Héritage (VdC Clan de l'Ombre)

Héritage ~ Ft. Clan de l'Ombre
- Lune 1199 -

Ça aurait été une nuit comme les autres. De sommeil, de repos, peut-être même de rêves. À courir après une souris, ou bien à sentir le vent dans sa fourrure et la chaleur du soleil sur son visage. À découvrir des paysages imaginaires, à revoir des séquences de sa jeunesse. Une nuit banale, parmi tant d'autres, oubliée dès le lendemain. Mais pas cette fois.

« Éclair Ambré ! Éclair Ambré ! Ils arrivent, dépêche-toi ! »

Le jeune guerrier se réveilla en sursaut, alarmé par la voix excitée de Flammes Sauvages, sa mère. Il y trouva instantanément de la joie mais aussi une pointe d'inquiétude, et il comprit. Pas besoin d'en dire plus, il savait exactement ce qu'il se passait et son cœur battait la chamade. Il se leva d'un bond, ne dit pas un mot et fonça tête basse vers la pouponnière. Il faisait encore nuit noire, mais il distingua sa mère partir vers l'antre d'Hymne des Ombres. Elle n'avait pas été discrète et la plupart des guerriers avaient été réveillés par le tapage, et des murmures à moitié endormis se faisaient déjà entendre. La rumeur se rependrait vite. Éclair Ambré se faufila dans la pouponnière et y trouva Caresse de l'Aile, le ventre gonflé jusqu'aux yeux et son regard rempli de milles émotions. De la peur, du bonheur, de l'excitation, de la douleur. Le félin se plaça immédiatement à ses côtés.

« Ça va aller, ça va aller, je suis là. Flammes Sauvages est partie chercher Hymne des Ombres. Caresse de l'Aile... On va avoir des chatons ! »

Il avait essayé de garder son sang froid, d'agir comme il s'était imaginé agir pendant des nuits mais son cœur bouillonnait de joie et ces derniers mots sortirent d'eux-même d'une voix pleine d'émotion et d'excitation. Il tremblait de tous ses membres, sa queue battait l'air violemment et plus rien autour de lui ne semblait exister. Il avait vécu des mises à bas, avait vu des nouveaux-nés de nombreuses fois mais aujourd'hui... Aujourd'hui ce seront ses enfants. Le félin frotta son front contre le visage de sa bien-aimée, rempli d'un amour fou et d'une énergie sans limite. Il pourrait courir jusqu'aux terres du Vent ! Mais plus les secondes passaient, plus une pointe d'inquiétude commençait aussi à germer dans son esprit. Caresse de l'Aile s'était blessé il y a de nombreuses lunes, Hymne des Ombres lui avait annoncé que la mise à bas serait sûrement difficile. Mais tout irait bien. Il y avait eu assez de tragédies, assez de guerres, assez de peur, assez de mort. Cette nuit, le Clan était béni. Cette nuit, tout le monde vivait.

Hors-RP:

Héritage


► Cœur de Chouette.
[S]he had kept on living, though there are easier paths to take.

Les jours passent et se ressemblent. La Chouette se lève, fait sa toilette, part en patrouille, va chasser, mange et s'endort. Voilà bien des lunes que l'ancienne meneuse de l'Ombre n'a pas dévié de ce schéma redondant. Pour quoi faire ? Pour entraîner l'apprenti qu'elle n'a pas, pour nourrir les chatons qu'elle ne possède pas ? Parfois son chemin s'écarte un peu, lui laisse quelques heures de chasse avec Poésie des Ours ou Vertige de l'Oiseau. Une discussion avec Éclair Ambré. Une patrouille pour aller chercher des herbes avec Hymne des Ombres. Une dispute avec Nuage des Éléments. Quelques moments à peine qui lui donnent l'impression de vivre un peu. Rien de plus. De loin elle observe la vie du clan, se sent de plus en plus exclue de celle-ci. Elle voit Poésie des Ours et Étoile de Jais qui se rapprochent, observe avec tendresse Éclair Ambré et Caresse de l'Aile attendre leur première portée. Malgré les épreuves de la Marée Noire, malgré les tensions qui naissent au sein et entre les clans, elle est confrontée chaque jour au bonheur de ses proches. A leurs projets d'avenir qui les forcent à se lever chaque matin. Et la Chouette, qu'a-t-elle ? Une honte qui la dévore sans cesse, un fils adoptif qui s'enfonce dans son silence et un autre qui la déteste de plus en plus, pour des raisons qu'elle-même ignore. La Chouette a le cœur fatigué.

