Sujet: Face your demons [Ft Rage de l'Amour] Jeu 18 Jan 2024 - 17:00
Face your demons
ft Rage de l'Amour
Il n’était en rien naturel pour le matou de marcher devant les autres. Devant toute une patrouille de guerriers les uns plus expérimentés que les autres, mais surtout plus expérimentés que lui. Il était mal à l’aise et en avait presque la sensation de marcher bizarrement. Étaient-ils tous en train de l’analyser du regard ? Pire, de le juger ? Esprit des Marais ne pourrait pas leur en vouloir. N’importe qui deviendrait furieux à l’idée de devoir obéir à moins que soi. Il fit de son mieux pour garder les yeux rivés vers l’avant, vers l’objectif fixé par le lieutenant un peu plus tôt. Il allait faire ce qu’on lui avait demandé, le mieux possible, et tout devrait se passer pour le mieux. La patrouille était silencieuse, mais il s’agissait d’un silence pesant. Le vent sifflait dans les oreilles rabattues du mâle, mais ça ne l’empêchait pas d’entendre ce que tous pensaient presque à haute voix. Il n’était pas à sa place, et cette malheureuse certitude le rendrait certainement bien plus maladroit qu’il n’aurait pu l’être. Lui, qui a défaut d’avoir été un guerrier toute sa vie, avait un esprit relativement logique, et un calme soit disant à toute épreuve.
La patrouille avançait vers l’est, et l’ancien guérisseur ne tarda pas à entendre la voix claire de Rage de l’Amour. Une voix qui s’était déjà faite plus douce par le passé, mais qui lui paraissait encore innocente ce jour là. Esprit la toisa tout en s’interrompant un instant. Les champs de fougères ? Ça ne faisait pas partie de leur itinéraire, surtout s’ils voulaient rejoindre rapidement la frontière. Il s’agissait d’une bonne zone pour la chasse, toutefois, et il était vrai que le clan en avait bien besoin ces temps ci. Mais, ils n’étaient pas une patrouille de chasse, n’est ce pas ? Arrivait-il aux guerriers de faire un détour pour chasser un peu ? Le doute se lit à envahir son esprit, et il réalisa que toute la patrouille attendait sa réponse. Le problème fut que, il ne savait quoi répondre. Il ne savait pas ce que Cœur de Pluie aurait préconisé à sa place. Et, aucun des guerriers présents ne semblait vouloir l’orienter vers une option ou une autre. « Je … euh… » Il aurait préféré que ces mots ne franchissent pas ses lèvres, mais son hésitation était de toute évidence impossible à camoufler face à tous les regards perçants braqués sur lui.
Mais il devait prendre une décision, n’est ce pas ? Ils n’allaient pas rester au ralenti éternellement dans l’attente de sa réponse. Heureusement que le vent leur ébouriffait à tous la fourrure, car ainsi personne ne pouvait remarquer que la sienne était hérissée par la gêne. Il finit par souffler un bon coup, avant de s’adresser à Rage de l’Amour, mais aussi à tous les autres. « J’imagine qu’on ne peut pas chasser de trop en ce moment… » Et tu imagines aussi facilement que ton discours et le ton employé n’ont rien de ceux d’un meneur. « Si vous le voulez bien, nous ferons un arrêt au Champ de Fougères après avoir inspecté la frontière. » Ça lui paraissait être un bon compromis. Ils allaient effectuer la tâche demandée en priorité, puis rapporter quelques proies au camp. La patrouille apprécierait certainement la logique dans son raisonnement, n’est ce pas ? Elle ne se focaliserait pas sur son hésitation ou sur son manque d’expérience. N’est ce pas ?
