[Lune 1202] Assemblée de Clans

Assemblée – Lune 1202

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La meneuse rousse et blanche est agitée. La fièvre qui l’habite vibre de ses pattes jusqu’au bout de ses moustaches, presque tangible dans l’air autour d’elle. Elle sait pourtant qu’elle doit trouver le calme mais ne peut y parvenir. Ses yeux se dirigent vers le ciel sombre, vers le cercle laiteux parfait qui trône en son centre. Elle observe la lune tous les soirs depuis quelques jours, espère que le temps ne ralentisse, s’arrête, que les croissants cessent de se remplir petit à petit pour atteindre leur pleine rondeur. Mais la nuit est pourtant venue, et il est l’heure pour elle de se lever et d’annoncer le départ. Tarder encore ne serait qu’une vaine tentative de fuite devant l’inévitable.

Elle respire doucement, regarde son souffle former une buée blanche dans l’air froid de la nuit. Elle laisse ce froid l’envelopper, le temps d’un instant. Elle ferme les yeux et se laisse bercer par lui, elle laisse les doigts glacés du froid s’emparer de son cœur et calmer peu à peu ses soubresauts. Elle s’oublie un instant, seule dans la nuit. Reprend peu à peu le contrôle de son corps, de ses pensées.

La voilà bientôt qui saute au bas du promontoire. Elle s’est rassurée. Ils seront ensembles ce soir. Elle cherche Éclat de Rire des yeux, elle s’est déjà confiée à lui quelques instants plus tôt sur les doutes qui l’anime. Elle sait qu’il partage plus ou moins les mêmes, que la même peur étreint leurs cœurs devant la perspective d’un conflit. Oui, elle aimerait presque annoncer que la rivière ne se rendra pas à l’Assemblée ce soir, qu’ils se préserveront en n’offrant d’autre prise que leur absence aux autres clans. Mais la lune brille clair et haut dans le ciel, la traîtresse. Mélodie des Étoile aimerait pouvoir s’adresser aux ancêtres, leur demander ce qu’ils font tout là-haut, ce que l’avenir leur réserve. Mais les étoiles restent inaccessibles et silencieuses, et n’envoient pas d’autre signe que cet astre lunaire nullement teinté par le moindre nuage. Elle n’a donc d’autre choix que de leur faire confiance. Le clan ne comprendrait pas qu’elle aille à l’encontre de leur volonté, elle le craint.

Comme convenu, le groupe de félins conviés à l’assemblée de ce soir l’attend au bord du camp. Elle se jette à l’eau la première, donnant ainsi le signal du départ. Le trajet s’effectue pour elle sous le signe du silence. Elle est fatiguée, elle avance face à l’ombre et face au vent. Mais son cœur ne sombre pas dans les tréfonds de son âme, il reste là, tout près, vaillant. Elle est un mélange de sentiments qu’elle ne peut décrire, ses pattes sont lasses mais son âme déterminée pour faire face à l’épreuve qui les attend ce soir.
Elle ralentit à l’approche de la frontière qui les sépare des rocs, là ou personne ne pourra ni les sentir, les voir ou les entendre. Elle se retourne alors, pose son regard sur ceux qui l’ont suivie.

« L’assemblée est un instant de partage et de paix. Elle appuie sur ce dernier mot en plantant ses yeux dans chacun des leurs avant de poursuivre. Cette tradition doit être respectée. Néanmoins, je vous demanderai à tous d’être particulièrement vigilants ce soir, dans vos gestes et vos paroles et de garder un œil les uns sur les autres en cas de besoin. Je pense notamment aux apprentis présents ce soir, évitez d’aller vous promener seuls au milieu d’inconnus si cela vous est possible. »

Elle échange un regard avec les mentors présents, espérant qu’ils sauront garder leurs protégés parfois animés sous leur surveillance. Puis elle soupire, elle-même déprimée par l’ambiance étrange de cette soirée. Fait-elle une erreur en les mettant ainsi en garde contre un danger incertain ? Risque-t-elle elle-même de semer le trouble par ses paroles ? Elle ne peut rien faire d’autre que d’imaginer et d’espérer faire les bons choix en ignorant l’incertitude qui la guette à chaque pensée.

« Allons-y à présent. Je vous souhaite à tous de passer une bonne soirée »

Ces dernières paroles résonnent presque comme une prière dans son esprit tandis qu’elle s’avance dans les buissons jusqu’au lieu de rendez-vous. Elle se prépare mentalement, se compose une face impassible du mieux qu’elle le peut. Prie pour que le tonnerre et l’ombre ne soient pas les seuls arrivés. A peine a-t-elle formulé cette prière que les feuilles s’entrouvrent pour libérer le passage jusqu’à la clairière. Celle-ci n’est pas vide, mais au vu du nombre de félins éparpillés en son sein il n’y a pas plus d’un clan arrivé. Le cœur de Mélodie se serre en reconnaissant la fourrure flamboyante du chef du Tonnerre près du dolmen. Si elle n’entretient pas à son égard la franche animosité qu’elle voue à Étoile de Jais, leur relation s’est teintée de méfiance et de rancœur au cours des dernières lunes.

