuvent être aussi légères qu'elles ont été rapides tout à l'heure. »

Elles parvinrent à rejoindre la terre ferme sans problème notable. À par un ou deux arrêts, la glace resta solide sous leurs coussinets. Lorsqu'elle reposa ses pattes sur le sol gelé de la forêt, Mésange ne put cacher un faible soupir de soulagement. Devant elle, l'apprentie semblait ressentir la même chose. Le pire était définitivement évité. Elle jeta malgré tout un coup d'œil en direction de la rivière, essayant de voir si le guerrier s'était attardé sur la berge. Mais cette dernière était dénuée de tout signe de vie. « Bien, » pensa-t-elle tout bas. Finalement, elle se tourna vers Reflet des Nuages. Elle ne savait pas vraiment quelle était la meilleure approche, alors elle commença avec la première chose qui lui vint à l'esprit. « Tu m'as fait peur, tout à l'heure. J'ai cru qu'on allait au casse-pipe. » Etoile Embrasée lui avait souvent dit que la vérité sans fard pouvait autant blesser qu'aider à comprendre. Elle espérait que ce serait aussi le cas avec Reflet. « C'est pour ça que j'ai réagi comme je l'ai fait. »

Reflet des Nuages

Il s’est éloigné lentement, comme si rien ne s’était passé, les pattes et le sourire aussi nonchalant que cela puisse être. Moi, je sens la chaleur monter de sous ma fourrure, tellement forte que j’ai encore plus peur que ça ne fasse fondre la glace. J’ai envie de lui courir après pour lui tirer les pattes mais j’en serai bien incapable, et pas seulement parce que je sais que Mésange m’étriperait. J’ose à peine mettre une patte devant l’autre pour me glisser maladroitement jusqu’à elle, alors je ne peux que le faire en pensée, je m’imagine arriver par derrière et lui tirer bien fermement l’oreille, voilà qui lui apprendrait à ce balourd à ma parler comme à un chaton né de la dernière pluie. Plume de Mésange elle le regarde encore fixement après lui avoir adressé quelques paroles polies et… une menace à demi mot ? Ouai, bien joué Mésange ! Je savais bien que ma mentor n’était pas une poule mouillée à ce point ! Moi aussi je siffle, derrière lui « Ouai, t’as intérêt à surveiller tes arrières face de poisson ! ». Mais s’il avait entendu, il n’en laissa rien paraître, se contentant de rejoindre paisiblement l’autre côté de la rivière et nous adressant un signe d’adieu de la queue.

Je me suis un peu laissée emporter, mais à présent que ma mentor revient sur notre situation plus que précaire, j’ai du mal à ne pas me faire petite. J’aimerai pouvoir supprimer tout mon poids, m’envoler comme un oiseau pour rejoindre le couvert des arbres duquel je me suis échappée quelques instants auparavant. Et puis, j’ai peur que Mésange ne soit trop en colère contre moi. J’entends encore le son de sa voix qui s’est élevé derrière moi, la fureur qui m’a glacé les os. Piteusement, je rampe presque jusqu’à elle, hors de question qu’elle file sans moi je m’attacherai à ses pattes s’il le faut !Je lui offre mes plus beaux yeux doux dans un essai désespéré de l’amadouer.

« Tu…tu ne vas pas me laisser là toute seule hein ? »

Mais elle n’a pas l’air de bouger, ses yeux verts sont simplement posés sur moi, et elle semble si calme, si sérieuse lorsqu’elle reprend la parole que je me fait moi aussi instinctivement toute droite, les pattes et la queue bien rangées. Elle me dis qu’elle me comprend ? J’ai bien du mal à le croire, Mésange avec son sérieux habituel, avec son calme, elle semble parfois un lac que rien ne pourrait venir déranger, toujours à parler entraînement, entraînement, guerre, attention, danger. Rien de très drôle. Rien de très… vivant. Moi je ne sais pas faire tout ça, me taire et écouter et faire semblant de ne rien avoir d’autre dans la tête et ne pas laisser mes pattes courir derrière mon cœur. Et au fond, je crois tout simplement que le problème c’est qu’elle ne m’aime pas, et que pour elle je ne serai jamais personne d’autre que l’apprentie pas assez bien pour elle qu’on lui a malgré tout refilé. J’ai encore un instant l’envie de pleurer qui revient, mais ça me met en colère aussi, parce que moi je sais que je peux bien faire. Alors malgré tout, la peine et la colère et la tristesse qui tournent encore en moi, j’écoute toujours, toute droite et silencieuse comme je me dis qu’elle doit bien aimer.

