Infiltration chez les grands!

Appel du Loup - Lune 1206

Aaaah enfin. Les pattes lourdes d’une longue matinée de chasse et de surveillance des frontières, Appel du Loup était rentré fourbu. Il avait mal dormi toute la nuit, la faute à ce vent froid qui avait hurlé au dehors. Il avait donc décidé de sortir avant l’aube, n’en pouvant plus de se retourner dans sa litière de mousse, les soupirs endormis de ses camarades et la chaleur de l’abris se faisant étouffante pour son esprit qui tournait en rond sans s’apaiser. La guerre et les derniers évènements avaient encore accentués cette nature agitée et nerveuse qui avaient toujours été la sienne.

Il s’était alors glissé en dehors du camp et avait fait le tour du territoire, marquant les frontières malgré le passage récent d’une patrouille tardive et attrapant quelques maigres proies qui avaient eu le malheur de sortir malgré la météo peu clémente.

Il était donc rentré vers le milieu de la matinée, transi de froid et enfin vaincu par la fatigue. Il avait filé vers la tanière des guerriers en ignorant son ventre qui avait gargouillé lorsqu’il avait déposé son butin de chasse. Son estomac attendrait. Pour le moment, tout ce qui comptait, c’était la mousse si douce dans laquelle son corps s’enfonçait, la douce chaleur qui venait caresser ses muscles noués, et le silence qui s’était abattu dans le lieux-

Jusqu’à ce qu’une exclamation, lancée d’une voix aigue absolument détestable se fasse entendre. Le Loup ouvre à demi un œil, espérant encore que son esprit ne lui joue un tour, et qu’il ait imaginé la voix. Mais non. Là, trônant au milieu des litières désertées par les dormeurs nocturnes se tient une petite boule de poils noirs qui piaille. Ben voilà. Il ne manquait plus que ça pour bien lui gâcher la journée qui venait pourtant de commencer.

Il se retient de justesse de hurler le nom de Clair-Obscur. Bon sang, elle ne peut pas s’occuper de son gamin ? Est-ce qu’elle ne devrait pas être avec lui, à l’allaiter ou il ne sait pas quoi d’autre ? Bon, d’accord, il n’a jamais eu de gosse lui, il n’y connait pas grand-chose. C’est pour ça qu’il est encore indécis quand il se redresse, se sentant obligé de faire quelque chose puisqu’il semble clair que le chaton n’a pas l’intention de sortir de lui-même.

« Réussi quoi ? A réveiller les gens qui essayent de profiter enfin d’un repos bien mérité ? »

Il grogne. Peut-être des paroles pas très adaptées pour un chaton à peine sorti du ventre de sa mère, mais enfin, ce n’est quand même pas son boulot de l’éduquer. Il aimerait pester contre le monde entier à cet instant, mais il n’y a que ce petit être devant lui. Il se penche sur lui, cherchant à l’intimider du regard.

« Bon, tu vas être gentil et aller rejoindre ta maman d’accord ? Ce n’est pas un endroit pour les petits ici. Tu pourras y entrer quand tu seras aussi grand que moi, et pas avant. »

Voilà qui devrait lui accorder la paix pour un nombre assez conséquent de lunes. Il encourage (ou menace, tout est question de point de vue) le chaton à sortir du regard, malgré les bourrasques de vent violent qui sifflent dans le camp.

La boule de poils sombre est restée immobile. Le Loup en se rapprochant peu à peu peut voir les tremblements qui l’agite, les poils dressés, le corps pressé au sol. La peur d’un chaton innocent dans toute sa splendeur. L’idée qu’il est allé trop loin effleure les brumes de son esprit fatigué. Il la repousse d’une pichenette mentale. Un peu de peur ne fera pas de mal au petit. Il pourra aller continuer ses jeux ailleurs, et lui, le Loup, pourra aller se recoucher. Il en a bien besoin. Mais voilà que tout ne se passe pas comme prévu. Alors qu’il menace le petiot du regard, le dominant de toute sa hauteur, celui-ci semble peu à peu reprendre contenance, allant jusqu’à… lui répondre ? Allons bon. Appel du Loup marmonne dans sa barbe, combien Clair Obscure ferait mieux d’éduquer son rejeton plutôt que d’aller chasser. Peut-être que quelques injures se trouvent aussi dans ses marmonnements. Après, tout, il est mal réveillé, on ne peut pas lui en vouloir.

Le guerrier blanc et sombre jette un coup d’œil au dehors, dépité de la négation franche de Patte Glacée. Il cherche Bulle d’Océan du regard, où n’importe qui d’autre qui pourrait prendre le chaton en charge et l’emmener ailleurs, peu importe tant que lui-même peut aller se rendormir. Il doit l’admettre, les sifflements du vent et les débris végétaux qui tournent avec violence dans la clairière ne donneraient envie de poser une patte dehors à personne. Il n’est même pas certain que Patte Glacée, haut comme trois pommes ne risquerait pas de s’envoler. Pas qu’il en sache grand-chose. Il n’a jamais eu de chaton à s’occuper, et n’a aucune idée de ce que ça pèse ces bêtes-là.

Face à la résistance du chaton et de celle de la météo, Appel du Loup, fatigué, capitule bien vite.

« Bon tu peux visiter, mais en tous cas, pas de bruit hein ? Si j’entends quoi que ce soit, je te balance dehors moi-même par la peau des fesses, compris ? »

Il se dit que de toutes manières, Patte Glacée se rendra vite compte du peu d’intérêt qu’offre la tanière des guerriers, grotte froide formées par les rochers et renforcée par des branchages. Le sol est tapissé des tanières de mousse placées par chacun, et voilà. Avec un peu de chances, le chaton y trouvera peu d’amusement et sortiras tout seul.

Avec un bâillement excessif, Appel du Loup retourne sur son couchage, bien décidé à ignorer la bestiole qui l’a dérangé.

Il a retassé sa litière afin d’en faire un matelas bien confortable est s’est résolument roulé en boule, bien décidé à reprendre son sommeil. Il ne tarde en effet pas à le rattraper, tombant dans un état de demi-conscience, son esprit passant à moitié dans le domaine des rêves tandis qu’une de ses oreilles reste attentive aux bruissements émis par le chaton qui joue dans les litières.

Joue dans les litières… ? Pourtant, le bruit de mousse caractéristique ne se fait bientôt plus entendre. Ouvrant discrètement à demi un œil, le guerrier gris aperçoit Patte Glacée qui se rapproche prudemment. Il retient un râlement. Vraiment, ce truc n’avait pas une capacité de concentration plus élevée que celle d’une souris. Mais il referme les yeux, docile. Voyons jusqu’à où allait aller le gamin… Après tout, Appel du Loup ne pouvait qu’admirer sa bravoure qui frôlait la bêtise. Il n’était pas sans ignorer que dans ses mauvais jours, même la plupart des guerriers prenaient soin de l’éviter. Alors qu’une petite boule de poils ignore à ce point ses menaces… C’en était presque rafraîchissant.

Voyons jusqu’où il sera capable d’aller, se dit le Loup. Il sent presque la respiration du chaton sur son museau à présent. S’il ouvrait les yeux là tout de suite, il sait qu’il se retrouverait directement en face du petit. Bien que cela le tente, se serait-trop facile. Peut-être qu’il peut s’amuser un peu lui aussi. Profitant de la proximité du chaton avec sa tête, il en profite pour lui donner une pichenette de la queue sur le côté, avant de la reranger aussi sec, feignant toujours d’être plongé dans un sommeil profond.

Le loup se surprend à devoir retenir à grand peine un rire qui l’aurait trahi lorsque Patte Glacée recule d’un grand bond et émettant un cri effrayé. Heureusement, Appel du Loup avait de l’entraînement grâce à ses nombreuses lunes de taciturnité qui étaient devenues sa vie, et il réussi sans trop de mal à faire durer l’illusion, veillant à respirer profondément comme s’il était toujours plongé dans un sommeil sans vague. La tanière est redevenue silencieuse, il en déduit donc que le chaton a reporté son attention sur lui et qu’il n’a pas compris la supercherie. Il reste donc parfaitement immobile, les yeux fermés, jusqu’à ce qu’il puisse sentir que le gamin est là, tout près de son museau. Il doit être sûr de sa mauvaise blague à présent… Le Loup attend, jusqu’à ce qu’il puisse sentir la respiration du petit sur son museau, tout près.

Et il ouvre les yeux. Sa bouche s’est étirée dans le même temps en un sourire moqueur. Au fond, il est bien content de lui aussi le Loup. Il observe pendant un instant sans bouger le chaton qui est resté dans son imitation de position du chasseur. Se relevant lentement, il laisse un air prédateur s’installer sur son visage. Le chaton a voulu jouer, et voilà que le Loup se prend au jeu.

« Alors comme ça, tu me prends pour une proie ? »

Il se penche vers le chaton, jusqu’à lui murmurer dans l’oreille.

« Pas de bol, ici le chasseur c’est moi. »

Ah, le voilà bien fier de lui. Mais est-ce que cela aura suffit à faire assez peur à Patte Glacée pour le faire détaler ? Est-ce que le Loup a vraiment envie de se retrouver seul dans la tanière à présent ? Il est totalement réveillé de toute façon… Avisant la position de Patte Glacée, il pose une patte hésitante sur lui, l’invitant à abaisser son arrière-train.

« Tu risque de te retrouver les quatre pattes en l’air avant d’attraper quoi que ce soit, à te trémousser comme ça. L’important, c’est d’abaisser ton centre de gravité, tout en pouvant te déplacer discrètement sans que tes mouvements soient entravés. Tu… »

Il se stoppe. A quoi joue-t-il ? Le gamin ne doit même pas être assez grand pour comprendre ce qu’il dit. Il paraît tellement frêle, le Loup est quasiment sûr qu’il perdrait en combat face à une souris un peu dodue. Il secoue la tête.

« Laisse tomber. »