EVENT- Mission 5

Les blessures encore à vifs, il était bien trop tôt pour que Mouette Rieuse ne puisse pardonner. Son corps était endolori et son esprit tourmenté par les images des siens blessés. Il avait entendu les paroles de Croissant de Lune, de Papillon Éphémère, de Rayon de Soleil... Mais c'était douloureux, d'accepter qu'ils avaient raison. Qu'au-delà de ses propres sentiments, il y avait plus important. Des chatons qui, à l'heure actuelle, devaient être terrifiés et qui se fichaient sûrement de l'origine de celui ou celle qui viendra les secourir. Néanmoins, le lieutenant de la Lune ne pouvait guère s'imaginer ce qu'il aurait fait si c'était autrui qui avait été tué. Quelqu'un qui ne serait pas revenu. La nuit avait été rude, il avait eu le temps de se faire mille et un scénarios souvent peu réjouissants. Les griffures sur sa peau n'étaient que peu profondes, mais d'après sa guérisseuse, elles lui laisseraient de vilaines cicatrices. Son visage avait été balafré, comme sa bienveillance. Il n'était plus d'humeur à être doux et compatissant. Il voulait retrouver les siens, et régler ses comptes avec la lieutenante du Tonnerre plus tard.

Cependant, on ne lui laissa pas le choix. D'après les chefs, c'était une bonne idée de réunir trois lieutenants pour accélérer les recherches. Bien sûr, il avait lancé un regard lourd de sous-entendus à son chef mais... Il ne pouvait pas refuser. Il se sentait déjà suffisamment coupable de lui avoir tenu tête lors du retour au campement, il ne voulait pas lui manquer de respect. Souvenir des Étoiles comptait énormément pour lui et même s'il n'était pas d'accord avec ses décisions, il savait qu'il n'aurait pas dû lui parler sur ce ton. Alors, il accepta bien à contrecœur de s'allier à Âme de Venin et Nuit Polaire pour le temps d'une mission. Pour les chatons. C'était donc seul qu'il s'était rendu sur les terres du Clan de la Rivière, très peu à l'aise à l'idée de devoir franchir les frontières. C'était devenu de la mémoire musculaire, il se raidissait à chaque pas, fronçait le museau face aux odeurs puissantes. Une partie de lui avait presque l'impression d'être déloyal tant ce comportement n'était pas le sien.

D'après les membres du Clan de la Rivière, il y avait des griffures suspectes sur les arbres longeant les frontières. Il ne comprenait pas pourquoi les chats de la Horde ferait cela, après tout n'était-il pas plus judicieux de leur part de se faire discrets ? Ils savaient que face à cinq clans, ils ne feraient pas long feu, alors pourquoi... À force de marcher, il finit par apercevoir la silhouette de la nouvelle lieutenante du Clan de la Rivière. Il aurait préféré être avec Soir d'Orage, lui au moins, il était certain de pouvoir lui faire confiance et il lui portait un grand respect. Ces deux-là par contre... Mouette Rieuse arriva à la hauteur de la femelle immaculée. Il n'avait rien contre elle après tout, il fallait qu'il fasse redescendre sa pression. Les blessures encore fraîches sur son corps et son visage, ainsi que la dureté de son regard, n'avaient pourtant pas de quoi avoir l'air accueillants.


Au moins, Âme de Venin ne semblait pas encore être là. C'était une bonne chose.


Se contenta-t-il d'ajouter, fouillant des yeux les alentours pour guetter la venue de sa camarade du Tonnerre. Il jaugea la riveuse du regard, sans véritablement savoir à quoi s'attendre d'elle. De ce qu'il savait, elle était une guerrière de confiance aux yeux de Mélodie des Étoiles, néanmoins ces derniers jours cela ne voulait plus dire grand-chose... Le bicolore s'assied, mal à l'aise dans des terres qui ne sont pas les siennes.