Elle s’approche sans ciller, guidant les siens au centre du cercle sacré et le rejoint, gardant cependant une distance respectueuse. Elle glisse un regard vers les autres félins les plus proches, perd un instant la face devant Ombre des Chouettes, se retient de se tourner elle-même vers Chant d’Espoir. La voilà nerveuse à nouveau devant ce problème sans solution qui les a tous précipités dans la tourmente. Elle se reprend.

« Salutations Étoile de Chêne, Ombre des Chouettes, Matin Embrasé. »

Si sa gestuelle rend une impression de parfait contrôle, ses yeux trahissent cependant une certaine méfiance qui explique la distance qu’elle gardera avec eux, les jaugeant du regard.

« Je suis ravie de voir que votre clan semble bien se porter. J’espère que le retour de la mauvaise saison ne vous porte pas préjudice. »

Des paroles de circonstance, qu’elle prononce sans espérer réellement lancer une conversation. Il s’agit de jouer le jeu, maintenir un équilibre, un semblant de normalité entre eux pour que les clans puissent se détendre dans la clairière.

ASPHODÈLE DES CHAMPS

Le soleil allait bientôt disparaître à l’horizon, colorant le ciel d’hiver de zébrures rouge orangé. Asphodèle des Champs contemplait le ciel, l’esprit pensif. Bientôt, il serait temps pour elle de rassembler ses camarades et de les guider vers les cinq rocs. Elle chercha du regard les autres membres du Conseil. Eux aussi devaient se préparer mentalement à retrouver les autres Clans en ces temps conflictuels. Bien qu’Asphodèle soit en charge de la communication lors des assemblées, les autres étaient tout autant responsables de l’ordre et de l’attitude des guerriers et apprentis du Vent qui seraient présents. Appréhendaient-ils aussi que la lune se voile ce soir, si une dispute éclatait au cours de l’Assemblée ? Asphodèle soupira. Elle n’aimait pas les conflits mais savait qu’en tant que porte-parole, elle devait représenter un Clan fort, en bonne santé et prêt à affronter n’importe quelle difficulté ou affrontement.

La guerrière tricolore avait passé la fin d’après-midi à se reposer avant le trajet jusqu’aux Rocs qui les attendait. A présent réveillée, elle attendait les premiers signes de la lune avant de rassembler ses camarades. Lorsque le ciel foncé commença à laisser apparaître quelques étoiles, la guerrière se leva et prit une grande inspiration, comme pour se donner le courage et la grandeur d’accomplir sa tâche. Asphodèle des Champs n’avait été élue maîtresse de la parole que très récemment et c’était donc la première fois qu’elle était en charge d’une assemblée. De nature un peu inquiète, elle était évidemment préoccupée. Allait-elle être à la hauteur ? Les autres chefs de Clan allaient-ils la prendre au sérieux malgré son jeune âge et sa courte expérience ? La guerrière ferma les yeux avant de se lancer d’un bond sur le promontoire, envahie d’une vague de détermination. Elle allait être à la hauteur. Et elle le prouverait à quiconque qui penserait le contraire ! Son clan l’avait élue, elle. Ils croyaient en elle et c’était le plus important.

« Clan du Vent ! Approchez-vous. Il est l’heure de partir pour l’Assemblée. »

La maîtresse de la parole énonça le nom de tous ceux qui étaient conviés à participer à l’assemblée. Lorsqu’ils furent tous rassemblés, elle se leva.

« C’est ma première assemblée en tant que maîtresse de la parole et je ferai de mon mieux pour représenter notre Clan à sa juste valeur. Cette assemblée est particulière, nous le savons tous. Les tensions récentes planeront forcément dans l’atmosphère. Ne nous laissons pas entraîner par quelconque provocation, si jamais cela devait arriver. N’oubliez pas que nous nous regroupons sous le regard du clan des Étoiles et nous nous devons de respecter la trêve. Pour eux. »

La féline descendit du promontoire d’un bond et démarra sa course, suivie du groupe de chats qui l’accompagneraient ce soir. Elle se sentait fière ! Elle espérait qu’eux aussi, seraient fiers d’elle.

Après une course effrénée, le groupe de félins du Vent arriva aux cinq rocs. Elle remarqua que le Clan du Tonnerre, de la Rivière et de l’Ombre étaient déjà là. Les trois meneurs se saluaient, accompagnés de leurs lieutenants, tandis que les guerriers et apprentis observaient. Les Clans ne semblaient pas se mélanger pour le moment. Asphodèle fit un signe de tête à son Clan pour leur indiquer de se mettre à leur habituelle position, puis elle s’avança vers les autres meneurs déjà présents, perchés sur le dolmen. D’un bond, elle les rejoint. La féline tricolore se tenait bien droite et balaya du regard les trois Étoiles qui se tenaient devant elle. Elle les salua d’un léger mouvement de tête.