Pourtant, ce soir, l'adrénaline lui offre comme une seconde vie, et l'événement est suffisamment distrayant pour lui faire oublier ses problèmes. Cœur de Chouette dormait profondément quand Flammes Sauvages est venue réveiller son frère pour lui annoncer la naissance de ses chatons et, bien évidemment, la féline voulait être de la partie. Pas question de rater ça ! La guerrière se lève, se préoccupant à peine de ses camarades encore endormis. De toute façon, la tanière commence à s'agiter. L'arrivée des petits était particulièrement attendue. La vallée a été frappée par de trop nombreuses mauvaises nouvelles et de nouveaux futurs guerriers forme toujours un événement capable de contrebalancer l'ambiance sinistre qui règne au sein du clan. Cœur de Chouette prend le temps de se réveiller, après tout elle veut être au meilleur de sa forme pour soutenir son frère et Caresse de l'Aile. La féline s'apprête à sortir lorsqu'elle constate qu'une ombre reste dans la tanière, encore endormie, imperturbable. Cœur de Chouette lève les yeux au ciel. Parfois, Poésie des Ours a vraiment un problème avec le sommeil ! Quelques coups de pattes (peut-être un peu forts, avouons-le) suffisent à réveiller le guerrier qui semble prêt à se rendormir.

« Debout gros nounours ! Ta sœur et mon frère sont sur le point de mettre au monde nos neveux et nièces, alors pas question de rester là à baver ! »

La féline n'attend pas de réponse pour sortir hors de la tanière. Connaissant son ancien mentor, il sera suffisamment paniqué pour être complètement réveillé et trouver son chemin. En se dirigeant vers la pouponnière, Cœur de Chouette attrape une souris bien dodue entre les dents, qu'elle dépose auprès de son frère.

« Je savais que tu serais parti comme une flèche sans prendre le temps de te nourrir, crotte de souris ! Une mise bas, c'est long. Crois-tu que tu seras capable de soutenir ta bien aimée autant de temps sans manger ? Allez, fais-moi plaisir, avale ça. »

Sa façade sereine s'effondre aussitôt lorsqu'Hymne des Ombres arrive, un nombre incalculable d'herbes dans sa gueule. Cœur de Chouette se sent de trop dans cet endroit étroit et elle préfère s'éclipser doucement, non sans lécher son frère entre ses deux oreilles pour le rassurer, laissant le couple et la guérisseuse faire leur travail. Elle n'a aussi, égoïstement, aucune envie de voir cet événement heureux alors qu'elle-même ne donnera jamais vie à une progéniture. La guerrière se place alors à l'entrée de la pouponnière, paniquée mais impatiente de voir les boules de poils qui vont bientôt animer le camp, à l'affût du moindre problème. Cette naissance doit bien se dérouler. Il le faut.

Il dort. Du sommeil du juste, de celui qui, il y a quelques heures à peine, patrouillait, chassait encore, toujours sur le qui-vive. De celui qui, épuisé par des missions poursuivies bien au-delà du coucher du soleil, vient à peine de trouver le repos. Et il rêve. Quelque part, dans le brouillard de son imagination, il entend la voix de Flammes Sauvages qui l’appelle. Ils arrivent… qui donc ? Ses chatons ! Éclipse Solaire va mettre bas ! Alors, dans ses rêves, il accourt vers celle qui vit loin de lui, de l’autre côté de la frontière, et cette fois-ci, oui, il est bien présent, près d’elle, pour la soutenir, cette fois-ci, il ne faillira pas à ses devoirs…

Et puis des coups de patte le tirent du sommeil pour de bon. Cœur de Chouette est là pour le ramener à la réalité : ce ne sont pas ses chatons qui sont sur le point de naître, mais ceux de Caresse de l’Aile. Comment a-t-il pu oublier ! Ses neveux et nièces ! Une telle vague d’excitation le submerge qu’il ne relève même pas la moquerie de son ancienne apprentie ; et de toute façon, elle ne lui laisse pas le temps de répliquer. Sans prendre le temps d’arranger sa fourrure ébouriffée, l’Ours se lève d’un bond et file à sa suite. Seulement, il est arrêté par la vue d’Hymne des Ombres – sa fille, sa grande fille ! – et alors qu’il ouvre la bouche pour lui parler, celle-ci lui confie une boule de mousse sans prendre la peine de le regarder. Le voilà de corvée comme un apprenti !