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Sujet: Re: Face your demons [Ft Rage de l'Amour] Lun 22 Jan 2024 - 19:20
FACE YOUR DEMONS Rage de l'Amour, Esprit des Marais
J'ai attendu que le jour se lève — j'ai prié, clouée contre ma couche, engourdie dans mes sens, entaillée dans mes angles et mes crevasses encore trop frêles. Celle du temps est peut-être la plus cruelle mais à cet instant, la morsure du froid est la plus pressante. En sursaut que je me suis éveillée au beau milieu de la nuit, affolée d'ombres en rêve ; ruée hors de la tanière et jetée dans la pouponnière. Le lueur lunaire baigne le buisson de ronces d'une clarté blafarde ; je suis du regard un rayon solitaire, froid et oblique, qui tombe sur sa fourrure grise et blanche. Elle dort. Nappée d'argent, volée au présent, elle marche dans ses songes et m'y garde étrangère. Les frissons qui lui remontent le corps sont assez pour indiquer que le froid lui tiraille les sens mais ne l'a pas encore prise. Les Étoiles me l'ont gardées ; les Étoiles me la désignent, me la coulent d'ivoire ; me ramènent à elle. La tête me tourne. Merci. Ô, merci. M'attendais-je à la trouver déjà raide ? L'espérais-je ? À cette abomination que conjure mon esprit je me soustrais et préfère, le cœur battant, encore fébrile de la vision cauchemardesque, me lover autour du petit corps silencieux, chaud et frémissant de celle qui, par sa fourrure seule, proclame sans ouvrir la bouche être mienne. Entourée d'assoupis et de songes, en proie à plus impitoyable mal encore que le froid, je veille.
Je veille jusqu'à l'aube. Grise et froide, plus perçante encore que la nuit qui la fait naître, je regarde les tâches de ciel que donnent à apercevoir les enchevêtrements inextricables des ronces. Le rose pâle qui colore un moment les nuages effilochés laisse rapidement place au gris nuageux tacheté de bleu cristallin. Étoiles, prévenez-nous de la neige. Les premiers rayons du soleil doivent pousser pour arriver à percer la pouponnière ; enfin, les plus aguerris, frêles, hésitants, me frôlent timidement la fourrure. C'est à peine s'ils me réchauffent mes membres ankylosés par le froid et l'immobilité. Pourtant je me force à me secouer. La délaissant aux soins plus chaleureux du jour, des reines et chatons — mon devoir est accompli et cette nuit là passée — je m'extirpe rigidement de la pouponnière.
Le Clan, pour la plupart, somnole encore. Du coin de l'oeil, je vois quelques uns de mes camarades se faufiler tout aussi difficilement hors de la tanière des guerriers. Certains s'étirent, tandis que les autres lorgnent en passant le tas de gibier. Je m'arrête un instant. Prétendant me détendre les pattes raides moi aussi, je surveille d'un regard pâle leurs allées et venues appesanties. Le froid et le sommeil sont aussi mauvais compagnons que la faim : aussi tôt le matin, les jugements se troublent. Les règles les plus solennellement édictées peuvent fuir l'esprit des plus aguerris. Après tout qu'est-ce que le Code face à la seule proie de la journée qu'on pourra se mettre dans le ventre ? Mais précisément, c'est tout ; le Code est tout. L'amoncellement de proies, après l'abondance de la saison verte, est pitoyable à contempler, accusant lui aussi le coup de la saison des neiges. Les rares lézards et rats qui y gisent sont d'une maigreur peu appétissante. Mais aussi piètres qu'elles sont, chacune de ces proies porte le nom d'un Ancien ou d'un chaton, aussi je guette, frémissante, avertie.
Aucun ne se sert. Chacun à son rythme, nous convergeons tous vers l'entrée du camp. Tous trop respectueux d'une règle plus ancienne encore que le Code, et plus tenace peut-être, personne ne s'échange un mot : les mauvais matins, la tolérance pour les banalités est dangereusement basse. La moitié tirent la tête et je ne les blâme pas. Je suis moi-même particulièrement maussade, frissonnante sous la brise fraîche, démoralisée face aux arbres noirs et nus qui tranchent le ciel froid. Pourtant je reste assise, droite, à faire ma toilette de coups de langues brefs, le visage impassible : la patrouille n'est qu'une tâche de plus à s'acquitter. Et une chance de ramener quelques proies peut-être — un coup d'oeil au petit groupe de félins que Coeur de Pluie a rassemblé pour sa patrouille m'indique qu'il a favorisé les chasseurs aux combattants aguerris. Ramener des proies pour servir le Clan, y a-t-il démonstration de loyauté et de dévotion plus complète ? Revigorée par cet aveu implicite de nécessité et de confiance, je balaye le camp du regard, impatiente de prendre le départ.
La perspective de pouvoir consacrer au Clan une part de mes compétences me fait même retenir un crissement de dents à la vue du félin brun tigré qui se glisse à son tour hors de la tanière des guerriers. Celui-là est un assez bon chasseur, je le reconnais avec réticences, mais tout de même, j'estime que la patrouille n'aurait pas souffert de son absence... Cœur de Pluie a vu large. D'ailleurs, où est-il ? Le soleil est pratiquement complètement levé, désormais, sans nulle trace de notre lieutenant. Autour de moi, les autres commencent à s'agiter. La plupart sont à présent complètement réveillés et une impatiente sourde, pressés de se délier les pattes et se réchauffer le corps, se propage de guerrier en guerrier. « Tout le monde est prêt ? Allons-y... » Mon cou manque de craquer à la vitesse à laquelle je le tourne pour planter mon regard sur l'origine du discret raclement de gorge. Esprit des Marais, le pelage soyeux et dansant sous la brise matinale, attends quelques instants avant de s'élancer vers la sortie. Comme un homme, nous le suivons : abasourdie, je ne puis que suivre le mouvement d'instinct.
Dès que nous sortons du camp, le choc est vivifiant : sans les hauts rochers de pierre, le vent fouette à son gré entre les troncs dénudés. Des bourrasques glaciales me cinglent le pelage et me dessèchent les yeux. Mais mes pensées sont autant de bouillonnement qui, quelques instants encore, me font ignorer ces assauts mordants et dirigent mon attention vers celui qui mène notre groupe. Esprit des Marais, chef de patrouille ? Est-ce une mauvaise blague ? Un test ? Une erreur d'assignation ? Pourtant voilà le guerrier qui se tourne vers nous, nous couve d'un regard ambré dans lequel dansent un assortiment d'émotions — desquelles aucune n'est l'assurance. « Coeur de Pluie souhaite que nous inspections la frontière qui nous relie au Clan du Tonnerre. » À cet instant, un fil d'or pleut des feuillages décharnés et le nimbe d'un halo solaire. Je me fige sur place et mes griffes pétrissent le sol noir et gelé de la pinède. Miroir immonde que le guerrier tigré face à la lune la baignant elle ; écho perverti que celui qui me fait face à quelques pas seulement ; reflet corrompu, harceleur sans cesse à mes talons. La sérénité qui m'avait emplie en la voyant désignée par les étoiles est soudain retournée, se révèle grouillante de ver comme un tronc d'arbre pourri : la cruauté du revers de la médaille dérobe le sol à mes pattes. La réalisation me gifle plus violemment que tous les zéphyrs courant la terre. Le souffle coupé, je ne peut relever la tête — je ne l'ose — mais ne peut penser à rien d'autre que cette chrysalide bleue infinie qui s'étend au-dessus de moi. Ne serais-je donc jamais absolue ? N'irais-je donc jamais en paix ? Y aura-t-il toujours... toujours...
Toujours lui. Il suffit d'une bourrasque pour tourner tous mes désespoirs sur Esprit des Marais. Pourtant je ne dis rien. Docile, je me glisse dans le soubresaut que prend la patrouille alors que nous nous élançons à travers la pinède, remontant vers l'Est, là où s'étendent les terres du Tonnerre. Battue par les vents et la terre dure sous mes pattes, ma frayeur se gèle elle aussi, se mue en indignation vibrante.