« Mélodie des Étoiles, Étoile de Chêne, Étoile de Jais. » Elle salua ensuite les lieutenants de la même façon. « Je suis la nouvelle maîtresse de la parole du Clan du Vent. J’espère que vos Clans se portent pour le mieux et se préparent à affronter la difficile saison froide. »

Bien qu’un peu intimidée, Asphodèle des Champs voulait paraître solide et cordiale. Même si les tensions étaient palpables et que les paroles des chefs dans une situation comme celle-ci n’étaient que faux-semblants, elle savait que c’était nécessaire. En attendant que le dernier Clan arrive, Asphodèle des Champs jeta un coup d’œil à chacun des groups de félins qui se tenaient au cœur des cinq rocs, autour du dolmen. Tout en observant tous les chats plus différents les uns que les autres, elle émit une prière silencieuse. « Clan des Étoiles, faites que la lune reste claire ce soir ... »

Ses sourcils restaient froncés tout le jour durant depuis quelques jours. Et elle en avait mal à la tête. Spécialement aujourd'hui. Rose Délicate se secoua doucement avant de sortir de son antre pour retrouver une rassurante obscurité. Dans cette heure sombre de la journée, elle se sentait habituellement mieux. Mais aujourd'hui, rien ne pouvait calmer son inquiétude. Son cœur, sa gorge étaient serrés et respirer devenait de plus en plus compliqué au fur et à mesure que les heures passaient. L'assemblé se tenait ce soir. Quelque conque individu la voyant dans cet état, même en connaissant le contexte actuel, se serait étonné de la voir réagir de la sorte face à une simple assemblée, mais elle avait comme un terrible pressentiment. Comme un message, un message du clan des Etoiles pour la prévenir.
Il fallait faire attention, être plus vigilent et diplomatique que jamais. Les autres guérisseurs avaient-ils eux aussi cette même impression ? Était-elle la seule ? Tant de questions qui se remuaient dans son esprit.

Mais alors Asphodèle des Champs appela le Clan et elle se rangea près d'eux. Lorsqu'elle croisa le regard de sa fille, elle eut envie de lui courir dans les bras, de lui crier qu'elle était fière d'elle, de sa réussite, de tout ce qu'elle avait accompli pour arriver si haut. Mais elle ne le put. Alors elle ne lui fit qu'un signe de tête à peine visible, une sorte d'étreinte télépathique.

Lorsque la maîtresse de la parole eut terminé son discours, le Vent commença sa course effrénée vers les cinq rocs. En silence. En un terrible silence. La lune là haut dans le ciel illuminait leur chemin, mais cette lumière semblait factice. Faible. Fausse. Rose Délicate aurait voulut crier à toute la vallée de rebrousser chemin, de rentrer dans ses camps respectifs. Elle aurait voulut éviter ce qu'elle sentait venir. Elle aurait voulut pourvoir faire quelque chose. Mais Asphodèle des Champs posa la patte sur la terre des Cinq Rocs, et ainsi l'entièreté du Clan.

Elle se tint derrière sa fille lorsque cette dernière salua les meneurs, leur adressa un sourire en inclinant la tête, puis vint rejoindre Chant d'Espoir qui s'approchait pour la saluer.

"Bonsoir, Chant d'Espoir ! Je suis ravie de te voir."
Une fois ces paroles prononcées, elle regarda autour d'elle afin de vérifier que le regard de ses camarades n'était pas porté sur eux, puis attira le guérisseur un peu à l'écart de la foule.

"Tu l'as, toi aussi ce pressentiment ?" Demandât-elle inquiète.

Et la Lune qui brille, là haut. Je respire doucement, longuement. L'ensemble de la Vallée connaît mon "sang froid" sans limites. Et spécialement au sein du Clan de l'Ombre. En tant que lieutenant, je sais bien que la diplomatie et le calme font partie intégrante de mes devoirs et mes obligations, mais parfois, c'est comme si mon cerveau se bloquait, que tout autour de moi se résumait à la haine ressentie pour l'adversaire.
Ombre Fantôme. Je frémis. Si elle nous adresse la parole, à moi, ou n'importe quel membre de ma famille comme elle l'a fait la fois dernière, j'ai l'intime conviction que le phénomène redouté se produirait. Or, ce serait un réel désastre.

Et la Lune qui brille, là haut. Le Clan se prépare. Les chatons jouent, les apprentis non conviés à l'Assemblée boudent, les reines rassurent. Vu de l'extérieur, tout va bien. Mais les mentalités adultes sont bien plus inquiètes. Entre les frontière bafouées et les tensions humaines, nous avons de quoi nous inquiéter. Et dans les premiers moments de mes pensées, je pensais que ma paranoïa prenait le dessus. Mais Mélodie des Etoiles, dans toute son inquiétude, m'a confié ses doutes et ses peurs. J'aurai du être rassuré de ne pas être le seul, mais je ne lui suis pas. Si elle même, chef du plus grand Clan de la Vallée, s'inquiète de ces rivalités, cela prouve que ce ne sont pas que des tensions en l'air, sans conséquences. Mais nous avons décidé de réagir avec et diplomatie. Tout ce qui me pose problème.

