Plus de questions que de réponses - ft Kyrielle de Mélopées

Kyrielle de Mélopées n'était pas encore allée chasser, aujourd'hui. Le soleil était déjà bien haut dans le ciel et avait entamé sa longue descente derrière les montagnes depuis quelques heures, et pourtant la femelle crème n'avait pas vu le temps passer. Elle s'était encore retrouvée à rêver éveillée, à repenser à sa vie d'avant, à son père qu'elle n'avait jamais rencontré, à sa mère que l'exode lui avait arraché, à son Eros que le destin lui avait enlevé. Le seul qu'il lui restait était son frère, et bien que lui seul connaisse tous ses secrets, il n'était pas du genre à ouvrir son cœur et à en discuter tranquillement avec elle. Non... Kyrielle de Mélopées était bien seule au monde. Si entourée, et pourtant si isolée. Même le Clan des Étoiles ne semblait plus vouloir d'elle. Enfin, c'était ce qu'elle pensait ; après tout, elle s'était privée seule de leur compagnie en arrêtant de prier à cause de sa culpabilité.

La voilà qui se dirigeait alors vers la lande de bruyère pour se racheter et ramener quelques lapins. Bien que très peu compétente en matière de combat, la femelle de crème était assez vive pour représenter une menace considérable aux proies avoisinantes. Ce fut d'ailleurs pour cette raison qu'une heure lui suffit à en attraper trois ; un quatrième lui avait échappé, mais elle ne se laisserait pas vaincre de sitôt. Son petit tas de proies était bien caché, et il ne lui manquait plus que ce quatrième, le dernier qu'elle pouvait porter en un seul aller retour, pour rentrer avec un peu de paix de conscience. Elle était sur le point de se remettre à la traque, lorsqu'elle sentit un poids lui tomber sur le dos et la plaquer à plat ventre au sol. Son réflexe, plutôt que de lancer un coup de griffe, fut de se ratatiner pour protéger la précieuse peau fragile de son ventre, avant de se retourner pour aviser son adversaire. Un long soupir de soulagement s'échappa d'elle lorsqu'elle se rendit compte qu'il ne s'agissait que de Cosmos Foudroyant et de sa maladresse.

« Oh, Cosmos Foudroyant, commença-t-elle en se relevant avant de s'épousseter. Un doux sourire étirait légèrement ses babines blanches. Ce n'est rien. Mais je vais finir par penser que tu insultes mes grandes oreilles ! »

Kyrielle de Mélopées laissa échapper un petit rire, aussi sincère qu'utile pour prouver à la chatte noire et blanche qu'elle ne lui en voulait pas. Elle se retourna, alla chercher un des lapins les plus dodus qu'elle avait attrapé plus tôt, et le fit glisser aux pattes de la jeune femelle. « Tu peux avoir un des miens, si tu veux. » Elle savait que la bicolore s'était récemment blessée, et ce n'était pas de sa faute si elle avait plus de mal qu'avant à traquer des proies. Il fallait être solidaire quand cela était possible.

Cosmos Foudroyant se confondit en excuses, pensant d’abord avoir réellement offensé la femelle couleur crème. Mais quand Kyrielle de Mélopées détendit l’atmosphère avec son petit rire, la jeune guerrière sembla comprendre qu’elle ne faisait que plaisanter, et ce fut comme si un énorme poids s’était ôté de sa poitrine. Pendant un instant, la plus âgée s’en voulut d’avoir causé du souci à la plus jeune ; elle avait déjà assez de choses auxquelles s’inquiéter, notamment sa patte blessée, alors Kyrielle de Mélopées n’avait pas à en rajouter, même inconsciemment.

« Désolée si je t’ai inquiétée ; je plaisantais simplement. Ne t’en fais pas. » appuya la Venteuse avec son petit sourire caractéristique, celui qui cachait ses plus sombres peines.

Quand Cosmos Foudroyant refusa la proie offerte de la crème, Kyrielle de Mélopées marqua un petit temps de pause. Devait-elle insister pour que la jeune chasseresse ne se blesse pas davantage pour se nourrir, ou devait-elle respecter son choix d’attraper son repas seule ? Forcer sur une blessure non guérie n’avait jamais rien de bon, mais risquer de blesser les sentiments de la jeunette en sous-estimant ses capacités n’était peut-être pas la solution non plus.

La crème n’eut pas le temps de débattre intérieurement davantage, car Cosmos Foudroyant lui posa une question qui mit fin au dilemme qui creusait son esprit. À la mention de Cerfblanc, l’image d’Eros traversa l’esprit de la femelle comme un éclair ; puis disparut aussitôt. Était-elle en train d’en oublier les traits ? Kyrielle de Mélopées chassa l’idée sombre de son esprit, se concentrant plus sur la réponse qu’elle allait offrir à la jeune curieuse.

« Eh bien… commença-t-elle, partagée entre lui dire la vérité ou la déguiser un peu. C’étaient de magnifiques terres, avec de nombreux lieux sacrés qui nous étaient chers. Ici, nous faisons nos assemblées aux cinq rocs ; mais là-bas, nous avions une terre ancestrale nommée les quatre chênes, et ils étaient si majestueux que les mots m’en manquent ! »

La femelle crut voir passer des étoiles dans les yeux de son interlocutrice. Elle ne voulait pas teindre cette image d’un rouge sang en mentionnant ce qui les avait chassés de là-bas ; peut-être Cosmos Foudroyant demanderait d’elle même.