« Passerons-nous par les Champs de Fougères ? » ma voix est cristalline, remonte notre cohorte jusqu'à celui qui dicte l'allure alors que nous filons entre les troncs, les pelages ébouriffés. « Ou bien couperons nous directement jusqu'à la frontière ? » Interrogation anodine à l'oreille novice — pas aux chasseurs qui constituent notre patrouille. Rompus à l'exercice, je sais qu'ils entendent la question pour ce qu'elle est. La pile de proies éparse ; couper directement jusqu'à la forêt des passages afin d'accomplir la tâche au plus efficace, ou s'attarder un instant là où le gibier abonde ? Test vicieux peut-être, tant il est drapé d'élégance faussement détachée, mais révélateur surtout des doutes qui subsistent dans la patrouille. Les oreilles de nos compagnons se dressent, l'air de rien. Car ils savent, tout autant que moi, qui est celui-là même qui prétend nous mener : des guerriers il en a peut-être récupéré le titre. Quant à la légitimité...
Je sais désormais toute leur attention braquée sur la réponse, qui ne peut tarder. J'ai tissé mon piège. Féroce, je n'attends plus qu'Esprit des Marais vienne s'y échouer et se décrédibiliser devant la patrouille toute entière.
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Sujet: Re: Face your demons [Ft Rage de l'Amour] Lun 29 Jan 2024 - 23:06
Face your demons
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Il n’était en rien naturel pour le matou de marcher devant les autres. Devant toute une patrouille de guerriers les uns plus expérimentés que les autres, mais surtout plus expérimentés que lui. Il était mal à l’aise et en avait presque la sensation de marcher bizarrement. Étaient-ils tous en train de l’analyser du regard ? Pire, de le juger ? Esprit des Marais ne pourrait pas leur en vouloir. N’importe qui deviendrait furieux à l’idée de devoir obéir à moins que soi. Il fit de son mieux pour garder les yeux rivés vers l’avant, vers l’objectif fixé par le lieutenant un peu plus tôt. Il allait faire ce qu’on lui avait demandé, le mieux possible, et tout devrait se passer pour le mieux. La patrouille était silencieuse, mais il s’agissait d’un silence pesant. Le vent sifflait dans les oreilles rabattues du mâle, mais ça ne l’empêchait pas d’entendre ce que tous pensaient presque à haute voix. Il n’était pas à sa place, et cette malheureuse certitude le rendrait certainement bien plus maladroit qu’il n’aurait pu l’être. Lui, qui a défaut d’avoir été un guerrier toute sa vie, avait un esprit relativement logique, et un calme soit disant à toute épreuve.
La patrouille avançait vers l’est, et l’ancien guérisseur ne tarda pas à entendre la voix claire de Rage de l’Amour. Une voix qui s’était déjà faite plus douce par le passé, mais qui lui paraissait encore innocente ce jour là. Esprit la toisa tout en s’interrompant un instant. Les champs de fougères ? Ça ne faisait pas partie de leur itinéraire, surtout s’ils voulaient rejoindre rapidement la frontière. Il s’agissait d’une bonne zone pour la chasse, toutefois, et il était vrai que le clan en avait bien besoin ces temps ci. Mais, ils n’étaient pas une patrouille de chasse, n’est ce pas ? Arrivait-il aux guerriers de faire un détour pour chasser un peu ? Le doute se lit à envahir son esprit, et il réalisa que toute la patrouille attendait sa réponse. Le problème fut que, il ne savait quoi répondre. Il ne savait pas ce que Cœur de Pluie aurait préconisé à sa place. Et, aucun des guerriers présents ne semblait vouloir l’orienter vers une option ou une autre. « Je … euh… » Il aurait préféré que ces mots ne franchissent pas ses lèvres, mais son hésitation était de toute évidence impossible à camoufler face à tous les regards perçants braqués sur lui.