Et la Lune qui brille, là haut. Nous rassemblons le Clan, et nous voilà en route. Je marche rapidement, près de Mélodie. Je sais bien que c'est elle qui devrait s'appuyer sur moi, celui qui devrait être là pour la rassurer, mais j'ai le sentiment que c'est plutôt l'inverse.
De respirations en respirations, au fur et à mesure que les cinq rocs se rapprochent de nous, mon cœur et mon estomac se tordent un peu plus. Auprès de moi, Eclat de Péridot. Mon fils. Si seulement il savait comme je suis fier de lui. De l'avancé, de tout le chemin qu'il a parcourut pour être celui qu'il est aujourd'hui. J'ai envie de le serrer dans mes bras, de l'embrasser. Il est déjà si grand.

Un patte posée sur la Terre des Assemblées et je suis redescendu sur terre. Nous nous découvrons au grand jour. Nous, le Clan de l'Eau, le Clan de Mélodie, mon Clan. J'inspire, et dans cette même inspiration, accompagne ma chef auprès des autres meneurs.

"Bonsoir, humbles meneurs." Un faible sourire accompagne mes paroles. Je m'incline, puis pose ma queue sur celle de Mélodie en guise d'encouragement. Enfin, je me retire respectueusement et pars rejoindre le groupe de lieutenants déjà formé.

"Bonsoir, chers compagnons. La Lune est belle, la soirée s'annonce bien."

Le vent soufflait fort. Trop fort.

Feuille des Neiges, perchée en haut de l'arbre où elle avait trouvé refuge près des Cristaux de Lune, regardait la vallée en contrebas. La pleine lune était si brillante qu'elle pouvait détailler chaque territoire. Cependant, son attention était plus attirée vers la Toison Argentée, où de nombreux nuages fins défilaient rapidement. Le Clan des Étoiles savait parfaitement que l'Assemblée de ce soir serait agitée... Voir pire. La guérisseuse les avait vu douter, et débattre de la démarche à suivre pendant de nombreuses nuits où elle les avait rejoint. Elle ne comprenait pas cependant pourquoi ils n'avaient envoyé aucun signe aux clans pour les inviter à calmer leurs ardeurs. Cette soirée serait décisive, et elle se devait d'assister au destin de Valeemar.

La féline descendit de son perchoir et se mit à courir furtivement en direction des Cinq Rocs. Si les clans l'acceptaient, elle serait témoin de cette Assemblée. Au vu de ce que lui avaient partagé les patrouilles du Clan de la Lune, ce dernier ne prendrait apparemment pas part au conflit et ne tenterait même pas de le minimiser. Prise de position qu'elle ne partageait pas. Un félin devait toujours tendre à la paix, et laisser les autres s'entre-tuer briserait l'équilibre entre les clans. Si Étoile de Nuit ne voulait, ou ne pouvait, essayer de raisonner les tribus rivales, alors peut-être que elle devait tenter quelque chose.

Après un voyage qui sembla ne durer qu'une seconde tant les pensées de Feuille des Neiges était occupées, cette dernière ralentit et fit une pause avant d'entrer dans la clairière. Elle ferma les yeux et inspira, se laissa emporter par ses sens. Il y avait déjà du bruit, et de nombreuses odeurs... Tous les clans étaient déjà réunis. La tension était palpable, des grognements pouvaient presque se faire entendre, ou n'était-ce que son imagination ? Et pourtant, un silence étrange. Les chats miaulaient peu, n'allaient pas se rencontrer avec entrain comme lors de la paix d'antan. La guerre avait déjà commencé d'une certaine façon. Finalement, la féline au pelage clair rouvrit les yeux et s'avança.

Des regards se tournèrent vers elle, certains étonnés, d'autres désapprobateurs. Aux yeux de quelques chats, elle ne faisait plus parmi des leurs. Pour d'autres, elle était une sorte d'entité mystérieuse, surtout pour les plus jeunes qui n'avaient entendu que des bribes de son histoire dans les Montagnes. Et pourtant, Feuille des Neiges ne remarquait rien de cela. Son regard était fixé vers les chefs de clan et elle ne cilla pas en s'avançant. Seule une voix vive et enjouée se détacha du reste et lui fit tourner la tête.

« Feuille des Neiges, tu es venue ! »

C'était Rivière des Terres Inconnues qui la regardait, les yeux pétillants. Elle lui sourit et fit un hochement de tête en sa direction mais reporta rapidement son attention vers les meneurs, avant de déclarer :

« Bonsoir. Si vous m'en donnez votre accord, j'aimerais assister à cette Assemblée. »

Sa voix était faible et douce, elle ne savait même pas si elle avait porté assez loin pour qu'on l'entende. Finalement, elle se tourna vers Étoile de Nuit, attendant son approbation plus que celle des autres.

Les paroles d'Étoile de Jais étaient justes et efficaces. Éclair Ambré hocha la tête pour acquiescer à ces directives, et regarda ses camarades faire de même. Tout le monde ici savait que cette Assemblée serait particulière et la tension était palpable. Il suffisait d'un mauvais pas, d'un mauvais mot, et tout pouvait se déchirer. Leur meneuse ne pouvait pas avoir plus raison en leur demandant d'être vigilant, et Éclair Ambré comptait bien faire de cet ordre sa priorité absolue ce soir. Il jeta un coup d’œil vers la pouponnière où restait Caresse de l'Aile pour s'occuper de leurs chatons et un frisson lui parcourut l'échine. Il avait un mauvais pressentiment, comme si c'était la dernière fois qu'il regardait cet endroit en l'imaginant comme un lieu sécurisé et inatteignable. La guerre ne devait pas venir jusqu'ici.

