[Mission] La Pierre qui Parle - Lune 1217

L’horizon est en flamme. La saison des feuilles mortes colore les bouleaux d’ambres, et les derniers rayons de l’aube achèvent de recouvrir leurs troncs d’or et de feu. La brise, douce, caresse ma joue avant de plonger en contrebas. Elle glisse sur les pierres qui soutiennent notre nouvelle maison, sillonne la pente de la montagne et termine sa course dans les bras de la forêt. Le bruissement des branches ne porte pas jusqu’à mes oreilles, déjà emplies du chant de la cascade à quelques longueurs de queues derrière moi. Me ferais-je un jour à cette vue ?

Puis mes yeux posent sur un monticule de terre, et les restes étouffés d’un arbre ancestral. Le cimetière de bon nombre de mes camarades. Épine de Rose. La troisième vie de Souvenir des Étoiles. Et peut-être…

Je lève la tête vers les dernières étoiles. Es-tu parmi eux, mère ? Évidemment. Où, sinon ? Dans l’un des recoins de Valeemar ? Pourquoi fuirait-elle son propre clan, son propre sang ? Son corps réside sous terre, mais son esprit veille sur nous, depuis les cieux. J’aimerais juste qu’elle envoie un signe. Sous n’importe quelle forme, à n’importe qui. Une confirmation. Pas pour moi, il y a longtemps que j’ai fait le deuil de ma mère, bien avant sa disparition, bien avant le séisme. Mais pour mon frère qui reste muet sur le sujet, pour mes sœurs qui encaissent avec difficulté, et pour mon père, dont le cœur est brisé. Il leur faut une réponse, pour pouvoir tourner la page.

Mouette Obscure énonce les patrouilles dans la grotte. Je traverse la cascade, dont l’eau tonifie mes muscles, et m’assois à l’arrière pour écouter. Quand vient mon nom, j’acquiesce simplement, et repars sans plus attendre. La clairière enchantée, hm… J’y avais mis les pattes quelques fois, pour aider nos guérisseuses à remplir les réserves. Je me souviens d’un jour en particulier, où, envoyé en quête de fleurs jaunes, j’avais récolté en plus les connaissances d’une apprentie du Tonnerre en escalade. Nuage de l’Acacia.

Si elle savait combien elles me sont utiles ces derniers jours, avec notre camp en flanc de montagne… Bien sûr, c’était Souvenir des Étoiles qui a achevé ma formation en la matière, pendant les quelques lunes où il fut mon mentor, mais il n’en reste pas moins que je ne lui en aurais jamais parlé si la jeune chatte ne m’en avait pas enseigné les bases.

Le soleil est déjà haut dans le ciel lorsque j’arrive à destination. Depuis notre nouvelle demeure, c’est une belle expédition en particulier pour une féline plutôt lente, telle que moi. Il faut descendre le flanc, passer la forêt de bouleaux, traverser la rivière et enfin longer les Cinq Rocs. Mais mes pattes sont puissantes, et mon corps, endurant. Mes muscles à présent chauds et réveillés me réclament de l’activité. Faute de pouvoir répondre à leurs plaintes, je me contente de les faire rouler tandis que j’approche de l’arrivée, espérant que les étirements les apaisent.

Un cri. Un ordre. Ou un avertissement ? À priori, je ne suis pas la seule sur les lieux. Je plisse les yeux et tente de voir à travers les feuilles rouges du buisson devant moi. Par les Étoiles… La clairière s’est métamorphosée. Les hautes herbes ne sont plus qu’un lointain souvenir, remplacé par une pierre immense aux reflets étranges. Les champignons, eux, n’ont pas disparu pour autant, et se concentrent à présent surtout aux abords du rocher.

À ses côtés, un mâle au long pelage ébène, qui ne cherche pas un instant à être discret. Il se tient bien en évidence, au centre, et siffle en direction d’un tas de verdures. En suivant son regard, je crois distinguer une paire d’oreilles. Ils sont deux. Peut-être devrais-je rentrer ? Mais je ne peux me permettre de perdre trop de temps, au vu du trajet retour. Et que diraient les miens, si je revenais avec la queue entre les jambes, sous prétexte que les lieux n’étaient pas vides ? S’ils sont belliqueux, je peux toujours les attirer dans des champignons hallucinogènes. Ou les tourner l’un contre l’autre.

Tout en prenant soin de ne pas marcher sur ces derniers, je sors de ma cachette, et me rapproche d’un pas mesuré de la pierre, et des inconnus. Leurs effluves me parviennent enfin. Des chats de clans. Ombre, et Rivière. Pas de Tonnerre. Tant mieux.

Je les salue d’un bref signe de tête et m’arrête à une distance acceptable. Quelques jours après le séisme, je ne trouve que deux raisons d’errer dans ces terres : une mission de reconnaissance, ou de cueillette. Rien qui ne puisse être effectué sans verser du sang inutile. Hypocrite. T’adorerai tester le gaillard, là. Planter tes griffes dans sa peau, comme tu l’as fait dans ma gorge.

J’ignore le souffle chaud que je sens sur mon oreille, et la voix provocatrice qui y grogne. Si je tourne la tête, je sais que je n’y verrais rien, si ce n’est, peut-être l’ébauche de l’ombre de l’ancien Hordeux. De mon premier sang.

« Salutations. Je suis Secret des Lucioles, de la Lune. En mission d’inspection des lieux suite au Grondemment. J’imagine qu’il en va de même pour vous ? »

Après tout, qui se dissimulerai ou se montrerai aussi agressif lors d’une simple cueillette ? Surtout en cette saison, où il faut préparer des réserves en prévision de la suivante. Ils sont probablement ici en éclaireurs, tout comme moi.