Mais il devait prendre une décision, n’est ce pas ? Ils n’allaient pas rester au ralenti éternellement dans l’attente de sa réponse. Heureusement que le vent leur ébouriffait à tous la fourrure, car ainsi personne ne pouvait remarquer que la sienne était hérissée par la gêne. Il finit par souffler un bon coup, avant de s’adresser à Rage de l’Amour, mais aussi à tous les autres. « J’imagine qu’on ne peut pas chasser de trop en ce moment… » Et tu imagines aussi facilement que ton discours et le ton employé n’ont rien de ceux d’un meneur. « Si vous le voulez bien, nous ferons un arrêt au Champ de Fougères après avoir inspecté la frontière. » Ça lui paraissait être un bon compromis. Ils allaient effectuer la tâche demandée en priorité, puis rapporter quelques proies au camp. La patrouille apprécierait certainement la logique dans son raisonnement, n’est ce pas ? Elle ne se focaliserait pas sur son hésitation ou sur son manque d’expérience. N’est ce pas ?
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Sujet: Re: Face your demons [Ft Rage de l'Amour] Jeu 15 Fév 2024 - 12:09
Tourne, tourne et hurle. Le vent charrie les accents hésitants d'Esprit des Marais jusqu'à la queue de patrouille. « Je... euh... J'imagine qu'on ne peut pas chasser de trop en ce moment... Si vous le voulez bien, nous ferons un arrêt au Champ de Fougères après avoir inspecté la frontière. » Un feulement de dépit m'enroue la gorge, comme je le force à se faire muet. Un regard à mes compagnons suffit pour que je lise sur leur visage une indifférence relative : l'intérêt est déjà retombé. La réponse d'Esprit des Marais est tiède, ne goûte à aucun extrême qui aurait pu se mettre la patrouille dans la poche ou bien les lui aliéner complètement. Une demi-mesure. Finalement, l'image même de l'ancien guérisseur, je pense sauvagement, le regard braqué sur l'encolure brune claire du meneur de patrouille. L'ai-je jamais vu hausser le ton une fois, dans un éclat de colère ou de rire ? Mais ma mémoire est aiguisée et, traîtresse, me présente spontanément la preuve de mes accusations silencieuses.
Je connais le rire d'Esprit des Marais — je l'ai entendu résonner dans le camp il y a des lunes de cela. Je connais son sourire — adressé à Mirage des Océans, aux chatons de la pouponnière qu'il venait traquer de ses moindres maladies lors des lunes de mal vert. J'ai toujours, imprimé dans ma rétine, son visage baissant vers moi un air soulagé empreint d'une douleur sourde que j'étais alors trop jeune, trop naïve pour comprendre. Que savais-je alors de ces malheurs qui empoisonnent les âmes ? Que savais-je des élans de fureur qui, morts tout aussi promptement qu'ils étaient nés, pouvaient dans leur torrent éphémère inverser le court d'une vie entière ? De la vie j'ignorais tout de l'injustice, d'Esprit des Marais j'ignorais tout des fautes ; les rumeurs circulant à son sujet m'horrifiaient assez pour me pousser à aller me planter devant lui, ce matin-là, le regarder dans les yeux et lui réclamer des explications. Conversation à l'apparence si absurde, et pourtant rien de plus sincère, entre une apprentie et un chat ni guérisseur, ni tout à fait guerrier. Un entre-deux.
Était-ce pour ça que j'étais allée le trouver ? Parce que j'avais reconnu dans cet esprit isolé le même tiraillement qui me déchirait ? Parce que, pas plus que je ne pouvais avaler les préceptes conservateurs de mes parents ou de Mirage des Océans, ni me laisser tout à fait aller, j'avais vu en lui quelqu'un qui n'était nulle part, et plus que tous les apprentis de ma tanière, mon semblable ? Aujourd'hui je ne sais plus. Je ne trouve nulle trace de la compassion - de l'idiotie, de la naïveté, de l'ignorance - qui m'avait poussé à écarter les ragots et le trouver lui, lui exiger une vérité. Aujourd'hui, j'en sais trop. Sur moi - et donc, sur lui.