La voilà. Presque aussitôt, Mouette Rieuse n’accorda plus d’importance aux dires de son homologue riveuse. Il planta son regard sur la silhouette argentée qui s’approchait. Son œil caché d’une feuille le faisait quasiment sourire. Dommage qu’elle n’ait pas perdu ses deux yeux, une retraite anticipée n’aurait fait de mal à personne. Il ne lui rendit pas son signe de tête, il resta parfaitement stoïque. Malgré les paroles sages des siens, il ne pouvait pas faire taire sa colère. Néanmoins, l’heure n’était plus aux batailles. Il fallait retrouver les chatons. Lorsque ce sera fait... Il lui demandera des comptes. Ce qui était certain, c’était que les trois lieutenants semblaient tous d’humeur sérieuse. Chacun voulait en finir au plus vite. Il suivit l’immaculée sans un mot, se contentant d’observer ces terres inconnues, du moins pas tout à fait. En réalité, c'était la deuxième fois qu’il venait ici et qu’il collaborait avec les membres du Clan de la Rivière. En tant qu’apprenti, il avait aidé à vérifier l’état de l’eau après la Marée Noire. Il connaissait donc un peu l’endroit où il mettait les pattes, mais les souvenirs étaient lointains. Et les circonstances sont... différentes.

C’était donc dans un silence religieux que le petit groupe avançait le long des frontières. Les premières marques ne tardèrent pas à apparaître. Et effectivement, comme l’avait dit Nuit Polaire, elles n’avaient rien de naturel. De longues fissures sur l’écorce avaient été faites, comme une sorte de marquage ou un code. Le museau froncé, Mouette Rieuse s’approcha pour observer de plus près, levant sa patte pour imiter le mouvement. Oui, il n’y avait aucun doute, aucun chat ne ferait cela pour s’étirer ou pour aiguiser ses griffes. Il tourna autour du tronc, tentant de comprendre pourquoi cet arbre-là. Le bicolore jetait des regards entre l’arbre et l’horizon, puis derrière lui. Il n’était pas sûr mais... Il avait la sensation que ça n’avait absolument rien d’anodin comme choix. À première vue, il ne pouvait pas dire si c’était le résultat des solitaires ou non. Évidemment, les odeurs étaient effacées, en plus en frontière, c'était un bon choix, il y avait souvent des passages, des marquages renouvelés, les odeurs s’évaporaient vite. Il pivota un peu vers Nuit Polaire, tentant tant bien que mal de s’adresser aussi à Âme de Venin.



Son regard passa sur les arbres et il continua.



Tout cela ne lui plaisait pas. Il y avait encore des choses trop étranges. Chaque décision était cruciale, mais au moins... Il savait qu’il y avait deux bonnes combattantes avec lui, s’il fallait se battre.



Aux aguets, il attendit les observations de ses accompagnatrices, sans s’empêcher de regarder autour. Il détestait cette sensation d’être observé.

Duper cinq clans ? Mouette Rieuse foudroya la lieutenante du tonnerre du regard. La Lune n'avait pas été dupée. C'était leur faute. Ses babines s'étaient légèrement retroussées, poussant un léger grognement sans pour autant lui répondre. Il ne les sous-estimait pas, il estimait simplement que dans ces terres, ils étaient loin d'être avantagés. Ils étaient un seul groupe, vivant comme des solitaires. Sans le poison de leur meneuse, ils ne valaient rien. Néanmoins, le bicolore s'était retourné, visiblement agacé par la réplique de l'argentée. Ils étaient assez stupides pour s'en prendre à cinq clans expérimentés, alors pourquoi pas marquer leur chemin ? Voulait-elle le contrarier ? Si elle voulait perdre son deuxième œil, ainsi soit-il. Il avait eu envie de lui répondre de ne pas sous-estimer les blaireaux, qu'ils ne sont pas si stupides, seulement pour l'énerver, mais il n'en fit rien. Il fallait qu'il mette sa rancune de côté. Pour les chatons. Pour Souvenir des Étoiles, qui croyait en lui.

