Break me down and build me up [Silex d'Hématite]

Nuage des Nymphes. Elle savourait encore ce nouveau nom alors que le ciel d’encre commençait tout juste à lentement s’éclaircir ça & là. La saison froide était là, le soleil ne se lèverait pas véritablement avant encore de longues heures. Pourtant, la très jeune apprentie ne ressentait pas la brise piquante qui avait balayé le camp durant la nuit. Non, elle n’avait presque pas dormi, trop occupée à penser à son nouveau nom, à toutes les nouvelles opportunités qu’il allait lui apporter, à tout ce qu’elle avait à découvrir au dehors, ce dehors qu’elle n’avait jamais approché mais auquel elle avait commencé à rêver.

Elle se tenait immobile, au milieu des félins endormis, les pattes ramenées sous son corps. Beaucoup la disait effacée, timide, silencieuse. Elle ne se fait pas remarquer, est plutôt douée pour taire ses sentiments lorsqu’elle estime qu’elle n’a pas plus besoin que cela de les exprimer. Mais au fond d’elle, elle bouillonne. Elle ressent dans son ventre un appel impétueux, celui d’un monde à fouler et à découvrir, d’aventures à vivre. Elle en est persuadée, aujourd’hui commence une nouvelle vie.  

En réalité, cette nouvelle vie a officiellement commencé lors du soir précédent, durant lequel un appel pour une assemblée du clan a retenti dans la clairière. Petite Nymphe s’y est rendue entourée de sa famille, et elle s’était vite doutée aux regards qu’on lui lançait que cette réunion pouvait avoir à faire avec elle et sa sœur. Et il était arrivé, cadeau des étoiles, ce nom porteur d’une promesse d’avenir, Nuage des Nymphes, ce signe qu’elle grandissait, quittait un monde pour pénétrer dans un autre. Son mentor serait Silex d’Hématite. Nymphe était observatrice, et les six lunes de son enfance passées exclusivement dans le camp lui avait permis d’avoir une petite idée de qui était qui, les réputations associées aux visages, même parfois les messes-basses dans le dos des autres, s’il y avait quelque chose qu’on aurait pu lui reprocher, c’est bel et bien de laisser parfois un peu trop traîner ses yeux et ses oreilles, aussi n’ignorait-elle pas ce qu’on disait sur le caractère de Silex d’Hématite. Mais il n’était pas pour autant détesté, et elle ne lui avait jamais parlé, et elle avait la tête pleine de rêves et d’attentes, peu importe qui était son mentor, les lunes à venir seraient sans aucun doute les meilleures de sa vie. Le lien qui unissait un apprenti et son mentor était spécial et durait bien au-delà des 6 lunes d’apprentissage, et comme tous les autres, Nuage des Nymphes aurait une relation fusionnelle avec le sien, elle n’en doutait pas. Impressionnée par le vétéran & divaguant dans ses rêveries au beau milieu de la nuit, elle se sentait fière à l’idée d’être nommée pour son apprentie, fière que ce soit elle qui eut l’opportunité d’avoir une relation privilégiée avec lui. Elle en oublie que c’est un inconnu. Il est devenu un rôle modèle fantasmé, le mentor parfait qui la guidera avec droiture et bienveillance. Elle imagine déjà le lien qui les unis comme quelque chose de fort & d’évident.

Dans la clairière du camp dans lequel les guerriers et les apprentis dorment en petits groupes à la belle étoile, quelques silhouettes commencent déjà à remuer, se lèvent et s’étire avant de s’éloigner. Ombres silencieuses sur la noirceur du matin, chuchotements ténus. Les premiers apprentis s’éloignent avec leurs mentors, celui de Dryade vint bientôt la chercher également, et Nymphe lui adresse un petit sourire en la regardant s’éloignant, ravalant le trépignement d’impatience qui lui picote les pattes. A priori, elles ne feront pas leur première sortie ensembles. Un petit pincement au cœur la surprend alors qu’elle réalise qu’il y a sûrement beaucoup de choses qu’elles ne feront plus ensembles à partir de maintenant. Elle aurait été plus rassurée, plus confiante avec sa sœur à ses côtés. Nymphe a toujours considéré que sa sœur & elle ne faisaient qu’un, qu’elle ne pouvait être totalement complète seule. Mais elle se reprend vite. Après tout, elles peuvent sûrement demander à leurs mentors respectifs d’organiser des entraînements communs… n’est-ce pas ?

En attendant, elle reste bientôt la seule apprentie encore allongée. Bientôt, le coin des guerriers s’est aussi bien vidé, hormis quelques retardataires qui font un dernier brin de toilettes avant de se décider à se secouer. Sauf un. Nuage des Nymphes s’approche du chat au pelage gris tigré qui semble toujours inconscient, sans trop savoir quoi faire. A-t-il oublié de se réveiller ? Le pauvre, il doit sûrement être fatigué de tous ses devoirs de guerrier. Mais tout de même, il sera sûrement fâché de prendre du retard si elle le laisse dormir. Oui, le réveiller est sûrement ce qu’il faut faire pour être une bonne apprentie. Après avoir réfléchi une seconde, elle va chercher un mulot sur le tas de gibier, se disant que comme ça ils pourraient vite manger et partir de suite. Timidement, elle tapote l’épaule du guerrier du bout de la patte, choisissant soigneusement ses mots pour l’aider à émerger du sommeil.

« Silex d’Hématite ? Le jour arrive, je me disais que si on attendait trop on manquerait sûrement de temps, alors j’ai pensé que c’était mieux de te réveiller, même si je sais que tu dois être fatigué, sinon tu serais déjà réveillé et… »

Elle se tait, réalisant soudainement qu’elle parle peut-être un peu trop. Et puis aussi parce qu’elle est surprise de la tête qu’il fait soudainement, est-ce que c’est juste elle qui analyse mal son expression ? Ou il y a un problème ?

« Euh j’ai apporté de quoi manger… Pour que ça aille plus vite… »

Les mots meurent avant même de sortir de sa bouche. Elle commence peu à peu à se sentir stupide. Elle tente de rester stoïque et d'ignorer la brûlure de la honte qui lui monte aux joues.

Je n'ai jamais vraiment rêvé. Enfin si, probablement quand j'étais très jeune mais depuis que Nuage du Cerf est mort, je crois me souvenir que je n'ai vécu que des nuits vides d'images ou bien saccadées de cauchemars. Et pourtant là... Là je crois bien que je rêve. Le ciel est d'un bleu presque irréel et sous mes pattes s'étend la lande de mon ancien territoire. Je me sens... Jeune, plein d'énergie et heureux. Ce qui finit de me convaincre que ce n'est qu'un songe, c'est que mon frère est là. Il est là tel que je l'ai connu pour la dernière fois, en tant qu'apprenti fougueux, en tant que meilleur ami. Je revis un souvenir, lointain, enfoui. Une partie de chasse probablement, en duo avec la personne la plus chère à mes yeux. C'est agréable, très agréable. Mais ça ne dure pas.

