Faire fondre la glace | Fraise & Soleil

Tout est calme au pied du grand arbre. Quelques groupes se sont formés près de la pile de gibier, des guerriers rentrés de patrouille et des apprentis rentrés d’entraînement partagent joyeusement un repas. Nuage du Soleil est assis à l’écart, le dos bien droit, feignant l’insouciance mais trahit par son regard fixé sur l’entrée de la clairière. Voilà quelques semaines qu’il est apprenti, et outre son envie de servir le clan de son mieux et de protéger tous ceux qu’il aime, il attendait ce moment avec impatience pour une tout autre raison. Et pourtant, il ne peut s’empêcher de ressentir une amertume au fond de sa gorge, car tout ne se passe pas comme prévu.

Un nouveau groupe passe en discutant l’entrée du camp, et l’apprenti roux se redresse, comme électrisé. Nuage de Fraise est parmi eux ! Il s’empresse de se saisir de l’écureuil qu’il avait pris soin de mettre de côté et d’accourir vers elle. Il se souvient avec mélancolie du peu de temps qu’ils ont passé ensemble dans la pouponnière. De toute la portée aux noms de fruits, il a toujours été plus proche de Fraise, et elle lui a beaucoup manqué par la suite. Recevoir ses félicitations lorsqu’il reçut son nom de Nuage fit enfler une bulle de fierté comme il n’en avait jamais senti dans son ventre. Mais lui qui s’imaginait passer énormément de temps avec elle à nouveau, il avait été un peu déconfit, entre ses entraînements à lui, et son emploi du temps à elle… Il ne savait ce qu’elle faisait de ses journées en détail, mais elle ne semblait jamais être au camp ! Et lorsqu’elle y était, elle semblait sans cesse entourée, soit de ses frères et sœurs, soit de ses camarades de son âge. Alors aujourd’hui, c’était décidé, il prenait son courage à deux pattes. Il se dirige vers les nouveaux venus, s’approchant sans hésitation de l’apprentie tricolore après avoir salué le groupe.

« Nuage de Fraise ! Tu as passé une bonne matinée ? Tu dois avoir faim, je t’ai gardé à manger ! »

Il lui tend l’écureuil, tout content de son présent. A son grand soulagement, elle semble accepter son offre et ils se retrouvent bientôt seul dans un coin de la clairière.

« Comment tu vas en ce moment ? ça fait longtemps qu’on n’a pas passé de temps ensemble ! Je me rappelle nos journées de jeux lorsque nous étions dans la pouponnière… ça me manque un peu, pas toi ? »

Il s’emballe, heureux de se trouver enfin seul avec elle, de pouvoir converser sans être obligés de se séparer d’elle dans quelques minutes. Il l’observe, se demandant comment il pourrait se rapprocher d’elle, redevenir le Petit Soleil qui riait aux côtés de la Petite Fraise sans se poser plus de questions. Mais il ne sont plus les chatons qu’ils étaient, et il espère que l’après-midi qui vient sera encore plus palpitante que leurs jeux d’enfance.

« Hum, si tu n’as pas d’entraînement cette après-midi… est-ce que ça te dirait une partie de chasse ? Le tas de gibier est presque vide, et puis tu pourrais me donner des astuces ? »

Il est dans l’expectative, ses yeux fixés dans ceux verts si lumineux de l’apprentie. Il fini par se détourner, peut-être pour lui laisser le temps de réfléchir. Peut-être pour dissimuler le rouge qui lui est monté aux joues. Ses yeux se posent tour à tour sur le tas de gibier en effet vide après le passage des guerriers rentrés de patrouille, sur leurs respirations formant des nuages de buées dans l’air, puis finissent par tomber sur les plaques de neige qui jonchent la nature autour d’eux.

« En plus, ça nous réchauffera d’avantage que de rester au camp, on ferait d’une pierre deux coups. Alors, ça te dit ? »

Il la dévisage d’un air presque émerveillé lorsqu’elle accepte de partager ce repas avec lui et se penche pour en prendre les premières bouchées, tout à son bonheur d’avoir réussi à se ménager un moment avec elle. D’un naturel expressif, ses mimiques corporelles le trahissent, de son sourire qui ne quitte pas ses babines à sa queue joyeusement pointée vers le ciel. En plus, tout se déroule comme il l’avait imaginé, Nuage des Fraises confirme être libre pour l’après-midi, ils pourront la passer ensemble. Un instant de paradis pour le jeune apprenti.

En plus, elle acquiesce à ses paroles. Il hoche la tête énergiquement lorsqu’elle avoue être nostalgique, non mécontent qu’ils aillent dans le même sens.

« Je suis content de l’entraînement, mais parfois c’est surtout le temps que l’on pouvait passer ensemble qui me manque ! »

Fait-il sans faire attention au double sens de ses paroles. Loin de verser dans l’introspection, le jeune félin n’a souvent pas conscience de ses dérapages. Ou peut-être choisit-il parfois de ne pas vouloir voir les conséquences de ses paroles. Peu importe, aujourd’hui il ne s’en soucie pas, il se laisse aller avec innocence à con bonheur si confortable que semble lui promettre cette après-midi radieuse.

Fraise a repris d’un ton enjoué et mène la conversation avec l’enthousiasme qui lui est propre et qu’elle réserve à chacun sans distinction. Même si Soleil aime parfois se laisser aller à croire que c’est un peu spécial quand ils ne sont que tous les deux, c’est quelque chose qu’il admire particulièrement chez elle, cette propension à adresser à tous les mêmes sourires, la même candeur contagieuse. Elle resplendit comme le soleil du clan tout entier, et il aspire chaque jour à marcher dans ses pas, à être un pilier comme elle pour tous les autres.

S’il n’est pas hyper pressé d’être guerrier ? Il prend le temps d’y réfléchir un peu, mais la réponse lui apparaît vite. Si la manière d’en parler de Fraise est plus qu’alléchante il ne peut le nier, pour lui qui ne demande qu’à passer du temps avec elle, il ne pense pas que ce soit une mauvaise chose de laisser le temps faire les choses. Alors non, il n’a pas tellement hâte d’être guerrier, il prend les choses comme elles viennent, être apprenti c’est déjà bien.

« Je veux prendre le temps de bien apprendre et d’être un bon apprenti pour pouvoir devenir un bon guerrier. Les corvées ne me dérangent pas trop, c’est normal qu’on passe par là ! Même si j’avoue que je me passerai bien de la bile de souris. »

Fait-il avec une grimace comique. Bientôt, l’écureuil n’est qu’un souvenir entre eux, et il se lèche les babines en se mettant sur ses pattes.

« Mais c’est sûr que ça va me faire tout drôle quand tu passeras guerrière et qu’on restera apprentis avec Lune ! Enfin, ça c’est si tu ne nous laisse pas te rattraper dans ton entraînement ! »

Un air malicieux brille dans ses yeux cette fois, bien sûr il y a peu de chances que le baptême de Fraise soit tellement reculé et les leurs tellement avancés qu’ils ne coïncident, il s’agit surtout d’un moyen détourné de lui lancer un petit défi.