Fantôme du passé | ft. Nuage d'Orage

Fantôme du passé

ft Foudre Noire

Une énième nuit où Nuage d’Orage ne parvenait pas à trouver le sommeil. Depuis son baptême d’apprenti, il lui semblait que les sources d’inquiétude et de réflexion ne cessaient de s’accroître. Les disparitions répétées de son mentor, l’enlèvement des chatons, son face-à-face avec l’apprentie luneuse qui lui laissait un arrière goût amer, sa rencontre étrange avec la guerrière venteuse. Le novice poussa un long soupir. Il avait attendu le début de son apprentissage avec impatience et il adorait découvrir son territoire, apprendre les techniques de chasse ou de combat, sa curiosité insatiable demandant toujours plus de savoirs et de connaissances. Pourtant, parfois, il regrettait les nuits paisibles dans la pouponnière, pressé contre le ventre de sa mère, réconforté par la chaleur de son frère et sa sœur.
Résigné à passer une nouvelle nuit blanche, Nuage d’Orage se redressa sans un bruit et, non sans un dernier regard sur les corps endormis de Nuage d’Ange et Chaos des Nuages, se glissa hors de la tanière des apprentis. Il leva le museau vers la Toison Argentée, qu’il apercevait au travers du feuillage épais des arbres. La nuit était calme et froide, la nouvelle saison n’ayant pas encore fini de chasser la fraîcheur de la saison des feuilles mortes. Le matou au pelage immaculé s’ébroua afin de se réchauffer un peu, son museau lâchant un petit nuage de condensation à chaque expiration. Il s’amuse de ce phénomène une fois, deux fois, trois fois, retenant sa respiration puis expirant plus fort, un petit sourire amusé s’agrandissant chaque fois un peu plus que le nuage s’épaississait. Puis la brume disparut, les gouttelettes de condensation se fondant dans l’air nocturne, et son rictus retomba. Il resta ainsi assis au centre de la clairière pendant un petit moment, perdu dans ses pensées, ne prêtant aucune attention aux quelques mouvements autour de lui: une patrouille qui rentrait, le garde du camp qui se dégourdissait les pattes à l’entre du camp. Le jeune chat repensa à son frère et sa sœur endormi dans la tanière des apprentis, leur chaleur n’attendant que de le réchauffer et l’aider à trouver le sommeil. Il savait qu’il avait de la chance de pouvoir vivre son apprentissage aux côtés de sa fratrie. Certains ne connaîtraient jamais ce sentiment de s’endormir aux côtés de ses adelphes, bercé par leur présence rassurante. Son esprit se tourna aussitôt vers la guerrière du clan du Vent. Il revoyait l’incompréhension, la douleur et l’espoir qui avait brillé dans les prunelles noisettes de la femelle lorsqu’elle l’avait appelé par son nom. Son nom de chaton certes, mais son nom quand même. Il ne connaissait rien d’elle, pas même comment elle s’appelait. Pourtant, il se sentait comme lié à elle d’une façon ou d’une autre. Pas par un lien psychique ou autre, pas du tout. Plus comme s’il… sentait qu’il pouvait l’aider à accepter la mort de ce frère qu’elle semblait encore pleurer.
Ses pattes se redressèrent d’elles-mêmes et se mirent à le guider hors du camp. Il salua Tâches de Faon, en poste à l’entrée du camp et prétexta utiliser son insomnie pour aller chasser un peu. Aussitôt, une pointe de culpabilité lui titilla le cœur. Il tenta de se rassurer du mieux qu’il pouvait en se disant qu’il ne mentait pas réellement, il comptait vraiment chasser au cours de sa sortie. Il ne trahissait pas son clan, si? Si tu cherches à revoir cette femelle, si, le tança une petite voix, ressemblant étrangement à celle de son père. Il s’immobilisa. Il pouvait encore changé d’avis, faire un tour rapide des terres de l’Ombre à la recherche d’une proie ou deux puis se pelotonner de nouveau dans sa litière et attendre que le sommeil daigne enfin venir le cueillir. Il ne devait rien à cette inconnue, cette charte d’un autre clan qui l’aurait sûrement attaquer pour avoir franchi la frontière du Vent s’il n’avait pas été la copie conforme de son frère disparu. Mais Nuage d’Orage avait toujours été un sensible, faisant parfois preuve de trop d’empathie pour son propre bien. Lui qui se voulait un guerrier fier et redoutable…
Le jeune félin reprit son chemin, espérant que Tonnerre du Lion n’avait pas choisi cette nuit-là pour rencontrer ses camarades du club des Cinq. S’il croisait le matou à l’épais pelage sombre si près du camp, ce dernier, bougon qu’il était, penserait à coup sûr qu’il l’avait de nouveau suivi. L’apprenti leva les yeux au ciel. Comme s’il n’avait que ça à faire.
Il arriva bien vite aux limites des terres du clan de l’Ombre, la rivière menant aux Cinq Rocs s’étirant face à lui, le clapotis de l’eau susurrant à ses oreilles. Le matou à la fourrure de neige marqua une nouvelle hésitation. S’il voulait faire demi-tour, c’était maintenant ou jamais. Il pouvait encore rebrousser chemin, ne pas quitter son territoire, chasser quelques proies et rentrer au camp sans trahir le code du guerrier. De toute façon, qu’elle était la probabilité pour qu’un autre chat soit debout à cette heure tardive de la nuit et se balade sur le lieu des Assemblées? Son esprit sauta sur cette occasion: justement, si les chances de croiser quelqu’un étaient quasi nulles, il ne prenait aucun risque en allant jeter un œil. Il allait juste faire un petit tour puis, voyant que la guerrière adverse ne s’y trouvait pas, ayant probablement déjà oublié son existence, il rentrerait chez lui et pourrait peut-être enfin trouver le sommeil.
Résolu, Nuage d’Orage franchit le cours d’eau et s’enfonça sur les terres neutres, tâchant de rester discret et camouflant du mieux qu’il pouvait son pelage si facilement repérable. Soudain, le fumet du clan du Vent parvient jusqu’à ses narines et ses oreilles pointèrent vers l’avant. L’odeur était trop fraîche et trop présente pour qu’il ne s’agisse seulement que du marquage de la frontière. Non, un membre du clan du Vent se trouvait non loin. Une légère appréhension lui enserra la gorge. Et si ce n’était pas la guerrière inconnue mais un autre chat venteux? Il allait finir par tous les connaître à force de les rencontrer à leur frontière ainsi. Si tu arrêtais de traîner en terrain neutre aussi, peut-être que tu croiserais moins de guerriers ennemis? grogna de nouveau la voix de Truffe de Charbon. Le novice secoua vivement la tête, chassant les sermons de son paternel de sa tête, et s’approcha un peu du lieu d’où l’odeur semblait provenir. Son inquiétude se dissipa peu à peu à mesure qu’il avançait, l’odeur devenant de plus en plus familière. Il l’avait déjà senti, il en était sûr. Et il ne reconnaissait pas celle de Nuage Silencieux, qu’il avait eu le temps de mémoriser au cours de leur jeu au pied des cinq rochers. Alors si ce n’était pas l’apprenti, cela ne pouvait être que le second membre du Vent qu’il avait rencontré. La guerrière éplorée.
Ne voyant aucune silhouette se découpant sous le clair de lune, il comprit qu’elle se cachait quelque part. Était-elle venue à sa rencontre elle aussi? S’était-elle rejoué leur premier face à face depuis? Un léger doute s’empara du jeune chat. Peut-être était-elle là pour une toute autre raison et allait-elle le trouver suspicieux en le voyant de nouveau traîner si près des terres de son clan? Il ne voulais surtout pas créer de problèmes à l’Ombre. Il voulait seulement… aider.
Chassant ses doutes d’un ébrouement, il quitta sa cachette lentement, pas-à-pas, s’efforçant de garder une position détendue pour ne pas paraître menaçant, laissant la lumière nocturne jouer avec sa fourrure immaculée et révéler sa présence.

- Mmm bonsoir? commença-t-il, peu sûr de lui. Je… hum… je sais que tu es là. Je… je t’ai senti. (Il grimaça. Il avait l’impression de sonner comme un psychopathe ainsi. Néanmoins, il poursuivit.) Je ne te veux aucun mal, je suis là en paix.

Il s’assit et enroula sa queue autour de ses pattes, muselant du mieux qu’il pouvait le mélange d’appréhension, de culpabilité et d’excitation qui bouillonnait en lui. Il attendrait un petit moment, voir si la Venteuse oserait sortir de sa cachette. Dans le cas contraire, il rebrousserait chemin et considérerait le silence de la guerrière comme une réponse à ses questions.

Fantômes du passé

ft Foudre Noire

We have it all - Pim Stones

Alors que Nuage d’Orage commençait à penser que la guerrière ne se présenterait jamais, la Venteuse sortit de sa cachette, la fourrure ébouriffée. L’apprenti déglutit, prenant conscience de la situation dans laquelle il se trouvait. Si la chasseuse décidait de l’attaquer, il n’avait aucune chance et aucun soutient. C’est bien de te servir de ta tête, la prochaine fois utilise la avant de te mettre dans le pétrin. S’il y a une prochaine fois.
Étrangement, le félin à la fourrure immaculée ne sentait pas de réel danger de la part de la chatte du Vent. Idiotie ou instinct? Difficile de trancher.

- Salutation Nuage d’Orage, cela fait un moment que je t’attends, commença la tigrée d’une voix profonde.

Alors elle connaissait son nom. Cet énième déséquilibre entre eux mit mal à l’aise l’Ombreux, conscient des nombreux avantages que possédait cette féline dont il ne savait rien, pas même le nom, n’osant pas demander d’informations auprès de ses aînés de l’Ombre de peur d’éveiller les soupçons.

- Je… je m’excuse d’avoir réagi d’une manière étrange à notre dernière rencontre, poursuivit la chasseuse. J’ai été frappé de plein fouet par ta ressemblance frappante avec mon frère… Petit Orage.

Il avait déjà compris qu’elle avait été incapable de le chasser en bonne et due forme lors de leur première rencontre à cause d’une ressemble plus ou moins frappante avec son frère. Mais la douleur avec laquelle l’inconnue prononçait le nom de son adelphe était un véritable crève coeur. A sa place, il ne parviendrait sans doute jamais à se remettre de la disparition de Nuage d’Ange ou Chaos des Nuages. Ils étaient si fusionnel.
La Venteuse se mit à gratter le sol avec frénésie puis les larmes coulèrent de nouveau sur ses joues. Nuage d’Orage ne sût que faire. Son élan spontané était de se rapprocher d’elle pour tenter de la réconforter. Mais, elle restait une guerrière ennemie. Qui sait comment elle pouvait réagir à son contact? Puis il était de l’Ombre, elle du Vent. Sa présence auprès d’elle était déjà un infraction du code du guerrier auquel il tenait tant. Il était généralement sans pitié avec les chats d’autre clan. Mais l’histoire de la chasseuse le touchait plus que de raisons. Peut-être était sa ressemblance avec son frère qui le poussait à croire qu’il devait aider le femelle éplorée? Un félin croyant au clan des Étoiles aurait peut-être dit qu’il était la réincarnation de Petit Orage ou qu’il avait été envoyé sur le frontière du Vent par leurs ancêtres afin d’aider cette guerrière à faire le deuil du défunt.
L’inconnue reprit la parole, mettant fin à son débat intérieur:

- La question va paraître un petit peu… étrange ? Mais… Es-tu sûr d’être né au sein du Clan de l’Ombre ?

Nuage d’Orage écarquilla les yeux, soufflé par le culot de la chatte tigrée. Qu’est-ce qu’elle sous-entendait exactement? Que ses parents n’étaient pas réellement ses vrais parents? Qu’on lui avait menti toute sa vie? Qu’il venait du Vent plutôt que de l’Ombre? Alors quoi? Que l’Ombre était un clan de voleurs de chatons? Ils n’étaient pas ces foutues solitaires, ils valaient mieux que ça!
Puis l’apprenti vit l’espoir dans le regard de la chasseuse et se rappela le chagrin qui était le sien. Ses paroles n’étaient que le résultat d’un espoir un peu fou et légèrement égoïste mais surtout d’une grande confusion. Il s’efforça de se calmer, lissant son poitrail d’un coup de langue avant de secouer la tête.

- Je suis navré mais mon sang et ma loyauté vont au clan de l’Ombre. Je ne peux pas être ton frère.

Il marqua une hésitation puis reprit d’une voix douce:

- Tu connais mon nom mais je ne connais pas le tien? J’aimerai beaucoup t’aider. Peut-être que notre rencontre n’est pas qu’une simple coïncidence?

- Le novice se tança mentalement. Il ne devait rien à cette femelle du Vent. Son père serait sans doute grandement déçu s’il apprenait qu’il faisait ami-ami avec des chats de clan adverse. Mais sa mère lui avait aussi souvent répété de suivre ce que lui disait son cœur. Et ce dernier le poussait en ce moment même à offrir son aide à cette guerrière éplorée, peu importe ses origines.

Fantômes du passé

ft Foudre Noire

Lune 1212

Nuage d’Orage détestait la situation actuelle, pour plusieurs raisons. Premièrement, il avait sciemment choisi de rencontrer une guerrière adverse, ce qui était contraire au code du guerrier qu’il tentait de suivre du mieux qu’il le pouvait. Lui qui voyait les chats des autres clans comme des ennemis dont il devait se méfier il y a peu encore commençait à changer de vision suite à ses nombreuses rencontres. Archange, le solitaire imperturbable qui avait accepté de leur donner un coup de pattes contre la horde. Nuage Silencieux, l’apprenti venteux avec qui il avait échangé une partie de jeu, comme s’ils étaient deux chatons venant d’un même clan. Même la jolie Luneuse au comportement étrange le poussait à s’interroger sur la façon dont il voyait les autres clans. Étaient-ils réellement si différents? A chaque interaction avec eux, Nuage d’Orage était troublé par leurs ressemblances. Ils jouaient, riaient, pleuraient, combattaient et avaient peur, tout comme lui. Avait-il réellement des raisons de les haïr, alors que leur seul différent était d’être nés dans des clans différents? Pouvait-on mépriser quelqu’un parce qu’il était né d’un ventre différent et n’avait pas été nourri au même lait?
Mais ce qui rendait l’apprenti d’autant plus mal à l’aise à cet instant précis était surtout cette impression tenace que, quoiqu’il tente de faire, il ne ferait que blesser davantage la guerrière du Vent.
L’apprenti retint de justesse un léger sourire amusé lorsqu’elle le foudroya du regard alors qu’il lui avait demandé son nom. Foudre Noire, comme le regard qu’elle venait de lui lancer.

La Venteuse se perdit de nouveau dans sa contemplation silencieuse, les yeux brillant de détresse et le cœur du novice se serra. Il serait sûrement dans cet état s’il perdait Nuage d’Ange ou Chaos des Nuages un jour. Ils étaient des piliers au sein du camp, les seuls à ne pas l’accabler de leurs attentes et de leurs espoirs pour lui. Ils étaient simplement là, compagnons de jeux, de chasse, de repas ou de nuit. Un monde sans un de ses adelphes serait simplement … désaxé.
Le matou immaculé était partagé entre son besoin de réconforter la femelle tigrée, son envie de prendre la poudre d’escampette et la certitude qu’elle se porterait mieux si elle ne le croisait plus jamais.
Foudre Noire reprit la parole, d’une voix incertaine et remplie d’une tristesse infinie:

- Petit Orage est… était mon frère. Il est subitement décédé lorsque nous avions 4 lunes, personne n’a jamais pu expliquer pourquoi est-ce que le Clan des Etoiles l'a appelé si tôt. Il était mon unique frère, celui avec qui j’ai partagé mes premières lunes de vie, mon double. Tu lui ressembles comme deux gouttes d’eau : même couleur de pelage, même yeux, même expression, même dans ton odeur de chat de l’ombre, je peux distinguer une effluve familière, ainsi que dans ton nom. Croire à une simple coïncidence…

Même pelage, même yeux, même odeur, même nom. Nuage d’Orage leva les yeux vers le ciel, interrogeant les étoiles de son regard électrique. Était-ce un message de ses ancêtres pour lui prouver leurs existences? Était-il une sorte de… réincarnation de Petit Orage, mort trop tôt sans avoir l’occasion d’expérimenter la vie?
Il se tança mentalement. Il était loin d’être le seul chat blanc aux prunelles orageuses au sein de Valeemar. Il tenait son nom de l’éclat de son regard, une autre mère que la sienne aurait pu s’en être inspirée pour son petit. Quand à son odeur… Le jeune félin reposa ses yeux sur Foudre Noire. Ils n’avaient même pas le même âge, jamais ils n’auraient pu être de la même portée.
La guerrière fit un pas vers lui, son regard noisette brillant de peur, de détresse et d’espoir. Sans la quitter des yeux, Nuage d’Orage avança à son tour, l’interrogeant du regard. Pouvait-il s’approcher plus? Il pouvait peut-être lui apporter le réconfort dont elle avait besoin, cette nuit uniquement. Peut-être qu’après cette rencontre nocturne, la venteuse pourrait aller de l’avant? Mais il ne souhaitait pas la brusquer et empiéter dans son espace sans son approbation.
Il fit un pas supplémentaire, en douceur, la queue basse, ses prunelles aussi vives que le tonnerre ne quittant pas celles de son interlocutrice, lui demandant l’autorisation de s’approcher davantage. Il ne savait que dire. Lui d’habitude si bavard se retrouvait à court de mot. Pour une fois, il allait mettre en œuvre un des enseignements que Mirage des Océans tentait de lui transmettre depuis le début de son apprentissage: un acte vaut plus que milles paroles.