Que... Ah. Super... La tanière des guerriers, quel bonheur d'être de retour ici au lieu de continuer de m'amuser avec mon frère. Et ce visage qui me fixe, je n'ai jamais demandé à avoir une apprentie moi. J'ai de la peine, je suis déçu d'avoir été arraché de ce rêve si rare, si paisible, si précieux. C'est comme ça qu'elle voulait me voir au réveil, en colère ? Oh après tout... Ça n'en vaut pas la peine. Je ne vais pas commencer cette journée énervé, par contre elle va comprendre le sens de l'expression "se lever de la mauvaise patte". Allez, debout. Oh, et le mulot ? Boah, on va le prendre quand même, faut pas gâcher.

« Règle numéro un : on ne réveille pas un guerrier en plein sommeil. »

Je n'ai même pas envie de la regarder, je vais juste aller dehors pour dévorer ce petit déjeuner. Évidemment, elle me suit, après tout qu'est-ce qu'elle pourrait faire d'autre ? Les choses sont ce qu'elles sont, je suis son mentor et elle est mon apprentie désormais.

« Règle numéro deux : c'est moi qui prend les décisions ici, pas toi. Ton apprentissage de la journée débute quand je le souhaite, et pas avant. »

Voilà, au moins les choses sont au clair. Pour la peine, je ne sais pas si elle a mangé mais je ne vais pas lui en laisser le temps. J'espère qu'elle regrette bien de m'avoir réveillé en me voyant me lécher les babines ! Bref, puisqu'il faut s'y mettre, c'est parti pour un tour du territoire... Youpi.

« Allez, suis moi. »

En plus, il fait froid. Dire que j'aurais pu me prélasser dans la tanière des guerriers plus longtemps si on ne m'avait pas assigné une boule de poils... De quelle couleur est son pelage déjà d'ailleurs ? Bon je peux jeter un coup d’œil derrière moi, elle pensera que je vérifie qu'elle me suit bien. Ah oui elle est multicolore et... Wow, drôles de yeux qu'elle a.

« Ne traîne pas hein. T'avais raison pour une chose, par cette saison on aura pas des journées très longues, mais j'hésiterai pas à prolonger ton entraînement au début de la nuit si tu n'es pas assez rapide. Tu sais quelle taille fait notre territoire au moins ? »

Spoiler:

Nuage des Nymphes n’est pas du genre à baisser les yeux. Elle ne rétorquera pas non plus. Elle va laisser les mots glisser sur son pelage, sur son esprit, comme de l’eau. Leur brûlure restera quelques instants avant de s’effacer. Elle se le répète et essaye de s’en convaincre alors que Silex d’Hématite se redresse devant elle, l’air tout sauf heureux d’avoir été tiré de son sommeil. L’apprentie le regarde déguster le mulot qu’elle a apporté. Si elle espérait obtenir quelques bonnes paroles pour sa prévenance, il est à présent clair que c’est mal barré. Elle prie très fort pour que son ventre ne gargouille pas pendant que le guerrier gris termine son repas. Mais ce n’est pas grave, elle ne laissera pas tout cela l’atteindre. Elle en mangera d’autres des mulots dans sa vie. Une journée passée le ventre vide ne la tuera pas. Non, cela lui servira même d’entrainement pour les hivers durs ou elle devra se serrer le ventre pour laisser les plus faibles manger à sa place ! Voilà, elle va prendre cela comme faisant partie de son apprentissage, alors c’est une épreuve qu’elle subira sans broncher. Ses yeux brillants de honte l’instant d’avant se parent de détermination.

Au fond d’elle, une petite voix s’offusque de ce traitement. Elle n’apprécie pas son attitude de chef, ses postures provocantes, moqueuses. Se croit-il supérieur parce que c’est un guerrier ? Croit-il qu’elle va être son esclave pendant les 6 lunes à venir, juste parce qu’elle est son élève ? Mais elle la fait taire. Pour le moment. Elle résonne, se dit que ce n’est peut-être qu’une situation exceptionnelle, cela passera bientôt. Et puis, après tout, elle est plutôt du matin alors elle ne sait pas trop, mais cela arrive à d’autre d’être bougon au réveil. Peut-être qu’une fois bien réveillé, son mentor se montrera un peu plus sympathique ? Pour mettre toutes les chances de son côté, elle se tient bien droite en l’attendant, gardant le silence, puisque ses paroles semblent le déranger.

Elle saute sur ses pattes lorsque Silex d’Hématite se décide (enfin) à l’emmener quelque part. Encore un peu, et elle craignait qu’ils passent la journée dans le camp. Gardant ses remarques pour elle-même, elle suit avec attention chacune des paroles du guerrier sans réagir à sa menace d’entraînements nocturnes. En fait, elle est bien trop occupée à maintenir sa vitesse pour rester à son niveau, si bien qu’elle ne veut gaspiller son souffle de manière inutile. La question qui vient la prend par contre au dépourvu, et cette sensation d’interrogation surprise introduit un stress immédiat dans son esprit. Elle n’a pas la moindre idée de la taille du territoire ! Elle n’a jamais connu que les quelques buissons du camp, et les légendes qu’on raconte sur le dehors.

« Je… je sais qu’il est grand ? »

Elle est consciente de la stupidité de cette réponse, et ce qui aurait dû être une affirmation finit par sonner comme une question. Mais elle n’a rien de plus à offrir. Elle tente tant bien que mal de se rattraper.

« Je sais que notre territoire est juste au-dessus de la mer… Qu’il y a beaucoup, beaucoup d’eau, et les anciens disent qu’on peut y regarder jusqu’au bout du monde ! »

Elle frémit d’excitation devant cette description. Cela semble tellement irréel qu’elle ne peut l’imaginer. Elle en a presque oublié l’antipathie de son mentor qui avait quelque peu douché son enthousiasme quelques instants plus tôt. Les attentes reviennent au grand galop. Elle va découvrir ce monde auquel elle a rêvé si longtemps.

« C’est là-bas qu’on va ? Voir la mer ? »

La voilà repartie, rêveuse de grands espaces, de liberté, de paysage, de nature déchaînée ou apaisée. Elle imagine ce que ça doit être, de courir dans les plaines, le vent dans son pelage, le soleil dans ses yeux. Parfois, en écoutant les histoires des anciens, elle se montre aussi parfois curieuse de Cerfblanc, cet espace ayant connu tant d’histoire, foulé par tant de vies, et avalé par la folie destructrice des bipèdes. Elle tourne de grands yeux inquisiteurs vers Silex d’Hématite. S’il lui a posé une question, c’est qu’il a commencé à endosser son rôle de maître. Peut-être a-t-elle le droit d’endosser celui d’élève et d’en poser à son tour.

« Tu as connu le périple toi non ? C’était comment de marcher si longtemps ? Vous avez dû voir pleins de choses ! »

Asphodèle des Champs, Chant du lion, mmh... Douce Colombe aussi tiens ! Tous ceux-là ont pas d'apprenti et auraient pu s'occuper de Nuage des Nymphes. Mais non, fallait que ça tombe pour ma tronche. J'suis sûr que le Conseil s'est dit « oooh mais Silex d'Hématite faut le faire devenir mentooor, ça le rendra plus sociable et il se sentira moins seeeeul, gna gna gna et gna gna gna »... J'ai rien demandé moi. C'est pas que j'ai quelque chose contre la p'tite, j'la connais pas. Mais s'occuper des chatons, pfff... C'est vraiment pas mon truc.

