Les failles | Mythe Sylvestre & Clair Obscur

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Mythe Sylvestre { Lune 1205 }

Il a reçu le nouveau nom comme une offrande, comme une faveur qu'on lui a fait. Il n'ose penser qu'il le mérite amplement encore, il n'ose totalement l'appeler sien. Il n'osait espérer que Mélodie des Étoiles l'appelle en même temps que ses sœurs. Il se sentait à la fois content pour elle, qui le méritaient bien, mais aussi un peu amer, lui qui était certain qu'il resterait en arrière, encore sur le dur chemin pour devenir un guerrier accompli. Peut-être que c'était ce qu'il désirait quelque part. Parfaire ses compétences, jusqu'à devenir un riveux sans plus aucunes failles, qu'elles soient physiques ou mentales. Mais il s'est toujours senti fêlé, et il craint que les brèches ne soient encore plus visibles à présent que l'on attend de lui la même chose que de tous les autres guerriers du clan. Mais ils ont été appelés en même temps, et pour lui comme pour les autres, la cheffe s'est penchée jusqu'à toucher son front, et lui a délivré le nom que tous utilisent désormais pour le qualifier.

A présent, l'orage gronde autour de lui. Comme pour fuir ce nouveau nom, et comme pour s'en prouver légitime, il brave les éléments. Il a traversé la rivière en pleine nuit sous une pluie glacée, puis s'est enfoncé sous les arbres des terres libres alors que le sol tremblait sous les premiers coups de tonnerre. Les éléments semblent se répondre; le vent qui envoie valser les feuilles mortes dans un ballet funèbre autour de lui, le tonnerre qui gronde lourdement, et le ciel qui d'un coup se déchire d'une zébrure éclatante, laissant les ombres des arbres menaçants se découper brièvement dans l'éclat de lumière. Tout cela grince et crie autour de lui, ça lui emplit les oreilles les yeux et les poumons, et lui laisse le cœur bercé d'un étrange calme intérieur. Au tout début, il s'interdisait de trembler en regardant au loin le spectacle des éléments, mais à présent qu'il est dans la tourmente, il ne peut que tout absorber, et ce trop plein du dehors le laisse vidé de toute émotion propre.

La météo explique peut-être comment il a pu parvenir à la clairière située entre les terres de l'ombre et du tonnerre sans encombres. Lui même se serait étonné de la destination s'il avait la tête à le faire. La clairière enchantée a toujours été un lieu qui l'avait intrigué par les rumeurs circulant à son sujet, mais pour des raisons évidentes il s'était toujours interdit d'y aller, n'avait même jamais effleuré l'idée de la patte. Il s'y autorisera ce soir, pénétrera dans la clairière comme dans un lieu sacré. Dans l'obscurité entrecoupée de flashs, les hautes herbes semblent protéger mille secrets. Mais il commence par choisir un arbre bordant cet espace et commence son ascension pour retrouver le monde d'en haut.

Il n'est pas sans ignorer les risques qu'il prend. Chaque chaton se sera fait répéter les mêmes choses durant un orage. Ne pas rester dans l'eau ou au milieu d'un espace vide, et surtout ne pas grimper aux arbres. Mais ce soir cela ne compte pas. Peut-être cherche t-il à se prouver qu'il peut tout faire. Peut-être cherche t-il celui que tout le monde semble connaître comme Mythe Sylvestre, quelque part là haut.

Combien de secondes, de minutes ou d'heures est-il resté immobile devant le spectacle des éléments ? Il s'est assis sur une branche large et assez haute pour lui offrir une vue dégagée du spectacle. Celle-ci ploie à peine sous les assauts du vent. Mythe Sylvestre fait bien pâle figure en comparaison, son court pelage trempé plaquée contre ses os. Mais il ne frémit pas. Il sent à peine le froid, comme quelque chose venu de très loin. Comme ce frémissement, qu'il croit percevoir un instant, alors que le tonnerre vient de terminer l'un de ses retentissements, et que seules les vibrations du monde et gouttes de pluies transpercent la nuit.

