D'eau et de sang | Nuit Polaire & Mélodie des Etoiles

Mélodie des Etoiles
lune 1212

Un nouveau jour qui se lève. Un nouveau jour à traverser en portant la perte qui pèse de tout son poids. Le poids de l’absence, le poids du silence. Elle se réveille en sursaut la nuit, cherchant près d’elle la chaleur des petits corps, le souffle des respirations. Mais seul le froid et et la tristesse de Museau Nacré, identique à la sienne lui répondent.

La nuit étend encore son ombre sur l’eau lorsque Mélodie des Etoiles sort de la pouponnière ce matin. Elle ne peut se résoudre à la quitter, même sans plus aucun chatons avec qui s’abriter à l’intérieur. Ce serait comme renier son rôle de mère, dire adieu déjà à ses petits enlevés. Il n’en est pas question. Le sommeil se refuse à elle et chaque instant passé dans les bras de Morphées, à ne pas diriger chacune de ses pensées vers ses enfants est comme un coup de griffe culpabilisateur.

Alors elle se prépare à affronter les longues heures froides et tristes de la journée, c’est ainsi qu’elle les ressent malgré le soleil. Mais après un regard vers la réserve de nourriture, une longue lassitude commence déjà à l’envahir. Elle sait, les jours précédents déjà, elle a tenté de s’adonner à l’activité de la pêche, manière la plus efficace de se rendre utile, mais elle se sent bien trop morne, lente, effacée pour attraper le moindre poisson. Elle qui a toujours excellé à cet art, elle trébuche sous le poids d’un deuil qu’elle refuse de nommer comme tel, voit leurs visages dans chaque reflet mouvant de l’eau, est incapable de bouger assez rapidement pour attraper les éclats argentés qui filent sous la surface.

Alors, après un long soupir las résonnant dans le camp endormi, elle se dirige finalement vers une berge, et, avisant de jeunes pousses de roseaux, s’approche et commence à les couper machinalement à l’aide de ses crocs à la base. Elle pourra les utiliser pour renouveller les nids de la pouponnière… Les faire plus résistants aux crues, empêcher que des chatons puissent être emportés au loin. Puis elle ira chercher des ronces, pour bien protéger la petite tanière. Puis… Perdue dans ses pensées, son regard croise sans qu’elle n’y fasse attention deux yeux verts, Nuit Polaire qui se tient non loin sur la même berge qu’elle, à quelques longueurs de queues. Nuit Polaire, fille de Flocon de Neige. Après une hésitation, la vétérante s’approche finalement, venant s’asseoir aux côtés de la jeune guerrière immaculée. L’état de Flocon de Neige ne s’améliorait que très lentement, Haleine Fétide ne pouvait encore dire si elle était réellement tirée d’affaire. Tout cela rappelait à Mélodie la vieillesse de son amie malgré sa jeunesse apparente. Elle se souvient encore du jour où elle s’était vue confiée la tutelle de Nuit Polaire, la fierté et l’appréhension à l’idée de mentorer l’enfant d’une guerrière si admirée. Nuit Polaire était à la fois si semblable et différente de sa mère. Plus forte peut-être, où plus douée pour maquiller ses vulnérabilités. Mélodie des Etoiles n’essaierait pas de les dévoiler, elle même s’accrochait du mieux qu’elle pouvait à la stoïcité qu’il lui restait.

« Ils vont payer. Nous ne nous arrêterons pas avant que l’eau de cette rivière ne se teinte du rouge de leur sang. »

Fait-elle en guise de salutation. Sa propre voix résonnait de manière lointaine à ses oreilles. Elle pensait au sang de Flocon de Neige qui avait teinté les berges du camp d’une odeur de mort. Si peu de sang ne serait pas assez pour que sa soif soit assouvie, il lui en faudrait plus, beaucoup plus.

Les reflets bleutés des reflets de l’eau dans l’aube n’effacent guère la teinte rouge qu’elle prend dans les yeux de la meneuse tandis que son regard s’y perd. Ses iris dorés semblent hagards, perdus depuis qu’elle n’a plus ses enfants sur qui les poser pour les couver d’un regard protecteur. Ils ont glissé sur Nuit Polaire sans s’arrêter sur elle. Mélodie des Etoiles ne regarde plus ses guerriers, elle ne les affrontera pas du regard avant d’avoir livré à leurs griffes ceux qui ont oser pénétrer dans leur sanctuaire. Le camp de la rivière n’avait pas été violé depuis qu’ils s’y étaient établi il y avait à présent de nombreuses lunes de cela. Elle avait choisi le lieu elle même, avec Flocon de Neige et Eclat de Rire. Mais elle avait failli à ses devoirs en ne sachant mieux le protéger, et son amie y avait peut-être trouvé la mort par sa faute.