Bon au moins, elle a gardé sa bouche fermée jusqu'à ce qu'on quitte le camp, ça c'est un bon point. Elle n'a pas essayé de faire la maligne du haut de ses 6 lunes, et si elle continue comme ça, y aura pas de problème. Enfin à part le fait qu'elle soit mon apprentie. Mais bon. C'est pas sa faute non plus, elle a pas choisi. Attendons maintenant la fameuse réponse à ma question, et... Quoi c'est tout ? Le territoire est grand. Waw.

« Sans blague... »

Ah, elle daigne essayer de développer. Oui, on est au-dessus de la mer c'est bien, et... Ah non non non ! Pas de blabla inutile et de ragots d'anciens là ! On est plus à la pouponnière bon sang... Crotte de souris c'était presque bien parti. Voir la mer ?

« Non. On va... »

Non mais j'ai même pas le temps de répondre à une question qu'elle en pose une autre (ou plutôt dix mille), c'est quoi, un interrogatoire ? Si j'ai connu le grand périple ?

« Eh oh petit, calmos deux secondes, tu piailles plus que ce satané oiseau près du camp qui nous casse les oreilles tous les matins là. Mais oui, j'ai connu le grand périple. C'était long, chiant et j'avais tout le temps mal aux pattes. »

Bah ouais quoi, tout n'est pas toujours aussi beau que dans les histoires des anciens. Enfin bon, c'est vrai qu'en y repensant quelques secondes...

« C'était surtout très dangereux, et éprouvant. Il fallait constamment faire attention à tout le monde et espérer être sur le bon chemin. La chasse était difficile, le temps rude et... »

Oulah, mais c'est que j'ai failli devenir intéressant là. Stop stop stop, on est pas là pour tailler une bavette.

« Bref. T'es là pour écouter des histoires ou t'entraîner ? Reflex ! »

Et hop ! Trop facile eheh... Un petit mouvement circulaire pour lui faucher ses petites pattes avec les miennes. Elle se retrouvera par terre de nombreuses fois de toute façon, autant apprendre au plus tôt ce que ça fait.

« Voilà, si tu te concentrais un peu, tu ferais attention. Les guerriers ennemis ne vont pas attendre que tu les regardes pour t'attaquer. »

Et on reprend la marche vers les Ruines. Pas la peine de regarder derrière moi pour voir si elle se relève, je sais qu'elle le fera... J'ai comme le pressentiment qu'elle est tenace.

Elle est réellement curieuse du récit du guerrier sur le périple, aussi se contente-elle pendant un instant de tenter tant bien que mal de se maintenir au niveau de son mentor, la tête tournée vers lui, suspendue à ses lèvres. Mais elle qui espérait de magnifiques descriptions des paysages parcourus, elle est quelque peu déçue par la réponse du matou qui la ramène à la réalité. Sait-il réellement faire autre chose que de râler ? Elle en est de moins en moins sûre au fur et à mesure que les minutes passent. Mais en même temps, elle trouve un certain amusement dans le fait de regarder ce grand dadais se plaindre d’à peu près chaque chose existante sur cette terre, pour finalement se laisser emporter dans ses propres paroles, elle va peut-être enfin pouvoir réellement apprendre des choses… Ah non, voilà qu’il se reprend. Bon, dommage.

Elle aurait pu sourire devant cette scène, ou du moins en retenir un, si seulement elle ne s’était pas retrouvée mystérieusement et trop brutalement à son goût projetée à terre. Le nez sur le sol froid, les herbes chatouillant son museau, elle reste quelques secondes trop surprise pour dire ou même penser quoi que ce soit. Elle se relève après un petit temps de flottement et réalise que Silex d’Hématite s’est déjà éloigné sans un regard en arrière. La boule qui ne cesse de grossir dans sa gorge depuis le début de la matinée se fait plus présente encore, un goût acide dans sa bouche, des oreilles bourdonnantes. Elle murmure des paroles amères en arrivant au niveau du chat gris, blessée plus qu’elle ne voudrait le paraître par son geste.

« ... J’étais concentrée. Simplement, je l’étais sur ce que tu disais, pas sur tes pattes. »

La colère. Une émotion dont Nuage des Nymphes s’est toujours méfié. Comme tous les chatons, elle a connu ces épisodes de caprices, de pleurs et de cris, puis s’est très vite rendu compte qu’elle regrettait inlassablement les paroles et les gestes impulsifs résultant de ces confrontations. Elle a appris à garder la tête froide, et refuse qu’aujourd’hui soit une exception. Et puis peut-être que Silex d’Hématite a un but précis en faisant ça… Elle se sent soudainement immature d’avoir arboré cet air boudeur quelques secondes plus tôt. L’apprentie tricolore respire un coup, laisse l’orage passer dans son cœur et attend que son esprit soit clair à nouveau, avant de lever avec défi les yeux vers le visage de son mentor, cherchant à croiser son propre regard.

« J'aurais pu me défendre si je savais comment. Alors explique moi, qu’est ce que j’étais censée faire dans cette situation ? »

Elle avait essayé de l’amadouer ce matin, et cela n’avait pas vraiment porté ces fruits. Peut-être valait-il mieux y allait frontalement en étant directe. Après tout, elle n’avait pas grand-chose à perdre en essayant, ce n’était pas comme si Silex d’Hématite la portait dans son cœur. Pourtant, il allait bien devoir la supporter, et vice-versa.

J'ai beau ne pas aimer l'idée d'être devenu mentor et de devoir m'occuper d'une féline à peine sortie de la pouponnière, c'est pas pour autant que je ne vais pas faire attention à son entraînement. Oui bon j'avoue, je lui fait passer un moment difficile là... Mais tant pis. J'ai été choisi pour m'occuper d'elle, alors je le ferai à ma manière. Quand j'en aurai fini avec elle, elle sera forte, alerte et elle comprendra ce que c'est d'être un guerrier. Ce n'est pas en la caressant dans le sens du poils qu'elle va apprendre qu'on est pas là pour s'amuser, mais bien pour défendre et nourrir notre clan.

Qu'est-ce que j'entends, ça râle derrière moi ? Allez je vais au moins lui laisser ça, je le fais tout le temps aussi. C'est amusant de râler, j'aime bien ça. Et puis, ça défoule. J'l'ui ai fait un croche-pattes après tout, je ne m'attends pas à ce qu'elle rigole. Mais dis donc... On dirait bien qu'elle se contrôle la petite. Je sais qu'elle est en colère, je peux quasiment sentir la chaleur qui émane de ses oreilles à une longueur de queue. J'ai même cru qu'elle allait exploser pendant un instant d'ailleurs. Et pourtant, elle respire et ne s'emporte pas.

Intéressant... Voilà même qu'elle me défi du regard tout en posant la question que j'attendais. Je peux pas m'empêcher de sourire, satisfait et un peu fier d'elle, je l'avoue. Eheheh, c'est bien petite. Non seulement tu fais attention à tes émotions, mais tu me confrontes en plus ! J'aime cette attitude. Allez, fini de jouer, il est l'heure d'apprendre.