Car c'est le fond du problème, non ? La rancœur enfle en moi — à vrai dire, n'a jamais vraiment cessé d'enfler depuis que je l'ai revu, assit dans le camp, après avoir donné naissance à Petite Némésie. Comme un rocher qui crève l'eau, un voile qui se déchire. J'ai tout compris. J'ai compris la perfidie de ses explications d'alors, son désistement face à sa responsabilité — j'ai eu envie de lui hurler après. Comment fait-il pour rester aussi calme ? Comment fait-il pour demeuré paré de cette sagesse ? Elle lui appartenait lorsqu'il était guérisseur — aujourd'hui elle n'est que volée, empruntée à un statut qu'il n'a jamais mérité, dont il a bafoué les lois les plus sacrées. Cette douceur et cette patience qui ne semblent le quitter que lors de trop brefs instants sont autant de gifles à mon visage. Quelque chose d'orageux, de sournois, coule dans tout mon sang.
Qu'il craque. Qu'il craque, qu'il se fende, qu'il abrège son mensonge, qu'il révèle les vers grouillants qui le remplissent, qu'il expose aux Étoiles sa culpabilité. Ainsi nous redeviendrons pareils. Ainsi, nous serons égaux, immondes, blâmés. Ainsi, je saurais que nous sommes aussi semblables que ce jour là, lorsque je suis venue le trouver — j'en ai besoin. J'ai besoin de savoir qu'il porte comme moi son fardeau, qu'il ne se parade pas meneur de patrouille ou guerrier comme si rien de tout cela ne s'était passé.
Alors que les hauts pins noirs commencent à se rarifier, se mêlant ça et là des feuillus présageant la proximité de la frontière du Tonnerre, une résolution sourde me court les veines, un bouillonnement me floue le bon sens et m'échauffe l'esprit, efface la retenue qui me pare d'ordinaire. Dans quelques mètres, les premières effluves du Tonnerre nous parviendrons. À côté de moi, la féline crème qui partage ma tanière marmonne quelque chose en un bâillement — « Faudra se montrer prudents, ils sont particulièrement agités depuis la dernière Assemblée. » Je rebondis aussitôt, cristalline, une sauvagerie vicieuse m'animant toute entière. « Peut-être que le meneur de patrouille a quelque dernières consignes à faire passer, » ma queue fouette l'air. « Quoiqu'il me semble bien hasardeux de prendre des avis venant de quelqu'un avec un passif si lourd vis-à-vis des frontières... voudrais-tu que l'un d'entre nous te remplace, si jamais nous venons à croiser une patrouille adverse ? Coeur de Pluie serait compréhensif — je pense que lui le premier souhaite éviter tout dérapage malheureux, » je finis doucement.
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Sujet: Re: Face your demons [Ft Rage de l'Amour] Dim 18 Fév 2024 - 15:13
Face your demons
ft Rage de l'Amour
Le matou ne fut qu'à moitié soulagé de voir que la réaction de ses camarades avait été quasi inexistante. Comme si au fond, la réponse n'avait pas tellement d'importance tant qu'ils allaient quelque part. Il n'osa alors se demander pourquoi Rage de l'Amour avait interrompu leur course pour le mettre face à un tel choix. Il préférait ne pas se poser la question, en fait, car aucune des théories qu'il avait imaginé ne lui plaisait réellement. Il n'en comprenait pas non plus l'intérêt, et cela contribuait à lui donner envie de tout simplement se tromper, et que rien de tout cela ne soit aussi profond et sérieux. Alors ils avancèrent, jusqu'à apercevoir face à eux la frontière qui les séparait du Clan du Tonnerre. L'odeur de leur voisin était forte, mais le matou devina qu'une de leurs patrouilles était simplement passée peu de temps avant eux. Il n'y avait donc personne dans les environs. Cette certitude le rassurait un petit peu, car croiser des guerriers adverses le plongeait toujours dans un état de stress qu'il ne parvenait à gérer. Il revoyait toujours cette scène, sous forme de flashs, et même si rien ne pourrait justifier que cela se produise à nouveau, l'ombreux le craignait au plus profond de lui. Cette peur, c'était son châtiment. Il devrait vivre avec, mais il ne voulait également surtout pas que cela handicape la patrouille. Alors, il fallait inspirer. Profondément.
