[Event] Les racines d'une alliance

Les ruines se dessinent sur l’horizon balayé par les vents. Relevant son museau parsemé de poils blancs, Aubépine hume l’air salé de la lande, encore si nouveau pour elle. Cela fait maintenant bien des saisons que son clan a élu domicile en haut des falaises, mais si on lui demandait où était son foyer, elle répondrait Cerfblanc sans hésiter. Bien sûr, personne ne lui pose jamais des questions pareilles. On préfère généralement la laisser tranquille, et c’est tant mieux.

Elle marche d’un pas vif et assuré. L’herbe sèche sous ses pattes se mêle aux traîtres épines de quelques chardons, mais ses coussinets, durcis par les années, le froid et le voyage, ne craignent plus rien. À ses côtés, il y a la jeune Nuage de la Montagne, née à Valeemar et pour qui les Quatre Chênes ne sont qu’une ancienne légende. Aubépine songe alors que si elles avaient le même âge, elle serait cruellement jalouse de l’apprentie-guérisseuse… Bah. Être rejetée par le Clan des Étoiles ne l’a pas empêchée de s’accomplir en tant qu’herboriste. Aujourd’hui, Rose Délicate a jugé bon de faire profiter son élève de son expérience, et elle s’en enorgueillit.

Ainsi donc, Aubépine accompagne l’apprentie dans sa récolte de plantes, ou plutôt elle la guide à travers la lande, attirant son attention sur tous les remèdes aperçus en chemin. Désormais parvenue au pied du grand édifice de pierre à moitié effondré qui domine la lande, la vieille reine s’arrête pour reprendre son souffle tout en feignant de contempler l’horizon avec nonchalance. C’est au prix de durs efforts qu’elle parvient à rester fièrement dressée sur ses quatre pattes. Hors de question de perdre la face, on lui dirait qu’elle est trop vieille pour traverser tout le territoire. Balivernes.

« Je me demande bien comment… font leurs anciens… pour tenir encore debout… avec toute cette humidité, dit-elle encore essoufflée en désignant le territoire de la Rivière, de l’autre côté du muret en pierre. Rien qu’en approchant… de la frontière… mes articulations crient à l’agonie. Fais-moi penser à prendre de la reine-des-prés en rentrant. »

Nuage de la Montagne est intelligente, son mentor du jour a déjà pu tester ses connaissances en chemin, en l’interrogeant sur quelques plantes et leurs vertus. Ce qu’elle ignore encore, elle n’aura aucun mal à l’apprendre, Aubépine en est persuadée ; mais ce qu’elle va mettre à l’épreuve maintenant est quelque peu différent. L’apprentie-guérisseuse est appliquée, cela se voit, elle est sérieuse et réfléchie. Mais a-t-elle de l’audace ? A-t-elle juste ce qu’il faut d’impudence et de bravoure ?

« Bon. » L’ancienne s’étire. « L’avantage d’avoir un territoire envahi d’eau, c’est qu’il y a de la menthe à profusion, et c’est justement ça qui nous intéresse aujourd’hui. » D’ici, elle peut déjà sentir le parfum sucré de la menthe, de l’autre côté de la frontière. Alors, sans hésiter, et d’un bond souple qui ferait pâlir d’envie tous ces pauvres vieux du Clan de la Rivière, l’ex-herboriste se hisse sur le muret. « Tu viens », lance-t-elle à l’apprentie, en l’observant de son regard perçant. Elle a oublié d’adjoindre un point d’interrogation à son invitation. Allez petite, ne me déçois pas.

PARDONPARDON:

Perchée sur le muret de pierre, Aubépine observe l’apprentie-guérisseuse. Celle-ci n’a pas l’air ravie de passer la frontière, c’est le moins que l’on puisse dire : tout son corps semble réticent, et son regard est fuyant. Elle n’est pas très bavarde non plus, et si elle n’avait pas répondu à ses questions – et encore, de façon laconique –, la vieille femelle aurait pu la croire muette.

« Ben alors petite, t’as perdu ta langue ? » lance-t-elle d’un ton railleur, plus pour se distraire qu’autre chose. L’apprentie montre des difficultés à se hisser sur le muret – elle est si frêle – mais ne se plaint pas pour autant. Aubépine salue sa persévérance d’un grognement approbateur. Pas bavarde, certes, mais tenace, la petite.

C’est lorsqu’elle tourne son regard vers les terres du Clan de la Rivière qu’elle distingue deux silhouettes s’avançant dans leur direction. Sans s’inquiéter outre mesure, l’ex-herboriste plisse les yeux pour tenter de les identifier, mais rien à faire, sa vision n’est vraiment pas bonne ces derniers temps… Et le vent ne joue pas en leur faveur, soufflant dans leur dos, il a déjà dû trahir leur présence aux félins qui s’approchent. Elle jette alors un regard à la dérobée à l’apprentie-guérisseuse pour étudier sa réaction. Sans doute, s’il s’agissait de guerriers aux airs menaçants, elle ne resterait pas plantée là sans réagir.

« On dirait que nous avons de la compagnie… Est-ce que tu les reconnais d’ici, Nuage de la Montagne ? »

Oui, formulée comme cela, sa question pourra passer pour un test et non pas une demande d’aide.