Le petit guerrier s'élança aux côtés de ses camarades à la suite d'Étoile de Jais et de Dent de Sabre. Il remonta vite le peloton pour venir se placer près de ce dernier et lui jeta un coup d’œil tout en évitant les obstacles de la nature.

« La soirée va être agitée, il faut absolument que l'on fasse preuve de prudence. Si tu as besoin de moi à un endroit, tu n'auras qu'à donner l'ordre. »

Il suffisait qu'un des leurs perde patience ou marche sur la patte d'un membre du Clan de la Rivière ou du Vent et tout pouvait arriver. Il était prêt à essayer de calmer les ardeurs des siens si Dent de Sabre lui demandait. Ce dernier et lui-même avaient appris à mieux se connaître et à se faire confiance ces dernières lunes, depuis leur échange à propos du passé du clan et le partage du secret du lieutenant. Éclair Ambré lui envoya un regard entendu et s'inclina rapidement tout en courant avant de repartir un peu en arrière pour laisser leurs supérieurs diriger la tribu. Il retrouva son apprentie, Nuage Céleste, et se rapprocha pour effleurer son pelage d'un air rassurant et protecteur.

« Ça va, pas trop stressée ? Surtout reste près de moi ce soir, tu as entendu les ordres d'Étoile de Jais. »

Il se doutait qu'une telle atmosphère à un si jeune âge pouvait peser lourd sur ses épaules, et il voulait qu'elle sache qu'il était là pour la soutenir. Il était difficile de la rassurer plus que ça, tout le monde était conscient d'à quel point la paix ne tenait qu'à un fil d'araignée. Mais ils devraient faire avec. Ils devaient protéger ce fil.

Le Clan de l'Ombre arriva aux Cinq Rocs alors que les clans de la Rivière et du Tonnerre y étaient déjà. Très vite, les membres s'éparpillèrent pour prendre place. Éclair Ambré scruta un peu les environs pour essayer de jauger les humeurs de chacun et, sans surprise, tout le monde semblait ressentir la même tension. Les Clans de la Lune et du Vent arrivèrent quelques temps après et bientôt la clairière fut remplie de chats des quatre coins de la vallée. Le vétéran se déplaça, accompagné de Nuage Céleste, jusqu'à un membre du Clan de la Rivière qu'il connaissait.

« Bonsoir Masque Illusoire, j'espère que la pêche est bonne par chez vous. »

Masque Illusoire était plutôt populaire dans les Assemblées pour être très amical et Éclair Ambré avait eu l'occasion de discuter avec lui plusieurs fois. Il se disait qu'avec un peu de chance, le fait que des membres de clans en froid se parlent pourrait peut-être apaiser la situation.

« Salut Éclair Ambré, le poisson est abondant oui ! Voici mon apprentie, Nuage de Grenouille. Et toi, je suppose que tu es celle d'Éclair Ambré ? »

Le mâle calicot s'était tourné vers Nuage Céleste avec un sourire chaleureux. Éclair Ambré fit un petit signe de tête à Nuage de Grenouille pour la saluer puis fit comprendre à sa propre apprentie de manière imperceptible qu'elle pouvait se détendre et répondre au guerrier de la Rivière sans problème. À peine les félins échangèrent quelques mots qu'un autre guerrier de la Rivière les rejoint. Son pelage était d'un gris uniforme sauf au niveau de ses pattes qui étaient blanches. Il avait l'air jeune et amical, son regard vert inspirait la sympathie. Éclair Ambré lui adressa un sourire avant de lui répondre :

« Bonsoir, oui pas de soucis. Je ne crois pas t'avoir déjà parlé, comment t'appelles-tu ? »

Elle est un corps tendu dans la tempête. Le vent qui se précipite entre les silhouettes étouffe les rares conversations qui se sont allumées dans la clairière, il les disperse comme des braises trop faibles pour résister à ses assauts. Les clans de l’Ombre, du Vent et enfin de la Lune sont arrivés, et avec chacun la pression s’accroit peu à peu dans son cœur. Elle ne peut s’empêcher de les dévisager, les jauger. Pour la première fois, elle regrette immensément sa petite taille qui ne lui permet que de regarder chacun des autres meneurs par en bas, comme un chaton mécontent. Elle aimerait être grande face à eux, mais se sent écrasée par le poids de ses propres peurs.

Sur sa queue, le fantôme de celle d’Éclat de Rire, qui l’a frôlé avant de partir rejoindre les lieutenants, avant qu’elle-même ne grimpe sur le rocher sacré. La sensation est toujours là, comme un flottement dans l’air. Un rappel qu’elle n’est pas seule. Que d’autres félins comptent sur elle. C’est ce qui lui donne la force de masquer ses émotions, de les saluer chacun comme il se doit, même Étoile de Jais, chez qui elle reconnaît l’étincelle qui brûle au fond de ses yeux. Elle voudrait la lui arracher.

