Surrender the night [Terminé, merci Feufo]

Deux yeux luisent dans la pénombre projetée par la nuit. Dans cette lourdeur obscure, ils semblent à deux diamants, deux ambres polies projetant leurs reflets d'or. La créature est pour le moment immobile, statue de nuit, ombre éphémère. Aux alentours résonnent le chant d'insectes et de grenouilles, les soupirs de félins endormis. Le monde est éteint, tout est effacé et endormi. Elle est seule.

Mélodie des Étoiles se redresse après un long moment. Ses membres endoloris la font souffrir, elle s'étire simplement en élançant ses quatre pattes avant le plus loin possible devant elle, son dos formant une courbe harmonieuse. Personne n'est là pour le voir. La cheffe saute du promontoire sur lequel elle était perchée, parcourt le camp du regard. Tout est désert, tout dort. Sauf les gardes postés à l'entrée du camp, sur la terre ferme la plus proche de l'archipel d'îles de sable. La reine se dirige vers eux, silencieuse. Elle sait qu'elle trouvera là un ami, une oreille attentive, une âme bouillonnante et vivante. Elle sait qu'elle trouvera là Éclat de Rire.

La relation qu'elle entretient avec le guerrier gris est une de celle qu'elle ne pourra jamais décrire. Il y a de ces félins avec qui tout est évident, comme pour Museau Nacré, ou ses chers enfants, Embruns des Anges ou Patte d'Écume. L'amour incommensurable qu'elle leur porte est limpide comme de l'eau de roche. Avec Éclat de Rire, tout est différent, et en même temps si semblable. Si la meneuse devait remonter aux premiers instants où ces deux là s'étaient réellement rapprochés, elle devait revoir le grand voyage. L'apprentissage d'Embruns des Anges. Mélodie des Étoiles, à l'époque lieutenante, ne savait rien d'Éclat de Rire autre que ses côtés égocentriques et belliqueux. Elle n'avait pas totalement eu confiance de voir sa fille confiée à ce malotru... Et avait tout suivit de très près. Lorsqu'elle voyait où cela l'avait menée, elle ne regrettait rien. Éclat de Rire la secondait à présent. Elle voyait ses défauts et ses qualités aussi clairement que si il était son fils. Et elle ne pouvait se cacher qu'au delà de tout cela, elle avait une réelle volonté de le protéger, de lui apprendre. De le voir toujours plus évoluer.

La reine traverse le peu d'eau qui sépare le camp de la terre ferme sans provoquer de remous. L'eau est son élément, nager est un automatisme. Et il lui est tellement agréable de se glisser dans les bras de l'onde... Elle rejoint les deux guerriers de factions, leurs miaule ses salutations. Tapote sur l'épaule d'Éclat de Rire en lui glissant quelques mots à l'oreille.

« Une balade nocturne, ça te tente? »

La reine adresse un hochement de tête au deuxième garde, le remerciant silencieusement pour ses efforts. Puis elle s'éloigne, sachant déjà que le guerrier gris la suivra. Ou non, mais elle ne s'en offusquerait pas. Elle ne désire pas une relation basée sur la hiérarchie entre elle et Éclat de Rire. Elle cherche ce soir un ami auprès de qui elle pourra, pour quelques heures seulement, s'oublier.

Éclat de Rire est un pilier qui jamais ne bouge. Il est sans cesse là, avec son sourire et ses blagues à deux balles habituelles. C'est un chat particulier quand on y pense. Capable de briser le plus lourd des silences, la plus noire des nuits à la seule force de sa voix. Mélodie doute parfois, elle se demande pourquoi elle l'avait finalement choisit lui, et pas un autre. Mais il est évident que la réponse est ici. Elle avait besoin de ce pilier, besoin de cette présence. Elle se sent si petite, seule. Tellement déplace en tant que cheffe. Éclat de Rire est celui qui lui permet de se sentir à nouveau à sa place, qui lui permet de retrouver sa stabilité dans les périodes de doutes. Elle sait qu'ainsi, c'est à tout le clan qu'il apporte plus de stabilité. Lui & elle se complètent.

Ils sont côtes à côtes à présent, elle l'écoute déblatérer ses bêtises. Il sait sûrement ce qu'elle en pense. Elle en pense qu'il a aussi beaucoup de défauts, qu'il devrait moins juger, ou plutôt plus se juger lui même. Mais elle prend tout, elle prend les défauts aussi, elle accepte. Et elle répond comme une mère patiente, sans s'offusquer, comme elle le ferait devant son fils bien aimé.