Il aurait pu ne pas se retourner, mais il s'est souvenu à cet instant des secrets et légendes qui circulent sur cette clairière. Oh, ce n'est pas tellement qu'il y croie, aux fées et autres merveilles qu'on raconte sur cet endroit. Mais il aimerait y croire. Alors, dans un dernier élan d'espoir enfantin, il s'est retourné, espérant peut-être y découvrir une illusion dans laquelle il aurait pu s'abandonner.

Au départ, ses yeux verdâtres ne discernent pas grand chose au milieu des herbes hautes qui s'emmêlent et se démêlent, qui dansent mystérieusement et presque avec charme au milieu de la tourmente. Mais bientôt, alors qu'il laisse son regard dériver sans s'accrocher à cette image, il la voit, l'étrange tâche sombre dotée d'yeux lumineux levés vers les éclairs qui zèbrent le ciel.

Étrangement calme devant cette découverte, il saute au bas de sa branche et se laisse glisser le long du tronc pour atterrir silencieusement près de la silhouette. Au milieu de cette étrange nuit, elle lui semble presque irréelle, comme une apparition. La pluie semble avoir lavé toute odeur ou trace de leurs appartenance à leurs clans. Ils sont égaux et face à face à présent, et sous l'engourdissement qui s'était pris du cœur de Mythe Sylvestre, une pointe de curiosité commence à faire son apparition. Il voudrait lui parler, connaître son histoire, mettre des mots sur la situation. Mais le tonnerre tonne à cet instant, et tout se perdrait dans le vent. Alors, emporté par l'absurdité de cette rencontre, il rit. Puis enfin, le grondement se tait et le silence reprend ses droits.

« Tu étais bien cachée, une vraie dame de l'ombre. Tu ne préfèrerais pas profiter de là haut ? »

Il désigne les perchoirs qui s'offrent à eux de la queue. Il s'étonnerait presque de la manière dont les mots lui viennent, dont il réussi à commencer la conversation. Il a à peine cherché ses mots. Il ne les a pas retournés cinquante fois dans sa bouche, les décortiquant pour être certains qu'ils ne seront pas mal pris, pas compris. Pour une fois. Il s'est laissé enveloppé par l'orage, et à présent il se laisse entraîné dans le rythme.

D’elle, il ne discerne pas grand-chose d’autre que ses yeux, chacun brillant de son unique couleur, deux perles dissociables dans la nuit. Le reste de son être, sa silhouette ne lui apparaît que par à coup, au bon vouloir des éclairs qui illuminent la forêt avec fracas. Et au milieu de ce fracas, pendant un court instant, il n’y a entre eux rien d’autre que du silence, le regard qui se croise. Il comprend son acquiescement silencieux et repart vers les arbres, grimpant aisément sur celui qu’il venait de quitter. Le revoilà perché au sommet. Elle le rejoint quelques instants plus tard.

Cette situation est une première pour lui, de partager aussi facilement un instant avec quelqu’un qui n’est pas de sa famille, qui ne vient pas de son cercle le plus proche. Il en prend conscience à l’instant où elle s’est assisse, de l’absurdité de la situation. Il ne s’agit pas tellement des règles qu’ils pourraient être en train de transgresser, mais plutôt des normes même qui ont semblé s’effacer dans la tourmente. Et, malgré cette réalisation, il n’a pas le temps de ressentir l’inconfort où la gêne. La foudre ne leur laisse pas de répit, et parmi les hurlements du vent et les murmures de la pluie, les courts silences qui se font ne leur laissent ni le temps de prendre la parole, ni de laisser le malaise s’installer. A l’instant où cette idée traversa son cerveau, voilà une voix qui s’élève à ses côtés, profitant d’un silence. De mauvais exemples pour les chatons… est-ce un reproche ? Il ne peut discerner son rire sous les bruits de la forêt malmenées qui emplit les oreilles de grincements et craquements. Mais pour son plus grand soulagement, celle qui se tient à ses côtés n’en reste pas là et passe à une autre question, et se présente.