Les griffes de la meneuses s’enfonçaient dans la terre froide du matin sans même qu’elle ne s’en aperçoivent tandis que les mots tranchants de la guerrière immaculée à ses côtés répondent à ses propres pensées. Elle aurait presque coulé un sourire à son ancienne apprentie si la situation n’était aussi dramatique. Elle qui était censée être le pilier, le soutien, voilà que les rôles s’inversaient. Oui, Mélodie était… rassurée d’entendre sa camarade exprimer la même violence qu’elle. Même si cette vision n’était pas partagée par l’entièreté du clan, elle ne marcherait pas seule.

Si vous avez reçu des nouvelles des autres clans ? Les dernières sont arrivées du clan du Tonnerre. Leurs chatons toujours au chaud dans la pouponnière. Mélodie des Etoiles n’avait pas tout saisi aux dires de l’ambassadeur venu les informer d’une mission tonnerreuse pour aller chercher une solitaire dans le clan de la lune. Elle les avait informé que le Clan de la Rivière n’interviendrait pas, ils avaient d’autres chats à fouetter. Elle soupire.

« Nous ne pouvons pas nous reposer sur eux. Travailler avec eux ne veux pas dire leur faire aveuglément confiance, je suis bien d’accord. »

Etait-ce de la frustration qu’elle avait entendu dans la voix de Nuit Polaire ? Avait-elle quelque chose en tête ? Pour la première fois, Mélodie des Etoiles darde ses yeux d’or sur la guerrière immaculée, la regardant vraiment. Elle laisse un silence passer, la fixant ainsi de ses yeux plissés. Elle avait tant de brume dans la tête que la réflexion lui était compliquée.

« Les patrouilles sillonnent le territoire en long et en large, mais nous pourrions aller au delà. Peut-être en commençant par les terres libres, hors de question de nous retrouver mêlés dans cette stupide rixe entre Etoile Embrasée et Souvenir des Etoiles. Tu avais quelque chose en tête ? »

La reine au pelage clair écoute pensivement les paroles de son ancienne apprentie immaculée, hochant la tête tandis que son regard a tôt fait de repartir se perdre au fond des flots. L’eau n’est pourtant pas bien profonde, mais l’abysse qui a avalé son âme semble s’y refléter. Les paroles de Nuit Polaire la maintienne pourtant à flot. Les solitaires… Les clans divisés… Patrouilles… Oui, il fallait qu’elle se reprenne. Il y avait tant à faire, tant à décider, tant à agir.

« Nous allons nous réunir avec les autres meneurs. »

Oui, il le fallait. A cinq ils seraient bien plus efficaces pour retrouver au plus vite les chatons. Ils s’uniraient, et ils tueraient les agresseurs. Ses griffes s’animaient à nouveau, s’enfonçant dans la tourbe humide sans qu’elle ne s’en aperçoive. Le félin qui avait osé pénétrer dans le camp de la rivière, dans la pouponnière de leurs chatons, elle voulait par contre se le réserver. Elle leur feraient avouer, leur ferait cracher un nom et celui-là mourrait de ses griffes. Etrangement, imaginer cette violence qui les attendait et qui finirait par conclure d’une manière ou d’une autre ce sombre épisode apaisait son coeur.

« Je te laisserais superviser le clan pendant ce temps où je serai absente, jusqu’à ce qu’une décision soit prise. Soir d’Orage n’en a pas parlé publiquement encore, le moment n’était pas le mieux choisi, mais il n’est pas sûr de vouloir garder son poste. »

Elle avait presque oublié cette conversation avec son oncle. Un détail par rapport aux évènements de la nuit, mais il lui revenait d’un seul coup. Elle allait devoir prononcer un nouveau nom pour la seconder sous peu. Elle devait celà à Soir d’Orage, elle ne pouvait marcher aux combats avec pour second un guerrier qui ne voulait devenir chef. Pourtant, son esprit était à mille lieux de ces préoccupations. Elle même aimerait n’avoir aucune responsabilité, se rouler en boule dans la pouponnière et oublier le reste du monde en se laissant bercer par les fantômes de ses petits envolés.