Abasourdi, le guerrier brun obtempère pourtant et s’élance vers le ruisseau le plus proche afin d’y plonger la boule de mousse. Le contact de ses pattes avec l’eau froide achève de le réveiller et il se précipite à nouveau vers la pouponnière, son précieux fardeau entre les crocs. Cœur de Chouette est devant l’entrée, il lui adresse un grand sourire, le menton dégoulinant d’eau (et non pas de bave, quoi qu’elle puisse en dire) avant de pénétrer dans la tanière. Ses yeux déjà habitués à l’obscurité n’ont pas de mal à distinguer les formes des quelques reines déjà présentes, mais la seule qui l’intéresse est celle de sa sœur.

« Tiens ma petite Aile, je t’ai apporté de l’eau ! » dit-il d’un ton encourageant, dans un ronronnement d’affection. Il n’ose s’approcher d’avantage, de peur de briser quelque chose de sacré, et pose délicatement la boule de mousse aux pattes d’Éclair Ambré – cette nuit, c’est à lui d’être aux côtés de la future mère, à lui de veiller sur elle. L’Ours lui adresse un regard, tout se passe de mots. Le guerrier roux a déjà l’air suffisamment éprouvé, inquiet et heureux, il ne veut pas en rajouter. Mais par ce regard, cette affirmation muette, il veut qu’il sache… qu’à la moindre difficulté… il sera là. Prêt à tout pour leur famille.

« Appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit d’autre », glisse-t-il à Hymne des Ombres avant de sortir de la pouponnière pour retrouver la nuit. Fébrile, il s’installe à côté de Cœur de Chouette, et les voilà qui montent la garde ensemble. Parfois, dans des moments comme celui-ci, il a l’impression d’être transporté des lunes en arrière, du temps où il n’y avait qu’eux deux, où son quotidien était rythmé par leurs entraînements. Oh, il leur arrive encore souvent de patrouiller en duo… mais maintenant, il y a aussi dans sa vie Caresse de l’Aile, et l’Escadron, et Étoile de Jais, les missions qu’elle lui confie, et sûrement, bientôt, un nouvel apprenti… La vérité est qu’il ne passe pas autant de temps avec son ancienne apprentie qu’il le voudrait.

« Tu es encore jeune, Cœur de Chouette », dit-il simplement, en réponse à la tristesse qu’il lit dans ses yeux bien dissimulée derrière la joie et la peur. Il l’observe, et il croit deviner la raison de ces émotions contradictoires. Il n’en dit pas plus cependant, préférant laissant là un sujet qu’elle n’a peut-être pas envie d’aborder maintenant… mais ajoute tout de même, avec un sourire : « Et avant que tu me traites de vieux, je t’assure que moi aussi je suis encore jeune ! Et Caresse de l’Aile, c’est ma jumelle, mais elle est plus jeune encore, et forte, et courageuse. Elle soulèverait des montagnes. »

Oui, il a confiance.

Héritage

Étoile de Jais

La tête posée sur ses pattes, le regard perdu dans les multitudes de motifs gravés dans la pierre lui faisant place, la meneuse se laissait fatiguer, chaque seconde durant, laissant le temps faire son œuvre. Le vent faisait doucement bruisser les tresses de lierres recouvrant l’entrée de la cavité lui faisant office de nid. La féline s’y était engouffrée après une longue patrouille le long de ses frontières, accompagnée de guerriers et d’apprentis, ils étaient tous rentrés harassés et la guerrière angora avait pu les voir s’effondrer de fatigue dans leur litière, s’abandonnant à un sommeil sans rêve, réparateur.

Une faible grimace apparut sur le visage de la meneuse, combien de lunes s’étaient écoulées depuis que l’oubli était venu recouvrir le souvenir d’une nuit sans cauchemar ? Trop, elle ne pouvait plus dormir, fermer les yeux sans revivre ces instants encore si vifs dans sa mémoire était devenu impossible pour elle. De légers tremblements vinrent agiter le corps maigre d’Étoile de Jais, le froid s’insinuait plus vite en elle et venait la glacer jusqu’aux os. Le manque d’appétit était venu à sa rencontre également, sans qu’elle ne puisse combattre, elle avait retrouvé ses vieux démons.

