Se heurter à son destin || Ft. Épine

Epine
Lune 1211

Epine avait pris son temps pour émerger ce matin, profitant avec une paresse qu’elle ne s’autorisait que rarement de la tiédeur confortable de son antre. Elle avait néanmoins une excuse, Flamme Sauvage qui avait séjourné dans l’antre pour la nuit, sa respiration secouée par une toux inquiétante. La vieille guérisseuse écoutait donc avec une attention toute particulière les sifflements rauques mais réguliers du souffle de l’ancienne colorée.

Elle était sortie alors que les rayons du soleil commençait déjà à percer à travers les épineux surplombant la clairière plongée dans la pénombre. Armée d’une boule de mousse propre, elle allait la plonger dans le ruisseau coulant tout près de son antre pour préparer le réveil de la malade, elle remarquait dans le même temps que la réserve de mousse propre dans son antre commençait à dangereusement se trouver réduite et ressortit donc sans plus tarder pour allait en chercher dans celle disponible dans un coin du camp, endroit qu’elle n’atteignit pourtant pas à cause d’un obstacle pour le moins incongru qui se trouvait dans son chemin.

« Qu’est ce que- »

Si jurer était dans ses habitudes, sans nul doute que c’est autre chose qui serait sorti de son museau. Elle clignait des yeux, tentant de déceler malgré l’éblouissement causé par le contraste entre l’intérieur de sa tanière et les rayons de soleil du camp qu’est ce qui au juste se trouvait entre ses pattes. La chose avait d’ailleurs était bousculée assez violemment et avait atteri en un petit tas juste devant. La vieille guérisseuse s’appricha, la mine circonspecte, reniflant l’amas de poils.

« Patte Nocturne ? »

Epine avait aidé à mettre cette petite au monde et avait veillé sur la famille durant de nombreuses nuits. Bien sûr qu’elle la reconnaissait, mais cela ne lui expliquait en rien ce que la petite faisait ici, elle même ne semblait d’ailleurs pas avoir d’explications à lui fournir, à la manière dont elle s’excusa précipitamment avant que ses mots ne s’éteignent dans le silence. Toujours aussi circonspecte, un peu perplexe et sans savoir que faire, Epine demeura un instant à fixer le chaton avant de finalement se décider à prendre la parole. Un peu attendrie, elle essayait de se départir du ton sévère qui lui était habituel sans totalement y parvenir. Un rapide coup d’oeil aux alentours lui avait confirmé que la mère ou la soeur de la petite était absentes, peut-être était-elle encore la seule réveillée, dans ce cas elle pouvait peut-être se permettre de lui tenir compagnie ?

« Puisque tu es là, viens donc m’aider d’accord ? Mais nettoie toi un peu d’abord, tu es toute sale. »

Si elle n’avait pas prévu de donner d’ordre à la petite, elle n’était pas habituée à demander leurs avis aux autres, elle tenta d’agencer le mieux possible ses paroles mais elle sonnait toujours aussi sèche, tant pis. De son pas claudiquant mais énergique, elle entraîna la petite vers la réserve de mousse une fois que celle-ci fut un peu plus présentable.

« Tiens, prends en un peu avec toi, en faisant attention à ne pas en faire traîner par terre, on les coince sous le menton comme ça, pas dans la bouche, il faut que ça reste propre d’accord ? »

Elle tentait de montrer par des gestes à la petite comment faire, se demandant si elle pouvait y arriver, c’est que c’était petit à cet âge là, et elle même n’est pas habituée à montrer à quelqu’un d’autre, ses gestes sont un peu saccadés et maladroits alors qu’elle donne à l’aide de ses griffes une quantité infime de mousse à la petite.

La petite avait simplement hoché la tête sans bouger un poil pour commencer, sans souffler une parole. Lune Givrée ne lui avait pourtant jamais signalé qu’elle était muette. Epine avait marché vers l’entrée de sa tanière en laissant traîner un oeil curieux vers le chaton sombre, celle-ci avait finalement commencé à se nettoyer. En voyant ses gestes inexperimentés et l’air de dégoût qu’elle arbora immédiatement après avoir passé sa langue sur ses poils les plus sales, la vieille guérisseuse se demanda si elle n’aurait pas dû le faire pour elle. Mais quand même, elle ne savait pas se laver elle même à son âge ? Sourcils froncés, elle se détourna pour se reconcentrer sur la réserve de mousse, commençant à séparer un tas de mousse propre en plusieurs boules plus petites pour pouvoir en confier à Patte Nocturne.

Finalement lorsqu’elle fut rejointe par celle-ci, elle lui tendit une petite boule qu’elle avait confectionné qu bout des griffes, lui montrant comment elle avait elle même calé une quantité bien plus importante de mousse sous son menton.

« Mais... On ne va pas jouer avec alors...? »

Ah. Voilà qui était une question imprévue. La vieille guérisseuse adressa un regard sévère à la boule de poils, il s’agissait quand même de quelque chose de sérieux enfin.

« Ah non, sûrement pas. C’est de la mousse soigneusement ramassée au bord du ruisseau, alors ne va pas la salir dans la poussière ! La vie n'est pas un jeu. »

Fait-elle d'un air sec et sans appel, il s'agissait d'une évidence. En reposant ses yeux sur Patte Nocturne, un peu estomaquée par la question, Epine se fit la réflexion que décidemment elle était minuscule. Oui, elle ne pouvait décemment pas être si choquée par cette question. Soufflant un coup, elle poussa l’enfant du bout de la queue vers l’intérieur de sa tanière en gardant un oeil sur comment elle portait sa boule de mousse. Bon, au moins elle semblait faire attention à ne pas la faire traîner, remarquait la vieille, attentive. Bientôt, elles arrivèrent à l’espace dégagé à l’intérieur de la petite clairière protégée où il fallait entreproser la mousse. Epine installa d’abord son cargo de mousse avant de saisir celui que Patte Nocturne avait précieusement gardé, puis se retourna finalement vers elle.

Bon. Ce n’était pas tous les jours qu’elle se retrouvait avec un chaton ici. Enfin, c’était peut-être même la première fois. Elle avait comme quelque chose de chaud au coeur, l’impression de redevenir une gamine qui aurait dû ranger son lieu de vie avant l’arrivée d’un personnage important. Mais Patte Nocturne au contraire était minuscule dans cet espace sombre et silencieux. Réalisant que le silence s’était peut-être étendu trop longtemps et qu’elle lui avait peut-être fait un peu peur plus tôt, Epine s’éclaircit la gorge avant de le rompre.

« Cette mousse-ci, elle va servir pour si quelqu’un du clan se fait mal ou tombe malade tu vois, ça sert à leur faire des litière moelleuse par exemple, comme pour toi, ta maman et ta soeur dans la pouponnière. Ça sert aussi à apporter à boire aux plus faibles, c’est pour ça qu’il ne faut pas jouer avec d’accord ? »

Elle se dandinait presque sur ses pattes, un peu mal à l’aise de cette situation imprévue de si bon matin. Mais dans le même temps, elle n’avait plus si envie de se remettre à trier ses plantes dans sa tanière déserte et froide, et commençait à se demander comment elle allait bien pouvoir occuper la boule de poils pour lui donner envie de rester juste un peu plus longtemps.