Clair-Obscur est un bien joli nom, qui sied à merveille la jolie guerrière, entre sa fourrure sombre sur laquelle ressort un collier de blancheur et ses yeux qui brillent de lueurs uniques qui se répondent l’une à l’autre. Il la dévisage pour la première fois, le temps de laisser le tonnerre reprendre ses droits et gronder sa colère sur le monde, avant de se taire à nouveau. Il ne peut qu’être d’accord avec elle. Le clan du Tonnerre porte un nom empreint de puissance qui force l’admiration.

« Je m’appelle Mythe Nua- » Le tonnerre le coupe, comme pour lui faire remarquer son erreur. Non, il n’est plus Mythe Nuageux, et le poids de ses nouvelles responsabilités qui viennent avec son nouveau nom le font soupirer et s’affaisser ses épaules. « Mythe Sylvestre. On ne dirait pas un nom de chat du clan de la Rivière, mais c’est de là que je viens. » En vérité, ce nom lui laisse encore un goût amer dans la bouche. Beaucoup des chats de la rivière sont nommés en rapport avec l’eau, avec la mer, et portent fièrement cet élément tout au long de leur vie. D’autres reçoivent des noms guerriers, évoquant des actes héroïques et leur bravoure. Comme sa sœur, Légende Guerrière. Cela lui va si bien. Lui… Il ne sait pas. Il reçoit son nom comme un énième éloignement de ce monde aquatique et guerrier.

« En vérité, je l’ai reçu aujourd’hui ce nom. Mais je ne sais pas- Je… Je n’ai pas l’impression d’être prêt. Pour le futur, pour être quelqu’un. C’est pour ça que je suis venu ici. J’aime parfois regarder le monde de plus haut, de plus loin. Cela me donne l’impression qu’il a moins de prise sur moi peut-être, quelque part. »

Il s’attend à ce que Clair-Obscur rie de lui et de son manque de courage.  Mais peu importe. Il est vrai que d’ici, en admirant la tourmente qui se déchaîne autour d’eux, tout paraît insignifiant.

Spoiler:

Les pupilles écarquillées, il laisse le fracas et la lumière entrer en lui par chacune des brèches qui se sont entrouvertes ce soir. Il laisse les traits électriques l’éblouir, il se laisse lui-même se perdre dans les sons et le spectacle étourdissant, et accueille avec gratitude cette perdition salvatrice. Clair-Obscur n’a pas repris la parole tout de suite derrière lui, et il accueille presque avec gratitude cette pause dans l’échange qui permet à ses derniers mots de s’évanouir dans le vent, de disparaître. Un cri du cœur dont il s’est débarrassé, enfin.

« Bah écoutes. Félicitations quand même. »

Des paroles censées être joyeuses, mais qui retombent platement dans le froid de la nuit. Elles reflètent bien l’absurdité de son propre désarroi et de sa mélancolie, en ce soir censé être placé sous le signe de la joie.

« Tu crois qu’un jour on est-prêt à quoi que ce soit ? »

Il se tourne vers elle, curieux. Il a le regard attentif qu’il porte lorsque quelque chose l’intéresse vraiment, lorsqu’il tente plus que tout de percer le mystère insoluble d’une autre personne. Il ne la distingue pas en détails dans la pénombre éblouissante, mais même ainsi sa jeunesse transperce. Il se demande, a-t-elle connu des doutes elle aussi ? Les connaît-elle encore ? Pourtant, elle avait l’air tellement sûre d’elle quelques instants auparavant seulement. Il sursaute presque au contact sur son épaule, qui lui aurait paru froid s’il n’était lui aussi trempé par la pluie et glacé par le vent. La fourrure de la queue de Clair-Obscur lui semble ainsi presque irradier de chaleur.

La suite des paroles de la guerrière du Tonnerre l’aurait presque fait sourire, s’il avait jamais réussi à incorporer ce geste à son répertoire de réaction sociale. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Les signes des sentiments de Mythe Sylvestre sont souvent cachés dans les plus petits détails, dans les mouvements de ses oreilles, les plus imperceptibles relâchement de ses traits et de ses épaules. Les rires et les pleurs restent absents de son langage, et les effusions de sentiments restent souvent bloquées dans son cœur, faisant tournoyer et ébranlant ce dernier de mille façons.