Cependant, Mouette Rieuse fut satisfait de voir son homologue riveuse prendre son parti. Il ne mettait pas la possibilité d'un animal en dehors, mais ce n'était pas la piste la plus évidente. Si ces bestioles s'éloignent de leur terrier, elles se mettent en danger. Finalement, ils se mirent en route pour suivre les traces de griffe. Les pattes dans l'eau, il réprima un désagréable frisson. Cela lui rappelait le contact de la rivière dans laquelle avait sombré son meneur, il y a à peine quelques jours. Bientôt, les voilà à une intersection. D'un côté leur camp, de l'autre les cinq rocs. Le noir et blanc regarda des deux côtés. Il fallait qu'ils choisissent. Mais il n'avait pas tellement envie de le faire, après tout, il n'était pas sur ses terres. Il était toujours aussi mal à l'aise ici. Le mâle s'imagina un instant la situation. Les chatons devaient leur faire confiance pour les suivre, mais plus ils s'éloignaient, plus ils devaient stresser... Peut-être avaient-ils laissé des indices ? Même minime, sans qu'ils ne s'en rendent compte. Mais dans un autre sens, probablement que l'un des chatons a été assez futé pour forcer des indices sur le chemin du camp avant de s'épuiser ?



Lance-t-il à Âme de Venin, un sourire en coin. Il ne pouvait définitivement pas faire comme si de rien n'était. S'il avait été plus faible, elle l'aurait certainement tué. Comme avec Vaillance Éternelle.

Mouette Rieuse avait suivi la femelle immaculée, sans pour autant pouvoir s’empêcher de froncer le museau. Allons pour le campement... S’enfoncer si profondément dans des terres inconnues et ennemies le mettait dans un tel malaise. C’était pour la bonne cause, se répétait-il. Ils suivirent le chemin indiqué par les traces. Il ne décelait aucune odeur, aucun changement. Néanmoins, le lieutenant tiqua. Un seul chemin ? Il n’en était pas si sûr. Après tout, Belladone était fille d’une ancienne membre du Clan de la Rivière. Peut-être savait-elle nager ? Ça n’aurait rien de surprenant. Par contre, emmener autant de chatons... À moins d’être plusieurs, mais ça il en doutait. Un félin pouvait peut-être s’introduire, mais pas plus. Ils auraient forcément trouvé d’autres éléments. Le chemin semblait tout tracé. Clairement, un animal n’aurait pas pu faire cela.

Aux alentours du camp, pas plus d’indices. Seule l’odeur du Clan était présente. Lorsqu’ils arrivèrent au dernier arbre marqué, il inspecta les alentours. Les buissons, le sol, les racines, les ronces... Mais rien. C’était comme s'ils s’étaient tout bonnement volatilisés. Le luneux pesta dans son coin. Il y avait bien des empreintes, mais elles appartenaient aux guerriers de la rivière, au vu de leur nombre. Mouette Rieuse rejoignit ses homologues, haussant les épaules. Rien. C'en était déroutant. Comment était-ce possible ? Il espérait sincèrement qu’ils auraient plus de chance avec l’autre chemin. Il y croyait, quelque part. Il ne pouvait que sentir son angoisse croître. Comme il l’avait dit à Souvenir des Étoiles, il y avait une possibilité, bien qu’infime, qu’ils soient morts. De faim, de blessure... Ou peut-être lâché chez les Bipèdes. Il passa en revue les maigres informations qu’ils possédaient sur la Horde. Il se tourna vers Âme de Venin :



Il posa son regard sur Nuit Polaire.




