one of the same | Rumeur & Lézarde

Patte de Lézard

Lune 1216

Le soir tombe sur la forêt de pin lentement, avec la paresse de l'été, et le soleil baigne encore la combe confortable du camp de l'ombre d'une lumière dorée malgré l'heure tardive. La petite créature observe cette avancée en se tenant presque immobile dans un coin. Elle n'a pas pris place sur l'une des grosse pierre dont la surface chauffée par le soleil semble pourtant si tentante. Non, cette place est réservée aux guerriers qui rentrent la gueule chargée de proies, ou à la vieille guérisseuse qui s'y installe parfois en regardant le clan d'un oeil perçant, ou aux reines respectées qui veillent sur leurs enfants d'un oeil aimant.

Lézard n'a même pas songé à profiter des quelques places libres pour aller s'y jucher. Ou peut-être en a t-elle caressé l'idée un instant ? Difficile à dire, tant elle semble presque éviter tout ce monde inaccessible du regard. Les conversations résonnent bon train dans la clairière, l'instant du partage bat son plein, mais ses yeux restent fixés ailleurs, vers les arbres qui les protègent tous. Parfois, ils pivotent, vers la pile de gibiers, et un mouvement infime se ressent. Elle hésite. Puis un guerrier se lève et va se chercher une proie à manger, et elle retourne vite à son air rêveur, comme si cela signifiait que son tour n'était pas arrivé. Mais son ventre gronde, et si elle était honnête voilà longtemps qu'elle serait allée chercher cette minuscule souris qu'elle a repéré, qui gît au bas de la pile, que personne ne touche, elle manquerait à qui cette petite souris ? Et puis c'est le belle saison, le clan est bien nourri, enfin elle n'est pas sûre qu'est ce qu'elle en sait ? Mince, elle ne sait plus si elle a vu toutes les reines sans exception se servir. Mais pendant quelques minutes, plus personne ne semble s'approcher, tous ont leur repas déjà entre les pattes et sont confortablement installés, alors elle se lance, se faufilant rapidement en regardant droit devant elle pour ne pas voir si quelqu'un la suit des yeux avec un air accusateur. Elle a le regard fixé sur cette petite souris, sa gueule salivant déjà à l'idée de planter ses crocs dans la chair. Elle approche, encore personne en vue, elle va l'attraper et repartir dans l'ombre comme elle est venue pour enfin-

Sonnée, Lézard se réceptionne comme elle peut avant de tomber, réalise avec horreur qu'elle a posé sa patte sur une très fine queue dans son mouvement, se confond en excuses. Elle a percuté quelqu'un ! Comment, pourquoi, c'était vraiment pas le moment ! Elle a percuté... Petite Rumeur ? Passé l'instant d'ahurissement, elle se recule avec vivacité, comme si le contact avec sa camarade l'avait brûlée. Si Petite Rumeur était là, ça voulait dire que Patte Sauvage rôdait probablement non loin, peut-être était-il déjà derrière elle à darder sur elle ses yeux vengeurs... A présent paniquée, Patte de Lézard jette des coups d'oeils affolés aux alentours, en se demandant d'où viendra le coup de griffes du caïd, avant de réalisée avec circonspection qu'il n'a pas l'air de se trouver dans les environs.

Patte de Lézard | Lune 1216

Petite Rumeur avait couiné, mais malgré la douleur qu’avait pu ressentir sa camarade, la culpabilité n’était pas maîtresse dans le cœur de Patte de Lézard. Et elle savait qu’elle devrait l’être, et s’en voulait de, plus que tout, avoir peur dans cette situation. Mais elle était avant tout paniquée, même si Sauvage ne semblait pas se précipiter vers elle, le chaton ne pouvait s’empêcher de tourner la tête dans tous les coins, apeurés qu’il ne sorte d’une parcelle d’obscurité pour lui arracher la tête. Et même si le frère de Petite Rumeur n’apparaissait pas, quelqu’un avait sûrement entendu. Est-ce qu’on allait la fâcher ? La priver de repas ? Non, ça ça ne serait pas grave. Mais elle serait alors connue comme Patte de Lézard, le chaton qui marche sur ses camarades, pousse et brusque les autres. Personne ne l’aimerait jamais comme ça, c’était certain.

La femelle calico s’était recroquevillée sur elle-même, sans plus oser bouger un muscle, les yeux baissés vers ses pattes pour ne pas voir tous les regards accusateurs qu’elle avait imaginé posés sur elle. C’est en entendant la voix hésitante de Petite Rumeur qu’elle les releva. Est-ce qu’elle la dérangeait. Oui. Patte de Lézard voulait juste manger quelques bouchées, sans histoire, elle se serait bien passée de tout ça… Mais non. Hors de question qu’en plus d’avoir bousculé sa camarade, elle l’empêche de manger et lui dise qu’elle soit de trop. Il fallait être exemplaire, la Patte de Lézard parfaite que tout le monde allait aimer, gentille et enjouée… que faisaient les gens gentils et enjoués ?

« Je suis désolée ! »

Premier point, s’excuser. Elle était à peu près sûre de cette étape.

« Je voulais aussi prendre une proie, on peut partager si tu veux ? Il y a de la place pour deux quelque part, sûrement… ? »

Elle a tenté de se départir de la panique qui avait envahi son corps et sa tête un instant auparavant, s’est redressée et a plaqué un sourire timide sur son visage, un peu distordu et éteint par les efforts qu’elle doit faire pour le maintenir. Une grenouille attire son attention sur le tas de gibier non loin, elle ressemble aux quelques autres qui sont empilées, ne manquera à personne avec un peu de chance. Elle s’empresse d’aller la chercher pour la présenter à Petite Rumeur.

« Ça peut être bien pour nous ça, peut-être… ? »

Tout pour vite s’éloigner du centre du camp où elles risquent d’être au centre de l’attention.