Danse avec les Renards [PV Faran]

Souvenir Irréel

La saison des feuilles mortes est arrivée. C'est l'heure de faire des réserves pour la pile de gibiers qui s'amaigrit au fil des lunes approchant les premières neiges. Bientôt, les souris se cacheront, les campagnols se feront plus discrets, et les lapins seront indissociables de l'environnement immaculé. Souvenir Irréel ne brille pas par ses capacités guerrières, mais il sait ramener une proie quand c'est nécessaire. Tandis que les feuilles de chêne brunes tombent avec lenteur sur le sol et que le soleil filtre à travers les arbres par une douce lumière orangée, la Sentinelle traverse la forêt à la poursuite d'un rongeur bien dodu. Rapide, c'est au moins une qualité qu'on ne peut pas lui retirer ; mais à force de fuir le danger, les muscles de ses pattes arrières se sont plus développés que les autres, ce qui lui permet notamment aussi de bondir plus haut que la moyenne. La proie est vive, elle aussi, mais pas assez pour échapper à son opposant. Ainsi, le chat blanc et crème n'a besoin que d'un saut, toutes griffes dehors, pour se jeter sur la chair fraîche du gibier et y planter un croc avant de le tuer de façon nette. En silence, il adresse une prière au Clan des Etoiles pour les remercier et enterre ce qu'il vient de chasser.

« Souvenir Irréel, tu es là ? »

La voix qui le prend par surprise lui fait relever vivement la tête. En se retournant, il aperçoit son père Epine de Rosier à quelques longueurs de queue de sa position.

« N'oublie pas l'Assemblée ce soir ! Ce sera ta première en tant que guerrier, tout le monde va savoir, pour ton baptême. Il faut que ton pelage soit bien lustré. »

Le petit coup de panique passé après qu'il ait reconnu son géniteur, Souvenir Irréel ronronne timidement, flatté mais un tantinet modeste. Il est plus que honoré d'être guerrier mais sent déjà qu'il rêvera de sa cacher au moment où les regards se poseront sur lui. Il n'avait qu'une hâte, pourtant : rendre fier ses parents.

« Oui, papa ! J'arrive ! »

Il lance un sourire jovial à Epine de Rosier avant de le rejoindre à grandes foulées. Il n'en aura jamais le temps, toutefois, puisque tout se floute et s'évapore comme un nuage de fumée. Souvenir Irréel se réveille en sursaut, haletant, tandis que le songe prend fin et qu'il revient à la réalité. La saison des feuilles mortes est terminée depuis bien des lunes, et c'est la saison des feuilles vertes qui l'accueille quand il se redresse sur sa couchette de plumes et de mousses. Le cœur battant, il lui faut un moment pour se rappeler d'où il est là, et de prendre conscience de l'absence d'Epine de Rosier qui se fera ressentir quand il sortira de la tanière des guerriers. Malgré l'habitude, l'image de ses parents continuent de le hanter...

« Hé, t'as fini de gigoter comme ça ?!
- Oh, je... Désolé... »

Et de déranger ses camarades. Un peu honteux, il s'excuse auprès de la guerrière qui retourne se reposer et il se faufile dans le camp à la vitesse éclair pour éviter d'être encore une gêne. La poitrine serrée, il tente de se concentrer sur la vie qui bouge dans le camp, mais retient ses yeux de s'humidifier quand il se rend compte qu'il est encore secoué par ce qu'il n'arrive pas à dissuader d'un souvenir ou d'un rêve inventé.

« Hé, Souv' ! »

Curieux, il lève son regard doré vers un guerrier un peu plus âgé et massif que lui. Le guerrier déglutit en reconnaissant le même chat qui aimait bien le prendre pour son bouc émissaire et prétendre que c'était lui le responsable quand l'autre faisait des bêtises. Comme il est de son Clan, Souvenir n'a jamais remis en cause son comportement puisqu'il veut avant tout que les membres soient soudés entre eux et qu'il ne désire pas d'ennuis, mais depuis toujours, sa tête se fait lourde lorsqu'il est en compagnie de ce matou profiteur. L'air de rien, la Sentinelle se rapproche de ce dernier, un peu intimidé.

« Hm... Tu voulais quelque chose ?..
- Ouais, que tu m'ramènes à manger. Va me chercher une souris sur la pile de gibier.
- Mais... P-Pourquoi tu ne le fais pas toi-même ?..
- Quoi ?! Tu m'cherches ?! Tu veux que je dise au lieutenant que t'es hostile à ton propre Clan ?!
- N-Non ! J'y vais, j'y vais ! »

Aussitôt, Souvenir Irréel fait volte-face pour aller au tas de gibier chercher à manger. Il prend une proie au hasard avant de la déposer devant son harceleur et n'attend pas qu'on lui dise deux fois pour s'en aller lorsque sa tâche ingrate est faite, sous les ricanements du concerné. Les entendre alourdit le mâle bicolore qui sent quelque chose se bloquer au fond de sa gorge. Pourtant, il ne dit rien et ne se retourna même pas pour faire face à son aîné. Il est là pour servir le Clan de la Lune, non ? Tout le Clan. Alors il se tait, et avance d'une démarche lente, comme si ses pattes pesaient des tonnes. Il s'installe mollement contre les pierres autour du camp avec une sensation de vide au fond de lui. Même la faim semble loin de ses préoccupations lorsqu'il se rend compte qu'il n'a même pas envie de manger en voyant pourtant le tas de gibier bien garni. Las, il se contente de faire sa toilette sans grande motivation en essayant de ne pas penser aux chatons qui jouent près de la pouponnière sous l'œil bienveillant des adultes, qui lui font regretter son insouciance et sa vie d'avant.

Farandole des Renards ouvrit les yeux dans la pénombre de la tanière des guerriers. Le silence l'entourait, et il se redressa, s'asseyant sur sa litière de mousse. Le regard assombrit par un voile de triste, il observa ses camarades encore endormis. Il avait beau être entouré des membres de son clan, à cet instant, il se sentait terriblement seul. Soupirant, il se résolu à sortir de l'abri de ronces. Si le sommeil ne voulait pas lui laisser plus de répit, il n'avait pas d'autres choix.

Agilement, il se faufila entre les chats assoupis, et fut accueillis par l'air déjà chaud du matin. Bien que les alentours soient encore couverts de la couleur bleue sombre de la matinée, Farandole des Renards pouvait discerner quelques chats qui revenaient de patrouilles ou de chasses, ainsi que des lèves-tôt. Il s'étira puis s'assit devant sa tanière, songeur. Auparavant, dès les premières heures du matin, il aurait bondit de sa tanière pour s'activer au bien-être de son clan, s'assurer de la force de ce dernier et du respect de ses frontières. Mais actuellement, il ne savait pas vraiment qui être. Ces derniers temps, il avait été paniqué et terrorisé. Il avait perdu toute la confiance qu'il avait toujours eu en ses croyances. Il avait réalisé que toute son existence se basait sur des fondements faux. Aujourd'hui, il était surtout fatigué. Il baissa le regard sur ses pattes tachetées, coupable. Il ne pouvait oublier son rôle dans le malheur du jeune chat. Il se mordit l'intérieur de la joue, en releva le regard pour essayer d'oublier ses sombres pensées. Au loin, il voyait la cime des arbres bouger délicatement dans le silence. Il savait qu'il devait changer, mais se reconstruire n'était pas aussi facile. Il devait expier, puis accepter ses fautes. Il cachait médiocrement la peur qu'il ressentait à cette idée. Il était inconfortable pour lui d'espérer devenir meilleur après ce qu'il pensait être impardonnable. Peu importe tous les efforts qu'il fournirait les actes sans retour qu'il avait commis, resteraient à jamais gravé dans sa mémoire, dans leur mémoire, à lui et au jeune chat.