Il lança un regard vers le campement. Cela ne signifiait rien de beau. Belladone était sûrement celle qui avait capturé les chatons de Mélodie des Étoiles. Elle était la mieux renseignée sur le Clan de la Rivière. Et pour celui du Vent... Probablement aussi un ancien membre les avaient-ils guidés ? Il soupira. Plus le temps passait, plus cette histoire devenait très inquiétante. Au-delà du kidnapping, ils ne savaient vraiment pas dans quoi ils s’embarquaient. Si ça se trouve... Ils étaient certainement bien plus entraînés qu’ils ne le pensaient. Sur ce point, Âme de Venin avait raison : ils ne pouvaient pas se permettre de les sous-estimer.

C’était terriblement frustrant pour le trio. Trois lieutenants, censés représenter la puissance des Clans, qui étaient perdus dans un brouillard d’incompréhension. Peu à peu, la tension grimpait. Chaque pas les éloignait d’une véritable piste. La Horde se jouait d’eux. Mais bientôt... Bientôt, ils allaient amèrement le regretter. Mouette Rieuse comptait sur cela pour ne pas laisser son esprit bouillir trop rapidement. Voilà que les trois chats firent face à une étendue infinie d’eau. Silence. La lassitude se ressentait dans la voix d’Âme de Venin et, pour une fois, il la comprenait. C’était affligeant. Le bicolore hocha la tête face aux paroles de la riveuse. Ils firent marche arrière, suivant un nouveau chemin, cette fois-ci en direction des cinq rocs. L’ambiance était pesante. Les guerriers étaient sur leurs gardes. Il n’y avait pas que la Horde dont ils devaient se méfier... Aujourd’hui, ils étaient des alliés, mais qu'en serait-il de demain ? Le mâle lança des regards en biais aux deux femelles. Il eut un désagréable frisson à l’entente de la dernière phrase de Nuit Polaire.

Des témoins hein. Le même discours que le Clan du Tonnerre. Si le lieutenant n’était, au départ, pas d’accord avec l’avis de Souvenir des Étoiles quant à l’acceptation d’Œil Glacé, il avait tout de même saisi sa sincérité et sa loyauté. Il ne doutait pas d’elle. Dorénavant, elle est une guerrière de son Clan... Il souffla, bondissant par-dessus un tronc d’arbre écrasé au sol.



Il se tourna vers Nuit Polaire.



Hors de question d’assister à une cacophonie générale où les trois lieutenants ne s’entendent pas sur la manière de gérer un témoin. Il fronça les sourcils.



Il ravala son sourire en coin. Après tout, le Clan de la Lune était certes connu pour accepter les étrangers, mais il était très rare de voir des membres le quitter. Alors qu’eux... Ce n’était pas non plus quelque chose d’exceptionnel, ça arrivait, pour diverses raisons. La Horde aurait pu comploter avec l’un d’eux et ainsi kidnapper les chatons sans aucun souci. Ça demandait un grand culot, mais d’après ce qu’ils avaient pu constater, ce n’était pas très surprenant de la part de cette bande de rats. Ils étaient maintenant sur la plaine chatoyante et ils pouvaient voir les terres s’étendre au loin. La mission allait sans doute prendre plus de temps que prévu. Les arbres marqués se multipliaient. Pour autant, il y avait bien des chemins tracés. Certes, il y avait des pièges, mais c’était plus pour camoufler quelque chose. Ils allaient bientôt atteindre les frontières.

Au moins, sa remarque avait suscité l’intérêt. Mouette Rieuse toisa Âme de Venin, l’air satisfait. S’il pensait qu’il y avait un traître dans chaque Clan ? Oui. C’était même idiot de penser le contraire. C’était en se croyant intouchable qu’on finissait par s’auto-détruire. Le concept de loyauté n’était plus aussi fort qu’à l’époque de Cerfblanc et personne ne pouvait dire l'inverse. Le Grand Voyage avait fait réfléchir les guerriers et les chefs. Ce n’était plus étonnant de voir des amitiés se former aux frontières, voire des amours. La lieutenante du tonnerre était bien placée pour le savoir, son propre guérisseur était tombé amoureux de celui de la rivière. C'étaient des choses qui arrivaient. Alors, que l’un d’eux se soit allié avec la Horde... Ça lui semblait presque tout à fait logique. Après tout, comment avaient-ils pu avoir autant d’informations sur tous les Clans ? Pour autant, le bicolore ne pensait pas qu’Œil Glacé soit coupable. Elle cherchait plutôt à fuir. Règne des Ronces, malgré son changement de Clan, tient tout de même à sa famille, alors il n’aurait pas fait ça. Il souffla. Inutile de discuter avec elle de toute façon. Elle ne connaissait rien d’autre que la violence et elle le lui prouvait une fois de plus.