Ce fut lorsqu'il s'efforça de ravaler son appréhension, qu'il entendit de nouveau la voix de Rage de l'Amour. Sa voix était douce, encore une fois, mais l'ancien guérisseur n'y ressentait pas la moindre once de bienveillance. Stupéfait, il s'était même retourné vers elle, et le reste de la patrouille, comme pour être certain de l'avoir bien entendue. Une bile désagréable lui remonta lentement dans la gorge. Deux fois, Rage de l'Amour était revenue à la charge, employant des sous entendus qui n'en étaient pas véritablement. S'agissait-il uniquement d'elle, ou bien ses paroles reflétaient-elles ce que tous pensaient -ou craignaient- en silence ? Le tigré sonda les visages des autres membres de la patrouille, mais n'y trouva que l'intérêt qu'ils semblaient tous porter à sa réponse. S'il avait su que cette sortie se transformerait en test de la part de ses camarades... « Quoi ? Il n'y a perso... » Il s'interrompit, réalisant que ses camarades le savaient déjà, et qu'ils posaient tout de même cette question. Pourrait-il laisser à d'autres la tête de la patrouille, dans un tel cas de figure ? Il avait perdu la volonté de défendre son nom depuis bien longtemps, et il n'était même plus question de parler d'honneur en ce qui le concernait, alors... Il réalisa que ses griffes s'étaient plantées dans le sol, à force de malheureux scénarios créés de toutes pièces dans son esprit, et sous le poids de l'atmosphère qui se faisait ressentir entre eux tous. Finalement, il se laissa écraser, et baissa l'échine. « Si me suivre vous plonge tous dans une telle incertitude... il est effectivement préférable d'en rester là. » Il ne pouvait même pas empêcher sa voix de trembler. Il ne pouvait même pas les regarder en face. Ils n'avaient même pas rencontré de patrouille ennemie, mais cette simple possibilité le clouait sur place. « C'est ce que tu veux, Rage de l'Amour ? » Il n'essaierait pas de se défendre, mais quelques soient les intentions de la chatte au pelage clair, il se devait de lui signifier qu'elles n'étaient pas aussi cristallines que ses prunelles, et qu'il le savait.
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Sujet: Re: Face your demons [Ft Rage de l'Amour] Mer 16 Oct 2024 - 18:49
Rage de l’Amour FACE YOUR DEMONS — Lune 1213
J’humais l’odeur de la patrouille du Tonnerre, étiolée le long de la frontière en bavure éphémère. Drôle, combien ce lambeau fantôme rendait plus tangible la démarcation de nos territoires que tous les arbres de la Forêt des Passages n’auraient pu le faire. Drôle comme, muette, elle se faisait rappel plus piquant de tous ce qui nous séparait de nos voisins. Drôle, comme elle se faisait traître fourreau des griffes d’Esprit des Marais. Je regardais le guerrier pétrir la terre de ses griffes comme s’il se fût agit d’une proie fraîchement capturée, plongée dans un état second. Ailleurs, détachée de moi-même, il m’était ainsi facile d’aiguiser les miennes envers le guérisseur déchu. La fuite d’une lâche.
