Ainsi soit-il (privé Souvenir et Faran si elle veut toujours)

Baies de Genièvre, Millefeuille… Graines de pavot, racine de cerfeuil… Cœur de Lumière avait passé la mâtiné à trier ses réserves de remèdes. c’était une habitude qu’il avait prise depuis la disparition de son mentor : presque tous les jours, il faisait l’inventaire de ce qu’il lui restait, gardait ce qui pouvait être gardé, jetait ce qu’il y avait à jeter. C’était un bon exercice pour sa mémoire, qui lui faisait défaut depuis qu’il avait perdu confiance en lui suite aux derniers évènements ; cela lui permettait aussi de faire abstraction à toutes les préoccupations qui planait sur son esprit tel les nuages d’un orage sur le point d’éclater. Comme il n’y avait pas grand chose à faire en ce moment au camp, cette activité lui donnait au moins l’impression d’être occupé. Il était à la fois surpris que rien ne soit encore arrivé : pas de grosse blessure, ni de mise pas, aucune maladie. Il redoutait avec anxiété le moment où viendrait son premier cas, car cette fois-ci, il serait seul, et Ardeur du Soleil ne serait pas là pour l’épauler.

Cœur de Lumière craignait atrocement pour son mentor. Il n’avait jamais reçu de signe ou de vision attestant de la présence de son ex-mentor au Clan des Étoiles, ce qui le confortait -malheureusement- dans l’idée qu’Ardeur du Soleil n’était peut-être pas mort mais perdu, blessé, affamé, peut-être malade ou agonisant ; ou bien, il était mort si loin que son âme n’avait été capable de retrouver le chemin jusqu’au ciel nocturne.
Le jeune matou soupira. Il avait à peine terminé de trier ses herbes qu’il ruminait déjà sur ces hypothèses sur lesquelles il avait ruminé des centaines et des centaines de fois. on lui avait bien dit -et il en était lui-même conscient- que le mieux à faire pour lui et son clan était de ne plus de morfondre sur la disparition de l’ancien guérisseur, et plutôt d’honorer sa mémoire en servant le Clan du mieux qu’il le pouvait. lui-même était tout à fait d’accord avec cette idée. Mais c’était bien plus fort que lui. Peut-être qu’avec le temps, la souffrance et la peine s'amenuiseraient… Mais elles seront toujours présentes dans mon cœur. Je le sens saigner de chagrin et de douleur. C’est comme si l’on m’avait arraché à mon âme sœur.

La poitrine inondée d’une tristesse sans fond, il ferma les yeux. Arriverait-il un jour à passer le cap ? Les liens qui le liaient à Ardeur de Soleil étaient aussi épais que les cordages échoués sur la plage au Clan de la Rivière. Il leur faudrait neuf vies et plus avant qu’ils ne commencent à s’user.
Le matou tigré s’ébroua comme pour se débarrasser de ses soucis avant de se passer un coup de langue sur l’épaule. Il avait tout ce qu’il fallait comme remèdes dans son antre, alors ce n’était pas la peine de partir à la recherche d’herbes et de feuilles médicinales au risque de les laisser sécher, et donc de gâcher celles dont les propriétés n’étaient effectives uniquement lorsque fraîchement cueillies. De plus, pas de malades ni de blessés à l’horizon : seules tiques et puces avaient créés des histoire dans la taverne des anciens quelques jours plus tôt, mais l’intervention rapide et efficace du guérisseur et de sa bile de souri avait vite eu raison des parasites et l’on n’en avait plus entendu parler depuis. Cœur de Lumière était reconnaissant envers le grand arbre qui les accueillait tous : il avait souvent l’impression que celui-ci repoussait les dangers et protégeait ses habitants d’un bon œil.

Un frottement à l’entrée de sa tanière le fit sursauter, et il faillit sauter au plafond. Le poil légèrement ébouriffé, Cœur de Lumière ravala son angoisse : quelqu’un était posté juste en haut du petit tunnel qui slalomait entre les racines du grand arbre jusqu’à la sortie. Ça y est ? Était-ce le grand moment où quelqu’un avait besoin de lui ? Y avait-il un malade, un apprenti s’était-il cassé un os ? Allait-il réussir à s’en sortir ? Son pelage s’ébouriffa à mesure que son inquiétude grandissait.

HRP:

Il bondit, surpris de trouver Souvenir Irréel pénétrer dans sa tanière. Les narines de Coeur de Lumière se retroussèrent, à l'affût de la moindre odeur suspecte mais seule un feinte trace de sang venait ternir la senteur amère des herbes qui planait dans la tanière. Ça n’avait pas l’air d’être grave, mais Coeur de Lumière ne pouvait rien affirmer tant qu’il n’avait pas la blessure sous les yeux. C’est précipitamment qu’il rejoignit son patient, mais sans surprise qu’il trouva Souvenir Irréel à quelques pas dans le renfoncement de sa tanière. Coeur de Lumière écarquilla les yeux en voyant l’air dépité du matou crème et tigré.

“Tout va bien ?”

Souvenir Irréel s’empressa de lui expliquer -avec quelques difficultés- qu’il ne s’agissait que d’un peu de sang. Il lui présenta son épaule et le jeune guérisseur s’assit sur son arrière-train, les deux patte savant posées sur le pourtour de la blessure. Il connaissait un peu son patient, et éprouvait toujours une drôle de sensation quand il se retrouvait près de lui. Souvenir Irréel avait beau être plus âgé que lui de plusieurs lunes, il paraissait toujours aussi nerveux et peu sûr de lui. Même la plupart des apprentis montraient largement plus d’assurance que lui. Si Coeur de Lumière savait assez bien cacher ses angoisses, aussi nombreuses soient-elle -son rôle de guérisseur ne lui en laissait pas le choix, il devait avant tout garder son sang froid et rassurer son Clan- le guerrier bicolore n’en menait pas large.
Après avoir reniflé la plaie avant un bon moment et léché les contours pour les nettoyer, Coeur de Lumière se départit de son hôte. Le blessure, qui ne saignait plus désormait, était sans nulle doute une griffure, celle d’un autre chat à en juger par la finesse de la coupure.

“Je ne sens aucune odeur suspecte, mais il est encore trop tôt pour affirmer que tout va bien. La plaie n’est pas grande mais profonde. Qui t’a fait ça ? Y a-t-il eu un combat ? D’autres sont blessés ? Raconte-moi.”

Il le mena plus profond dans l’antre, sous les racines de l’arbre, dans un nid aménagé près du sien et se mit à fouiller dans ses réserves, s’emparant du cerfeuil là où il l’avait déposé quelques minutes plus tôt. les feuilles commençaient à être sèches, mais il en avait ramassées des fraîches la veille et fut très heureux d’avoir pris cette initiative. Il se mit à mâcher l’une d’entre elle, jusqu’à-ce que le mélange de pulpe et de feuille forment un cataplasme assez consistant pour tenir sur l’épaule du guerrier. Il recouvrit sa patte d’un peu de la mixture et commença à appliquer son remède, pendant que son patient lui expliquait ce qu’il s’était passé.

“Ça ne saigne plus, inutile de couvrir de toile d’araignée !” plaisanta Coeur de Lumière. Je t’ai mis de quoi aider la plaie à cicatriser, mais je ne suis pas sûr que reprendre du service sur-le-champ soit une bonne idée. Il faut que je garde un oeil à cette blessure. Pas besoin de dormir dans mon antre, mais il faudrait prévenir notre lieutenante, d’accord ? Veux-tu que je t’accompagne ?”