Il y a de ces mauvais jours... | Reflet de la Nuit & Epine

Cette journée commençait très mal. Vraiment très mal. La vieille guérisseuse pestait en rentrant au camp, le nez dans son paquet de plantes. Elle s’était levée à l’aurore pour avoir le temps de faire une cueillette efficace, s’était dirigée dans les marécages. Avec l’arrivée de la saison des feuilles nouvelles, ceux-ci dégorgeait d’eau et de boue amenées par la fonte des neiges qui maculait il y avait quelques jours encore la mousse et le flan de la montagne non loin.

Alors non seulement elle avait dû se mouiller les pattes pour aller chercher les feuilles de framboisiers, la menthe et les genièvres. Mais en plus, comme le plus stupide des chatons, elle avait glissé. Ah, pas qu’un peu. Elle avait sursauté avec un cri à mourir de ridicule, lorsqu’un énorme crapaud avait bondi près d’elle. Elle s’était sentie partir, dérapant dans la gadoue, s’y afaissant sur le flan avec la grâce d’un rat. C’est à cet animal qu’elle devait ressembler un peu à l’instant, avec la moitié de son pelage figé en pic, ses poils ayant à moitié séchés en été maculés de boue, son roux foncé se trouvant bruni d’humidité. Ce n’est pas qu’elle prêtait particulièrement d’attention à son physique d’habitude Epine, elle savait être vieille et peu agréable aux yeux de toutes manières. Mais elle avait tout de même sa dignité. Aujourd’hui, rentrer au camp dans ses conditions, c’était la brûlure de la honte qu’elle avait comme compagnie.

Alors elle a filé à travers la clairière, les yeux concentrés droit devant elle, son visage a moitié caché par toutes les plantes qu’elle transporte dans sa gueule et coincées contre son cou. Voilà, elle allait enfin rentrer dans son antre, à l’abri des regards, elle pourrait poser tout cela dans un coin et finalement se rendre plus présenta-

Tout devint silencieux autour d’elle lorsqu’elle réalisa, ses yeux descendants lentement au sol, suivant la courbe qu’avait effectué tout un paquet de plantes en lui échappant et en s’éparpillant dans l’herbe. Elle n’avait quand même pas fait cette stupide erreur… Alors qu’elle avait déjà tant de retard sur ses tâches de la journée… Si elle avait été plus jeune, plus émotive, seule au centre du camp, elle aurait explosé en exclamations rageuses. Au lieu de cela, elle promène des yeux anxieux autour d’elle, priant que personne n’ait vu ce moment d’embarras. Et croise deux autres prunelles bleues. Qui la fixe très manifestement.

Reflet de la Nuit. Epine ne peut déchiffrer son expression, elle ne connait pas tellement la guerrière et espère simplement qu’elle va l’ignorer et se détourner… n’est ce pas ?

Bien entendu que non, elle ne s’était pas détournée. Au fond, Epine n’en était même pas étonnée, lorsque tout commençait mal, tout finissait rarement bien, une chose en entraînant une autre. Elle secouait la tête, déjà accablée de fatigue d’avance, puis levant les yeux au ciel d’exaspération. Elle espérait quelque part que ses mimiques feraient passer le message à Reflet de la Nuit, ce n’est pas le moment, mais il n’en était rien cette dernière s’approchait déjà tout sourire.

- Tu reviens tellement chargée, ne t'embête pas à ramasser, je vais t'aider.

Ces mots apportèrent une pointe de vexation, pour qui Reflet de la Nuit la prenait-elle ? Elle était encore capable de porter des plantes, merci bien. Mais avec son état et son paquet de plantes dans la gueule, ce qui lui restait de fierté l’empêcha de protester, et puis elle ne se souvenait que trop bien de la finalité de son échange houleux avec Cœur de Pluie sur un sujet ressemblant. Alors, ses yeux froids fixés sur Reflet de la Nuit et ses gestes avec le précieux butin, elle l’invita d’un geste sec de la queue à la suivre au fond du camp vers sa petite clairière où était entreposées les réserves de plantes. Reflet de la Nuit ne lui avait de toutes façons pas tellement laissé le choix.

Une fois arrivée dans l’antre plus sombre, et après avoir posé son tas de plantes dans un coin sec, Epine releva finalement son regard acéré vers la féline, irritée de cette visite inopportune, elle articula d’un ton tranchant.

« Merci, elle n’en oubliait tout de même pas la plus basique des politesses, pose moi donc tout ça là avant de gâcher la moitié de ma récolte. »

Peut-être la pauvre guerrière voulait-elle simplement aider, la pauvre n’était pas tombée sur le bon jour. Mais quelque chose dans son regard la dérangeait, la rendait méfiante, elle était mal à l’aise en sa présence pour être honnête. Pourtant, Reflet de la Nuit était un bon élément du clan, respectée de tous, quelqu’un dont il ferait bon se rapprocher. Mais il y avait chez elle une manie de tout observer, de sembler être proche de tout le monde, de mettre son nez partout. Epine était observatrice aussi, voulait être au courant de tout pour ne pas être surprise, la surprise c’était bien trop souvent le danger. Mais que quelqu’un la regarde de la même manière, comme si elle pouvait être une source d’amusement, non elle ne le supportait pas. Sa queue battait l’air derrière elle, et son état de stress et d’énervement n’était pas arrangé par le fait que toute cette boue séchée sur ses poils, ça commençait à sérieusement la démanger, il lui tardait de pouvoir aller se nettoyer un peu en toute tranquillité.

« Autrement, tu avais besoin de quelque chose ? Des problèmes d’insomnie, un rhume, une épine dans la patte que tu veux que je te retire ? »

Elle avait haussé un sourcil, l'air interrogateur, tentant de se rendre un poil plus avenante. Mais elle en doutait, Reflet de la Nuit avait l’air fraiche comme la rosée, ne reniflait ni ne boitait pas. Sinon, dépêches toi de ficher le camp, pensait la guérisseuse.