« Tu rejoindras la patrouille que tu voudras. Tu pourrais même décider de la composition de toutes les patrouilles si le coeur t’en dis. Si tu veux du rôle de lieutenante, je pense qu’il te siéra. »

Une oeillade en direction de Nuit Polaire, simple curiosité quant à sa réaction. Elle n’était plus seulement l’ancienne apprentie de Mélodie. Elle était avant tout une guerrière forte et loyale, aux pattes bien ancrées sur terre. Sa mère était dans son lit de mort, mais elle pensait avant tout au clan. Elle avait gardé la tête plus froide que la cheffe elle même. La reine rousse et blanche sentait qu’elle pourrait se reposer sur elle, que si elle devait lui confier le clan au jour prochain, elle le ferait sans regret. Oui, si Nuit Polaire l’acceptait, elle deviendrait lieutenante.

Les dés étaient jetés à présent. Du coin de l’oeil, la cheffe aperçoit ceux de Nuit Polaire, d’ordinaire brillant de détermination sans jamais ciller, se perdre un instant dans des profondeurs de son âme que Mélodie des Etoiles ne peut atteindre. Mais bientôt vient sa réponse, aussi équivoque que solennelle, comme si sa décision était prise depuis de nombreuses lunes déjà.

« J'en serais honorée, Mélodie des Étoiles. »

Un souffle imperceptible s’échappe de la gueule de la meneuse. Est-ce du soulagement, par peur que la plus jeune refuse ? Ou le soulagement du fardeau de cette décision à prendre qui s’envole ? Ce qui est sûre, c’est qu’elle se sent libérée d’un poids. Oui, comme le rappelle la future lieutenante, la période est troublée. Mais avec elle en lice pour mener le clan, Mélodie des Etoiles ne doute plus.

Et elle ne pouvait que l’admettre aux prochaines paroles de la féline immaculée. Elle avait besoin d’une épaule forte sur laquelle se reposer. C’était ainsi le cycle de la vie, les plus âgés protégeaient les plus jeunes qui bientôt se faisaient de plus en plus fatigués et devaient bénéficier de l’aide de leurs anciens protégés. Mélancoliquement, un presque sourire éclot sur le visage de chatte blanche et rousse.

« Eh oui, l’élève a dépassé le maître. »

Fait-elle dans un souffle, avant de se secouer pour répondre à la dernière question de Nuit Polaire.

« Je partirai demain à l’aube si aucun émissaire ne nous est parvenu avant… Le temps que les Clans de la Lune et du Tonnerre ne règlent leurs affaires. »

Fini t-elle d’un ton presque méprisant, même s’il lui est difficile de ne pas comprendre Etoile Embrasée. Lui aussi cherchait à faire tout ce qui pouvait être fait. Mais elle, il lui tardait que le sang des hordeux ne coule, et les conflits inter-claniques ne faisaient que retarder ce futur.

« Il nous faut préparer le clan au combat, sans affoler les plus fragiles pour autant. Rassemble les mentors pour s’assurer qu’ils dispensent des cours intensifs de combat aux apprentis, que chacun soit capable de se défendre. Il faut également veiller à ce que nos réserves d’herbes médecinales soient suffisantes… »

Si son esprit s’était fait plus clair grâce à la discussion, il lui fallait sans cesse lutter pour rester à la surface et ne pas sombrer dans les méandres de l’abysse agitant son coeur. Parfois, la brume reprenait sa place dans sa tête, ses propres pensées lui échappant comme du sable qu’on tente de retenir dans ses pattes. Contrariée, elle laisse l’instant filer, reprenant ses esprit pendant quelques secondes en observant le fil de l’eau.

« As-tu eu l’occasion d’échanger avec Brume Argentée depuis l’accident ? »

La féline argentée était la seule soeur qu’il restait à Nuit Polaire, et Mélodie des Etoiles s’inquiétait pour les deux de manières bien différente. De son point de vue, Brume Argentée était en tout point opposée à sa soeur, aussi immature et volatile que son ancienne apprentie s’était toujours montrée posée et loyale. Mais l’état de leur mère leur pesait sûrement autant à l’une qu’à l’autre.