Ils sont peu nombreux, les félins à avoir un jour considéré Mythe comme intelligent ou à avoir pensé à employer le mot à son sujet. On le dit souvent distrait, paumé, voire perturbé. Intelligent ? Non. C’est comme un espoir perdu qui renaît quelque part, qu’il peut lui aussi avoir des qualités. Cela lui réchauffe étrangement le cœur, qu’une totale inconnue le perçoive de la sorte.

Le silence, perturbé par les éclats du ciel, retombe lorsqu’elle se tait. Il réfléchit à ce qu’elle vient de dire, à tout ce que cela implique.

« Alors, c’est ce que tout le monde fait, de porter un masque pour tenter de se conformer aux attentes des autres, jusqu’à finir par se couler dans l’identité même de celui qu’on voudrait être ? »

Ou plutôt, de celui que les autres voudraient qu’on soit, mais les deux finissent par se fondre. Cela semble bien simple pensé comme cela, mais aussi bien triste. Qui est-on vraiment, lorsque les masques tombent ? Reste-t-il seulement quelque chose en dessous ? Qu’en est-il d’une identité personnelle profonde, si chacun passe sa vie à faire semblant ? Lui, c’est comme s’il n’avait jamais reçu le manuel pour mettre le masque et jouer le numéro. Il a parfois l’impression d’être l’objet d’une blague dont personne ne lui aurait jamais parlé, le clown inconscient du cirque. Il a toujours voulu rejoindre lui aussi la ronde.

Mais pas ce soir. Ce soir, cela lui semblerait bien dommage de faire semblant, et de se couler dans la peau de Mythe Sylvestre, guerrier modèle du clan de la Rivière. Ce soir, tout comme le ciel, il s’est délivré de ses chaînes et est monté vers les cieux. Et il n’est pas seul. Si lui s’est retrouvé là dans sa fuite, il se demande ce qu’elle est venue y faire.

« Qu’es-tu venue chercher ici ce soir ? Une pause, pour ne plus avoir à jouer cette comédie ? »

Une question bien audacieuse, il en a conscience. Il ne cherche ni à la blesser ni à la froisser, et les mots n’ayant jamais été son fort il sait que de nombreux écueils pourraient l’attendre au tournant de la conversation. Mais il n’est plus à ça près, et il est réellement curieux de la réponse, avide presque de savoir ce qui les a menés tous deux à cette rencontre irréelle. La brûlure de la curiosité a dépassée celle de la peur.

Il s’était laissé enivré, noyé par les sensations nouvelles. Par les sons, les odeurs, la pluie. Lui qui s’est toujours tenu à distance, a toujours tenté de se protéger du monde, de s’éloigner des autres et de leurs extravagances, il s’est laissé entraîner dans la danse pour un soir. Il écoutait simplement les paroles de Clair-Obscur, sans s’inquiéter pour une fois de la bonne réaction à avoir à chacune d’elle pour se faire bien voir. Il a laissé tomber le masque, celui qu’il trouve si lourd, celui qu’il ne sait pas porter. Tout l’inverse d’elle-même, s’il comprend bien. Elle est de ceux qui savent s’adapter, qui se tiennent avec confiance peut importe leur interlocuteur. De ceux qui savent porter le masque. Mais ce soir, alors que les yeux du matou se posent sur elle, elle lui apparaît simplement belle et libre, comme une flamme qui brille au creux de la nuit. Et lui… Il serait l’insecte de nuit, venu se brûler les ailes.

Surpris, comme sorti brusquement d’un rêve, il a frémi lorsque la queue de la guerrière sombre s’est entortillée à la sienne. Mais il ne s’est pas dégagé, d’abord sous le coup de la surprise, puis sous le coup d’une étrange curiosité qui s’était emparée de lui. Il avait reporté son regard sur l’orage, sans mot dire, se demandant quel serait le prochain mouvement, les prochaines paroles de la féline. Il l’a laissée se rapprochée, et a tremblé devant l’étrange froideur de leurs fourrures trempées qui se sont frôlées.