« Je ne le vois pas comme ennuyant. Simplement différent, différent de toi, ou de moi. Comme nous deux sommes différents. Suis-je ennuyante, Éclat de Rire ? »

Le ton est léger. Elle se sent plus légère. Mais la lourdeur de la nuit est écore là, à l'écraser. C'est comme un mauvais présage qui lui pend au nez. Cette nuit lui rappelle la noirceur des jours à venir, l'annonce de l'arrivée des bipèdes, et les doutes. Sera t-elle capable de protéger son clan? Elle écarte ses pensées à nouveau, tente de garder son esprit entièrement focalisé sur le chartreux qui marche à ses côtés. Elle avait réquisitionné des guerriers pour garder le clan il y a trois jours, Éclat de Rire était-il resté de faction durant toutes les dernières nuits? Elle reconnaissait avoir peut-être abusé en tentant de garder optimale la protection du camp. Mais la pouponnière et la tanière des apprentis étaient remplies, personne ne pouvait se reposer sur ses lauriers...

« Veilles-tu depuis trois jours? Tu m'as l'air épuisé, et ton camarade aussi... Pas étonnant qu'il ne soit pas loquace. Reposes toi demain, je te fais confiance pour nommer d'autres gardes. »

Elle se tait, ne veut plus de ces conversations centrées sur le clan et les responsabilités. Ses pas la mène au bosquet aquatique. Lors de l'arrivée des clans sur les nouvelles terres, ces arbres avaient tous les pieds dans l'eau. Aujourd'hui, avec l'arrivée du beau temps, la rivière s'est retirée plus loin dans les terres, laissant derrière elle quelques flaques pour tout souvenir, et l'arbre centenaire trône, magistral. Mélodie adore ce lieu et les légendes qui l'habite. Soudain, parmi les innombrables racines du plus grand arbre, un mouvement. Une souris grignote tranquillement son repas, rassurée par la noirceur de la nuit. Quand le chat dort, les souris dansent. Mais cette pauvre créature se fourvoie, et elle ne met pas bien longtemps à finir dans la gueule de la reine rousse et blanche. Mélodie des Étoiles remercie silencieusement les étoiles pour ce repas, chose qu'elle s'est remis à faire peu après la grande bataille. Chaque vie avait pris une signification nouvelle pour elle après cette expérience, et chaque victime de la mort devait être respectée. Puis la cheffe se tourna vers son camarade, son butin dans sa gueule.

« Je te mets au défi d'attraper une autre proie avant moi... Et les poissons ne comptent pas, interdiction de courir à la rivière! »

Elle sourit. Elle ne sait plus quand elle avait pour la dernière fois participé à un jeux enfantin de ce genre, mais ça lui fait un bien fou. Et puis elle songe déjà au repas qu'elle et Éclat de Rire pourront s'offrir après...

Éclat de Rire est bien le seul félin qu'elle connaît à pouvoir se montrer si sûr de lui un instant, et si enfantin le suivant. Elle le regarda avec amusement disparaître dans un buisson après de grandes exclamations de joie. Pas sûr que beaucoup de proies soient restées dans les parages après ce raffut... De son côté, elle partit à l'opposé du matou gris et leva la truffe en l'air, espérant repérer quelques fumets de quelconques proies. Malheureusement, la seule piste qu'elle sentit fut celle d'un rat d'eau dont l'odeur était bien trop éventée pour que l'animal fut encore dans les parages. Puis, un mouvement attira son attention. Un éclair de roux sous la lune, à la périphérie de la vision de la reine. Un écureuil perché dans un arbre.

Mélodie des Étoiles saute d'un seul bond sur la branche la plus basse de l'arbre, étendant au maximum la patte pour tenter d'attraper le rongeur. Celui ci se fige, percevant les vibrations de son arbre, mais décide imprudemment d'y rester malgré tout perché. Un dernier bond, pense la femelle, et il est à moi... Elle s'élève encore d'une branche, sachant malgré tout que sa technique est bien trop indiscrète et qu'elle n'arrivera jamais à attraper cette saleté d'écureuil. Mais la prise de conscience est bien trop tardive, et la voilà bien trop au dessus du sol à son goût. Elle a beau chercher l'écureuil au dessus d'elle, celui ci reste invisible. Sûrement s'est-il enfuit. Et c'est à ce moment qu'Éclat de Rire choisit de revenir.

Aux paroles du guerrier, la cheffe suivit Éclat de Rire dans ses esclaffements. Il était tellement comique, avec sa queue de souris pendouillant lamentablement entre ses griffes... Difficile de se retenir, même au vu de la situation précaire de la femelle qui peinait à ne pas penser à combien elle était éloignée du sol. Elle se concentra sur son ami pour oublier ce léger désagrément qui s'offrait à elle.

« Je suis désolé Éclat, mais je ne peux t'accorder cette victoire. Penses-tu que quiconque ait envie de manger cette queue de souris? Personnellement je te la laisse... »

Elle laisse passer un ange, faisant semblant de réfléchir très attentivement à quelque chose. Mais n'importe qui la regarderait bien pourrait voir la malice briller dans ses prunelles.

