Rivers of life || Ft. Mélodie des Étoiles

Parfois, Mélodie des Etoiles se demandait si elles étaient bien réelles, ces cinq petites boules de poils qui étaient apparues tel un mirage au cœur de la tourmente. Après des lunes et des lunes d’attente, d’espérances, et de désarroi. Mélodie s’était dit qu’elle était peu être trop vieille, trop stressée, trop occupée pour avoir encore des chatons. Qu’elle n’y était tout simplement plus destinée. Qu’elle aurait à jamais une unique fille à chérir. Mais son ventre s’était arrondi à n’en plus finir au plus dur de l’hiver, et cinq chatons en parfaite santé étaient nés. Le clan des Etoiles lui riait il au nez ? Même si c’était le cas, il s’agirait sans doute de la plus belle blague qu’on lui ait jamais faite. Mais peu certaine d’elle, de la réalité de ces petits, elle restait agitée, tentait de les confiner dans la chaleur rassurante de la pouponnière. Elle avait parfois peur qu’il ne s’évaporent au dehors, qu’ils disparaissent comme des mirages. C’était stupide. Mais elle n’aimait pas même les lâcher des yeux, ce qu’elle était pourtant bien obligée de faire durant plusieurs heures de la journée et de la nuit.

Ainsi, pourtant assommée de fatigue comme à son habitude ce matin là, elle avait les yeux entrouverts, posés sur les pattes de Petite Source qui s’agitaient contre son ventre, les oreilles de Petite Eau qui tressaillaient, un bâillement qui s’échappait de la gueule assoupie de Petite Mer… Seules Boule Calme et Petite Paix étaient simplement animées par leur respiration régulière, comme si elles mettaient un point d’honneur à porter du mieux qu’elles le pouvaient leurs noms.

La reine bicolore s’autorisait depuis la naissance des chatons de plus en plus de moments de relaxation comme celui-ci, et ils lui faisaient un bien fou. Aussi ne releva t-elle pas de suite la tête lorsque un nouvel arrivant fit bruisser la mousse qui tapissait le sol. C’est lorsqu’elle reconnu son odeur familière qu’elle releva la tête pour lui offrir un sourire de bienvenue. Soir d’Orage, son oncle, qui venait en lui offrant un met des plus gourmands… Le ventre de la reine gargouilla alors que le chat crème déposait le poisson sur ses pattes, comme soudainement réveillé d’un appétit dévastateur.

Elle s’extirpa avec délicatesse de l’entremêlement de pattes, oreilles et queues qui se serraient contre son ventre pour saluer l’ancien, et se rapprocher du poisson.

« Soir d’Orage ! Contente de te voir, ça va comme quelqu’un qui a dormi deux heures parce que des petits malins se sont amusés à lui grimper sur le dos toute la nuit. Enfin tu tombes bien, j’avais une faim de loup », fait-elle en réprimant un bâillement et croquant sans façon dans le poisson. Elle savoure sa première bouchée avec joie avant de lui retourner la question.

« Et toi, comment ça va ? Pas trop frisquet dehors ? Je sais que beaucoup d’anciens ont tendance à avoir les articulations douloureuses par ce temps là. J’espère que Chant d’Espoir a des stocks de remèdes de près… pour les chatons aussi… »

Et voilà, elle recommençait. Mais Petite Mer, Boule Calme, Petite Paix, Petite Eau et Petite Source arrivait à cet âge de la curiosité, de la soif des découvertes et de l’aventure, et Mélodie des Etoiles ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter du gel, du froid, et de tous les dangers de l’hiver et des rives qui pouvaient menacer de si frêles chats.

Soir d’Orage savait si bien rassurer de façon nonchalante, de sa voix profonde et de son regard plein d’expérience. Mélodie des Etoiles soupira, se détendant imperceptiblement après la simple remarque de son oncle. Oui, après tout, les chatons étaient tous en excellente santé pour le moment. Elle s’inquiéterait quand il en serait temps.

Elle suivi Soir d’Orage des yeux alors qu’il s’installait près des chatons, s’allongeant à leur hauteur. Sans s’en apercevoir, Mélodie s’était mise à ronronner. Elle n’avait jamais été exceptionnellement proche de son oncle fut un temps lointain, mais voilà que de telles scènes familiales étaient à présent possibles entre eux. Elle fini cependant par se détourner, appelée malgré tout par l’odeur alléchante de son poisson. Elle en savourait chaque bouchée avec patience, toute affamée qu’elle était, elle tenait à ressentir tranquillement la satisfaction d’avoir le ventre rempli. Elle était encore au milieu d’une bouchée lorsque l’ancien repris la parole, toujours en surveillant les chatons, mais avec cette fois-ci d’autres préoccupations à la bouche.

La rivière, gelée… Bien sûr, c’était le même problème qu’à chaque hiver, mais cela n’empêchait pas le ventre de la meneuse de se serrer. Malgré tous les efforts du clan, la maladie et la faim finissaient toujours par les rattraper à un moment où à un autre. Les plus fragiles, les jeunes et les anciens étaient souvent les premiers à en faire les frais. Comme s’il avait ressenti son regain d’agitation, Soir d’Orage avait continué sur une parole rassurante. La reine resta pensive, reprenant après un temps une autre bouchée de son repas, regardant les cinq boules de poils qui ronflaient et gémissaient de temps à autre dans la litière. Elle devait bien se nourrir pour les garder fortes et au chaud.

« Tu as raison, il est temps de nous préparer au plus dur de l’hiver. Je pense que Masque Illusoire, Danse de la Colombe et Fleur de Lune formeraient une bonne équipe. Flocon de Neige également si elle désire les accompagner, qu’en dis tu ? »

Elle a choisi avant tout des guerriers ayant effectué le grand voyage, durant lequel tous les guerriers du clan furent obligés de chasser pour se nourrir lorsqu’il n’y avait pas d’eau poissonneuse à proximité. Danse de la Colombe, ancienne luneuse, a toujours été un atout durant les mois d’hiver difficiles, et comme Flocon de Neige, leurs pelages immaculés leur permettaient de se camoufler sans faille dans la neige.

« Il faudrait également demander aux mentors d’enseigner les bases de la chasse aux apprentis, cela peut toujours être utile. Nous n’avons pas besoin de chasseurs hors pairs, mais quelques proies supplémentaires pour toutes les bouches à nourrir ne feront pas de mal. »

Elle passe en revue les noms qui dansent devant ses yeux. Nuage de Feu, Brume Argentée, Nuage de Carpe, Légende Guerrière… Tout le monde allait définitivement se trouver bien occupé pour les prochaines semaines. Son regard, vide un instant, se repose sur les chatons et sur Soir d’Orage, qui veille toujours, inébranlable. Sa seule présence l’apaise, lui donne la clarté d’esprit de réfléchir.

« Pourrais tu te charger d’avertir les intéressés ? Pas dans l’immédiat, bien sûr, mais après… lorsque ces petits monstres se mettront à vouloir gambader partout et qu’ils nous obligeront à sortir retrouver le monde extérieur. »

Elle sourit. Certains des petits commencent à s’éveiller, Petite Paix roulant jusque dans les pattes de son oncle en tenant maladroitement de s’étirer et de se démêler de ses frères et sœurs.

« Merci de m’aider comme tu le fais. ça me fait du bien, de pouvoir déléguer du travail, des choses à penser… »

Après la démission d’Eclat de Rire, elle a cherché sans vraiment le trouver un remplaçant capable d’être en confiance face au clan encore marqué par les traces de la guerre. Elle s’est entendue avec Âme de Fumée pour lui donner le rôle, au moins de manière temporaire, mais elle n’est pas sans ignorer qu’il n’a jamais été simple pour lui de l’endosser, et plus le temps passait, plus les choses semblaient difficiles. Une autre idée avait commencé à lui caresser l’esprit, mais comment proposer un tel poste à un félin ayant tiré un trait sur sa vie de guerrier ? Pas qu'elle même trouverait ça incongru, après tout elle ne considérait pas l'habilité au combat comme un atout particulier des lieutenants. Mais comment l'envisagerait-il, le prendrait-il comme un affront, un refus de sa volonté de se retirer de la vie des guerriers ? Elle l’observait, se demandant ce qu’il dirait d’une telle proposition.

La voix grave de Soir d’Orage la calmait, comme si sa tranquillité était contagieuse. Malgré les inquiétudes qui serraient le cœur de la meneuse, elle parvenait sans mal à garder l’esprit clair et relaxé, ce qui contrastait avec les tourbillons d’angoisse qui venaient parfois lui brouiller la vision. Elle avait terminé son repas, et après s’être léchée les babines, elle roula sur le côté afin de s’étirer convenablement autant que le permettait l’espace exigu de la pouponnière et la proximité des petits qui commençaient à rouler les uns sur les autres, l’écoutant sans rien dire acquiescer à ses paroles. Elle se retourna vers lui, attentive au changement du ton de sa voix, ses oreilles redressées sur sa tête.

« Ce n'est pas tout. »

Elle avait hoché le menton, signifiant qu’elle lui accordait toute son attention. Un solitaire agressif… qui s’en était pris à une apprentie ? Elle grogna légèrement, incapable de retenir son élan de colère. Elle s’était toujours sentie protectrice envers les plus jeunes, et détestait plus que tout qu’on ose s’en prendre à eux.