« Tiens-toi droite. Ta patte arrière là, pas comme ça enfin, on dirait un lièvre. Voilà c'est mieux. Le menton haut, les oreilles en avant, la queue rigide... Ouais, on va dire que ça passe. Tu dis que tu étais concentrée sur ce que je disais ? Justement. Un ennemi va te parler, te provoquer, te distraire. Et si tu fais la même erreur, tu vas te focaliser sur ce qu'il dit et sa grande gueule au lieu d'anticiper son attaque. »

Je lui tourne autour histoire de tout vérifier mais ça a l'air d'aller, sa posture est pas trop mal. Maintenant, on va voir si elle a retenu la leçon. Je me mets juste devant elle et hop, bataille de regards.

« Regarde moi dans les yeux et sers toi de ta vision périphérique. Si tu regardes ma patte, je sais que tu la vises. Si tu regardes derrière moi, je sais que tu calcules une trajectoire pour me contourner. Aie le regard fixe. Tu dois à la fois analyser mes mouvements et prévoir les tiens. »

Je sais pas pendant combien de temps on reste comme ça, à se jauger du regard et à scruter chacun de nos mouvements en essayant de pas bouger les yeux, mais je pense qu'elle commence à comprendre. Je renifle, avant de lui tourner le dos pour qu'on continue notre chemin.

« Pas mal, petite. »

On est pas là pour un entraînement martial. Oh, c'est pas que j'en ai pas envie, au contraire. Je serais intéressé de voir ce qu'elle a dans le ventre et le combat est sûrement le domaine dans lequel je suis le plus à l'aise. Mais un félin devrait d'abord connaître son territoire afin de l'utiliser à son avantage.

« Ici ce sont les Ruines. Le territoire du Clan de la Rivière est pas loin, tu dois apprendre à reconnaître leur odeur. Facile, ça sent le poisson. »

Les Bipèdes sont vraiment bizarres pour construire des nids aussi grands avant de les abandonner. Ils ont le pouvoir de dompter les pierres et ils s'en servent pour ça ? Pfff... Quelle stupidité.

« Maintenant je veux que tu me dises tout ce que tu sais à propos des autres clans. Les rumeurs que t'as entendu, les histoires... On va faire le tri dans ta tête parce que j'ai le pressentiment que les anciens t'ont pas raconté des bêtises qu'à propos des territoires. »

Le regard de Nuage des Nymphes ne flanche pas alors que son mentor se retourne & se rapproche. Pourtant, ce n’est pas l’envie de détourner le regard et de se faire petite qui lui manque, ce n’est pas non plus celle de lui jeter des plaintes et des paroles blessantes à la figure. Mais elle n’a pas la moindre idée de ce que le guerrier gris s’apprête à faire, alors elle se fige et garde sa posture, sans pouvoir empêcher ses yeux de prendre une expression méfiante.

Son regard s’écarquille d’un seul coup alors qu’il se met d’un seul coup à corriger sa position sans préavis. Elle se laisse faire sans rien dire, la surprise lui ayant ôtée les mots de la bouche. C’était comme si… oui, comme si Silex d’Hématite y mettait soudainement de la bonne volonté. Et elle se sent soudainement absolument maladroite, comme un chaton apprenant tout juste à marcher. Elle prend d’un seul coup conscience de la mollesse de ses pattes et de la courbure de son dos, alors elle tente de mettre toute son âme pour corriger tout cela comme le lui apprend Silex d’Hématite. Elle doit sembler un peu raide ainsi, tellement focalisée sur la droiture de son corps qu’elle en oublie presque comment bouger naturellement. Mais il n’y a pas de doutes, elle se sent plus proche d’une combattante qu’elle ne l’était quelques instants auparavant. Et lorsqu’elle relève les yeux et les repose sur son mentor, elle n’est pas sûre de lui en vouloir autant que quelques instants auparavant. Peut-être qu’il possède même quelques qualités après tout.

Elle tente au mieux d’écouter ses conseils alors qu’il se place face à elle. Plonger ses yeux dans le regard de Silex d’Hématite ne fait pas vraiment partie de son top 50 des choses qu’elle aimerait faire, mais elle tente de faire abstraction de cela pour effectuer au mieux l’exercice. Elle doit regarder ses yeux sans les voir, se concentrer sur tout ce qu’elle voit autour. Elle se sent pourtant désarçonnée. A chaque instant, son regard dévie et elle ressent la tentation de fixer la patte du guerrier dont elle se méfie. Il s’agit définitivement d’un exercice auquel elle ne s’attendait pas et qui consomme beaucoup plus d’énergie que ce à quoi elle s’attendait, mais elle refuse de lâcher prise ou de détourner le regard. Après tout, elle a de plus en plus l’impression que chaque action de son mentor est un test, test qu’elle est déterminée à passer.

Lorsque ce face à face se rompt finalement, elle ne peut retenir un soupir de soulagement silencieux. Elle n’est pas certaine d’avoir bien réussi l’exercice, car si ses yeux sont restés fixes la plupart du temps et qu’elle aurait sûrement réussi à esquiver la moindre tentative d’assaut du matou, cela lui a demandé tellement d’efforts qu’elle se serait bien sentie incapable de prévoir le moindre mouvement en même temps. Comment fait-il pour garder un visage si impassible tout en la surveillant et en prévoyant une attaque ? Combien de temps d’entraînement lui faudra-t-il avant d’arriver à un tel résultat ? Les doutes l’assaillent alors que le guerrier lui tourne le dos et qu’elle se prépare à reprendre le chemin.

Silex d’Hématite était définitivement le chat le plus imprévisible qu’elle avait jamais connu. Sa non-motivation et ses railleries l’avait prise de court, son croche patte lui avait fait voir rouge. Elle s’était finalement trouvée démunie et radoucie face à ses conseils et à ce combat de regard qui venait de la déstabiliser plus que tout auparavant. Mais un compliment… C’était définitivement quelque chose qu’elle n’avait pas imaginé possible, et cela la stoppa net dans son mouvement, et elle s’inquiéta pour sa santé l’espace d’une seconde. Entendait-elle des voix ?

Mais non, contre toute attente, il venait bel et bien de lui faire un compliment, et cela était si inattendu qu’il n’en fallait pas beaucoup plus à Nuage des Nymphes pour se remettre d’aplomb, une bulle de contentement enflant doucement dans son cœur. Elle est presque impatiente de connaître la suite des évènements à présent, elle qui se préparait quelques instants encore à subir cette journée d’entraînement comme un calvaire. Alors elle le rattrape en trottinant, tentant d’effacer le sourire qui monte sur ses lèvres sans vraiment y arriver. Silex d’Hématite ne veut pas d’un chaton tout excité dans ses pattes, elle le sait, mais le semblant de compliment qu’il vient de lui adresser la fait se sentir bien plus fière que ce qu’elle voudrait l’admettre.

Ils arrivent bientôt en haut d’une petite butte, et des pierres étranges empilées les unes contre les autres se dressent contre le vent qui produit un son étrange en passant entre elles. En effet, comme le dit Silex d’Hématite, le vent apporte dans son souffle une odeur étrange qui fait froncer le museau à l’apprentie. Raconter ce qu’elle a entendu sur les clans à Silex d’Hématite… Elle a en effet entendu bien des choses, et si elle ne les prend bien sûr pas toutes aux pieds de la lettre, elle est néanmoins confiante que les rumeurs possèdent une part de vérité.