La brise un peu forte le fit revenir à lui, il aperçu le pollen des fleurs de la saison des feuilles vertes virevoltèrent devant lui. Il les suivit du regard, croyant observer des batailles entre de jeunes chatons. Puis le pollen s'envola loin. Continuant de suivre leur trajet, rencontrant de loin l'Astre qui se levait. En relevant le museau vers le ciel, Farandole des Renards aperçu les grandes pierres qui entouraient son camp. Il songea, qu'il aimerait, lui aussi, être à nouveau en haut, fièrement dressé. Mais pour d'autres raisons. Oui, c'était ça, il voulait pouvoir être une nouvelle personne capable de prendre soin des autres. Il aimait toujours son clan, mais il comprenait qu'il n'existait pas que cela. Il voulait rendra chaque individu important, pour sa propre valeur. Il voulait se dévouer à eux corps et âme, peu importe leurs origines et leur passé. D'une patte faible, il s'avança discrètement vers la surface rugueuse des cailloux, et y apposa une patte, puis deux. Il prit sa respiration, et enfin, dans un élan, s'y élança, grimpant agilement le long de la roche. La sommet n'était pas très haut, et le sommet y était facilement accessible, mais les réflexions de Farandole des Renards lui pesaient lourd.

En haut, il s’essaya et observa le lever du soleil. Bientôt les doux rayons du soleil réchauffèrent son fin pelage. Il laissa la brise secouer son pelage, et le réconforter. Il comprenait que sa place ne serait plus jamais en tant que guerrier. Il avait échoué d'un certaine manière, il était temps de trouver un moyen d'avoir du sens. De nouveau, il regarde ses pattes, dont les griffes étaient littéralement explosées. Il ne pouvait s'empêcher de les frotter furieusement sur toutes les surfaces rugueuses qu'il croisait. Cette fois ci, il frotta délicatement le restant de ses griffes sur la dalle rocheuse, y apposant de discrètes rayures. Il y posa sa truffe, ferma les yeux et respira un bon moment. Il se promettait de donner tout ce qu'il avait pour rendre les autres heureux.

Les crachements d'un félin lui firent relever la tête, et il tourna la tête pour observer la scène. Au loin, à quelques mètres, il pouvait voir un grand guerrier donner des ordres autoritaires – qui paraissaient clairement injustifiés - à un jeune guerrier. Il voyait ce dernier approcher du tas de gibier, pour offrir à son agresseur sa part, puis se retourner et s'en aller tristement sous les moqueries de l'autre. Farandole des Renards redressa les oreilles et se retourna pour regarder la démarche lourde du jeune chat crème. Son regard était profond, il paraissait souffrir, et ravaler sa colère – ou sa tristesse?-. Ses yeux ambrés prirent Farandole des Renards aux tripes, a cet instant, il ne pouvait faire autrement que de se souvenir des jolis yeux de peine. Lorsque le jeune chat se posa maussadement en bas la pierre où était perché Farandole des Renards, ce dernier décida d'agir. Ce serait un bon début dans sa quête de Salvateur que de remonter le moral d'un autre chat, et d'en apprendre plus au passage sur les membres de son clan. Effectivement, Farandole des Renards était un peu honteux de ne pas se souvenir du nom du jeune chat sablé – il avait tendance à oublier les membres de son Clan, mais il comptait changer cette habitude ! Il prit son courage a deux pattes et s'adressa au jeune chat d'un ton calme et doux, interrompant la toilette de ce dernier.

« Pourquoi obéis-tu si c'est pour te donner ce regard si douloureux après ? »

Cela semblait peu être un peu brutal – ou déplacé –, mais Farandole des Renards ne pouvait pas ne pas être sincère face au mal être visible du jeune chat. D'un bond agile, le chat noir et roux se retrouva sur le sol, aux cotés du plus jeune.  Il s'excusa de son indiscrétion.

« Je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer ton altercation avec ce guerrier. » fit-il remarquer alors que ses moustaches frémissaient d'amusement.

Il s'assit nonchalamment, tout en rabattant sa queue tachetée sur ses pattes, et observa les alentours.  Farandole des Renards était un chat extrêmement patient et tranquille, attendre une réponse du jeune guerrier ne le dérangeait nullement. Il appréciait les silences lourds de sens qui pouvaient s'établir entre deux êtres. Commençant à lécher le bout de sa patte droite pour en lustrer le poil, il espéra intérieurement qu'il serait la bonne personne pour aider ce jeune chat.