Lorsque le clan du vent était arrivé, Asphodèle des Champs était celle qui avait rejoint le groupe au pied du dolmen. Ainsi donc le clan avait choisi une nouvelle meneuse avec qui marcher durant ces temps troubles.

« Bonjour Asphodèle des Champs, et félicitations pour ton nouveau rôle ».

Elle incline la tête vers la meneuse, sa meilleure alliée aujourd’hui. Comme Le clan de la Rivière, le clan du Vent se trouve dans une situation délicate face aux ombreux. Aucune alliance n’est encore officiellement décidée entre les deux clans, mais elle se sent tout de même moins seule à ses côtés qu’entre Étoile de Chêne et Étoile de Jais.

Puis Étoile de Nuit les avait rejoints en dernier, portant un masque que Mélodie des Étoiles ne parvient pas à déchiffrer au visage. Elle l’avait poliment saluée, répondant seulement d’un vague mouvement de queue aux inquiétudes au sujet de la saison froide. Chacun sait que le clan de la Rivière y est particulièrement vulnérable. Cette année, le risque de glacement de la rivière ne serait pas seulement synonyme d’un amoindrissement de leurs principales ressources, mais aussi une catastrophe pour la défense du camp, en grande partie protégé par les eaux qui l’entoure. Bien sûr, ce n’est certainement pas ici et maintenant qu’elle partagerait ces inquiétudes. Au lieu de cela, après avoir porté un regard sur les félins éparpillés dans la clairière qui pour la plupart n’ont même pas pris la peine d’aller saluer les autres clans, elle se lève.

« Je vous propose de commencer puisque nous sommes tous présents. »

Sur ces mots, elle bondit sur la pierre qui s’élance vers les nuages et s’assoit au sommet, puis attend les autres meneurs en se préparant à lancer l’appel qui signera le début de cette assemblée. La tension qui emplit la clairière fourmille sous son pelage. Qu’on en finisse, pense-t-elle. Mais elle n’a même pas le temps d’ouvrir la bouche pour demander l’attention des clans.

A l’orée de la clairière, les buissons s’ouvrent au passage d’une silhouette claire. Mélodie des Étoiles regarde, comme chacun, Feuille des Neiges s’avancer au centre, lever les yeux vers les cinq chefs, et leur demander de participer. L’ancienne guérisseuse semble avant tout s’adresser à Étoile de Nuit. La cheffe de la Rivière reste silencieuse, coupée dans son élan, perdue dans ses pensées. La peur, comme un serpent insidieux, revient et rampe sous sa peau. Que fait Feuille des Neiges ici ? Les étoiles lui ont-elles parlées ? Elle-même attend depuis des jours et des jours un signe des astres qui restent pourtant silencieux. Et si les étoiles en voulaient à son propre clan, à elle-même ?

Tandis que la petite féline rousse se débat à nouveau avec ses doutes, au bas du promontoire, Appel du Loup piétine. Il piétine d’animosité contenue. Tous ses sens sont aiguisés, en éveil, face à l’ambiance tendue qui règne ici-bas. On croirait presque entendre un grognement sourd s’échapper de sa gorge si on l’approchait de trop près. En réalité, loin de lui l’idée de provoquer une émeute, non, il se consume de peur pour son apprentie, son clan, sa vie telle qu’il l’a toujours connue. Les clans sont au bord du gouffre, il le sent au plus profond de lui, et ne sait comment les empêcher de sombrer. Il sait qu’il sombrera avec eux.

Alors quand il voit enfin les meneurs sauter sur le dolmen, que la petite rousse s’avance et qu’il sait que ça va enfin commencer, il en soupire presque. Le début annonce une fin proche. La lune est encore claire, peut-être que tout va bien se passer finalement.
Mais la lune se rit de lui. Sa lumière blême illumine le pelage clair d’une étrangère qui s’avance au milieu de tous, comme si les lieux lui appartenaient de droit. Appel du Loup reconnaît Feuille des Neiges, seuls les jeunes guerriers ou apprentis doivent ignorer son nom. Mais il a trop attendu, il n’en peut plus. Il y a déjà trop de clans ici, trop de félins tendus les uns contre les autres. Feuilles des Neiges est une traîtresse qui a quitté son propre clan, et elle ose s’immiscer dans leurs affaires ?

« Ce n’est qu’une étrangère ! Elle n’a plus rien à faire ici ce soir. Nous ne savons rien de ce qu’elle manigance, nous avons déjà bien assez de problèmes. »

Ses paroles résonnent fort, trop fort dans le froid de l’hiver. Dans une autre assemblée, peut-être serait-il passé inaperçu. Ce soir, dans le silence inhabituel des clans, alors que les chefs n’ont pas encore pris la parole, seule sa voix perce le vent. Tant pis. Il ne les reprendra pas. Il pense déjà que les étoiles les ont abandonnés, et si ses paroles sont prises comme une accusation alors tant pis. Il lève le front, défiant quiconque de le contredire.