Il a toujours fui le contact physique. Lorsqu’il n’était pas prévenu, ces contacts ont même parfois résulté en de violents mouvements effarouchés de sa part. Mais pas ce soir. Pour quelle raison ? Peut-être était-ce, comme elle l’avait dit, parce qu’elle ne jouait pas. Elle avait été sincère et franche avec lui, et il avait pu prévoir ses intentions. Les accepter. Les partager. Peut-être était-ce à lui également de faire un pas en avant vers elle, elle qui se tient contre lui, la tête sur son épaule. Il se demande si elle peut entendre les battements de son cœur qu’il ressent comme un tambour ainsi, mais ceux-ci sont sûrement couverts par l’orage qui se déchaîne toujours autour d’eux. Changeant d’appui, il se presse contre elle pour lui répondre de manière que la chaleur de leurs pelage pressés l’un contre l’autre remplace la froideur de la pluie.

« C’est étrange. Je suis venu ici pour fuir, parce que je me sentais pris au piège. Mais à présent, je crois que je me sens plus libre que jamais, à tes côtés. »

Quelque part dans son esprit, la crainte de ce qu’ils sont en train de faire se manifeste. Deux chats de clans ennemis, seuls dans la nuit, sur une branche d’arbre. Oui, cela sonne décidemment comme le début d’une légende sur des guerriers déchus à cause d’un amour interdit. Mais cette pensée reste ténue, dans l’ombre face à la lumière avec laquelle semble resplendir Clair-Obscur pour Mythe Sylvestre. Il en est presque jaloux de cette lumière, mais surtout admiratif.

« Je crois que je pourrais presque aimer mon nom, ici et maintenant, lorsque tu le prononces. »

Prononcer de telles paroles, parler avec une telle sincérité l’angoisse toujours, il en tremblerait presque et le souffle vient à lui manquer. Leur proximité physique n’y est peut-être pas pour rien. Mais malgré cela, il n’hésite plus. Il a saisi la liberté qu’elle lui a offerte, et la nuit qu’il leur reste à partager sera placée sous son signe.

Elle est blottie contre lui. Il est blotti contre elle. Outre le déchaînement des éléments, la colère du vent qui tente de les pousser au sol, et la froideur de la pluie, il sent aussi la douceur et la chaleur de son pelage. Les battements de son cœur. Sa respiration qui lui chatouille les oreilles, et qu'il sent résonner tout contre lui. Il ne résiste pas lorsqu'elle lui propose l'inimaginable, un refuge sur les terres du tonnerres. Ne pense même pas à résister. Il la laisse glisser hors de son étreinte et la suit du regard alors qu'elle descend, dégringole presque de branches en branches, s'en amusant intérieurement avant de la rejoindre. Il ne se cache plus à présent, l'observe ouvertement avec de grands yeux curieux, ce personnage à la fois si étranger mais pourtant devenu en quelques minutes familier qu'elle incarne. Sa fourrure semble absorber toute l'eau qui tombe sur elle, tandis que la pluie glisse sur lui.  Ses poils ainsi hérissés lui donne un air aussi farouche que piteux. Il croit bien qu'elle a raison à présent, ils ne peuvent pas rester ainsi sous le déluge bien longtemps, il n'a jamais vu un chat aussi peu fait pour être mouillé qu'elle. Dommage, l'arbre lui plaisait bien à lui... Il y jette un dernier regard, comme pour ancrer le lieu de cette rencontre dans ses souvenirs. Il passe sa queue autour d'elle alors qu'elle s'est ébrouée, comme pour lui dire qu'il la suit, et l'enjoindre à filer se mettre à l'abris.

Il ne fait pas attention au sol qui défile sous ses pattes ou aux arbres qu'ils dépassent tandis qu'ils s'enfoncent dans le territoire inconnu du tonnerre. Même s'il regardait, il ne pourrait pas voir grand chose du monde qui lui apparaît seulement sombre et avalé tout entier par le déluge et les sons. Mais en réalité, Mythe Sylvestre ne fait pas attention à grand chose outre la silhouette de Clair-Obscur qu'il devine devant lui. Il la rattrape parfois jusqu'à la frôler pour se rassurer et lui montrer qu'il est toujours là. Elle a déjà aboli pour lui toutes préoccupations de clan, de loyauté qui pouvaient peser sur lui. Si elle s'en est affranchie, il n'a qu'à la suivre. La nuit semble effacer leurs traces derrière eux. Personne ne saura jamais rien de leur rencontre, ni de leur passage dans la forêt de feuillus. En la suivant ce soir là, Mythe Sylvestre a l'impression de n'être qu'un fantôme, un être insaisissable, intangible. Et ça lui plaît.