« Eh bien, au sujet du clan du tonnerre… J’ai entendu qu’ils étaient très fiers et qu’ils grimpaient tous tellement bien qu’ils savaient presque voler d’arbres en arbres. Ils acceptent tous les solitaires dans leur clan et euh… ils ont eu des problèmes de succession à la tête du clan ces derniers temps non ? Étoile d’Ambre n’est pas restée cheffe longtemps je crois. Pour le clan de l’ombre, les anciens racontent tout le temps qu’ils sont méchants & n’hésitent pas à tuer, mais ils ne peuvent pas tous être comme ça hein ? »

Elle se sent presque craintives à cette idée, un clan d’ombres assoiffées de sang. Même si cette rumeur est fausse, d’où peut-elle bien venir ?

« On m’a dit aussi qu’ils sont très très discrets, qu’ils attaquent fourbement par derrière sans qu’on puisse les entendre. Et ils utilisent les escadrons pour nous espionner. C’est vrai ça ? Il paraît même qu’un de leur ancien est immortel, il est tellement vieux qu’il a perdu tous ces poils. »

Elles jettent des coups d’œil autour d’elle, comme pour vérifier qu’aucune paire de yeux ne luit dans les buissons alentours. Oui, le clan de l’ombre est décidément celui aux sujets duquel les rumeurs sont les plus nombreuses et les plus sombres. Enfin, sauf celle sur l’ancien immortel. Imaginer un chat sans poil lui donne plutôt envie de rire.

« Le clan de la rivière, on ne raconte pas grand-chose dessus… à priori ils seraient trop occupés à ramasser des coquillages pour s’inquiéter d’autre chose, et trop têtus pour qu’il soit possible d’avoir un débat avec eux. Ils ne se nourrissent que de poissons… Pourquoi ils ont besoin de terres s’ils ne mangent que du poisson ? Et le clan de la lune, c’est pareil, ils s’intéressent tellement aux étoiles qu’ils en oublient tout le reste. »

Voilà, elle espère avoir fait le tour. Elle ne dote pas qu’elle doit avoir sorti beaucoup de bêtises, mais peut-être aussi quelques trucs vrais ? Non ?

Je sais que c'est une enfant. Elle est jeune, elle est naïve, c'est normal. J'étais pas bien différent, et toi non plus, Nuage du Cerf. Nous aussi on a cru à toutes les histoires qu'on nous racontait, nous aussi on a imaginé des images farfelues avec notre jeune esprit. Ralala, mon frère... Si tu étais encore de ce monde, peut-être que c'est toi qui serait devenu le mentor de Nuage des Nymphes. Tu ferais sûrement un bien meilleur travail que moi d'ailleurs, et elle t'aimerait bien je pense. Moi aussi je... Ouais moi aussi j'aimerais bien qu'elle m'apprécie. Mais eh, je suis qui je suis. On ne change pas de caractère du jour au lendemain, et je ne veux pas faire semblant d'être quelqu'un de différent juste pour plaire aux autres. Je ne leur en veux pas, à ceux qui ne m'apprécient guère. J'ai jamais prétendu vouloir être leur ami, ou même être sympa avec eux. Je me suis amélioré depuis quand même, non ? J'ai l'impression que c'est le cas depuis que je t'ai vu pendant la Bataille Finale. Je n'ai plus frappé personne dans le clan en tout cas. C'est déjà ça.

Bon, comme je l'avais imaginé, ses idées sont teintées de métaphores absurdes ou stupides, et elle ne sait pas grand chose d'autre que ce qu'on dit rapidement à un chaton pour lui expliquer qu'il y a quatre autres clans différents près de nous. J'essaye de retenir mes yeux qui se lèvent vers le ciel mais... Quand même. Des chats qui volent. Faut arrêter de délirer.

« Alors déjà, les chats, ça ne vole pas. Mais oui, les guerriers du Tonnerre savent bien grimper et se déplacer en forêt, c'est pour ça que tu dois toujours regarder dans toutes les directions si tu te retrouves un jour sur leurs terres. Mais bon, y a peu de chance que ça arrive, ils sont totalement à l'opposé de nous, on a pas de frontières communes. Et non, ils ne vont pas voler jusqu'ici. »

Oups, j'ai pas pu la retenir celle-là.

« Ensuite, Étoile d'Ambre avait succédé à Étoile des Ouragans qui a disparu du jour au lendemain. D'après la nouvelle là, Rivière de Machin Chose, il est resté dans les Montagnes d'où elle vient. Si tu veux mon avis, je trouve qu'il faut vraiment être bizarre pour quitter son clan et vivre à des milliers de longueurs de queue du sol. C'est bien un truc de grimpeur ça. En tout cas c'est Étoile de Chêne le chef du Tonnerre maintenant. »

Je m'arrête un instant pour l'écouter me décrire le Clan de l'Ombre. Je peux pas cacher un rictus amusé, qu'est-ce que les parents et les anciens vont dire aux chatons pour leur faire peur. Elle est apprentie maintenant, il est temps qu'elle apprenne à faire le tri dans les rumeurs et qu'elle fasse preuve de courage.

« Si tu as déjà peur du Clan de l'Ombre avant même d'avoir vu un de leurs membres, alors on est mal barré. Ils sont louches, c'est sûr, mais ils ne tuent pas plus de chats qu'un autre clan... Ou peut-être que si ? »

J'ai dit ces dernières paroles avec une drôle de voix, en rapprochant mon visage d'un coup du sien, les crocs à découverts. Je m'écarte, avec un rire un peu dérangeant. Roooh c'est bon, si on peut plus faire de blagues...

« Ils sont passés par de drôles de périodes, une fois ils se sont même totalement enfermé dans leur bulle et on a pas eu de leurs nouvelles pendant des lunes. Tu dois te méfier d'eux, comme de tous les autres clans de toute façon. On ne sait pas ce qu'ils ont derrière la tête et tu as raison sur une chose, les Escadrons ont bien l'air d'être là pour nous espionner, même s'ils ne veulent pas l'admettre. Le Rat est vieux ouais, mais ne sois pas stupide, il est juste né sans poils. »

Je me lève à nouveau pour qu'on continu notre traversée du territoire. On longe la frontière entre notre clan et celui de la Rivière pendant qu'elle me dit ce qu'elle sait d'eux justement.

« Les membres du Clan de la Rivière sont d'excellent nageurs, ils peuvent utiliser cette technique à leur avantage pour faire des embuscades en sortant de l'eau. Ils sont têtus oui, mais il faut avouer qu'ils ne sont pas trop bêtes. Quand t'étais petite, encore plus que maintenant, ils ont trouvé la plupart des idées pour empêcher la Marée Noire de se rependre dans toute la rivière. Ils ont ce qu'ils appellent des Génies, à peine narcissiques ces chats-là, et ils savent se débrouiller pour adapter leur territoire à leurs besoins. Et pourquoi ils ont besoin d'autant de terres ? Parce que c'est sûrement les seuls qui doivent autant aimer l'eau et l'humidité. Même s'ils me proposaient leur territoire spongieux, je l'accepterais pas. »

Marcher dans l'herbe mouillée toute la journée et manger du poisson puant ? Non merci.

