“La solitude est l'élément des grands esprits" - Louise, PV Adam

L’idée que notre société se fait du succès continue de m’estomaquer. À savoir que pour s’épanouir réellement en tant que personne, il faut à la fois une richesse substantielle, ainsi qu’énormément de connexions. Des rapports à autrui, des amitiés et alliances qui viennent définir un certain niveau de succès. Il faut être connu, vu, adulé, et cette idée me révulse. J’ai bien comme objectif de subvenir à mes besoins et même au-delà, de me retrouver dans une position importante un jour au sein d’un cabinet de renommée, mais je ne comprendrai jamais l’obsession qui habite bien de mes proches au sujet des situations sociales. Comme s’il existait une forme de richesse qui m’échappe totalement à connaître le plus de personnes possible. Dans cette optique, mes parents m’ont chassé de la maison afin de «faire connaissance avec d’autres jeunes de mon âge», une tentative désespérée de me faire connaître d’autres adolescents. En toute sincérité, cette histoire m’ennuie. J’ai tenté d’errer au centre commercial pour tuer les heures avant de pouvoir rentrer, avant de découvrir une maison des jeunes non loin de chez-moi, dans un quartier un peu moinss favorisé. Et croyez-moi, j’aurais préféré passer ma journée auprès de Lou près de la piscine, mais cette dernière est bien trop occupée avec tous ces petits amis imbéciles pour me prêter cette attention. Alors me voilà, à la maison des jeunes, à m’occuper en attendant de rentrer et de faire croire à ma famille que je suis tellement adapté socialement, wouhou.

À la maison des jeunes, les activités ne manquent pas, et certaines d’entre elles me plairaient bien. Mais je ne connais personne et je préfère ne pas me mêler aux autres. Certains appellent ce comportement de la timidité, mais je le décrirais d’avantage comme un manque flagrant d’intérêt envers mes semblables. Les adolescents sont des êtres stupides, qui manquent cruellement de culture et qui ne pensent qu’à leurs petites hormones. De véritables bébés dans une peau d’adulte. D’ailleurs, en jouant au solitaire, je lève un regard dégoûté vers un couple qui se décote dans un coin de la pièce sans la moindre pudeur. Je détourne les yeux avec un soupir. C’est à ça qu’aspirent mes parents? Tout le monde me dit que je devrais me trouver une copine, mais j’ai bien d’autres priorités, comme mes études par exemple! Qu’on me qualifie d’obsédé, je préfère connaître une addiction au boulot plutôt qu’à une jeune fille chiante qui ne ferait que me casser les pieds. Parlant de se faire casser les pieds, voilà que l’animatrice de la maison des jeunes, une dénommée Louise si je ne m’abuse, s’approche pour m’adresser la parole et je soupire intérieurement. Ça y est. En voilà une autre sur mon cas et je serai forcé de lui faire la conversation. Malgré tout, je ne suis pas mécontent qu’elle s’approche. La rouquine est plutôt jolie et je baisse le regard à son approche.

Malheureusement pour moi, l’intérêt de son approche ne résidait pas dans celui de converser en ma présence, mais plutôt de me pousser à… me mêler aux autres, exactement comme mes parents et autres proches le souhaiteraient. Et à ses mots je soupire fortement, avant de braquer sur elle un regard impassible.

«Hum. Louise, vous me pardonnerez si je pose la question mais… J’ai du mal à cerner l’intérêt de me mêler aux autres. Je suis parfaitement heureux à me prêter à des activités solitaires. Alors dites-moi, pourquoi est-ce si important de «se faire des amis»?»

Oui parce que l’acharnement des adultes autour de moi (si on peut qualifier Louise d’adulte) me dépasse complètement. Et m’irrite aussi. Fortement.

Si j’ai parlé d’une voix mesurée presque détachée, mon regard froid et distant et ma posture trahissent largement mon irritation devant cette intervention aussi soudaine qu’inutile. On m’a toujours cru malheureux dans ma solitude, mais comment peut-on véritablement être seul avec trois frères et sœurs? Tiers d’une bande de triplets, j’ai toujours eu le soutien et l’amitié de mes jumeaux en toutes circonstances, alors pourquoi aller chercher plus loin que les liens de sang qui nous unissent, immuables? Il faut dire que même avec ma propre famille, je peux me montrer plutôt renfermé à mes heures, même si dans tous les cas, ce sont les seuls, hormis ma voisine Lou, qui ont eu la chance de véritablement me connaître. L’idée que cet adolescent aux allures d’homme (car franchement je fais plus d’une tête que tous les jeunes présents dans la pièce) puisse souffrir de sa solitude est une pensée erronée. Ce n’est pas le cas. Je ne fais pas partie de ces jeunes que l’on doit sauver d’une misère plus grande que nature, d’une personne rejetée que nul ne souhaite côtoyer. Au contraire, les offres fusent, surtout depuis que j’ai acquiert ce physique avantageux qui, semble-t-il, plaît aux jeunes filles. Je ne suis pas rejeté, je rejette les autres, que je juge indigne de mon attention la majorité du temps. Il n’y a qu’à voir la façon dont ils se comportement, comme une bande de singes autour de leur table de baby-foot. J’ai passé ce stade de l’évolution, merci.

Alors à mes yeux, le discours de la rouquine, plus adapté à un enfant qu’à un presque adulte d’ailleurs, me fait soupirer. D’abord, elle souhaite que la tutoie, ce qui s’avère environ contre mes principes. À mes yeux, une personne en position d’autorité mérite le respect et si l’idée que cette jeune personne se trouve au-dessus de moi dans la hiérarchie sous-jacente de ce centre, c’est bel et bien le cas. Elle est plus âgée et en position d’autorité, alors à mes yeux il est essentiel de la vouvoyer. Mais soit. Ma mère m’a bien appris que si une femme insiste pour qu’on la tutoie, il ne vaut mieux pas la contrarier. Le vouvoiement était aussi une façon de prendre une certaine distance avec cette animatrice amicale. Bon sang mais qu’est-ce qu’elle me veut à la fin? Je m’en fiche bien qu’on pense à mon anniversaire moi. J’ai ma famille pour combler ce soi-disant besoin. Heureusement pour moi, elle reconnaît mon goût pour la solitude et je ne peux m’empêcher de soupirer de soulagement. Enfin, elle a compris. Oui, si je suis seul c’est parce que j’aime qu’on me laisse tranquille. Et si cette obligation à sortir ne me tenait pas, je serais installé devant un bouquin de mathématiques ou un jeu vidéo à l’heure qu’il est.

«Oui, j’aime être seul. Et surtout, je n’aime pas les autres jeunes de mon âge, à l’exception faite de mon frère et ma sœur, ainsi que… que Lou.»

J’ignore pourquoi je me sens rougir en mentionnant son nom. Je m’empresse de m’expliquer.

«Lou est ma voisine, je la connais depuis l’enfance.»

Je me mets à penser à elle, au doré de son regard, à son rire, à tous les bons moments passés tous les deux et une onde de chaleur me traverse qui fait étirer un rare sourire contre mes lèvres qui s’efface sitôt venu. Je me racle la gorge et rougis d’autant plus alors que la jeune femme me propose encore une fois une aide dont je n’ai pas besoin. Si j’ai besoin de parler?

«Sauf respect mademoiselle Louise, je… je n’ai pas besoin de parler. Je euh… Je suis ici parce que mes parents m’obligent à sortir et à rencontrer d’autres jeunes de mon âge parce qu’ils me croient asocial. Vous… euh tu… n’as pas besoin de faire… ça.»

Je regarde ailleurs, gêné. Elle me prend pour un truc à sauver, je déteste ça. J’étais très bien à jouer à solitaire moi!