Le lieutenant n’aurait, en temps normal, aucun souci à se montrer agressif envers un étranger. Mais la situation était différente. Ils ne pouvaient pas savoir combien ils étaient, ni même si tout le monde possédait le poison. Se battre contre un inconnu, c’était chercher la mort. De toute manière, ils auront bien l’occasion de les anéantir quand ils auront trouvé leur campement. L’effet de surprise restait leur meilleure chance. Les provoquer était une mauvaise idée. Il hocha la tête aux paroles de son homologue riveuse qui, par la même occasion, s’était subtilement placé entre eux deux. L’important était d’avoir une nouvelle trace. Ensemble, ils mirent une patte en dehors de la frontière. À force de chercher, il perdait un peu de sa concentration. Néanmoins, ils étaient tous les droits déterminés. Malgré tout ce qu’il pouvait bien dire sur le choix de leurs meneurs à les avoir mis ensemble, quelque part, ils avaient raison. Ils étaient expérimentés, puissants et ne risquaient donc pas d’être mis à mal par des solitaires. De plus, ils portaient aussi les questionnements et les pleurs de leurs camarades. Leur Clan comptait sur eux. C’était peut-être pour ça que Mouette Rieuse avait fini par accepter.



Il lança un regard à ses deux accompagnatrices.



Il manquait un mobile. Sans ça, tout ça n’avait pas de sens. Pourquoi déclarer la guerre à cinq Clans ? Il y avait peu de chance qu’ils s’en sortent après tout... À moins qu’ils aient un atout caché, en dehors du poison. Plus il y pensait, moins il se sentait confiant quant à la bataille qui, tôt ou tard, éclatera.

À son tour, Mouette Rieuse haussa les épaules. Était-ce réellement la meilleure façon de les blesser ? En dehors de l’effet émotionnel, leur enlever des chatons ça ne faisait rien. Pas de guerriers en moi, pas plus de bouches à nourrir... Si on analysait les choses sous un angle froid et apathique, alors... Il secoua la tête. Il fallait cesser d’y penser. Cesser d’être fataliste. Sans doute était-ce la présence de cette foutue lieutenante à moitié borgne. Il lui lança un mauvais regard. Il fallait les retrouver. Comme ça après, ils pourront revenir sur les excuses qu’ils leur doivent. Soudainement, une odeur attira son attention, tandis qu’un miaulement étouffé se fit entendre. Âme de Venin les regarda, abasourdie, sa queue prise d’assaut par une boule de poils pathétique. Les trois guerriers furent silencieux un instant, se regardant les uns après les autres. Néanmoins, le plus surprenant fut la réaction exagérée de l’argentée, qui feula contre l’enfant, lui indiquant qu’apparemment, ils mangeaient des chatons quand ils le voulaient. Le bicolore était resté un instant à l’écart, papillonnant des yeux face à cette scène. Qu’est-ce qui se passait ici, au juste ?