« Avec de pareilles techniques de chasse, je me demande bien comment tu as pu enseigner un jour quoi que ce soit à Embrun des Anges... Et ce pauvre Nuage Turquoise qui t'a comme mentor! Peut-être ne devrions nous plus te confier d'apprentis dans le futur, qu'en dis tu mon cher Éclat de Rire? »

Elle lui offre le sourire le plus innocent de son répertoire, quoi que celui ci soit un peu taquin. Mais son sourire se fane très vite, lorsqu'elle réalise que le moment est venu pour elle de descendre de son perchoir. Comment est ce qu'on descend d'un arbre? Elle enfonce ses griffes dans l'écorce du tronc, descendant son corps à la verticale et se préparant à sauter. Mais voilà que le sol se met soudainement à tanguer et que la nausée lui monte à la tête... La reine remonte précipitamment sur sa branche, non contente de retrouver la position naturelle de l'horizontal. Si seulement elle avait pensé un instant avant de poursuivre ce maudit écureuil! Bon. Maintenant...?  

« Euh... Éclat de Rire? »

La détresse est percevable dans sa voix, une détresse piteuse qui lui donne bien envie de rire d'un certain côté. Heureusement qu'elle est avec son lieutenant et pas avec un quelconque autre guerrier du clan... Quelle honte! Elle rirait du ridicule de la situation si tout son corps n'était pas occupé à trembler de stress.

« Je... Je crois que je suis bloquée. J'arrive plus à descendre... »

Elle s’est crispée, ramassée sur elle-même. Elle attend le rire tonitruant qui, elle le redoute, ne manquera pas de retentir après son aveu. On parle d’Éclat de Rire tout de même, et Mélodie est bien placée pour savoir que celui-ci ne rate jamais une bonne occasion de se fendre la poire. Mais contrairement à ses craintes, rien ne vient. Rien d’autre qu’un silence pesant qui s’étire encore et encore. La cheffe n’ose pas baisser le regard, peu encline à croiser le regard incrédule de son lieutenant. Enfin, le chartreux prend la parole, faisant reculer le silence et le poids de la nuit.

Ce n’est qu’un arbre, ce n’est qu’un arbre. Elle se répète ces paroles. Oui, un arbre dans lequel elle est perchée, bien trop loin du sol… Elle aperçoit du coin de l’œil le sourire réconfortant que tente de lui offrir Éclat de Rire. Elle écoute ses instructions sans cesser de trembler, elle ne peut à présent plus le cacher. La première étape, si elle voulait se sortir de là, était de se redresser… Avec les griffes sorties, comme le lui intimait le lieutenant. Elle dut pour ce faire utiliser toute sa volonté. Ses pattes, recroquevillées trop longtemps, émirent en se dépliant un craquement qui fit grogner la cheffe. Elle tangua un instant au-dessus du vide, ses griffes profondément plantées sur l’écorce, puis se décida aux prix d’énormes efforts à se jeter le long du tronc. Contrairement à toutes attentes, elle ne tomba pas la tête la première au sol. Ses griffes plantées la maintenaient sans efforts à la verticale, et la descente fut aussi aisée qu’elle fut courte. Mélodie, une fois au sol, pu enfin respirer. Piteuse, elle soupira en lançant un court regard à Éclat de Rire. Ils avaient tous deux parfaitement conscience que sans lui, elle serait encore coincée là-haut. Elle se racla la gorge, les mots qu’elle s’apprêtait à dire la blessant dans sa dignité.

« Merci… De m’avoir aidé. »

La reine passe un rapide coup de langue sur sa fourrure hérissée, enlève un bout d’écorce coincé entre ses griffes. Une fois plus présentable, elle a l’impression d’avoir la situation un peu plus en patte. Elle retrouve peu à peu sa confiance en elle et ses yeux reprenne leur éclat fier et brillant. Elle retourne la tête vers Éclat de Rire. Hors de question que cet épisode ne s’évente.

« Bien entendu, tu ne parles de cela à personne. N’est-ce pas ? Si qui que ce soit l'apprend, tu es mort. »

C’est le rire qui suit, une fois que le stress est passé. Elle sourit à son ami, consciente que ses paroles peuvent paraître bien injustes ou dures. Elles ne sont pas sérieuses. Quoi que... Le doute peut planer.

« J’aurai été dans de beaux draps sans toi. J’ai bien fait de ne pas sortir chasser seule ce soir. Par contre, tu tombes de fatigue mon pauvre… Regardes, tes yeux se ferment. Il est temps d’aller dormir ! »

C'est vrai, 3 nuits de veille ne réussissent guère au matou. Mélodie des Étoiles prendra sa place à l'entrée du camp ce soir. Il faut aussi qu'elle nomme quelqu'un pour remplacer son camarade de garde, mais elle fera l'affaire seule pour le reste de la nuit. Elle se dirige vers là ou sa souris est enterrée. Pourvu qu’elle la retrouve… Ce serait bête de rentrer au camp bredouille après cette histoire.

Fin: