L'histoire d'une vie (Avec Mélodie des étoiles et Nuage d'espoir)

Le monde tourne. Elle a besoin d’un peu de temps avant de complètement ouvrir les yeux. Torrent de couleurs, mouvent, violent, qui l’agresse sans aucune pitié. Les herbes n’ont pas fait effet. Elle referme les paupières, respire pour ne pas vomir. Pas ici, pas maintenant. Pas avec Museau Nacré qui dort paisiblement encore à ses côtés, pas avec le clan endormi derrière la paroi de sa tanière.

Elle est allée voir Pétale de Nacre le jour précédent. Elle était épuisée, les pattes tremblantes, tournant déjà de l’œil à moitié. Un petit coup de barre avait-elle dit, j’aurais peut-être besoin d’herbes énergisantes, merci beaucoup, Pétale de Nacre. Ne plus voir Naïade et son aura rassurante lui fit un pincement au cœur. Elle était repartie pour Cerfblanc quelques lunes auparavant, pour veiller sur son neveu avait-elle dit. Mélodie espérait que cela n’avait rien à voir avec la disparition de Valse des Étoiles et sa propre nomination à sa place. Il lui avait pourtant semblé avoir peu à peu gagné la confiance de la guérisseuse tricolore. Elle-même l’appréciait et regrettait le fossé qui les avait séparées. Enfin, elle n’aura sûrement jamais les réponses qu’elle cherche. Pétale de Nacre fait du bon travail, et elle lui fait tout autant confiance qu’à son ancien mentor. Elle était allée dormir, espérant se trouver mieux au matin. Le matin n’était pas venu, et son sommeil s’était fait fiévreux et agité, elle ne dort plus. Ses entrailles se transformaient en vers, en serpents gigotant dans le creux de son ventre. Elle court au dehors, titubante, se traînant presque. Elle a soif.

Tout est désert au dehors. Un maigre croissant de lune éclaire à peine le paysage, révélant de drôle de reliefs inexistants aux yeux de la meneuse. Elle ne prend pas le temps de plus regarder tout cela, se précipite dans les territoires, près de la rive, lape l’eau enfin, tentant de calmer la brûlure qui la prend à la gorge. Mais ça ne passe pas, et l’eau remonte aussitôt en direction inverse, emportant son maigre déjeuner de la veille dans le même temps. Mélodie des Étoiles s’écroule, pantelante, épuisée. Le monde devient noirceur.

Elle glisse, vogue au sein d’une mer agitée, une mer furieuse et terrifiante, avec des vagues renversantes. Petit corps malmené par les éléments, les vagues se jouent d’elle, elle se fait avaler. Elle roule, tousse et crache, et tente de fermer ses yeux le plus fort possible pour tenter de ne pas voir les monstres marins qui pourraient à tout moment surgir des profondeurs de sa vison troublée. Puis elle devient la mer, agitée, froide, visqueuse. Elle se perd.

Les bruits viennent la tirer de la mer, la tirer d’elle-même. D’abord diffus, incompréhensibles. Puis les bruits se font mots, et dans les ténèbres de son esprit, les mots se font phrases. Les voix sont familières, mais elle peine à y accorder des noms et des visages. Museau Nacré ? Est-il là ? Elle ne sait pas, mais l'imaginer la rassure et fait renaître un brin de chaleur au creux de son ventre. Ils sont deux, elle sent leurs chaleurs. Elle reste immobile, la respiration sifflante, presque absente. La femelle rousse et blanche est immobile, elle n’est que fatigue avant d’être autre chose, et bouger serait à présent la plus terrible des épreuves. Elle n’est présente que par intermittences, intermittences durant lesquelles la mer la retrouve, la ravale. Elle aimerait vomir mais n’a rien à vomir.

On lui demande de se réveiller. Elle aimerait dire qu’elle n’est pas endormie, loin de là. Mais même le râle le plus fin serait bien incapable de passer la frontière de ses lèvres à présent. Réunir ses esprits lui prend un temps immense, et elle a déjà cette impression que le temps lui-même s’est fait d’eau et lui file entre les pattes. Elle cherche à reprendre conscience de son propre corps, de ses membres. Ou sont-ils ? Elle a besoin de sentir ses pattes. Quelqu’un se trouve tout proche, juste là. Si seulement elle pouvait tendre la patte, signaler sa présence, qu’elle est bien vivante… Elle tente un mouvement, faire glisse l’un de ses membres vers le chat le plus proche, le toucher… et son corps se mue en pierre, des pierres bien trop lourdes pour qu’elle puisse seulement rêver de les bouger. A-t-elle réussi à seulement déplacer sa patte d’un millimètre ? Rien n’est moins sûr. Elle espère, car elle n’aura pas de deuxième chance. Elle replonge.

Hors Rp:

Elle nage dans un cocon de sérénité, un cocon doux et chaud. Elle pourrait presque se croire revenue à une époque lointaine, lorsqu’elle n’était encore qu’un chaton gémissant, les yeux à peine ouverts, le corps couvert d’un doux duvet seulement, pas encore de vrais poils. L’époque où le monde se résumait à quelques sensations, lumières et sons, et il y avait cette sensation-là, accompagnée d’une odeur laiteuse. Il lui suffisait de gémir pour se retrouver dans la tendre étreinte de Source Claire, là où rien ne pouvait jamais lui arriver, où tout était bon, et tiède et réconfortant. Mais bien sûr, elle ne peut pas être là-bas.

Où est-elle alors ? C’est la question qu’elle se pose avant d’ouvrir les yeux. Puis elle se souvient. La fièvre, la douleur, l’inconscience qui l’a emportée, son corps entier transformé en sensations insupportables. Est-elle guérie à présent ? Elle se trouve peut-être tout simplement dans la tanière de Pétale de Nacre. Elle ne savait pas que les litières y étaient si confortables… Mais elle ne se trouve pourtant pas sur une litière, elle en est presque sûre. La sensation ne vient pas de l’extérieur, mais de son propre corps. Du plus profond de son cœur. Une chaleur bienfaitrice coule dans ses veines.

Elle finit par ouvrir les yeux à contrecœur, elle serait bien restée encore prostrée, tranquille. Mais elle a trop d’interrogations pour rester immobile encore. Elle n’a aucune peine à reconnaître le lieu qui se dévoile devant elle. Pourtant, elle ne s’y est trouvée qu’une seule fois. C’était il y a 18 lunes. Elle devrait comprendre à présent. Pourtant, ce n’est pas encore le cas. Elle regarde simplement autour d’elle comme un enfant perdu mais curieux, une proie innocente qui ne sait pas que le chat la surveille. Les pattes froides de la mort lui caressent le dos, mais elle l’ignore. Pour le moment, elle se remémore simplement la cérémonie qui avait pris place en ces lieux, celle pendant laquelle son nom d’Étoile lui avait été offert. Mais elle avait gagné tellement plus. Elle avait ressenti en ces lieux tout ce qu’il était possible de ressentir. Les froideurs et les brûlures les plus extrêmes s’étaient emparées de son esprit, et elle avait eu dans le même temps l’impression de voler très haut et de couler au fond de la même. Une impression de puissance infinie aussi. Et la certitude qu’elle n’était rien, même pas une poussière, perdue dans l’immensité d’un tout bien trop grand pour qu’elle l’imagine seulement. Elle avait presque oublié tout cela à présent, mais c’était toujours tapit au fond d’elle, quelque part aux frontières de sa conscience. Elle déplie ses membres, se lève. Elle ne doit pas être là pour rien, quelqu’un doit l’attendre.

« Maman… »

Un murmure, alors qu’une silhouette se dessine devant elle. Même de nombreuses lunes après sa mort, Source Claire n’a rien perdue de sa beauté. Sa fourrure crème scintille de mille étoiles alors que ses yeux bleus se font de feu, réchauffés par le doux sourire qu’elle offre à sa fille. Son enfant adoré. Comme elle regrette de ne pas avoir pu se tenir à ses côtés, de l’aider à grandir… Elle le lui a dit, la dernière fois qu’elles ont pu se réunir. Elle lui est reconnaissante à Mélodie des Étoiles de ne jamais l’avoir oublié, de lui avoir gardé une petite place quelque part dans son cœur. Mélodie a hérité sa fourrure et ses yeux de son père, elle ne garde presque rien de sa mère autre que des souvenirs flous et confus. Et elle s’y est accrochée, pour tenter de garder auprès d’elle un petit peut de cet être dont elle avait ressenti tout l’amour à l’aube de sa vie. Pourtant, le sourire de Source Claire, s’il reste bienveillant et doux, est un peu triste alors qu’elle s’avance et pose son museau contre celui de sa fille, l’attirant ensuite dans une étreinte protectrice.

« Ça ne va pas être très plaisant. Je suis désolée. »

Dit-elle simplement de la même voix qu’elle emploierait pour parler à un jeune chaton, pour parler à sa Petite Mélodie. Un murmure diffus et simple, un peu triste lui aussi. Compatissant. Alors elle comprend, et comme si elle avait attendu cette constatation, la douleur l’avale tout entière, la faisant tomber avant même que la meneuse rousse ne s’en rende compte. Elle a peur à présent. Elle aimerait être forte, elle a neuf vies, avoir peur d’en perdre une seule serait un irrespect total pour tous ceux qui n’en ont qu’une seule et la risque malgré tout pour ceux qu’ils aiment. Mais on cœur se serre malgré tout, et elle lève ses yeux larmoyants vers sa mère, l’appelle.

« Reste… avec moi. »

Elle ne peut pas en dire plus, son souffle s’emballe, son cœur panique. Elle est foudroyée, immobile. Si elle se tordait quelques instants auparavant de douleur, elle ne peut plus, elle est paralysée, impuissante. Et pourtant son corps qu’elle ne sentait presque pas quelques instants auparavant se fait plus présent que jamais, lui rappelant à chaque interminable seconde qui passe qu’elle est en train de mourir. Sa vision brouillée par les larmes, elle ne voit pas sa mère se pencher vers elle une dernière fois, ni n’entend son murmure étouffé.

« À jamais. »

Tout s’arrête, tout se tait. Le noir reprend ses droits, et le rêve disparaît, se fondant dans l'inconscience totale qui emporte la femelle rousse & blanche.