La chance du débutant [PV Forêt de Flammes]

L'air est doux, ce matin. Souvenir Irréel est réveillé depuis l'aube, il ne se sent pas encore trop fatigué. Hier soir encore, il a rêvé de sa mère. Elle semblait l'appeler, au loin. Mais quand il a essayé de lui répondre, il s'est réveillé en sursaut, dérangé par l'un de ses camarades qui sortait de la tanière des guerriers. Ce n'était pas plus mal, toutefois. Inutile de ressasser le passé indéfiniment. Cela ne sera que plus douloureux, s'il n'apprend pas à tourner définitivement la page. Au moins, depuis qu'ils sont arrivés sur leurs nouvelles terres, il avait autre chose à penser et ces rêves se font de moins en moins fréquent. Toutefois, il se demande si la proximité de son Clan avec les guerriers de jadis n'y seraient pas pour quelque chose. Ses songes à lui, néanmoins, ne sont pas des messages. La plupart du temps, il s'agit juste de souvenirs qu'il revit, comme s'il avait réussi à retourner dans le passé. Ils sont si réels, et pourtant...
Pourtant, déjà, il sursaute lorsqu'on l'appelle. Mais une voix bien vivante, cette fois-ci. On lui demande s'il veut partir en patrouille. Etant l'un des trois Sentinelles du Clan, il ne refuse jamais une telle proposition, considérant son rang comme un honneur qu'il se doit d'accomplir pour le bien des siens. Alors il hoche lentement la tête une fois ses poils retombés sur son échine à cause de la surprise, et s'ébroue pour chasser ses pensées avant de se lever pour rejoindre ses camarades, qui l'attendent déjà à la sortie du camp. Lorsqu'ils sont tous là, ils sortent enfin pour commencer la patrouille. Souvenir Irréel ferme la marche, mais ses sens restent en alerte, et ses yeux ambrés détaille le moindre changement bizarre. Mais aucune qui ne peut avoir été perturbé par un guerrier d'un Clan rival. Tant mieux, se dit-il. Au moins, ils n'auront pas à se battre aujourd'hui. De plus, si du gibier commence à se montrer, alors ils pourront rapporter des prises au Clan. Mais quand ils arrivent jusqu'à la rivière, Souvenir Irréel s'immobilise d'un seul coup. Une odeur particulière retient son attention, mais il ne s'agit pas de celle d'un potentiel rongeur. Aussitôt, puisqu'il n'est pas sûr non plus de ce qu'il pourrait avancer, il prévient sa patrouille.

« Je... Euh... J'ai cru sentir une odeur étrange. Je-Je vais aller voir de ce côté. »

Je dois pas avoir l'air très convaincant, mais... Je suis sûr d'avoir senti quelque chose !
Après que le chef de la patrouille ait donné son accord, Souvenir Irréel remonte le cours d'eau et suit la piste qui égaye sa curiosité. Pour lui, ça ressemble fortement à l'odeur du Clan de l'Ombre, mais il ne peut pas accuser les guerriers de ce Clan sans preuve concrète. Se pourrait-il que ça soit leur Escadron ?.. Souvenir se ressaisit. Il ne faut pas trop qu'il rêve non plus, mais il a tant peur de faire une bêtise qu'il pourrait se monter la tête tout seul. Plus il remontent la piste, toutefois, plus la trace se raffermit. Mais les frontières, elles, disparaissent de son esprit. Il ne voit plus que le courant aux côtés duquel il chemine. Ses pensées sont ailleurs, et il ne réalise pas, inconscient, qu'il a dépassé les frontières de la Lune depuis longtemps. Ce n'est qu'au moment où il s'arrête qu'il se rend compte que l'odeur de son Clan s'est éventé, et il ne comprend que trop tard qu'il se trouve en territoire qui n'est pas le sien. Paniqué, quand il entend tout à coup des voix étrangères non loin d'ici, il ignore quoi faire. Sous le coup de la nervosité, son premier réflexe est de plonger dans la rivière. Il n'avait pas réalisé, toutefois, que le courant, en plus d'être glacé, était trop fort pour lui. Mais il n'ose pas appeler à l'aide de peur de se faire repérer, sans se dire qu'il aurait toujours mieux valu ça que de se retrouver noyé. Quand ses yeux ambrés se posent sur une pierre au milieu de l'eau, il tend les pattes pour s'y accroché fermement. Heureusement, il arrive à se tenir dessus, mais les flots qui s'écrasent sur le rocher manque de le faire glisser à plusieurs reprises. Dépassé, il ne sait plus quoi faire.

Spoiler:

Clan des Etoiles, aidez-moi !
Ses pattes vont lâcher, il le sent. Ses griffes, elles, glissent sur l'ardoise que les flots hydratent, ne rendant pas la pierre facile à accrocher. Quel idiot, se dit-il. Evidemment qu'il était dangereux de s'approcher un peu trop de la rivière, surtout quand on ne sait pas nager. De manière générale, vaut mieux ne pas trop se mouiller les moustaches à moins d'être un guerrier du Clan de la Rivière. Heureusement, ses poils ne sont pas assez long pour alourdir son poids quand ces derniers se trouvent humides, mais il ne tiendra pas longtemps. Sa prière, toutefois, semble avoir été entendue. Une forme féline se dresse sur une des pierres près de lui, avant de tendre une patte salvatrice en sa direction. Sans hésiter, même s'il sent sur elle l'odeur du Clan du Tonnerre, il saisit la patte chanceuse qu'on lui offre et remonte sur la pierre pour rejoindre l'autre chat, une femelle rousse et blanche aux yeux verts. Dans la panique, voulant à tous prix rejoindre la berge afin d'être tiré d'affaire définitivement, Souvenir Irréel saute sur la rive pour sentir le sol sous ses griffes. Enfin, essoufflé, il pousse un soupir de soulagement et s'ébroue pour chasser l'eau de sa fourrure. Puis, il se laisse tomber au sol.

« M-Merci ! Tu-Tu m'as sauvé la vie ! »

Il n'oublie pas non plus de remercier le Clan des Etoiles silencieusement, heureux d'être encore vivant et pas noyé sous les flots du courant menaçant. Epine de Rosier ferait moins le malin s'il savait que son fils est parti vers de nouvelles terres pour mourir aussi peu glorieusement alors qu'il aurait juste pour faire plus attention où il marchait. Mais ça lui rappelle tout à coup qu'il a dépassé les frontières du Clan de la Lune depuis longtemps et qu'il se trouve à présent en territoire ennemi. Face à cette réalisation, il pousse un hoquet et se redresse d'un coup.

« P-P-Pardon ! Je-Je-Je ne voulais pas f-franchir la frontière ! C'est-C'est juste un accident, j'le jure !.. »

Mais ses excuses, pour lui, sonnent bien plus ridicules que la situation dans laquelle il s'était embarqué quelques instants plus tôt. Il doit assumer les conséquences de ses actes, après tout. Cela ne lui fait pas plaisir, et il va sûrement avoir quelques remontrances de la part des guerriers de son Clan si on le laisse rentrer au camp, mais il prendre ses responsabilités au sérieux. Si jamais il doit rester au camp du Tonnerre en contre-partie, eh bien il le fera aussi. Il espère juste qu'on ne le prendra pas pour un espion.

« Tu... Tu vas m'amener à ton chef ?.. »

Le voilà, piteusement, qui se demande quel sort on lui réservera.

Il ne connaît pas bien ni Etoile des Ouragans, ni Epopée des Lucioles. Il ne peut se fier qu'aux rumeurs qu'on dit sur eux, et ils n'ont pas tant mauvaise réputation que ça. Pour autant, Souvenir Irréel ne se sent pas à l'aise à l'idée de se faire emmener dans un camp rival. Pas qu'il soit très touché en soit par lesdites rivalités, mais c'est la honte, de son point de vue, de se faire prendre en flagrant délit en train de dépasser les frontières, quand bien même s'agit-il d'un accident. Il a la chance d'avoir été pris chez les Sentinelles : il devrait être un exemple, pas un fauteur de troubles qui n'arrête pas de commettre des erreurs. Toutefois, la femelle qui l'a secouru a l'air gentille. Ou du moins, c'est l'impression qu'il a, aux premiers abords. On lui a de nombreuses fois dit de se méfier des apparences, mais il veut croire quand même en la bonté de chaque félin. Cela le rassure, en plus, de se dire qu'elle ne va pas le déchiqueter vivant pour avoir pénétré en territoire ennemi. Son sourire est réconfortant, comme sa voix qui est douce et qui ne cache aucune trace d'animosité. Au moins, il n'a pas affaire à un sanguinaire haineux des autres Clans. Heureusement, sa sauveuse arrive à l'apaiser un peu. Il cesse de trembler et arrive à tenir le regard de l'autre plutôt que de scruter le sol avec embarras. Il ne doit pas avoir l'air très fin, comme ça. Quelle Sentinelle fait-il ! Souvenir Irréel espère au moins qu'il ne donne pas une mauvaise image du Clan de la Lune, à se comporter comme un chaton effrayé. Il n'aimerait pas qu'on pense que tous les guerriers de là-bas sont des trouillards incapables de respecter les frontières. Le guerrier se permet toutefois un léger sourire à son tour, soulagé d'entendre les propos de l'inconnue. Il hoche de la tête, penaud.

« Ou-Oui, je ferai attention, la prochaine fois, c'est-c'est promis ! »

La Sentinelle détend ses muscles, contractés auparavant par la nervosité. Ouf, il ne sera pas livré au camp du Tonnerre. Au moins une pensée dont il n'a pas à se préoccuper, même s'il faudra juste qu'il ne retombe pas dans la rivière en rentrant chez lui. Il ne s'attendait pas à ce que l'autre lui révèle son nom, toutefois. Par politesse, et parce qu'elle lui inspire confiance, il se présente volontiers, quoique encore un peu intimidé.

« Je-Je m'appelle Souvenir Irréel. Je suis un guerrier du Clan de la Lune. »

Un autre que lui continuerait probablement de se méfier. Ce n'est pas raisonnable non plus de se présenter comme ça à la première venue, mais si elle l'avait voulu, il y a longtemps qu'elle aurait pu légitimement le conduire à son chef ou l'accuser d'avoir voulu les espionner. Or, elle n'a pas eu ce réflexe et l'a même rassuré quant à l'absence de patrouilles dans le coin. En toute logique, il devrait désormais retourner sur son territoire, mais il a terriblement envie d'en savoir un peu plus sur cette femelle du Tonnerre, curieux comme il est.

« Est-ce que... Est-ce que je pourrais connaître le nom de celle qui m'a sauvé ? »

Il lui doit la vie, et ça, c'est évidemment quelque chose qu'il ne risque pas d'oublier, si on peut dire ainsi. Si possible, il aimerait bien mettre un nom sur ce minois. Dans le cas contraire, il respectera son choix, si elle décide de ne pas le lui donner ; il comprendra.

« Et... Et pourquoi est-ce que tu te comportes comme ça avec les étrangers ? Tu n'as pas peur que... Que je t'attaque ? »

Il ne comprend pas bien comment la femelle en face de lui peut être aussi gentille, mais... Il ne va certainement pas se mettre à feuler maintenant alors qu'il aurait pu rejoindre le Clan des Etoiles plus tôt que prévu. Il est déjà assez gêné d'avoir importuner cette guerrière... Les chats du Tonnerre ne sont pas des monstres non plus, loin de là, Souvenir peut en témoigner puisque ça lui était arrivé durant le voyage d'en discuter avec un ou deux par curiosité. Tout de même, il doit se mettre en tête que le voyage est fini et que ce n'est pas une raison pour se mettre à copiner avec tout le monde. Comment il va faire, lui, en plein combat, sinon ? Pas qu'il a très envie d'y penser, ça le rebute et lui hérisse le pelage, même, mais c'est la question qu'on pose à ceux qui se permette de lier des amitiés inter-claniques. Si seulement ils ne vivaient pas dans la peur constante qu'une nouvelle guerre éclate... La Sentinelle n'aurait pas été dérangé par le fait que les Clans restent soudés en un seul, mais il sait que ce ne serait pas raisonnable, de fantasmer là-dessus. Si les Clans sont cinq, c'est pour une raison précise, après tout, il doit s'y résoudre. Ce n'est pas pour autant que l'idée d'une bataille lui plaise, toutefois. Et c'est parfois rassurant de voir des chats qui semblent penser pareil que lui. Si la Lune devait affronter un Clan... Il aimerait bien que ça ne soit pas le Tonnerre, au moins. Il devrait, à contrecœur, combattre cette Forêt de Flamme si elle attaquait l'un des siens, mais ça serait très difficile pour lui après ce qu'elle vient de faire. Sa loyauté, néanmoins... Elle demeure sans faille, c'est une certitude. Mais ça serait bien s'ils pouvaient éviter de se battre. Souvenir en serait-il même capable, lui qui n'aime déjà pas se battre de base ?..

Surpris par la flatterie, le mâle crème rougit un peu, sensible aux compliments. Il aimerait lui rendre la pareille mais les mots lui manquent alors que sa timidité reprend le dessus et qu'il ne s'imaginait pas qu'elle puisse sortir ça si spontanément. Il l'envie pour être aussi ouverte et amicale, d'ailleurs. Pour être à l'aise devant un guerrier rival, aussi, tout simplement. Pour sûr, elle ne doit pas être du genre à compter les mouches sur un champ de bataille, celle-là. Mais si elle trouve qu'il a un joli nom, il pense que le sien n'a rien à lui envier. Mais ça, il ne sait pas s'il oserait l'avouer. Son odeur, par contre, il l'avait bien sûr reconnu et hoche de la tête pour acquiescer. Maintenant qu'il y pense, il se demande s'il se serait davantage méfié si elle avait appartenu à un autre Clan. Enfin, 'méfié'... Comme il peut être méfiant, c'est-à-dire pas grand chose.

« Oh, euh... Ce-Ce n'est pas contre toi, c'est juste que... Que je ne suis pas très cou-courageux de manière générale. En-En plus je suis assez mauvais en... En combat, alors je n'espère jamais devoir me frotter à un membre d'un Clan... euh... D'un Clan opposé, quoi. »

Mieux vaut qu'il soit honnête. De toute façon, son manque de courage se remarque bien vite en général.

« Mais tu m'as... Mais tu m'as sauvé la vie, et ça... Ça, je l'oublierai jamais. »

Son pelage se réchauffe peu à peu tandis qu'il se détend tout aussi progressivement. Avec la rouquine, il a l'impression qu'il est vraiment en sûreté; qu'elle tiendra parole et qu'elle ne parlera à personne de leur rencontre.

« En temps normal, en plus... Je ne suis pas très à l'aise en territoire ennemi, mais-mais ce n'est pas ta faute. C'est normal, j'imagine qu'on soit nerveux quand on se rend compte que... Qu'on a dépassé nos frontières. Je m'en voudrais d'apporter des ennuis à mon Clan. »

Ah, ça... Souvenir Irréel peut faire beaucoup de fautes, mais jamais il ne voudrait trahir ou décevoir son Clan. Ce serait une déchirure, pour lui, si ça devait arriver.

Spoiler:

Ce n'est pas qu'il a particulièrement peur de la femelle en face de lui. Plutôt, il craint de mal faire les choses et d'ennuyer sa sauveuse. Heureusement, cette dernière semble très compréhensive, lui proposant même de le ramener sur son territoire. Souvenir Irréel s'en voudrait de l'embêter avec ça, mais il mentirait s'il disait que ça ne le rassurait pas un petit peu quand même. Au moins, si une patrouille du Tonnerre tombait sur eux deux plutôt que lui tout seul, sa comparse du jour pourrait lui sortir une excuse plus valable et il éviterait ainsi des ennuis supplémentaires. Enfin 'comparse'... Ce ne serait pas le mot approprié, apparemment. La Sentinelle en rougit un peu, mais la chatte de feu, s'il a bien entendu, l'a considéré comme... comme un ami. Et cette appellation l'honore en même temps qu'elle le touche. Il n'aurait jamais cru qu'un guerrier d'un Clan rival puisse le considérer ainsi, pour tout dire... Les souvenirs du voyage lui reviennent pourtant en mémoire. Ces fourrures et ces odeurs mélangées entre elles pour ne former qu'une... Ce n'était pas une partie de plaisir, ce déplacement, mais le guerrier, s'il a dû quitter son foyer qui lui manque encore, n'avait pas détesté l'absence d'hostilité qui sévissait entre les différents chats. Ils étaient unis et s'entraidaient mutuellement... Nul doute que Forêt de Flamme faisait partie des premières à porter secours aux autres, même s'ils appartenaient à un Clan opposé au sien.

Elle est rassurante, en tout cas. Elle sait qu'il a fait une erreur et qu'il a l'air bien ridicule, à avoir peur ainsi. Pour autant, elle n'est nullement condescendante et semble pardonner sa maladresse alors qu'il lui doit la vie. Alors qu'il mériterait de se faire taper dessus pour se mettre en pareil danger et pour impliquer autrui dans ses ennuis. Il s'attendait désormais, maintenant que l'incident était passé, à ce qu'elle le reconduise chez lui, pour revenir elle-même sur ses propres territoires. Néanmoins, c'est une autre proposition qu'elle lui fait. Une proposition qui le surprend, mais qui ne sonne pas faux à ses oreilles. Il esquisse même un très léger sourire qu'il n'arrive pas à contrôler. Si vraiment elle le traite en 'ami', alors... pourquoi pas ?

« Je... Je ne voudrais pas priver ton Clan de toi, mais... Tu as du temps libre, là ?.. Parce que dans ce cas, aller sur les Terres Libres m'irait tout à fait. »

Il prie le Clan des Etoiles pour ne pas avoir mal compris ce qu'elle voulait dire, mais si elle désire continuer un peu leur discussion pour apprendre à mieux se connaître, il n'a aucune raison de refuser. Cependant, alors qu'il sent son pelage commencer à sécher, un détail le trouble tout à coup.

« Oh... Mais il faut que je camoufle peut-être un peu mon odeur, avant ça. »

Alors qu'il réfléchit, son regard se porte sur la rivière. L'eau ne masquerait probablement pas complètement son odeur. Il décide d'y aller à l'instinct, et commence à ramener un peu d'eau sur la berge avec sa patte pour mouiller la terre et en faire une sorte de boue. Puis, il essaye de s'entourer de celle-ci, l'appliquant avec ses pattes et s'enroulant dedans. Il ignore si ça suffira, mais ça sera déjà ça de fait. Bien sûr qu'il fait confiance à la guerrière du Tonnerre pour ne rien dévoiler de leur échange, car il sent, effectivement, qu'elle restera muette, mais sa parole ne peut masquer le parfum de la Lune et quand bien même elle raconterait des bobards pour expliquer les relents de son Clan sur le territoire du Tonnerre, il sait que ça ne reste pas agréable de voir mentir aux siens. Lui-même déteste ça, mais quand il n'a pas le choix, il doit bien se forcer. Et quand il est déterminé, il peut d'ailleurs être malheureusement pour lui très convaincant.

« J'espère que ça suffira... Enfin. Je-Je suis prêt ! On peut y aller. »

Il était gêné d'avoir fait attendre son... amie -même si le terme était encore étrange pour lui bien que ça ne lui déplaisait pas- mais il s'en aurait voulu de ne pas avoir fait au moins le minimum pour se camoufler. Quand ils seront sur les Terres Libres, il pourra se nettoyer un petit peu. Alors, quand ils sont assurés que la voie est libre et qu'aucune patrouille ne surveille le coin, ils quittent le terrain où a eu lieu le sauvetage. Souvenir Irréel reste quand même très prudent, mais il fait confiance à Forêt de Flammes ; la guerrière sait ce qu'elle fait. Quand il est sûr qu'ils commencent à quitter peu à peu le territoire du Clan de la rouquine, le mâle crème ose commencer un peu la conversation.

« Alors... Euh... Tu te plais, au Clan du Tonnerre ? Tu y es depuis toujours ? Tu sembles être une guerrière vraiment aguerrie. »

Maladroit socialement comme il est, cependant, il se met à avoir honte de ses questions un peu bêtes mais n'ose pas s'excuser à cause de son manque de charisme de peur qu'elle ne s'énerve.

Souvenir Irréel se permet un léger sourire attendri par la détermination de l'autre. Evidemment, il ne s'attendait pas tellement à une autre réponse, mais tant mieux si la femelle est heureuse au sein de son Clan. En même temps, elle a l'air d'être pleine d'enthousiasme et de porter une réelle affection pour les siens. Normal, venant d'une guerrière digne de ce nom, mais il a d'autant plus de respect pour elle alors, car aussi loyale est-elle, Forêt de Flammes l'a quand même sauvé, lui un membre d'un Clan rival. Elle n'a pas hésité, en plus, quand elle l'a remarqué. Quand il y pense, la Sentinelle, en vérité, n'aurait pas imaginé faire autrement lui-même, mais tout de même... Tous les chats ne sont pas aussi généreux, et il peut comprendre en même temps la réticence de certains (même si un petit coup de patte à autrui ne peut pas faire de mal, mais c'est juste son avis). Il espère de toute façon pour chaque Clan qu'ils ne soient composés que de guerriers fidèles. Lui-même n'oserait pas imaginer une seule seconde qu'un des chats qu'il cotoie tous les jours ne puissent pas être dévoué à la Lune. Il craint pourtant qu'une nouvelle guerre contre les Etoiles Noires reprennent, mais c'est une période révolue, désormais, non ?.. Les Clans ont appris de cette bataille sanglante et dévastatrice, du moins, Souvenir le pense.

« Euh... Je-Je... M-Moi aussi, je suis né dans le Clan de la Lune, et je serais prêt à donner ma vie pour lui. »

Sa question retournée l'avait pris au dépourvu, mais il est pourtant intérieurement empli d'une volonté semblable à celle de sa camarade. Il n'est certes pas le plus courageux, mais il peut affronter n'importe quel danger au nom des Etoiles et de la Lune. Il sait qu'il se lancerait dans la bataille, s'il le devait. Cela lui était déjà arrivé, d'hésiter avant de se lancer au combat. L'angoisse qui forme un nœud dans son estomac, les pattes qui tremblent, la fourrure qui se dresse... Les guerres ne sont vraiment pas une partie de plaisir, loin de là. En même temps, le contraire serait étonnant. Qui aime faire du mal aussi gratuitement ? Défendre les siens, oui, mais blesser les autres pour le plaisir... Brrr. Il n'y a que les Etoiles Noires qui étaient capables d'une telle cruauté, aux yeux de Souvenir. Même s'il sait que derrière chaque Etoile Noire, il y avait eu un chat ordinaire autrefois. Les Etoiles Noires... Repenser à cette bataille lui rappelle tout à coup comment étaient son ancien foyer. En arpentant le sentier jusqu'aux territoires libres, son regard s'est mis à divaguer un peu partout, et quand il scrute l'environnent qui les entoure, des flashs apparaissent à lui. Des souvenirs de son passé qui volent devant son regard, et lui font perdre un peu de son expression joviale.

« Mais... Mais des fois je... Je suis nostalgique de nos anciennes terres. Cerfblanc me manque. »

C'est un sourire cette fois triste qui s'est dessiné sur ses lèvres. Il n'aime pas être aussi nostalgique, mais quand sa mémoire veut lui remettre en vision ce qu'il a tant aimé, ça peut lui être douloureux. Il sait pourtant que, s'ils ont dû quitter leurs terres, c'est qu'il y avait une très bonne raison à cela. Mais les ancêtres les ont guidé à Valeemar, comme promis, et ils y sont désormais chez eux. Un endroit auquel Souvenir ne s'est pas habitué rapidement, mais qui est à présent un endroit qu'il ne quitterait pas de sitôt. Il repense seulement parfois à son père, resté à Cerfblanc pour s'occuper de ceux qui ne pouvaient pas faire le voyage.

« C'est... C'est bizarre, hein ?.. Je veux dire... Je suis heureux que nous soyons arrivé à Valeemar. Très heureux, même, et je... Je ne vais pas me plaindre. Il y a peu de monde qui regrette vraiment, je crois... Et-Et c'est normal. »

Oh, il remercie leurs ancêtres de les avoir porté sur un terrain aussi prospère et empli de promesses. Mais rien ne remplacera pour lui la candeur et l'innocence qu'il avait quand il était chaton, ainsi que les moments où il était heureux. Les moments en compagnie de son père, de sa mère... Cette mère qui s'est sacrifiée pour le protéger. Quelque part, pour elle aussi, il se fait un devoir de mémoire. Pas question d'oublier le geste qu'elle a fait pour lui. Pour sa génitrice, il aime Valeemar mais gardera précieusement en tête tout ce qu'il a conservé de Cerfblanc.

« Mais encore aujourd'hui, je... Je me souviens de... de chaque recoin, chaque arbre qui peuplait le territoire de la Lune. »

Peut-être aussi qu'il se souvient de son entraînement en tant qu'apprenti, à ses débuts, où il essayait de poursuivre les proies à travers la forêt. La nourriture qu'il mange ici est la même que là-bas, à n'en point douter, mais il y aura toujours cette impression que quelque chose est pourtant différent, en bien ou en mal. Ou alors peut-être est-ce aussi la lenteur du guerrier bicolore pour s'adapter à ce qui est nouveau, s'adapter au changement, car parfois il est inévitable, et même nécessaire. Il se demande parfois s'il est le seul à ressentir de la nostalgie envers leur forêt d'autrefois. Curieux, son attention se tourne de nouveau vers Forêt de Flammes tandis qu'ils marchent toujours.

« Est-ce que... Est-ce que ça te fait ça, à toi aussi ? »

Est-elle comme lui ? Ou alors a-t-elle été de ceux et celles qui se sont vite fait à leurs nouveaux territoires promis ? Quelle chance, se dit le guerrier, qui aimerait bien être aussi rapide que certains de ses compagnons pour se faire aux idées nouvelles.

Il y a des fois où Souvenir Irréel parle un peu trop. Naïf et maladroit, il ne le remarque pas tout de suite, parfois. Mais ses mots, sans qu'il ne s'en rendre compte, peuvent atteindre ses camarades inconsciemment d'une façon qu'il ne voulait pas ou n'aurait même jamais imaginé. Il pensait dire des banalités, en somme. Oui, bien sûr qu'il y a des félins qui regrettent leurs anciens territoires et d'autres qui sont très bien là où ils sont. Souvenir avait même plutôt rencontré au sein de son propre Clan des chats qui ne pensaient plus du tout à Cerfblanc. Il faut dire que le Clan des Etoiles leur avait tendu Valeemar comme une terre promise, et c'est un peu en effet ce que c'est devenu. Alors lorsqu'il relève la tête vers Forêt de Flammes pour apercevoir une expression de tristesse qu'elle semblait dissimuler, son sourire rêveur et perdu disparaît aussitôt. Surpris et soudainement inquiet, il se rapproche un peu. S'il veut demander ce qui lui arrive tout à coup, il n'en a pas le loisir puisque la chatte du Tonnerre le devance, les larmes aux yeux. De la peine mêlée à de la colère foudroie la rouquine qui lui parle tout à coup de ce qu'elle a laissé dans leurs anciens territoires. Le Luneux reste interdit devant une telle confession, lui qui n'aurait jamais pensé que Forêt de Flammes puisse garder en elle une si grande souffrance. Celle de perdre un être cher. Celle que Souvenir Irréel connaît bien pour l'avoir lui-même enduré. Mais le fait qu'il puisse connaître un deuil semblable n'écarte pas évidemment que la femelle rousse ait pu vivre très difficilement cette perte. Et le mâle bicolore ressent comme une tornade les émotions de sa comparse qui sont aussi vives que encore récentes. Après tout, quand on y pense, et lorsqu'on y a perdu quelque chose ou quelqu'un, le voyage ne date pas d'il y a si longtemps.

« Je... Je suis désolé... Je-Je ne voulais pas... »

Confus et embarrassé d'avoir ravivé à sa nouvelle amie des souvenirs qui sont loin d'être bons, il baisse le regard, mal à l'aise. Son but n'était pas de la ramener à un passé douloureux, seulement de partager avec un autre chat des récits du bon vieux temps. Après tout, s'il peut savoir pour certains de son Clan leur ressenti par rapport à leurs terres d'origine, il ignore comment les autres des Clans rivaux ont pu avancer après ce qui leur était arrivé à tous.

« Non... Non, bien sûr, tu n'es pas la seule. J'imagine que ce n'est aisé pour personne, après tout... Le voyage a été rude, et la bataille qui l'a précédé l'a été encore plus. »

Il en garde lui-même des cicatrices physiques mais surtout émotionnelles.

« Je comprends ce que tu ressens. Ma mère est morte contre les Etoiles Noires, et mon père est resté à Cerfblanc pour veiller sur ceux qui n'ont pas pu faire le déplacement jusqu'ici. Ils me manquent beaucoup. »

Les images lui reviennent parfois comme s'il les revivait entièrement. Quand il n'arrive pas à trouver le sommeil, la nuit, cela veut généralement dire qu'il a encore rêvé de sa mère. Aah... Qu'il aimerait être guérisseur parfois pour communiquer avec ses ancêtres et surtout les proches qu'il avait perdu. Peut-être même que son père avait rejoint le Clan des Etoiles, à l'heure qu'il est. Calmement, il saute sur un tronc couché avant d'enrouler sa queue autour de ses pattes d'un air distrait. Il observe sa camarade avec un air à la fois curieux et peiné pour elle.

« Mais ta sœur... Pourquoi elle ne te parle plus ? »

Il n'en a pas, de sœur. Il ignore le lien qui peut unir une fratrie, mais il n'est pas bête au point de penser que toutes les relations familiales sont fusionnelles. Au contraire, les familles peuvent s'aimer en harmonie ou se déchirer complètement dans un chaos monstre. Heureusement, lui, n'a jamais eu de problème particulier de ce côté, car il a eu la chance d'être aimé de ses deux parents et de bien s'entendre avec les chatons de son âge. Il faut dire qu'il s'était toujours fait discret, refusant de chercher des noises à qui que ce soit. Il préférait largement jouer, mais quand ils imitaient des guerriers en plein combat, c'était toujours lui qui faisait le guerrier ennemi. Cela ne le dérangeait nullement, toutefois, ou du moins, c'est ce qu'il aime se répéter. Au fond, de temps à autre, une part de lui rêvait d'être aussi victorieux et d'avoir autant de bravoure que ses camarades. Mais sa lâcheté avait toujours pris le dessus.

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