« Ouais, t'as pas entièrement tort pour le Clan de la Lune. Ils sont étranges, un peu en marge des autres. Il paraît qu'au delà de juste s'intéresser aux Étoiles, ils parviennent à communiquer avec elles plus facilement. Ne crois pas certains des nôtres qui disent que le Clan des Étoiles n'est qu'une histoire inventée de toutes pièces. Il est bien réel, je l'ai vu, mon frère... »

Non. Crotte de souris, je me laisse emporter par mes paroles, pas envie de lui parler de Nuage du Cerf maintenant, c'est pas le moment de toute façon. Depuis quand je parle autant moi ? Tant pis, je change de sujet.

« Bref ça suffira pour l'instant petite. Autant ne pas trop te bourrer le crâne parce que sinon tu vas jamais retenir les frontières. On approche des Cinq Rocs d'ailleurs, par là-bas t'es libre de bouger où tu veux, ça n'appartient à aucun clan. »

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Elle avait toujours trouvé cela assez simple d’observer les autres, de deviner leurs pensées à partir de simples expressions ou gestes, d’une intonation particulière, d’un éclat dans le regard. Elle s’adapte, anticipe, s’arrange pour garder toujours une certaine maîtrise de la situation. C’était néanmoins le cas lors de ses jeux de chatons, en compagnie des autres apprentis. Silex d’Hématite lui offre une toute autre façade, en apparence claire à lire mais qu’elle ne parvient pas à utiliser. Comment s’adapter à une telle mauvaise foi, à un roc dont la seule parole semble être le sarcasme ? Puis lorsqu’elle s’y attend le moins, cette façade se fend et laisse une autre apparaître, comme des murs en cachant d’autres. Combien de murailles se trouve devant l’esprit du matou ?

Peut-être est-ce là que réside la différence entre les adultes et les chatons. Nuages des Nymphes s’est toujours sentie mature en compagnie des autres chatons, mais elle se sent aujourd’hui diminuée. Peut-être aurait-elle dû prévoir cette fracture, cette hiérarchie aussi dans sa relation avec un mentor, mais elle prend un goût amer aujourd’hui qu’elle la découvre, comme une première leçon inattendue qu’elle doit apprendre contre son gré. Elle prend stupidement conscience au même instant que c’est ainsi que Silex d’Hématite doit la considérer, une enfant, et cela ne lui plaît pas d’avantage. Elle refuse d’être ce corps faible dénué d’idées et de ressentis que les adultes semblent prêter aux plus jeunes.

Oui, cela la met quelque peu sur les nerfs, une colère froide coule dans ses veines à ces pensées. Mais pour passer outre cette première impression, y a-t-il un autre moyen que de faire en sorte de mériter une juste appréciation d’elle-même à sa valeur ? Non. Alors elle va redoubler d’efforts et tout faire pour passer du statut de chaton à … autre chose. Pourtant lorsque Silex d’Hématite commence à faire le tri entre le vrai et le faux sur les clans à grand renfort de petites piques moqueuses, elle ne peut s’empêcher de froncer le nez. Serait-elle en train de se découvrir une facette susceptible ? Pas de bol, elle ne connaît que son mentor depuis le début de la matinée mais se doute déjà qu’il n’est pas des plus tendres avec ses mots. Elle ravale donc sa fierté et fait de son mieux pour rester attentive. Elle ne peut cependant s’empêcher de le reprendre dans un murmure.

« Elle s’appelle Rivière des Terres Inconnues, pas Rivière de Machin Chose. »

D’accord, c’était un peu plus long que ce à quoi ils étaient habitués. Mais était-ce vraiment une raison pour ne pas retenir le nom d’une camarade de clan ? S’il retenait les noms des chefs du Tonnerre sur plusieurs successions, il pouvait aussi faire un effort pour les membres du vent… Elle ne cherche pas le conflit, elle se demande seulement s’il ne connaît vraiment pas son nom ou s’il se moque d’elle. Peut-être ne l’aime-t-il pas parce qu’elle vient d’ailleurs ? Elle n’a pas le loisir de réfléchir davantage à cela, voilà qu’elle se sent saisie de honte en apprenant que le Rat de l’Ombre est né sans poils. Elle qui pensait être capable d’un minimum de jugeotte, elle avait vraiment cru à un chat tellement vieux que le temps aurait emporté sa fourrure. Elle se mord les lèvres, tentant d’oublier la brûlure de la honte et suit Silex d’Hématite alors qu’ils quittent la petite butte et les pierres laissées à l’abandon et démunies face aux assauts du vent. Elle trouve que le lieu semble triste lorsqu’on s’en éloigne ainsi, mais elle appréciait se tenir près des bâtiments grisâtres et sentir leur paroi rude la protéger du vent.

Au fur et à mesure qu’elle parle du clan de la rivière, elle sent d’ailleurs une odeur étrange, assez désagréable car inconnue, et sait qu’elle se trouve tout près de la frontière. Est-ce ce petit muret là, qu’ils longent à l’instant, qui sépare les deux territoires ? Elle aimerait se percher sur ces pierres et regarder de l’autre côté. Est-ce que ce serait vu comme une provocation ? La description que Silex d’Hématite fait de leurs terres la rend curieuse.

Néanmoins, ses pensées se redirigent bien vite vers d’autres sujets lorsque le guerrier gris aborde le Clan de la Lune. Son frère… ? Elle tourne vers lui des prunelles attentives, avant de laisser retomber son regard, ayant compris qu’il ne développera pas plus le sujet.

« Je sais que le Clan des Étoiles est bien réel ! Mes mamans m’en parlaient sans cesse, le soir, les contes concernés les ancêtres du passé… et puis souvent on allait pri- »

Elle se tait, soudainement consciente qu’elle parle de sa vie de chaton, elle qui voulait au contraire paraître mature. Mais elle ne peut retenir un petit sourire incertain avant de continuer.

« Tu vois alors, il y a peut-être bien une part de vérité dans les contes pour chatons. »

Mais son mentor semble avoir repris tout son sérieux, et elle tente de reprendre elle aussi son rôle d’apprentie silencieuse et attentive. Mais c’est peut-être ça aussi qu’elle n’aime pas. Cette conversation unilatérale, son rôle inactif de suiveuse. Et voilà, il la remet encore une fois à sa place avec un « petite », et elle soupire inconsciemment. Est-ce que tous les apprentis ressentent cette frustration qui la pique sans arrêt ?

Bientôt comme l’avait prédit Silex d’Hématite, les Cinq Rocs apparaissent devant eux, entourant le gros rocher central comme des gardiens. Ce cercle paraît immense et vide ainsi, sans personne d’autres que leur duo autour. Mais elle l’imagine pleins de chats de toutes les couleurs et origines, la rumeur des conversations montant depuis son centre. Une question lui vient.