Le luneux huma l’air face à la question de son homologue. Non... Il n’avait pas l’odeur de la Horde. À moins qu’il soit dans la nature depuis un moment ? En tout cas, ça le confortait dans l’idée qu’Âme de Venin n’en aurait fait qu’à sa tête si ça avait été un étranger plus âgé. Mouette Rieuse garda un peu de distance, laissant la femelle immaculée gérer les premiers échanges. Peut-être était-il perdu ? Enfin... Le noir et blanc avait un avantage que les deux autres n’avaient pas : une gueule d’ange. Au moins, son sourire allait enfin pouvoir servir à quelque chose. D’après ce qu’il savait des chatons –ou du moins en se basant sur sa propre expérience en tant qu’enfant- il se disait que le gamin n’aimerait pas être pris pour un incapable, il voudrait se faire traiter en égal. Et puis, il ne devait pas avoir confiance aux inconnus, surtout s’il vivait seul de cette façon... À son tour finalement, il s’approcha un peu, donnant un coup d’épaule qui se voulait faussement amical envers Nuit Polaire.


Il valait mieux jouer la carte de l’innocence, eux aussi. Ne pas s’affilier aux Clans, ne pas avoir l’air dangereux, ni intelligent. C’était probablement la meilleure manière de lui donner confiance, certes ce n’était pas très... noble, mais c’était pour la bonne cause. Et puis en soi, il ne lui mentait pas vraiment. Il se pencha vers lui, l’air conspirateur, et parla bas sans pour autant chuchoter pour laisser Âme de Venin l’entendre.

La guerrière tigrée ne semblait vraiment pas apprécier la compagnie de chaton. Rien d’étonnant pour quelqu’un d’aussi rustre qu’elle... Mouette allait en ricaner avant de subir un violent coup d’épaule qui le poussa à terre. Il poussa un miaulement de surprise, se retournant brusquement vers la lieutenante qui venait de le faire tomber. Il allait feuler, mais se retint et se contenta d’afficher un sourire crispé. Il ne fallait pas que le chaton puisse le craindre. Même si elle avait l’air de penser qu’il n’était d’aucune utilité, il n’était pas du tout de cet avis. Autant faire passer cela pour de la rigolade... Pour le moment. Il réglerait ses comptes après. De toute façon, il ne comptait pas laisser le Tonnerre s’en tirer à si bon compte. À la suite des paroles d’Âme de Venin, il fronça le museau. Hors de question de le laisser entre les pattes d’un Bipède. N’avait-elle donc aucun cœur ? Si ce petit avait été l’un des siens, elle n’aurait pas autant ouvert sa bouche ! Le bicolore se tourna vers Nuit Polaire, à la recherche d’un semblant de soutien. Mais les deux femelles étaient aussi glaciales l’une que l’autre. Si seulement Cœur de Pluie et Soir d’Orage étaient là...

Ils lancèrent tous un regard en l’air, posant les yeux sur la branche sur laquelle reposait le chaton hyperactif. Il écouta les paroles de l’immaculée. Le moins impressionnant ? Peut-être. Il était surtout celui avec le plus de cœur. Le moins méprisant. Les étoiles guidaient vraiment ses pas, à lui. Elles... il n’en était pas si sûr. Il leva le menton vers Zi... Zirou... bref, le petit. Il était hors de question de le forcer à faire quoique ce soit. Même s’il savait quelque chose et qu’il ne voulait pas le dire, il restait un chaton. Et un vrai guerrier ne s’en prendrait jamais à un chaton. C’était dans le Code du Guerrier et la mouette le respectait avec assiduité. Sans regarder les deux lieutenantes, il répondit :



Finalement, il prend un peu d’élan et grimpe sans difficulté aux côtés du chaton, lui offrant un large sourire. Après tout, il était peut-être un chaton, mais il était notamment solitaire. Un chaton clanique de son âge ne serait pas capable de faire ce qu’il fait, ils n’ont pas la même façon de vivre. Le matou pointa du bout du nez Âme de Venin.



Il espérait sincèrement que le petit comprendrait que tout cela n’était pas qu’un simple jeu.



Son regard était peiné, difficile de cacher sa propre inquiétude quant à la disparation des petits.



Il inclina la tête, comme pour le supplier.