Comme à chaque Assemblée, les Clans se sont réunis. Certains se mêlent à leurs ennemis de tous les jours pour profiter de la trêve, tandis que d'autres préfèrent rester avec leurs propres camarades, refusant d'échanger tous propos avec ceux qui redeviendront leurs ennemis au lever du soleil.
Cette réunion sous la pleine lune devait se faire sans encombre mais il n'en est rien. En dehors de certaines hostilités au milieu de la foule, une apparition sème en plus le trouble : celle de Feuille des Neiges. L'ancienne guérisseuse du Clan de la Lune, devenue gardienne des Cristaux de Lune, s'est invitée ce soir aux Cinq Rocs pour prendre part, comme les autres, à l'Assemblée. Venue pacifiquement, son arrivée déplaît pourtant à ceux qui jugent sa présence dérangeante.

« Que fait une solitaire ici ? Elle n'a pas sa place à cette Assemblée ! Elle est réservée aux membres des Clans, et elle a décidé de ne plus en faire partie ! C'est contraire aux règles ! »

Voilà entre autre ce que l'on peut entendre, murmuré ou à voix haute, au milieu des grands rochers où se dressent les meneurs. Ces derniers essayent de calmer l'agitation grandissante mais ça ne s'arrête pas là et Eclat de Pavot, un matou gris aux pattes noires du Clan du Tonnerre, élève à son tour la voix, bien fort pour que tout le monde l'entende.

« Ah ! Les règles ?! Mais depuis quand est-ce qu'on les respecte, ici ?! Même nos guérisseurs ne les suivent pas ! Et je ne parle pas que de Feuille des Neiges ! »

Là-dessus, la surprise se lit sur les visages. On est confus. On se questionne. On demande à la fois le silence et à la fois à ce que Eclat de Pavot poursuive. Alors il ne se fait pas prier.

« Je suis au courant de tout ! Clan de la Rivière, Clan du Tonnerre, nos guérisseurs ont bafoué leurs codes ! Chant d'Espoir et Ombre des Chouettes entretiennent une relation interdite ! Et que le Clan des Etoiles me foudroie sur place si j'ose mentir ! »

Scandale. Calomnies. Aussitôt, l'Assemblée est en effervescence. La confusion monte comme la colère. On pourrait croire que celui qui a toujours persécuté Ombre des Chouettes se mettrait à dire n'importe quoi pour chercher à lui nuire. Or, c'est à Chant de l'Aube, la mère de Chant d'Espoir, de surenchérir.

« Je savais que tu avais des sentiments amoureux pour quelqu'un ! C'est donc lui ! »

Les chats sont sortis du sac. Ou du placard, en l'occurrence. Tous les yeux sont rivés à présent sur les deux guérisseurs non loin l'un de l'autre qui ont pourtant tout faits pour éviter d'être découverts. Mais il est trop tard à présent, et les témoins de chaque Clan suffisent pour convaincre les autres.

« Deux guérisseurs ?! Et de Clans rivaux en plus ! Que le Clan des Etoiles nous vienne en aide ! »
« Menteur ! Tu dis n'importe quoi, Eclat de Pavot ! »
« Je savais bien que j'avais senti une odeur bizarre sur son pelage ! »
« Chant d'Espoir ne ferait jamais ça ! »
« Décidément, entre la Lune, la Rivière et le Tonnerre, y'en a pas un pour rattraper l'autre ! »

Et d'autres propos encore s'élèvent dans un brouhaha qui alourdissent la tension, la rendre électrique. On se moque, les théories fusent, et les moqueries vont bon train.

Des indignations, des pelages hérissés, des regards réprobateurs et même menaçants. Tout un spectacle auquel Feuille des Neiges ne s'était pas attendu en s'avançant au milieu de la clairière pour demander à être spectatrice de cette Assemblée. Elle regarda autour d'elle, un air impassible sur le visage, ses yeux brillants de la lumière des étoiles et de la Lune. Elle n'était pas impressionnée, ni apeurée. Seule une certaine déception pouvait se lire dans son regard. Elle qui croyait pouvoir faire quelque chose pour les clans, les aider à se trouver sur le bon chemin, celui que le Clan des Étoiles voudrait qu'ils prennent... Mais il était apparemment déjà trop tard, les tensions étaient trop fortes. Heureusement, il n'y avait pas que de l'hostilité à son égard, certaines connaissances la soutenaient et elle savait que ses camarades guérisseurs ne la rejetteraient pas... Pas tous. Une voix s’éleva même à travers les reproches et les discussions hésitantes des guerriers.

« Une guérisseuse mérite le respect, qu'elle fasse partie d'un clan ou non. Elle a agit pour les clans et non contre eux. Si les Étoiles l'ont guidé hors de nos terres, qui sommes-nous pour contredire leur volonté ? »

C'était Éclair Ambré qui avait parlé, un vétéran du Clan de l'Ombre. Elle avait eu l'occasion de le croiser et d'échanger quelques mots avec lui lors du Grand Voyage qui les avaient emmené de leur ancienne forêt jusqu'ici. Sa voix avait été forte mais calme, il espérait apparemment apaiser les tensions et Feuille des Neiges hocha la tête vers lui en signe de remerciement. Cependant, la jolie féline savait quand se retirer s'il le fallait. Son regard se tourna vers le lointain, comme si elle était dans la lune mais sa voix douce se dirigea à nouveau à l'intention des meneurs.