« Dis… C’est peut-être stupide, mais les clans se sont bien entendus récemment non ? On s’est tous entraidés pendant la Marée Noire… Et puis, ça date plus mais il y avait le voyage avant… On fait sans cesse des patrouilles, on apprend à se battre, mais ça ne peut pas vraiment arriver une guerre, si ? »

Elle pense les clans bien trop différents pour imaginer un effacement total des frontières et un regroupement, mais elle a tout de même du mal à comprendre cette manière qu'on a à être toujours sur ses gardes, à mettre des barrières entre "nous" et les autres, à patrouiller et sortir les griffes au moindre dépassement de frontière. N'est-ce-pas plutôt précisément cette attitude qui risque de tous les précipiter dans des querelles facilement évitables ? Elle se dit qu'ils gagneraient tous du temps s'ils se contentaient de chasser sans s'inquiéter autant de tout cela.

Une part de vérité dans les contes pour chatons ? Ouais c'est possible. Après tout c'est grâce à ces contes que j'ai pu rêver quand j'étais apprenti. Que j'ai pu m'imaginer devenir un grand guerrier, puis lieutenant, et enfin chef. J'aurais nommé Nuage du Cerf comme mon second, comme on se l'imaginait dans nos jeux de chatons. On aurait mené le Clan du Vent sur le chemin de la grandeur, rien ne nous aurait arrêté, tout le monde aurait été protégé. Mais bon. Tout ça c'était avant sa disparition. Avant la démocratie.

Quel idéalisme stupide... Qu'est-ce qui avait pris au Clan ce fameux jour ? Forcer Pluie d'Étoiles à abandonner son rôle de chef ? Et pourquoi le Clan des Étoiles avait-il accepté tout ça ? J'avais l'impression que tout le monde devenait fou. Moi aussi j'en avais marre que le Clan de la Rivière squatte nos terres, moi aussi j'en voulais à notre dernière meneuse de ne pas avoir agi plus tôt... Mais de là à en arriver à cette décision ? Non, c'était stupide. Mais je n'avais rien dit, rien fait. Comme d'habitude depuis la disparition de Nuage du Cerf, je m'étais renfermé et j'aboyais sur tous ceux qui m'approchaient. Je n'avais ni la force, ni la volonté de faire entendre ma voix. Aujourd'hui, je suis pas un révolutionnaire, je vais pas mener une croisade pour que le Clan du Vent redevienne comme avant. Tout le monde a l'air d'apprécier la démocratie ? Et bien tant mieux pour eux. Mais à cause d'elle, le clan n'est plus le même. Nous n'avons plus de chef, plus de meneur aux vies multiples. Tout ce que nous avons c'est un « Conseil » qui ne sert à rien et qui ne fait que rendre tout le monde confus. Du moins, les plus vieux comme moi. Mais de toute façon c'est comme ça que marche le monde non ? Il avance sans nous attendre. Et adieu à mes rêves de devenir chef.

Les Cinq Rocs ouais. L'endroit où on vient tous pour faire semblant qu'on partage les mêmes valeurs alors qu'on se griffe dans le dos juste après. Un lieu de « paix ». Et pourtant c'est ici, comme aux Quatre Chênes, que se déclareront les plus grandes guerres. Mais ça, Nuage des Nymphes ne le réalise pas encore, vu sa question. Crotte de souris... C'est maintenant que je m'en rends compte en fait. Je l'embête, je lui rends son premier tour de territoire difficile, je la traite comme une chatonne... Mais c'est quasiment ce qu'elle est en fait. Je la regarde, et je vois une jeune féline, aux formes encore rondes de l'enfance, aux poils doux et propres, à la peau parfaite et non cicatrisée, aux yeux innocents. Elle ne connaît pas la guerre, il n'y en a pas eu depuis bien longtemps. Elle ne connaît pas les batailles, la souffrance, la mort, le sang. Et c'est à moi de lui apprendre tout ça, de lui voler son insouciance. Par le Clan des Étoiles, que je déteste qu'on m'ait nommé mentor.

« Écoute petite... Viens t'asseoir. »

Je soupire et je fais de même, faisant face aux Cinq Rocs.

« La guerre c'est... Un orage tu vois. Un jour il fait beau, les oiseaux chantent, puis la nuit tombe. Et le lendemain, tu es réveillée par le tonnerre. Tu vois les éclairs, la pluie, la tempête, la nature s'enrager. Personne ne s'y attend, personne ne peut le prédire. Tout se déchaîne. »

Pourquoi je galère tant à expliquer ce qui fait que nous nous appelons des guerriers ?

« Les clans ne sont pas différents. Lorsqu'ils grondent, il y a forcément un moment où ça explose. Mais le beau temps revient toujours. »

J'espère qu'elle comprend. Je réalise maintenant qu'elle est sous ma responsabilité. Que lorsque la guerre viendra, et elle viendra, il faudra qu'elle survive grâce à mon entraînement. Il faudra que je la protège. Elle doit me trouver bizarre à la regarder comme ça soudainement.

« Tu connaîtras la guerre. Tu ne seras pas prête quand elle frappera, personne ne l'est jamais. Mais tu ne seras pas démunies. Tu auras ton clan, et mon entraînement. Alors tâche de bien m'écouter, compris ? »

Elle l’observe alors qu’il soupire. Ses mots semblent avoir jeté un voile solennel sur le monde autour d’eux. A cet instant, Silex d’Hématite lui semble vieux comme les rocs. Il se tient comme s’il portait sur ses épaules le poids du monde, et un peu plus que cela même. Nuage des Nymphes ressent un pincement au fond de son cœur en s’asseyant à ses côtés, la tête dressée pour le voir encore, se demandant si un jour elle aussi, elle aura cette vieillesse dans les yeux, la tête et le cœur. Cela lui semble bien loin, un futur inatteignable, inimaginable. Elle n’imagine pas la vie autrement que sous l’optique de la jeunesse, un corps vif et en bonne santé, des idées pleines la tête, un futur de chasseuse et membre du vent tout tracé qui se déroule sous ses pattes.

Mais tandis qu’elle regarde le futur, lui semble au contraire tourné vers autre chose, quelque chose que Nuage des Nymphes ne connaît pas et ne peut comprendre. Il lui parle de guerre, de beau temps et d’orage. Ça la surprend de Silex d’Hématite, de parler ainsi en métaphore, comme s’il ne savait pas vraiment comment décrire la chose. Ça ne l’aide pas vraiment non plus elle-même à comprendre. Dans le clan, point d’orage, point de grondements. Ce qui y ressemble le plus, ce sont les plaintes des anciens quand les apprentis font mal leurs litières et l’énervement des guerriers lorsque les chatons deviennent un peu trop hardis. Elle peut peut-être ajouter son mentor grincheux du matin à cette liste. Mais ça ne l’aide pas à comprendre comment tout peut se déchirer, comment d’anciens amis se retrouvent face à face dans la fureur de la bataille, comment des chatons grandiront sans pères ni mères, dommage collatéraux de quelque chose qui les dépassent tous. Pourquoi des orages se soulèvent-t-ils dans leurs cœurs ? Elle n’en a aucun dans le sien. Mais il y a Silex d’Hématite et son air grave et son regard étrange qu’il pose sur elle à cet instant, alors elle se dit qu’elle pourra comprendre plus tard, lorsque l’heure viendra. Et après tout, elle sera entourée, il y aura le clan. Si jamais une guerre éclate, chose bien improbable, elle veut croire que c’est une épreuve qu’ils traverseront ensembles, et tout ira bien pour tout le monde. Oui, si c’est pour protéger ceux qu’elle aime, elle peut oublier un instant les autres clans et les dégâts qu’ils pourraient subir. Tant que le Vent est préservé.

