Partout intruse | Ft. Feu des Nuages

Cela faisait deux jours que Nuage d’Abrine avait rencontré Héros des Nuages et elle n’en revenait toujours pas de cette découverte : un chat de clan ! Elle avait rencontré un chat de clan !
La jeune chatte avait effrontément tâché d’éviter de penser à tout ce qui aurait pu la rattacher au passé depuis que son groupe avait été dispersé par les humains. Parce que le souvenir était traumatique – quoiqu’elle n’en avait pas encore vraiment conscience – et parce qu’il lui semblait que cela ne servait à rien de ressasser le passé dans sa situation. Il fallait dire qu’entre la solitude et la faim, Abrine n’avait pas eu le cœur à l’espoir. Elle tâchait de ne pas se réjouir trop vite, mais cette rencontre avait réveillé quelque chose en elle. Il fallait dire que les cinq clans, elle en avait entendu parlé : toute son enfance avait été bercée par les histoires de ces grands héros sauvages et sans peurs. Le chef de son groupe y avait vécu plus jeune – bien que les détails aient été obscures – et n’en avait pas démordu s’instaurer un simili code du guerrier dans les rangs des chats errants qu’il dirigeait. Aussi, à la seule pensée de fouler les terres de ces guerriers indomptables, les yeux de l’apprentie solitaire s’illuminaient.
Trouver les clans… le dernier objectif qu’elle avait pu trouver pour rester en vie, trop beau pour y croire et pourtant devenu vrai. Qu’aurait dit sa mère ? Et leur meneur ? Ses frères ? S’ils étaient en vie, quelque part, devinaient-ils par le pouvoir du clan des Etoiles qu’elle avait réussi ?

Nuage d’Abrine était pensive, à-demi assoupie au bord de la rivière. Elle avait eu la prudence de s’éloigner des marquages de celui qu’elle savait désormais être le clan de la Rivière, quoique naïvement rassurée par cette première rencontre. Elle réfléchissait à ce qu’elle pouvait faire, désormais qu’il lui semblait que son errance avait pris fin. Elle avait certes trouvé quelque chose, et quelque chose d’important : mais que devait-elle faire, à présent ? Pouvait-elle espérer rejoindre un clan, elle aussi ? L’accepterait-on ? En avait-elle seulement envie ? Elle n’avait jamais eu à faire de choix au cours de sa courte existence : l’unique changement dans sa vie lui avait été imposé dans la peur et la douleur – elle évitait encore d’y penser. C’était paradoxal : désormais apaisée mais sans personne à qui se fier, l’avenir lui paraissait vertigineux. Bien que la plus caractérielle de sa portée, elle avait toujours suivi les ordres de son chef et de sa mère parce qu’elle savait que sa survie en dépendait. C’était d’elle, et seulement d’elle-même, qu’elle dépendait à présent. Elle en eût un frisson.
Peut-être pour ne pas trop réfléchir, la chatte décida de se lever et de marcher un peu.

Nuage d’Abrine longea la rivière près de laquelle elle était restée jusqu’à présent. Le bruit de l’eau lui paraissait être ce qu’il y avait de plus rassurant. Elle marcha un certain temps, perdue dans ses pensées et dans une contemplation hésitante du paysage qu'elle essayait de faire familier. Elle avait repris des forces mais se sentait encore faible. Il lui faudrait encore un moment avant de se sentir mieux, songea-t-elle.
Il se passa un moment avant qu’elle ne réalise que l’odeur qui l’entourait avait changé : toujours ténue, féline, mais différente. Elle supposa qu’un autre groupe de guerriers du clan avait dû marquer le territoire à cet endroit-ci. Elle ne voulait pas causer de problèmes à Héros des Nuages, mais elle songeait que ses camarades se montreraient sympathiques à son égard si elle mentionnait leur rencontre. Maintenant qu’elle était arrivée à destination, que pouvait-il bien lui arriver ?

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Il restait encore à Nuage d’Abrine de nombreuses questions. Où vivaient les quatre autres clans, et comment étaient-ils ? Quels étaient leurs rapports entre eux, exactement ? Qui étaient leurs chefs ? Autant de réponses – et d’autres encore – qu’elle aurait eu envie de chercher près d’un autre chat tant les pensées se bousculaient dans sa tête. La vérité, c’est qu’elle connaissait trop mal la réalité des chats sauvages pour aspirer à deviner ses propres réponses. C’était frustrant.
Nuage d’Abrine restait perdue dans ses pensées et ne fit d’abord pas attention au changement qui se fit dans l’air. Elle avait le vent dans le dos et, lorsqu’elle remarqua qu’un autre chat s’approchait d’elle, il était trop tard.

Prise par surprise, la jeune chatte sursauta. L’inconnu qui lui faisait face semblait beaucoup moins accueillant que Héros des Nuages : tout dans sa posture et sa fourrure hérissée indiquait l’hostilité. Elle-même, ayant fait un bond de côté, hérissa le poil et courba l’échine, laissant échapper un feulement instinctif. Si elle avait voulu paraître amicale, c’était trop tard.
Le territoire du clan du Tonnerre ! Elle avait quitté celui de la Rivière sans s’en apercevoir – comment aurait-elle pu savoir ? Mais quelle idiote ! Quelle idiote ! Il lui vint à l’esprit que le clan du Tonnerre était beaucoup moins sympathique que son homologue vivant près de l’eau. Abrine recula de quelques pas, toisant l’inconnu et réfléchissant à toute vitesse au meilleur moyen de se sortir de la situation. Elle ne voulait pas se battre, et elle était certaine de n’avoir aucune chance dans son état famélique et fatigué. Jamais elle ne s’était trouvée dans cette dangereuse position : son groupe était le seul maître de leur ancien territoire et elle n’avait jamais eu à combattre un autre chat en-dehors de ses entraînement. Elle imaginait qu’à l’inverse, un chat sauvage comme ce chat du clan du Tonnerre avait dû combatte des dizaines de fois et accumuler une expérience avec laquelle elle ne pouvait pas espérer rivaliser. Peut-être pouvait-elle essayer de parlementer ?

« Je ne voulais pas ! », miaula-t-elle, sans parvenir à maîtriser la peur dans sa voix.

Elle recula encore de quelques pas, s’aplatissant finalement au sol dans l’espoir d’apaiser les tensions qu’elle avait tout d’abord attisées. Il fallait que l’autre comprenne qu’elle n’était pas une menace, qu’il accepte de parler ou du moins qu’il la laisse partir.

« Je ne fais que passer ! Je suis juste une chatte solitaire ! »