« Si les chefs de clans approuvent l'avis de ces quelques guerriers, alors je m'en irais. Je ne souhaite pas attiser plus les tensions que nécessaire. »

Sa voix avait faiblit sur ses derniers mots, comme à son habitude. Mais avant même qu'on ne puisse lui apporter une réponse, les vivats reprirent et la soirée prit une tournure très inattendue. Un félin gris aux pattes d'encre s'était emporté, et fit une révélation qui choqua toute l'assemblée. Feuille des Neiges remua une oreille et tourna son regard vers le petit groupe de guérisseurs, où Chant d'Espoir et Ombre des Chouettes semblaient en panique. Voilà bien quelque chose que son instinct ou les Étoiles ne lui avaient pas montré... Il fallait dire que l'amour était bien un sujet sur lequel elle n'avait aucun savoir. Elle connaissait très bien le code des guérisseurs, et savait que les relations amoureuses leur étaient interdites, cependant elle ne savait pas quoi penser de ce secret dévoilé. Était-ce si important ? Une guerre menaçait d'éclater entre les clans, et tout le monde semblait être plus choqué par les sentiments de deux chats parmi des dizaines dans toute la vallée.

La guérisseuse au pelage blanc tacheté de noir ne dit plus un mot alors que partout autour d'elle, des miaulements et des feulements s'élevaient. Un frisson terrible la parcourut alors que ses yeux s'élevèrent vers la Toison Argentée, et qu'une série de visions défila dans son esprit. Des crocs, des griffes, du sang, des morts. Il était trop tard.

« Par le Clan des Étoiles, arrêtez... » murmura-t-elle dans un souffle.

Paradoxalement, l’arrivée calme et innocente de Feuille des Neiges semble avoir déclenché le chaos dans l’assemblée comme un caillou tombant dans un lac et en troublant la surface entière. Avant même que les chefs ne puissent se prononcer, des exclamations se font entendre dans l’assemblée. Mélodie des Étoiles fusille du regard les premiers troubles fête, un guerrier du tonnerre et un autre du vent. Elle leur en veut de faire fléchir l’équilibre précaire sur lequel ils reposent tous. Son regard se reporte sur Feuille des Neiges. Elle voudrait lui demander pourquoi aujourd’hui et maintenant, ce qu’elle sait. Mais elle n’en aura pas l’occasion.

Sous ses yeux, le silence tendu s'est déchiré en un instant, laissant place à une cohue pleine de rancœur, une étendue brouillée de pelage hérissés, regards accusateurs, et les voix froides laissent bientôt place aux cris mêlés de grognement et feulements. Son propre corps est le miroir de ce spectacle, submergée par la tension elle ne peut empêcher ses oreilles de se plaquer sur son crâne et ses griffes racler la pierre froide sous ses pattes. Mais plus que tout, elle tremble, à l’image de deux guérisseurs, pris en proie par les clans entiers. Elle n’a pas peur, non. Elle enrage.

Elle aussi en avait voulu aux deux fautifs, elle leur en voulait toujours actuellement. Mais faire reposer les rixes des quatre clans entiers sur leurs épaules, c’était bien trop facile. Tout le monde savait que si les deux guérisseurs avaient peut-être traversé les frontières pour vivre leur idylle, d’autres l’avaient fait pour d’autres raisons. Il y avait déjà eu des blessés dans plusieurs clans à cause des rixes, et voilà qu’à présent l’ensemble des guerriers se retournaient contre deux chats qui ne pouvaient pas même se défendre de leurs griffes ?

Elle observe un instant son clan, en contrebas. Légende Nuageuse et Éclat du Péridot qui se dressent déjà contre le traître du tonnerre, plus loin Royaume Illusoire qui se presse contre Songe de Fierté, les yeux écarquillés au milieu de la pagaille, à la recherche de son apprenti Mythe Nuageux sûrement. Elle aussi cherche ce dernier des yeux, sans pouvoir repérer sa fourrure grise parmi les dizaines de chats mouvant dans la clairière. Un instant de panique la saisit. Sa place n’est pas ici, en haut, auprès d’ennemis. Elle est en bas, parmi eux. La voilà qui saute au bas du promontoire, toisant la foule d’un œil plein de hargne.

« Vous êtes tous des lâches, à vous cacher derrière les quelques rencontres importunées de ces deux guérisseurs. Qu’en est-il des blessés de ces dernières lunes, dont certains sont des apprentis ? De la patrouille de l’ombre que nous avons croisée sur notre territoire en toute impunité, des traces de chasse retrouvées au-delà des frontières ? Et maintenant que vos actions entraînent des conséquences, vous vous cachez derrière deux innocents ? Si vous cherchez des coupables, j’en ai personnellement d’autres en tête. »

Innocents, elle n’est pas sûre que ces mots décrivent réellement les deux amoureux, mais elle refuse de laisser Chant d’Espoir et ses amis se laisser entraîner seuls dans la tourmente. Elle toise les autres clans, l'air menaçant.

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