Et au fond j’entends, je comprends aussi ce qu’elle dit. Oui, peut-être que j’aurai dû attendre un peu plus. J’ai moi même regretté mon action lorsque je me suis retrouvée seule sur la glace, Plume de Mésange encore à plusieurs longueurs de queues derrière moi. Elle m’avait laissé la voix libre pour mener cette patrouille et je voulais lui montrer à quel point j’étais motivée à défendre le clan, à quel point j’étais prête à faire de grandes choses aussi. Je les vois à présent, les conséquences qu’il y aurait pu y avoir. Et si…

Un craquement, qui a résonné entre les mots de la guerrière rousse. Il m’a semblé si fort que je m’étonne qu’aucun oiseau ne se soit envolé des arbres environnants. Moi, j’ai sursauté si fort que me voilà à présent recroquevillée sur moi même. Mon soulagement et si grand lorsque Mésange propose que nous rejoignons la terre ferme ensemble, que je ne peut rien répondre d’autre qu’un hochement de tête. Elle ne va pas me laisser là. Elle me faisait même passer devant elle, et il ne fallait pas me le dire deux fois, à moitié rampant et glissant sur la glace, j’essayais tant bien que mal d’appliquer ses conseils, la concentration et l’adrénaline gommant heureusement mes gaucheries habituelles. Si les débuts furent compliqués, mon regard étant sans cesse attiré vers le bas et la profondeur, je devins peu à peu de plus en plus à l’aise sur la glace, consciente de mon poids sur la couche glacée, et portant mon regard au plus loin pour m’élancer vers l’avant avec plus de légèreté.

Et bientôt, sous mes pattes, la morsure du froid laissa place au réconfort si familier de la terre. Nous étions sauve, et je me laissais tomber sur le sol, pantelante.

« On est vivantes ! »

J’aimerai rester sur ce sol si doux pour toujours. Mais malheureusement je comprends bien vite que ça ne va pas être possible, avec ce « bien » annonciateur encore de paroles trop sérieuses mais peut-être je dois l’avouer pour une fois se prêtant à la situation. Alors je me relève et j’écoute encore sans mot dire ses dernières paroles qui viennent compléter les précédentes. Mon regard est baissé sur mes pattes, je ne sais où le poser d’autre. Une bile amère m’est montée dans la gorge.

« Je suis désolée. »

Ca me brûle partout à l’intérieur de moi, et je ne sais pas si je e consume de honte ou si c’est les mots que je prononce qui me sont si douloureux dans la gorge. J’ai entendu et compris son discours, mais j’ai moi même tant de choses à dire. J’hésite pourtant, est-ce qu’elle m’écoutera seulement ? Je relève la tête, tenant de croiser ses yeux verts pour la forcer à regarder dans les miens.

« Je n’ai pas réfléchi assez longtemps, et je comprends que ça aurait pu être dangereux mais… Je voulais profiter de l’effet de surprise, j’étais sûre que je pouvais le renverser, et après tu aurais été là et… »

Et j’entrevois la scène, nous deux et lui sur la rivière gelée, une bataille sur une terre qui n’appartenait vraiment même pas à aucun des deux clans. Et voilà que je regarde à nouveau mes pattes.

« Je voulais faire quelque chose de bien, dont tu aurais été fière. Mais de toutes façons tu es jamais contente... »

J’ai murmuré, parce que je ne sais plus comment me justifier, parce qu’au fond c’est toujours le même problème.

« Comment est-ce que je peux prouver au monde ce que je vaut ? On ne peut rien faire quand on est apprenti ! On passe notre vie à ramasser de la mousse et faire les tiques des anciens, mais c’est pas ça la vraie vie ! »

Moi, je voulais être utile, et que tout le monde le reconnaisse. Je voulais qu’on me complimente, que tout le monde sache à quel point je suis bonne chasseuse et à quel point je sais défendre mon clan. Mais j’étais impuissante.