Elle s’en veut d’avoir posé cette question, d’être responsable de cette atmosphère froide qui s’est posée sur eux et la fait presque frissonner, alors elle hoche la tête, son regard posé sur les cinq rocs, comme si un nouveau pan de la réalité s’était soudainement révélé à ses yeux. En réalité, elle réfléchit à ce qu’elle doit faire à présent, ce qu’elle peut faire pour réparer son erreur, sa question. Nuage des Nymphes hésite souvent avant de prendre une décision. Elle passe de longs moments à peser le pour et le contre, à prendre du recul, à calculer. Mais parfois, un sursaut d’enfance et de la nonchalance des premiers instants remonte dans son corps. C’est peut-être ce qui arrive à cet instant.

Elle se remémore les conseils donnés quelques instants plus tôt. Elle ne le regarde pas, laisse ses yeux posés sur les pierres froides, elle le voit tout juste, là, dans le coin de son œil. Trop peu net pour qu’elle sache s’il la regarde encore ou non, mais si elle est assez rapide… Peut-être qu’en prenant un peu d’élan en bondissant sur cette pierre avant de bondir sur lui… Et puis elle pourra s’accrocher à sa fourrure, abattre ses pattes sur ses oreilles. Elle pourrait viser les yeux s’ils étaient ennemis. Elle tente le tout pour le tout.

Silex d’Hématite n’a pas l’air de rigoler avec la guerre, et là n’est pas son intention. Elle veut simplement lui montrer qu’elle est là, qu’elle écoute. Qu’elle a confiance en lui, en eux, malgré son imprévisibilité qui lui donna aujourd’hui l’impression de marcher sur des aiguilles. Peut-être est-ce cela qu’elle abandonne aussi, qu’elle laisse derrière elle à ce moment.

Elle aura sûrement un peu ressemblé à un chaton avec ses mouvements précipités et déséquilibrés, son saut manquant de force, mais peu importe. Elle veut penser que l’important, c’est d’essayer. Elle est prête à essuyer les moqueries ou remontrances, tant pis.

« Tu vois, j’écoute et j’applique. Je vais être capable de me défendre de moi-même, et de défendre les autres également. Promis, je vais faire de mon mieux ! »

Elle aura peut-être dit cette phrase en toussant et en recrachant de la poussière après avoir été repoussée, ou bien droite et campée sur ses pattes si elle est victorieuse. Mais dans tous les cas, une lueur de défi et de détermination brille au fond de ses yeux.

J'avoue que je ne réalise qu'aujourd'hui ce que représente la guerre. Toute ma vie, je suis resté renfermé sur moi-même et sur mon obsession pour mon frère, que ce soit pendant les meilleurs ou les pires moments de l'histoire du Clan du Vent. J'étais en colère, j'étais triste, je me battais avec rage sans jamais voir les conséquences de mes actes ou des batailles. Mais maintenant que j'ai enfin pu faire la paix avec moi-même, et avec Nuage du Cerf, je me rends compte. Je me rends compte de ce que représentent la guerre, les blessures, les morts. Et surtout, je vois en face de moi une novice, presque une chatonne encore, ses grands yeux curieux regardant partout autour d'elle alors qu'elle découvre pour la première fois le monde extérieure. Et elle ne sait pas. Elle ne sait pas que ce monde n'est pas aussi beau que ce que sa vision perçoit, elle ne sait pas qu'elle verra sûrement plus de sang que de lumière. Et lui expliquer tout ça me paraît alors une tâche impossible, moi qui me croyait être un guerrier aguerri maintenant... Crotte de souris.

Je dois vraiment être nul comme mentor. Alors oui, je peux lui apprendre à se battre et à chasser mais il suffit qu'on en vienne à des sujets un peu plus complexes comme ça et je sors des histoires d'orages et de beau temps. On croirait entendre un ancien, ridicule. Pourtant elle hoche la tête, elle semble se perdre dans ses pensées. Est-ce qu'elle a compris ? Est-ce que j'ai dit ce qu'il fallait ou est-ce que j'ai traumatisé un énième membre du clan ? J'aime bien faire peur aux chatons et aux novices ou les embêter pour passer le temps, mais je ne veux pas non plus les terroriser, c'est pas le but. On pourrait croire que je déteste tout le monde, mais c'est pas vrai. C'est juste ma manière de me faire remarquer, qu'on ne m'oublie pas comme on a oublié mon frère... Mais bref.

Du coup je fais pareil qu'elle, je regarde les Cinq Rocs et j'imagine les chefs de clan dessus. Je les vois se disputer à la pleine lune, comme ils aiment le faire, et peut-être aller trop loin cette fois-ci. Combien de semaines avant les prochains conflits ? Pas trop le temps d'y réfléchir qu'une boule de poils écaille de tortue se jette sur une pierre juste devant et s'en sert pour se propulser sur moi.

« Eh ! »

Juste le temps de baisser la tête par réflexe que la novice s'écrase déjà sur moi avec ses pattes sur mes oreilles, d'un mouvement maladroit mais réfléchi. Je lâche un grognement surpris et un peu agacé avant de me secouer pour essayer de la déloger, mais elle est bien accrochée. Elle a perdu la tête ou quoi ? Finalement, j'arrive à m'en débarrasser en la poussant un peu plus loin d'une patte. Elle a le poils complètement ébouriffé et les pupilles dilatées et, avant même que j'ai le temps de dire quoi que ce soit, elle justifie rapidement son attaque soudaine. Je reste un instant à rien dire, en étant limite bouche bée avant de lâcher un souffle amusé.... Puis finalement, j'éclate complètement de rire. Cela dure quelques secondes, je me plie presque en riant et je sais pas de quoi j'ai l'air de l'extérieur mais je ne m'attendais pas du tout à ça. Elle m'a surpris, la petite !

« Tu as du répondant, je dois bien l'avouer ! Je ne m'inquiète pas trop pour toi, tu as l'air de savoir t'occuper de toi-même. »

Eh, peut-être que ce ne sera pas si terrible que ça finalement. Elle n'est pas aussi niaise ou incapable que la plupart des apprentis. Je pourrais peut-être même m'entendre avec elle. Je me secoue pour remettre en place mon pelage et déloger la poussière et la terre qui a virevolté autour de nous puis je l'invite à me suivre.

« Allez on a encore du chemin à parcourir. Passe un coup de langue sur ton pelage, l'entraînement martial ça sera pour une prochaine fois. Tu me dois une revanche en plus. »

Je vois bien le défi dans ses yeux, à mon tour de lui en imposer un à travers mon regard. Je ne l'ai pas contre-attaqué cette fois-ci, mais lors du réel entraînement... Elle a intérêt à être prête psychologiquement. Je me retourne et me met à marcher en lui faisant un signe de la queue.

« On va longer le territoire du Clan de la Lune, traîne pas Nuage des Nymphes. »

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