Aurait-elle pu imaginer souffrir à ce point d’une épreuve parcourue par tant d’autres avant elle ? La réponse était claire, elle ne s’était jamais dit que la perte d’une vie l’affecterait tant, malgré les huit autres vies lui restant. Mais elle s’était réveillé de ce sombre cauchemar en ayant perdu une partie d’elle même, hantée par les souvenirs de ses derniers instants. Elle avait connue la lente et douloureuse agonie des malades, les regards douloureux se posant vers elle et le noir venant l’attirer   au fil des jours. Ce qui la faisait tant souffrir était qu’elle ne L’avait même pas sentie, la Mort. Elle était venue la chercher sans la prévenir, et le coeur de la guerrière avait battu faiblement encore quelques instants, avant de s’arrêter, et ses yeux, ouverts et regardant tendrement les personnes qu’elle aimait, s’étaient éteints, tout simplement.

La Mort ne faisait pas de bruit, elle était silencieuse, efficace. A quoi bon prévenir les vivants si c’est pour leur faire éprouver encore plus de souffrance ? Étoile de Jais avait souffert de cette simplicité, s’endormir sans savoir que l’on plonge vers un autre monde, cela l’avait profondément marquée. Depuis lors, le sommeil avait quitté ses nuits, une peur terrible serrait son coeur à l’idée de s’endormir une nouvelle fois, hantée par l’idée de se réveiller une nouvelle fois, dépossédée d’une partie d’elle même en perdant une nouvelle vie. Ainsi, la meneuse restait éveillée, le plus longtemps qu’elle le pouvait, elle résistait toujours plus chaque nuit, et enfin, l’épuisement la faisait s’écrouler contre le sol de sa tanière afin de lui offrir un peu de répit.

Au contraire, quelque chose faisait du bruit, la Vie elle, se faisait annoncer, criait à tous son arrivée et remplissait de joie les cœurs de ceux pouvant y assister. Les oreilles de la meneuse se tournèrent vers l’extérieur lorsqu’elle entendit des voix toutes excitées briser le silence plongeant le camp de l’Ombre depuis la tombée de la Nuit. La guerrière noire reconnut la voix de Flamme Sauvage résonner dans le camp et alors que celle-ci prévenait ses enfants, la meneuse des Ombres été alors informée de la nouvelle. La portée de Caresse de l’Aile arrivait ! Étoile de Jais se relevait d’un bond gracieux à l’annonce de cette nouvelle si heureuse. La guerrière noire avait vu le ventre de la jeune guerrière s’arrondir et les yeux des jeunes parents briller d’amour pour les chatons que portait Caresse de l’Aile. Tout le clan de l’Ombre ressentait une profonde tendresse pour l’arrivée de cette nouvelle petite famille au sein du clan, et la meneuse en était particulièrement touchée.

L’arrivée de chatons était toujours un évènement marquant au sein d’un clan, il apportait de nouvelles petites voix résonnant dans le camp, des nouveaux tous petits que l’on voit grandir, ils était l’essence même de la vie. La cheffe inspira doucement une longue bouffée d’air, en levant la tête, chassant de nouvelles images voulant s’imposer dans son esprit. Ce n’était clairement pas le moment de repenser à son passé, le présent comptait, uniquement lui. Ce n’était pas son histoire, c’était l’histoire d’Éclair Ambré et de Caresse de l’Aile, et elle n’aurait rien à voir avec la tragédie de Biche Solitaire.
La meneuse sortit de sa tanière et marcha d’un pas souple qu’elle voulait détendue vers la pouponnière, essayant de ne pas laisser l’odeur de sa peur lui coller au pelage. Elle attendit quelques instants devant la pouponnière, voyant qu’elle était déjà bien remplie par les différents membres de la famille passant voir la future Reine. Elle aperçut Poésie des Ours arriver avec une boule de mousse toute imbibée d’eau et étouffa un petit rire devant sa tête si concentrée, on aurait presque dit un apprenti effectuant sa toute première tâche important lors de son apprentissage ! Un sourire tendre apparut sur le visage de la guerrière noire alors que son regard était posé sur Ours, elle se demandait bien à quoi il ressemblait lorsqu’il était tout jeune apprenti. Elle ne se souvenait plus mais aurait bien aimé.