Lorsqu’il reprit, ce fut d’une voix vacillante qui coupa court à ma retraite. Cet infime frémissement qui sous-tendait ses mots me livra l’assaut final. Il n’était plus un fautif que j’acculais au pied du mur ; il n’était plus un réceptacle sans nom, sans voix, de tout mon ressentiment. Par ce chevrotement seul, Esprit des Marais regagnait son nom et son visage, et concomitamment me rendait les miens. Je fus ramenée à moi-même avec une brutale secousse. Je redevins ce que j’étais — une guerrière de dix-neuf lunes face à son aîné. Une enfant, aux prises avec des démons qui la dépassait en âge et en puissance.
Désorientée, je clignais des yeux. Je me trouvais soudain de l'autre côté de la barrière. De bourreau j’étais devenue à mon tour accusée, et faisait face au pire jugement qui soit : celui d’une victime aux crocs plantés dans la fourrure de son persécuteur. Le regard ambré d’Esprit des Marais, planté dans le mien, jurait face à la fébrilité de sa voix. Raidie, engloutie d’une soudaine bouffée de chaleur, je n’y décelais qu’une perspicacité silencieuse. Je le cherchais ; le voilà qui m'avait trouvé.
« Je ne veux jamais que le bien de notre Clan, » répondis-je laconiquement, machinalement. Je m’obligeais à ne pas ciller. Me voilà rendue à me défendre face au jury que j’avais moi-même constitué – nos camarades nous dévisageaient à présent tour à tour. Je pris conscience de l’urgence de couper court à l’échange, avant que ce procès implicite ne se fasse donner corps par d’autres voix que les nôtres. « Cœur de Pluie t’as fait tête de patrouille ; il ne me viendrait pas à l’esprit de questionner son jugement. Je souhaitais simplement prévenir d’éventuelles inquiétudes. »
Je courbais légèrement l'échine, assumant ainsi la position de celle qui attendait les directives. Ce mouvement me permettait surtout de me soustraire aux yeux trop expressifs du mâle brun. Mon esprit tout entier bouillonnait. Ainsi, il ne prétendait de rien. Ainsi, Esprit des Marais n'adoptait aucun rôle, n'avait rien oublié de ses travers — les portait à fleur de peau, les laissait éclore dans sa voix. Je ne savais que faire de cette révélation. Le menteur que je pourchassais depuis le début de cette damnée patrouille n'avait jamais été que ma propre ombre.
Je me tins coite pendant de longues minutes, me laissant glisser vers l'arrière de la patrouille en statue de marbre, sans dire mot. Tous ceux que je voulais déverser se pressait contre mes lèvres — brouillons, informes, crus. Je ne savais comment les mettre en ordre. Résignée à un honteux silence jusqu'à ce que nous soyons rentrés au camp, je laissais mon regard divaguer de point en point. La patrouille se désagrégea lentement, comme autant de perles d'eau sur la tige d'une feuille — dispersés ci et là sur la frontière, chacun s'acquittait du marquage en goûtant l'air frais de la saison. Un mouvement au coin de mon œil attira mon attention. Une fourrure brune la retins. Comme les autres, il s'employait à sa tâche, à quelques longueurs de queue de souris.
Les mots sortirent à brûle-pourpoint, avant que je puisse en éteindre les braises. « J'ai franchis les limites. » Ma voix était un murmure de ruisseau que lui seul pouvait entendre. Je refusais de rencontrer son regard, préférant perdre le mien dans les terres vertes et brunes du Tonnerre. « Je te prenais pour un modèle de vertu, tu sais. » Du moins Nuage de l'Amour l'avait cantonné à ce piédestal. Rage de l'Amour n'avait fait que le regarder en tomber.
hrp:
Mes plus plates excuses pour ce retard, Poli. En cadeau de pardon, des gifs d'Alicia Debnam-Carey. Accepte ce humble rachat de ton indulgence et enterrons cette histoire fâcheuse.
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