« Qu’il essaye un peu de s’en prendre à nous tiens… on lui montrera de quel bois on se chauffe. »

Elle a maugréé dans sa barbe, gardant à l’esprit le sommeil léger de ceux qui dormaient encore dans la tanière, et résistant à l’envie de les serrer contre elle à l’idée d’un danger rôdant dans les bois. Elle était aussi agacée que Soir d’Orage l’ait appris d’une ancienne au lieu d’un messager officiel du Clan du Tonnerre. A quoi leur servaient donc leurs ambassadeurs ? Etoile Embrasée ne semblait guère se soucier de la sécurité des autres clans. Mais à quoi bon parler, il leur fallait des actions.

« Il nous faut prévenir tout le monde. L’idéal serait de multiplier les patrouilles, mais nous avons besoin avant tout de gérer les stocks de nourriture… Quelle serait la meilleure solution selon toi ? Peut-être de demander aux guerriers de se focaliser avant tout sur la pêche et la chasse tout en sillonnant les frontières dès que possible ? »

Elle réfléchit tout haut, se demandant comment ils trouveront tous les temps de gérer tout cela. Devait-elle envoyer quelqu’un s’enquérir officiellement de la situation auprès du Clan du Tonnerre afin qu’ils puissent travailler ensemble ? Et les autres clans ? Devoir se rapprocher d’eux alors qu’ils se remettent tout juste de la guerre ne l’enchante pas, mais alors pas du tout. Et devoir se séparer de guerriers, même le temps d’une journée pour faire les déplacements, cela lui semble presque impensable. Elle renifle de dédain à cette idée. Pouvaient-ils se permettre d’attendre jusqu’à la prochaine assemblée pour en discuter ? Sa fierté mal placée risquait-elle de les mener à leur perte ?

Elle échange un regard avec Soir d’Orage. Le matou avait-il seulement envie de réfléchir à tout cela avec elle ? Elle ne savait plus ce qu’elle devait dire ou taire.

« J’ai besoin d’un lieutenant. »

Les mots étaient tombés avant même qu’elle ne les pense. Elle n’aurait pu les retenir. Il s’agissait simplement de l’évidence face à laquelle elle se trouvait, à cet instant plus qu’à n’importe lequel. Peut-être le temps de l’honnêteté était-il arrivé.

« J’ai besoin de quelqu’un avec qui je peux parler, quelqu’un d’expérimenté à qui je peux faire confiance, quelqu’un qui n’a aucun mal à parler à chacun, avec la tête bien droite sur les épaules. Je… J’aimerais, si tu l’acceptes, te confier ce rôle Soir d’Orage. »

Elle aimerait s’excuser de lui faire tomber ça dessus comme ça, mais elle espère qu’il sait aussi bien qu’elle qu’elle n’a plus le choix. Alors elle s'est contentée de soutenir son regard, yeux dans les yeux, l'or contre l'or.

« Tu n’as pas à me répondre de suite. Prends le temps dont tu as besoin pour y réfléchir, et n’hésites surtout pas à refuser. Je trouverais quelqu’un d’autre si tu le souhaites. Le clan a besoin de stabilité, de quelqu’un qui soit à sa place à ce poste. »

Elle laisse le silence retomber, pour lui laisser le temps d’assimiler, de rebondir. Mais elle ne veut pas que cela signe la fin de leur conversation, aussi est-elle soulagée lorsque Petite Mer commence à escalader les pattes du matou.

« On dirait bien que tu va être coincé ici avec moi pour la journée dis donc ! Veinard. » Fit-elle, rieuse.

Elle l’avait dévisagé, avec ses yeux grands ouverts, ses oreilles plaquées contre son crâne. Peut-être avait-elle finalement été trop brusque. Peut-être s’était-elle trompée. Mais elle est finalement soulagée de le voir se dérider, après tout, peu importe sa réponse, il restait son oncle. Et elle n’allait pas abandonner de suite. Elle l’écoute en silence, accueillant Petite Mer au creux de son ventre en ronronnant tandis que l’ancien reprenait la parole.

« Mélodie, je-... Je ne suis qu'un ancien qui présente des difficultés à se déplacer. Un guerrier un peu frustré et vieux jeu qui cherche a avoir encore une vie. C'est cela que tu souhaites pour le clan et pour te seconder ? »

Mélodie des Etoiles releva ses prunelles vers lui alors qu’il venait de terminer sa phrase. Une partie d’elle aurait voulu se mettre en colère contre lui qui se fustigeait ainsi. Mais ses inquiétudes étaient légitimes et elle s’était promise qu’elle les écouterait, elle était prête à le faire. Elle est calme, presque douce en lui répondant.