La meneuse secoua la tête, et rentra doucement dans la pouponnière une fois que celle-ci soit un peu plus vide. Elle ne comptait pas rester bien longtemps, elle voulait juste signifier sa présence et assurer à Hymne des Ombres qu’elle pouvait compter sur son aide à tout moment. Une fois rentrée, elle adressa un sourire sincère aux deux futurs parents, ils étaient adorables, leurs chatons seraient magnifiques sans aucun doute.

Vous êtes adorables tous les deux, vos petites boules de poils vont avoir de la chance de vous avoir comme parents.

Elle adressa un regard confiant à la jeune Reine et après avoir soufflé quelques mots à la guérisseuse pour lui demander de la prévenir en cas de besoin, elle sortit de la pouponnière. Le malaise que la guerrière noire retenait depuis quelques secondes s’empara alors d’elle, des images terriblement dures s’imposaient dans son esprit. Elle était encore jeune, tout aurait bien du se passer, la meneuse se revoyait, encore si jeune, aux côtés de sa sœur, à l’encourager toujours plus et à devenir si impuissante. Sa gorge se serra, elle ne se souvenait que trop bien de cet instant où tout avait éclaté, où plus rien n’avait été possible. Le sang tachant le corps froid du chaton n’ayant jamais vécu, l’agonie terrible de la mère face à son enfant perdu, et la vie s’échappant toujours plus vite. Et la Mort avait frappé dans la vie de la jeune guerrière sombre, lui volant son neveu et sa sœur, lui laissant deux chatons à élever, pour lui en voler un autre quelques lunes seulement après. Les yeux nuits de la cheffe étaient remplis des ombres de son passé, elle s’assit contre la pouponnière tentant de se calmer. Elle respirait difficilement, la naissance des enfants d’Eclair Ambré et de Caresse de l’Aile allait bien se passait, elle le devait.

Lis moi:

Eh oui, la pouponnière n'était pas seulement le lieu de tous les jeux, les chatons ne faisaient pas que grandir et dormir (et casser les oreilles à tout le monde) en ce lieu. Ils y naissaient aussi. C'est pour cela que depuis quelques temps, Caresse de l'Aile dormait avec eux dans le buisson renforcé par des branches sèches. Déjà qu'Ardeur des Braises trouvait cela exigüe avec Petites Ronces, Patte Libre, Patte Céleste et Petite Tigresse qui avaient tous bien grandi, mais là, c'était à peine si on pouvait respirer tranquillement.

Et voilà donc que des bruits étranges avaient commencé à perturber ses rêves. Bon, rêver de poursuivre un lapin, c'était déjà un peu bizarre (les grands espaces devaient vraiment lui manquer pour qu'elle rêve de la lande), mais les choses devinrent vraiment très étranges quand ce lapin commença à parler de diverses voix... Caresse de l'Aile, Éclair Ambré, Hymne des Ombres... Mais qu'est ce qu'ils faisaient tous là ? Qu'est ce que c'était que ce bazar, on n'avait pas idée d'organiser de pareilles réunions à cette heure là... Il lui fallut finalement tout le courage du monde pour finir par soulever ses lourdes paupières et qu'un rayon de lumière perce parmi les ombres du sommeil qui ensevelissaient encore sa conscience.

L'heure était finalement venue. La pouponnière était à présent envahie de divers félins. Ardeur chercha un instant ses enfants des yeux avant de hausser les épaules, soit ils dormaient dans un coin, soit ils s'étaient déjà enfuis pour passer une nuit plus tranquille ailleurs. Elle même laissa un énorme bâillement s'échapper de sa bouche avant de maugréer deux trois paroles sans queues ni tête, histoire de tout de même signaler à tout le monde qu'elle était là et qu'on l'avait réveillée, hein. Non mais.

Elle se lève avec l'idée de se diriger au dehors mais s'approche tout de même de l'attroupement, guidée par la curiosité, et puis pour vérifier que tout va bien au fond, elle paraît bien désintéressée comme ça mais n'a aucune envie de voir une tragédie tomber de nul part. Surtout sur la pauvre Caresse de l'Aile, qui a désiré cette portée. Elle lève les yeux au ciel à la vision d'Éclair Ambré qui semblait dans tous ses états à ses côtés. C'est elle qui allait faire le travail, un compagnon en pleine agitation juste à côté ne risquait pas de l'aider. Ah là là ces mâles... Toujours là ou il ne fallait pas hein, et surtout pas pour se rendre utiles.

Et voilà la meneuse qui rentre à son tour pour présenter ses vœux aux heureux parents. Ardeur des Braises sent toujours les brumes du sommeil peser sur son corps, mais toute cette agitation commence à l'atteindre elle aussi, et un sourire amusé pointe sur son museau à présent. Les regards tantôt inquiets tantôt confiants passent. Les souvenirs de sa propre mise bas sont encore vifs, et elle devine aux airs d'Hymne des Ombres que rien ne laisse présager une mauvaise nouvelle pour le moment.

« Il semble que vous allez bientôt avoir vos propres boules de poil à surveiller… Je vous souhaite bien du courage, c'est plus féroce que ça en à l'air ces choses là. », fait elle, avec un sourire mi moqueur mais dans lequel se cachent aussi des airs attendris sur le visage.

Elle adresse donc ses propres félicitations bien à elle à la famille avant de prendre à son tour la sortie : il va décidément être temps qu'elle se réorganise un nid dans la tanière des guerriers.

Je me demande si pour nous, il y a eu autant de têtes curieuses.
La naissance de mes cousins me plonge dans un état à la fois mélancolique et enthousiaste, bouleversé de plus d’une manière. Il fait un moment déjà, il me semble, que ces petits tardent à se montrer le bout du nez si bien qu’en moi l’impatience s’est lentement transformée en rage anxieuse, à toujours me demander : mais quand ? Quand ! Sonnet et moi nous sommes amusés à projeter l’allure des petits chats qui bientôt prendraient place parmi le monde des vivants, des paris lancés et sitôt oubliés, pour le plaisir de se sentir plus près d’eux, plus investis d’une manière.

Peu importe qui ils sont, je les aime déjà. J’apprécie la compagnie des chatons; il me semble qu’il fut toujours ainsi. Probablement car je me permets de vivre, à travers eux, cette part d’enfance qui me manque tant. La perspective de voir ma propre famille s’élargir ne fait qu’accentuer ce petit bonheur. J’ai si hâte de les voir ! Néanmoins je me sais loin d’être prioritaire. Je reste donc au loin, posant sur ce Clan, ma famille, un regard empreint de tendresse. Devinant mon émotivité, mon frère s’est approché. Il prend place à mes côtés, si près que nos fourrures s’entremêlent. J’abandonne ma tête contre son épaule; au creux de son cou résonne l’écho d’un ronronnement. Lui, il est simplement heureux. Il pense moins souvent à hier que moi. Il a les yeux vers l’avenir, un avenir qui pour lui s’annonce particulièrement glorieux.

«Tu te rends compte que dans environ une lune, ce sera à ton tour ?»

Un rictus mi-amusé, mi-anxieux passe sur ses lèvres. Son regard suit l’achalandage à l’entrée de la pouponnière, même d’ici cette effervescence nous atteint et nous tend d’une forme d’inquiétude et d’excitation mêlés.

«J’ai du mal à y croire encore. Je suis heureux pour notre oncle.»

Je souris pour dire «et moi donc». Éclair Ambré est un excellent membre de cette communauté, nul doute à mes yeux que ses petits feront d’aussi bons citoyens du Clan de l’Ombre. Les yeux brillants, je suis du regard notre père qui se dirige jusqu’à la pouponnière. De là, je l’entends proposer son aide à sa jumelle et guérisseuse, avec son calme et son grand sourire. Malgré tout, les vas et viens queue le trahissent : il est lui aussi très émotif de ce qui se produit aujourd’hui. Et à le connaître, je me doute que lui aussi il pense à cette enfance que j’ai laissée derrière moi, du moins en apparence. Je ferme les yeux pour adresser une prière silencieuse aux Étoiles, pour leur adresser aussi une promesse comme je l’ai fait avec Sonnet d’une autre époque.

Je veillerai sur eux, mes très chers cousins.

Spoiler:

La première personne qui se faufila dans la pouponnière fut Cœur de Chouette, sa chère petite sœur. La voir lui réchauffa immédiatement le cœur et il se frotta à elle en ronronnant alors qu'elle le réprimandait et lui donnait une souris.

« Merci Cœur de Chouette, qu'est-ce que je ferais sans toi ? »

Elle était toujours là pour lui et il ne serait jamais assez reconnaissant à son égard. Éclair Ambré eut du mal à avaler la proie, ayant le ventre et la gorge serrés par toutes les émotions qui le traversaient mais il se força, tout en en gardant un morceau pour Caresse de l'Aile quand elle serait prête à manger après les épreuves qui l'attendaient. Hymne des Ombres arriva en même temps qu'il mâchait un morceau de viande et le discret sourire qu'elle lui adressa lui donna de l'espoir pour la suite des événements. Il savait qu'elle était une très bonne guérisseuse et il faisait preuve d'une confiance aveugle à son égard. Caresse de l'Aile était entre de bonnes pattes. Cœur de Chouette lui donna un dernier coup de langue avant de se faufiler hors de la pouponnière, sûrement pour leur laisser de la place. Hymne des Ombres profita de ce moment pour donner des premiers remèdes à Caresse de l'Aile tout en lui demandant comment elle se sentait.

« J'ai mal... Mais c'est normal non ? » répondit-elle en mâchant les feuilles.  

Le calme dans la pouponnière ne dura pas car très vite, une silhouette assez massive entra dans la pouponnière non sans laisser quelques touffes de fourrures accrochées aux épines de la tanière. Poésie des Ours déposa à ses pattes une boule de mousse remplie d'eau et Éclair Ambré s'inclina en signe de remerciement. Il pouvait lire dans les yeux du guerrier qu'il avait son soutient, et cela voulait dire beaucoup pour lui. Il s'estimait si chanceux d'avoir des proches aussi attentionnés et présents. Après que Caresse de l'Aile l'ait remercié chaleureusement aussi, le grand guerrier disparu à son tour et la tanière retrouva son calme pendant quelques instants, les seul bruits se faisant entendre étant la respiration s’accélérant de Caresse de l'Aile et le déballage des plantes d'Hymne des Ombres. Éclair Ambré en profita pour lécher le front de sa compagne et rapprocher la boule de mousse d'elle.

Étoile de Jais apparu soudainement dans la pouponnière pour les encourager de paroles douces et avenantes. Éclair Ambré s'inclina avec un sourire sincère, heureux et honoré d'avoir le soutient de la meneuse. Une voix se fit entendre juste à côté, celle d'Ardeur des Braises qui, depuis qu'il était arrivé dans la pouponnière, était plutôt agitée et dérangée par tout le remue-ménage que la naissance prochaine de ses enfants provoquait. Il rigola d'un air gêné suite à ses paroles, se rendant compte tout à coup qu'en effet, il allait devoir éduquer ces chatons. Mais il essayait de ne pas trop s'inquiéter par rapport à cela, il s'était occupé de ses petits frères et sœurs depuis leur plus jeune âge et tout s'était toujours bien passé. Éclair Ambré tourna la tête vers Caresse de l'Aile pour voir sa réaction aux paroles d'Ardeur de Braise, mais celle-ci n'avait pas du tout la tête à s'amuser. Ils arrivaient.

Au moment où ils se retrouvèrent à nouveau seuls dans la pouponnière avec la guérisseuse, la mise bas commença. Le temps sembla s'arrêter autour d'Éclair Ambré alors que son regard bicolore était plongé dans ceux de sa bien aimée. Des contractions violentes secouaient la femelle, lui faisaient serrer les dents et gémir. Hymne des Ombres était sûrement en train de l'encourager mais le guerrier n'entendait plus rien, ne voyait plus rien, son champ de vision s'était refermé sur Caresse de l'Aile. Il lui murmurait des mots doux, inconsciemment, lui caressait le front du bout de la queue, suivait les instructions de sa petite sœur guérisseuse quand celle-ci avait besoin de son aide. Il avait l'impression d'être dans un rêve brumeux et collant, une chaleur énorme le ferait presque suffoquer s'il n'était pas si concentré sur sa compagne. Il se revoyait tomber dans la rivière, être sauvé par Caresse de l'Aile, leur premier contact physique. Il revivait la douleur quand elle avait disparu pour rejoindre le Clan du Tonnerre, mais tout cela fut vite remplacé par la douceur ressentie lors de son retour. Et il le vit. Un petit être, minuscule, humide. C'était un chaton, son chaton, leur chaton. Éclair Ambré resta bloqué un instant à le regarder, ébahi et emporté d'un amour fou pour cette petite boule de poils qui venait à peine de sentir le premier contact du vent contre son corps. Puis il s'activa, prit le chaton près de lui et le lécha vigoureusement comme il avait vu sa mère le faire à Cœur de Chouette quand elle était née. La poche qui enveloppait le minuscule chat s'ouvrit et Hymne des Ombres lui apprit que c'était une femelle. Elle était si... Fragile. Si belle. Ses pattes... Si petites.

« Patte... Patte de Salamandre. » prononça-t-il, submergé par l'émotion.

Caresse de l'Aile n'eut pas le temps de la regarder, les contractions continuaient, l'épreuve n'était pas finie. Très rapidement un autre chaton se déposa sur le sol doux de la Pouponnière. Cette fois, Éclair Ambré le ramena vers sa compagne pour qu'elle puisse elle-même le découvrir. Après quelques secondes de léchouilles, ils découvrirent leur fils, d'un duvet tout noir avec comme une crinière blanche autour du cou. Il était magnifique.

« Je veux... Je veux qu'il s'appelle Boule de Tonnerre... » réussi à articuler Caresse de l'Aile.

Éclair Ambré sourit. Boule de Tonnerre, évidemment. Murmure Éternel serait fier de ce nom, que sa fille avait sûrement choisi en référence au clan qui les avait accueilli tous les deux pendant un temps. Finalement, Caresse de l'Aile donna naissance à un troisième chaton qui lui arracha ses dernières forces et quelques cris de douleur. Éclair Ambré avait le cœur qui battait la chamade, combien y en aurait-il encore ? Mais à se fier à la respiration se calmant de Caresse de l'Aile et aux indications d'Hymne des Ombres, c'était le dernier. Un soulagement intense lui fit tourner la tête, il avait eu si peur que sa bien-aimée ne puisse pas tenir plus longtemps. Pour lui éviter plus d'efforts, il prit le dernier chaton près de lui afin de déchirer la poche humide qui l'entourait et découvrit un deuxième mâle, au duvet ébouriffé et aux couleurs sauvages. Il lui rappelait la nature, les arbres, la forêt... Il se pencha vers Caresse de l'Aile.

« Petit Faon... Ça te convient ? »

Elle lui sourit en acquiesçant avant de se laisser s'écrouler totalement sur le côté pour profiter d'un repos plus que mérité. Éclair Ambré déposa les chatons près de son ventre, ces derniers couinant déjà à la recherche de nourriture puis il s'assit et s'appuya contre Hymne des Ombres. Sa tête lui tournait tant il était heureux et submergé d'émotions qui l'avaient vidé.

« Ils sont magnifiques... Merci Hymne des Ombres, merci. Tout ça c'est grâce à toi. » souffla-t-il d'une voix sentimentale et en ronronnant.

Il profita de cet instant unique près de sa sœur. Dire qu'il l'avait vu chatonne, apprentie et qu'elle était maintenant une grande guérisseuse qui avait parfaitement assumé la mise bas de sa compagne... Il resta là, aux anges, à regarder le spectacle magnifique de ses enfants auprès de Caresse de l'Aile, entouré de sa famille qu'il savait juste en dehors de la pouponnière et qui ne tarderait sûrement pas à venir découvrir sa descendance. Son héritage.

C'était si douillet, avant. L'endroit était petit, chaud, on y était bien entouré. Il y avait même une cloison suffisamment épaisse pour protéger mais assez fine pour laisser passer le bruit, de quoi déjà s'imaginer le monde du dehors. Et puis il y avait ce silence, parfois, quand tout dormait ; alors, il n'y avait qu'à profiter de cette bulle de coton chaude et réconfortante, sentir les coups des amis d'à côté, les paroles rassurantes qui venaient de l'extérieur et touchaient jusqu'au plus profond de l'intérieur.

Désormais, c'était différent. D'humide, l'environnement était passé à une fraîcheur sèche qui avait créé la surprise. De chaud, l'espace était devenu gelé, mouillé. D'atténués et doux, les bruits alentours s'étaient fait prégnants et imposants. De plus, la tension aurait pu se découper à coups de griffes tant elle était palpable. Où était passée la douceur réconfortante du foyer d'antan ?

Petit Faon venait de pousser son premier cri, noyé entre ceux de son frère et de sa sœur, qui s'essayaient eux aussi à devenir le plus fort criard.
Mais, aussitôt installé contre le ventre chaud, sec et doux de sa mère, Petit Faon se calma. Instantanément, son pouls s'assagit, de même que les battements de son cœur, qui s'unirent avec celui de sa génitrice.

C'est ainsi que la douceur devint violence, et la violence redevint douceur ; car tout n'est qu'éternel recommencement, et Petit Faon venait de rejoindre la boucle de la vie, elle aussi infinie et ronde, généreuse et bouleversante.