Lorsqu'ils arrivent enfin à l'abris perdu au milieu de la forêt, Mythe Sylvestre a l'impression de sortir d'un vieux rêve. Le déchaînement des éléments est encore bien présent, mais les murs de pierre les en éloignent tout de même. Au sec, la fièvre qui semblait l'avoir pris s'estompe peu à peu. Il lui a toujours fallu quelques secondes, voire parfois quelques longues minutes pour supporter les transitions, les passages d'une activité à une autre, d'un endroit à un autre, d'un moment à un autre. Alors, comme à chaque fois, il reste quelques instants comme bloqué, figé dans un passé sans savoir comment se projeter dans le présent qui l'attend. Il observe la cabane d'un regard un peu perdu, cligne des paupières pour s'habituer au lieu avant de reposer ses yeux sur Clair-Obscur. Elle s'est ébrouée. Elle lui parle. Il lui faut quelques secondes pour se reprendre, pour que les mots l'atteignent. Mais bien sûr, qu'il est bête ! La pauvre guerrière du Tonnerre est trempée et sûrement transie de froid. Il s'ébroue près de l'entrée de l'étrange tanière afin que son pelage ne dégouline pas partout avant de se hâter pour se rapprocher d'elle. Il ne sait pas très bien comment s'y prendre, il n'a jamais fait la toilette de quelqu'un d'autre. Lui qui n'apprécie pas forcément le contact physique, les instants de partage ont souvent eu tendance à le faire fuir. Mais il est hors de question qu'il laisse Clair-Obscur ainsi trembler de froid, et lorsqu'il se remémore la sensation de meurs fourrures pressées l'une contre l'autre en haut de l'arbre... Il doit l'avouer, cela n'avait rien de désagréable. Alors, malgré ses gestes de toute évidence hésitants, il s'approche jusqu'à la toucher, commençant par passer sa langue sur ses oreilles, son front, sa nuque. A t-elle les yeux fermés ? Que pense t-elle tandis qu'il est ainsi penché sur elle ? Son cœur tambourine contre ses côtes alors qu'il se demande. Mais il ne peut se résoudre à poser les questions. Peut-être qu'elle ne pense pas, et qu'elle profite seulement de l'instant. Il aimerait pouvoir également le faire, lâcher prise.

« Est-ce que... ça va mieux maintenant ? »

Mais il ne sait pas le faire, alors il pose simplement une question stupide. Il a murmuré pour ne pas troubler plus que nécessaire le silence et la paix qui règne dans leur cocon. Il pose ses yeux sur le pelage hirsute de la guerrière, peu sûr de lui et du résultat de son travail. Si elle n'est pas assez sèche et au chaud, il ne reste qu'une seule solution après tout. Après avoir préparé en silence un petit nid douillet en réunissant quelques tas de brindilles qui traînent sur le sol de la tanière, il se glisse encore plus près d'elle, l'encourageant à s'allonger contre lui, se positionnant de façon à presque s'enrouler autour d'elle.

« On peut juste... passer la nuit comme ça si ça te va. Promis, je ne te laisserai pas avoir froid. »

Avec l'orage qui tonne au dehors, il a l'impression qu'ils sont seuls au monde, hors du temps. Demain sera sûrement un autre jour, mais pour la nuit, toutes les barrières ont été abolies, et les frontières peuvent être franchies. Mythe Sylvestre ne pense plus aux failles qu'il croyait porter en lui, qu'il porte sûrement. Non, ce soir, il savoure seulement cette faille hors du monde qui s'est subitement ouverte devant lui, et dans laquelle il a plongé.

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