« Là où tu vois de la frustration, je vois de la volonté. Là où tu vois de la vieillesse, je vois de l’expérience. Mais là n’est pas la question. Je n’ai pas pensé à toi pour ton âge, tout comme je n’avais pas écarté les plus jeunes à cause du leur. Je vois de l’intérêt dans le sang neuf tout comme dans l’ancienneté. Mais au delà de ça, je t’ai choisi à cause de qui tu es. Qu’il s’agisse des apprentis, des anciens, des guerriers, même des chatons, tout le monde peut te parler, se confier à toi. Tu as la tête bien droite sur les épaules, et tu fais toujours du mieux que tu peux. Je ne cherche pas quelqu’un capable de mener le clan au combat, ni même de sillonner le territoire en long et en large. Je veux quelqu’un qui soit capable de souder le clan, qui sache se rendre accessible, qui soit présent. C’est pour cela que je t’ai choisi, et je n’ai que faire de ton âge, car ta valeur n’en dépend en rien. »

Elle s’arrête enfin, heureuse et rassurée d’avoir su trouver les mots, elle qui devaient souvent longuement les chercher sans les trouver. Ils lui faisaient souvent défaut ou lui échappaient au pire moments.

« Je ne pense moi même pas être la plus sage, la plus courageuse cheffe du clan. Je me suis longtemps posée… non, je me pose encore des questions, j’hésite, j’ai peur parfois, et je pense à plusieurs reprise m’être trompée dans mes choix. Mais je m’efforce de faire de mon mieux. J’ai simplement besoin d’un lieutenant pour me soutenir, m’aider à être la meilleure possible, et de quelqu’un qui soit prêt à faire la même chose pour le clan si ce jour devait arriver plus tôt que nous le pensons. Et cette fois-ci, je ne pense pas me tromper en pensant à toi. »

Il savait tout à présent. Qu’elle puisse ainsi se confier à lui, plus que jamais, la renforçait encore dans sa conviction qu’ils formeraient un duo idéal. Mais elle ne pourrait pas le forcer, la décision lui reviendrait. Elle avait dit tout ce qu’elle avait à lui dire à présent.

La chaleur de la pouponnière, la douceur de la mousse, l’odeur du lait maternel, la chaleur des chatons et les ronronnements qui s’élèvent dans le calme. La pouponnière était paisible par cette matinée lumineuse. La froideur de l’hiver semblait bien loin. A présent qu’elle s’était tue, l’ambiance paisible s’était simplement réinstallée, et les chatons, ignorant tout de la teneur de la conversation des adultes, continuaient à s’agiter de plus en plus joyeusement. La reine bicolore s’adonnait simplement à cet instant de bonheur, s’allongeant sur le flanc de tout son long, sa tête seule restant orientée vers son oncle, attendant une réaction. Ses oreilles s’agitèrent et un sourire vint étendre ses babines alors qu’il finit par donner son assentiment.

Le regard du matou coula vers les chatons empêtrés dans la mousse, et celui de Mélodie des Etoiles le suivit. Puis revint sur lui alors qu’il reprenait la parole. Soir d’Orage n’avait à priori pas dit son dernier mot. Un nouveau sourire monta à son visage en découvrant le contenu de ses pensées.

« Tu as toujours eu ta place dans la tanière des guerriers, bien entendu. Et je suis sûre que la plupart des apprentis du clan considèreraient cela comme un honneur de passer leurs apprentissage à tes côtés…  »

Elle ne pouvait pas dire tous, ils sauraient tous les deux que ce serait un mensonge. Il y avait toujours des sceptiques, de ceux qui considéraient la force comme qualité majeure qui verrait cela comme un affront d’être mentorés par un guerrier qui n’était plus dans la fleur de l’âge. Mais beaucoup considéraient simplement les vétérans comme des experts, et ils avaient sans doutes raison. Le regard de la cheffe coula à nouveau vers les boules de poils.

« Si tu penses à l’un de ceux là… Ce serait avec une totale confiance que je te confierais l’apprentissage d’un de mes amours. »

Elle caressa de sa queue les dos bariolés des petits, l’affection transperçant dans sa voix. Bientôt, le vétéran se redressa, et elle dû relever le cou vers lui pour chercher son visage. Elle sourit à ses paroles.

« Bien entendu, prends tout ton temps. Peut-être que c’est moi qui viendrait à toi, c’est bien beau de se la couler douce, mais je commence à avoir des fourmis dans les jambes… et puis, il serait temps que je leur montre le camp et tous leurs camarades, à présent qu’ils ont ouvert les yeux. »

Oui, elle le sentait déjà, demain serait une grosse journée. Il lui tardait d’y être, mais pour l’instant, la tentation de se laisser reposer simplement dans le tapis de mousse était bien trop grande…