HRP:

Il leur a promis. À ses parents, quand il a dû chacun leur dire adieu pour des raisons différentes, il leur a promis de veiller sur ses camarades malgré sa timidité et d'aller toujours chercher au fond de lui le courage nécessaire pour protéger son Clan. Souvenir Irréel peut se montrer brave quand la situation l'exige. Il n'est pas le plus musclé des Luneux, mais jamais il ne trahirait ses compagnons et se battrait comme un lion jusqu'au bout s'il n'avait pas le choix. Pacifiste dans l'âme, il évite généralement la bagarre mais finira par y faire face dans les cas les plus graves. Mais lorsque rien ne les menace, pourquoi ne pas se montrer bienveillant avec les membres de son Clan quand bien même ces derniers ne renvoient pas sa gentillesse ou tout simplement son côté trop serviable. Alors il garde en lui une certaine frustration, oui, mais cela vaut toujours mieux que de provoquer des tensions au sein du Clan. Ils doivent rester unis, soudés, même si la Sentinelle s'en retrouve avec le cœur lourd. Lourdeur qui ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd, par ailleurs. Lorsqu'une voix parvient de nulle part, Souvenir tressaute de stupeur avant de relever la tête vers son origine. Son pelage dressé retombe aussitôt en reconnaissant le vétéran sur le rocher au pied duquel il s'est installé. Il n'est pas si proche de Farandole des Renards, mais le guerrier écaille a toujours consisté une présence rassurante. Il est bon de lui parler et d'apprendre d'un tel guerrier. Souvenir Irréel l'admire pour sa force et sa sagesse ; lui, au moins, il en possède. Et pas que ça. Son aîné fait preuve d'une empathie auquel il ne s'attendait pas. Honteux en entendant qu'il a assisté à la scène quelques secondes plus tôt, le jeune mâle bicolore baisse les yeux, les oreilles brûlantes. Il laisse l'autre descendre de son perchoir pour s'approcher de lui. Son regard doré est posé sur ses pattes dont les griffes grattent nerveusement la terre.

« Je... Je-Je ne sais pas... J-Je veux juste servir mon Clan a-alors j'ai pensé que... »

Il cherche des excuses. Il s'est longtemps dit que son comportement était normal, qu'en agissant ainsi, il serait un bon guerrier et un bon camarade. Il n'a qu'un seul désir : que son Clan soit en bonne santé, et surtout, en paix. Il sait qu'il y aura un conflit verbal s'il se révolte contre celui qui l'a manipulé et il se demande si cela vaut vraiment le coup, tout en ayant une force bouillonnante en son sein qui lui hurle de s'activer, de bouger, de faire quelque chose. Mais...

« Je ne veux pas que l'on me paraisse égoïste. »

Il finit par avouer sa peur profonde. Qu'on ait une mauvaise opinion de lui. Il s'en veut déjà de ne pas être un combattant digne de ce nom quand il sait que ce n'est pas en sachant courir vite et grimper agilement aux arbres qu'une bataille sera remportée. Du moins, c'est ce qu'il pense. Il relève légèrement la tête vers son interlocuteur.

« J'ai toujours eu l'habitude de servir les autres. Je... Je n'ose pas me rebeller. J'ai peur qu'on pense que je ne suis pas loyal à mon Clan, si je désobéis. »

L'opinion des autres lui est malheureusement forte. Le Clan des Etoiles sait pourtant comme il voudrait s'en détacher pour ne plus avoir à se soucier de leur regard. Si c'était le cas, il n'aurait eu aucun mal à dire au malotru ce qu'il pense. Il se serait d'ailleurs fait une joie de le faire s'il en avait eu les moyens. Revoir la scène dans la tête lui est devenu insupportable, se disant qu'il a été bien ridicule de s'étaler ainsi. Il finit par soupirer.

« Est-ce que je suis trop naïf ?.. »

Il se refuse à dire 'trop gentil'. Il sait que cela n'a rien à voir avec la gentillesse même si Souvenir en a un paquet à revendre également. Mais il ne veut pas se dire non plus qu'un trop plein de gentillesse pourrait être négatif. Les uns et les autres, pour lui, en ont toujours cruellement besoin.

Spoiler: