L'oiseau en cage rêvera des nuages [PV Etoile Ailée]

« Nobles ancêtres, je vous remercie pour cette prise qui servira à nourrir mon Clan. »

Les paupières closes durant sa prière, il les rouvre quand même pour enterrer sa proie dans le sol afin de venir la rechercher plus tard. Il ne s'inquiète pas pour la retrouver puisqu'il sait toujours où elles se trouvent. Mais le mulot qu'il a attrapé est si petit... Minuscule, même. Il ne nourrirait probablement même pas un chaton. C'est pourtant tout ce qu'il a trouvé de mieux depuis cette aprés-midi. Il a tenté sa chance ce matin, mais un autre rongeur lui était passé sous le nez. Il ne peut que prendre son mal en patience en attendant que la saison leur soit plus favorable. Ce n'est certainement pas lui qui saurait débusquer les meilleures proies, même s'il se rappelle de chaque tanière de souris qu'il a croisé. C'est parfois en revenant vers ces dernières qu'il arrive à débusquer le gibier, mais ce n'est pas sa technique préférée : il la trouve un peu lâche. Toutefois, le bien des siens est plus important que sa morale, alors il ne rechigne pas à utiliser les pires ruses dans ce cas-là.
Un mouvement lui fait bouger les oreilles, toutefois. D'un coup brusque, il détourne la tête pour regarder vers le ciel, ou plutôt à la branche haute d'un arbre. Un rossignol y chante comme si de rien n'était. Souvenir Irréel y aurait vu une potentielle proie supplémentaire à ramener au camp, s'il avait été un peu plus concentré. Mais, distrait, il ne voit plus qu'un chanteur qui s'essaye aux vocalises. Ses piaillements lui rappellent un peu trop bien ceux qu'ils pouvaient entendre à Cerfblanc, dans la forêt qu'il a tant chéri mais qui est inhabitable pour eux aujourd'hui. Des réminiscences lui reviennent, parfois. Lui, parcourant la forêt en laissant les feuilles mortes voler sur son passage alors qu'il courre à perdre haleine pour espérer avoir ce maudit camganol. Très souvent, et peut-être trop souvent, il aimerait bien voler comme les oiseaux. S'il avait des ailes, il pourrait les attraper plus facilement. Il pourrait poursuivre les gros rapaces dans les airs pour tenter de sauver des chats condamnés à être de la chair à charogne. Il pourrait revenir à Cerfblanc en un rien de temps, revoir son père, et possiblement, peut-être... Ramener tous ceux qui voudraient découvrir Valeemar.

Il pourrait... Il pourrait suivre cet oiseau. Ce rossignol qui a attiré son attention se met à battre des ailes pour s'envoler de nouveau, quittant la branche sur laquelle il était si bien. D'instinct, comme si ses pattes parlaient pour lui, il bondit au quart de tour pour suivre l'animal à plumes. Cela lui rappelle quand il était plus jeune et qu'il rêvait déjà de toucher la Toison Argentée avec ses pattes.
Mais tout à coup, le rossignol s'arrête sur une autre branche, plus basse cette fois. Il est à portée, se dit Souvenir Irréel, qui commence à le considérer comme, éventuellement, une prise à ramener pour ne pas repartir qu'avec un petit rongeur de rien du tout. Alors il se met à grimper à l'arbre, lentement mais sûrement, et en essayant d'être le plus discret possible. Ce n'est pas son genre, d'être une brute, de toute façon. Toujours plus ou moins effacé, il sait se faire silencieux, quand il veut. Il grimpe donc, encore et encore, jusqu'à parvenir à la fameuse branche sur laquelle il tient en équilibre, jouant de sa queue pour ne pas tomber, aussi maladroit soit-il. Quand il est concentré, il peut se révéler habile. Mais plutôt que de sauter sur l'oiseau, finalement, il se laisse bercer par son chant et s'assied calmement, se demandant s'il ne pourrait pas juste attendre encore un petit peu avant de le tuer. Il n'a même pas remarqué qu'il était au bord du frontière de son territoire et de celui du Clan de l'Ombre.

Les patrouilles étaient formées, les frontières étaient bien délimitées, la pile de proies était remplie. Une belle journée se profilait ce jour là. Tôt le matin, les tâches étaient déjà accomplies ou assignées, et ce fut avec joie que je m'étirai sur l'arbre tordu nous servant de promontoire, étirements signifiants le travail bien fait et le repos qui s'annonçait. Mais se reposer, j'avais déjà fait ça toute la nuit. Là, c'était du temps libre qui s'offrait à moi, et mes pattes me démangeaient horriblement. Courir, explorer ces nouveaux territoires. Du haut de mon perchoir, le vent dans la fourrure me titillait. J'aurais peut - être du naître en tant qu'enfant du Vent ? Mais je ne regrettais à aucun moment d'être membre du Clan de l'Ombre. Après tout, mon amour de la vitesse et de la grimpette dans ce camp plus furtif et discret me rendait unique, et cela ne me déplaisait nullement. En parlant de grimpette, c'était l'activité qui m'appelait. Escalader les pins et courir de branches basses en branches basses, foulant l'air bien au dessus du sol, tel un oiseau. Dans ses moments, je ne faisais qu'un avec mon nom, enfin mon demi - nom. Ailé, aile. Je me demandais comment serait ma vie si j'en avais été pourvue. La liberté serait encore plu grande, la vitesse encore plus grisante...

Mais même durant mon envol dans les pinèdes de l'Ombre, je restais consciente de ce qui m'entourait. Et là, une odeur clairement non ombreuse s'était rajoutée au scénario. Le rythme baissa, et ma gueule s'entrouvrit pour identifier l'endroit du fumet, puis surtout je montais un peu plus haut dans l'arbre pour voir où j'en étais sur mon territoire. Les sapins s'espaçaient, et l'écoulement du ruisseau était audible une fois que le vent de la course ne m'assourdissait plus les oreilles. Le territoire était neutre, chemin sacré pour rejoindre les Cristaux de Lune. Je n'avais donc aucune raison de disputer l'étranger, mais mon devoir de chef me dictait de devoir le surveiller, pour être sûre qu'il ne s'aventure pas plus loin, ou pour surprendre un rendez - vous secret dans le pire des cas.

Perchée plus haut que lui, je me couchai sur ma branche, posée sur un arbre voisin du sien. Assis sur une autre branche que l'oiseau, le félin doré fixait sa proie, sans envie de manger dans son regard. Il admirait juste le spectacle, que je cassai sans gêne.

" Oh, un oiseau de la Lune, je ne pensais pas que j'allais en croiser un aujourd'hui. C'est rare en cette saison. "

Mon intervention effraya l'oiseau qui s'envola. Oiseau de la Lune, le volatile venait de ce territoire, donc il pouvait être celui dont je parlais. Mais mon allusion était bien pour le chat sur sa branche, amoureux des hauteurs comme moi qui sait ?

" Oh pardon, je ne voulais pas le faire fuir. Mais je ne voulais pas non plus laisser partir un autre félin arboricole. " dis - je avec humour.

Il semble si fragile, cet oiseau. Quand la Sentinelle le regarde de plus près, il oublie qu'un seul coup de sa mâchoire pourrait lui faire perdre la vie en un instant. Mais ses pensées sont ailleurs. Il est là pour chasser, mais la contemplation qui s'offre à lui le saisit davantage, le rendant immobile. Couché sur sa branche, il regarde le rossignol nettoyer ses belles plumes jaunes et bleues. Souvenir trouve ça un peu dommage qu'il n'y ait pas des chats au pelage de couleurs similaires, il trouve ça assez joli. Mais il se rappelle alors que ce ne serait pas l'idéal pour chasser, et que si les félins ont des fourrures comme les leur, c'est pour mieux se confondre dans la nature sauvage, tandis que les oiseaux, eux, peuvent bien être bleus puisqu'ils arpentent un ciel de même couleur. Un ciel de même couleur... Bientôt, cet oiseau s'envolera pour aller voir d'autres horizons. Il le peut, lui. Il a des ailes pour voler, et des pattes pour marcher. Alors il fait comme bon lui chante, du moment qu'il arrive à éviter les prédateurs. Mais bon, le guerrier de la Lune doit bien faire un choix, un moment donné. Et son Clan n'attend pas, après tout. Quoique c'est la saison des feuilles nouvelles, alors les proies, il y en aura d'autres, se dit le mâle bicolore. Avant qu'il n'ait pu y réfléchir plus, cependant, une voix lui parvient et le faire sursauter, en même temps que l'oiseau qu'il fixait qu'il regarde prendre son envol pour s'éloigner. Sous le coup de la surprise, Souvenir manque de tomber de son perchoir, mais se rattrape de justesse en plongeant ses griffes dans l'écorce de sa branche. Ses pattes arrières pendouillant dans le vide, il tremble légèrement, ne s'étant pas attendu à être interpellé de façon si brutal. Mais s'il faisait plus attention à son entourage, ça ne serait pas arrivé. Le cœur battant, il remonte sur la branche en s'y cramponnant bien, avant de tourner le regard de tous les côtés pour apercevoir son interlocutrice. Un hoquet lui échappe en la reconnaissant enfin, installée sur une branche à quelques longueurs de queue de chat.

« Etoile Ailée ! »

Souvenir Irréel prend soudainement peur. Aurait-il franchi des frontières sans le savoir ?.. Mais en penchant la tête en bas, il constate que sa branche à lui ne dépasse, heureusement pas, les frontières de la Lune. Il pousse un léger soupir de soulagement, avant relever ses yeux ambrés en direction de la nouvelle venue.

« B-Bonjour, je... Je... »

Il se sent trembloter un petit peu, tout à coup peu à l'aise face à la présence de l'autre. Il ne sait pas quoi penser de la meneuse de l'Ombre, mais les Chefs en général, quels qu'ils soient, l'intimident assez par l'aura qu'ils dégagent et le respect que Souvenir leur réserve. Ce sont des élus du Clan des Etoiles, après tout, et Souvenir Irréel croit beaucoup au Clan des Etoiles. Il ne sait pas trop quoi dire ou faire devant son aînée, cependant, de peur de s'embarrasser.

« Je-Je vous ai dérangé ?.. Vous-Vous vouliez le chasser, peut-être ?.. »

Maintenant qu'il y pense, il se met à déglutir. Est-ce que... Est-ce qu'elle le voulait ? Lui qui ne pensait pas du tout à le capturer, elle aurait pu très bien sauter dessus, puisqu'il avait la tête ailleurs. Il ne lui en aurait pas voulu, même s'il se serait senti lâche de ne pas avoir profité lui-même de l'occasion. Cela aurait fait une proie en plus, mais la meneuse, si elle n'a pas chassé l'oiseau à sa place, c'est qu'elle avait ses raisons ; car il ne doute pas qu'elle en aurait été très capable.

« Et euh... Ça... Ça veut dire quoi, ar-arboricole ?.. »

Il se sent tout à coup très bête. Lui qui d'habitude retient plutôt bien les mots, il ne croit pas avoir déjà entendu ce terme-là, mais ses paupières clignent maintenant dans un geste curieux, désireux d'en savoir plus.