I'll make it up to you. [Ours]

I'll make it up to you. (17) - I never did you right, I know that.

Le cœur encore imprégné de ses retrouvailles avec Nuage de Ronces, l'apprentie de l'Ombre se faufile discrètement à travers les arbres, éclairée seulement par l'astre de nuit qui brille haut dans le ciel. Son esprit est plus confus que jamais ; qu'était cette sensation étrange qui s'était installée dans son ventre pendant tout ce temps passé avec son amie ? Elle n'avait jamais ressenti ça, pas même avec Nuage de Miel qui pourtant occupe une place particulière dans son cœur. Elle se rappelle alors de sa conversation avec Éclair Ambré quelques jours plus tôt et la conclusion de cette réflexion l'effraie: Nuage de Chouettes serait-elle tombée amoureuse de l'apprentie du Vent ? En tout cas, à en juger le comportement de cette dernière, le sentiment est peut-être réciproque. C'est décidé: au prochain rendez-vous, Nuage de Chouettes avouera tout à la féline tricolore. Et puis si elle est rejetée, au moins, l'apprentie n'aura pas à la croiser tous les jours au camp. Mais cette nouvelle rencontre semble lointaine, voire impossible. La novice ne sait pas ce qui l'attend en rentrant au camp après quatre jours d'absence, et elle est persuadée que plus jamais elle ne pourra sortir seule de nouveau.

Elle se demande si son frère est déjà de retour et comment ça s'est passé de son côté. Caresse de l'Aile est-elle revenue au clan de l'Ombre ? Et surtout, dans quelles conditions ? Il n'est pas certain qu'Étoile de Mystère la laisse ressortir un jour elle aussi, et son frère encore moins. La novice soupire, anxieuse de retourner au camp. Sa famille va la maudire. Nuage d'Oiseaux et Nuage des Hymnes mettront du temps à leur pardonner cette fugue, et Flammes Sauvages encore plus. Elle s'était toujours sentie en sécurité avec le clan de l'Ombre, mais désormais dormir seule dans la forêt lui fait moins peur. Elle se prépare déjà aux réprimandes, à la colère de la meneuse d'être partie ainsi. Et comment Poésie des Ours va-t-il réagir, lui aussi ? S'est-il inquiété pour elle ou était-il heureux de ne plus avoir son insupportable apprentie dans les pattes ? Nuage de Chouettes frissonne, s'arrête pour regarder derrière elle. Si elle se dépêche, elle pourrait rejoindre Nuage de Ronces avant qu'elle n'atteigne le clan du Vent. Elle pourrait démarrer une nouvelle vie, loin de tous les problèmes de l'Ombre...

Non. Elle ne peut pas fuir telle une lâche, pas une deuxième fois. Sa famille malgré tout lui manque terriblement et elle ne peut plus rester loin de sa mère et de ses frères et sœurs. Et puis elle a fait une promesse à son père, celle de rentrer au camp pour apaiser les choses et lui permettre de revoir Flammes Sauvages. C'est sur ses pensées que Nuage de Chouettes atteint le camp de l'Ombre en même temps que l'aube se lève ; il lui faut un temps infini pour se résoudre à franchir le tunnel qui la sépare des autres félins. Ici, l'odeur du clan est beaucoup plus forte que dans tout le territoire, et malgré tout ce parfum rassure la novice. Ça sent chez-elle, ce clan qui la rend folle mais l'apaise en même temps. Après ce qui semble une éternité, elle s'engage dans le tunnel et se retrouve en quelques secondes de l'autre côté de la barrière de ronces. Personne ne la remarque, pas encore. La plupart des apprentis sont déjà partis en entraînement et la patrouille matinale a l'air prête à s'en aller elle aussi. Heureusement, Étoile de Mystère n'apparaît nulle part dans son champ de vision pour le moment. Mais son frère non plus. Nuage de Miel n'est pas visible également alors que Reflet des Songes grignote une souris dans un coin. Nuage de Chouettes fronce les sourcils, perplexe. Et puis son regard se pose sur cette fourrure si familière et elle croise le regard qu'elle redoutait tant ; Poésie des Ours la fixe au loin et elle ne parvient pas à déchiffrer l'expression qui se peint sur son visage.

La nuit a été longue – interminable, même. Poésie des Ours en vient à se demander si le soleil se lèvera jamais sur ces terres qui l'ont vu naître. Épuisé, il s'installe à même le sol dans un recoin du camp et laisse son regard vide droit devant lui, aveugle à ce qui l'entoure, ressassant les derniers événements. Sa dispute avec son apprentie puis la fugue de cette dernière, la mort de Nuage Ombrageux, la disparition de Nuage de Miel, l'expédition de recherche pour Caresse de l'Aile... Trop de choses se sont passées en trop peu de temps. Tout va trop vite autour de lui ; parfois, il lui semble qu'il n'a aucun contrôle sur son existence, qu'il n'est qu'une coquille de noix creuse dérivant sur les flots d'une rivière agitée. Alors il soupire et ne peut que se demander s'il a bien fait. S'il était possible de bien faire. A-t-il au moins évité le pire ?

Caresse de l'Aile est revenue. Étoile de Mystère et lui ont eu la chance de la trouver sur les terres du Tonnerre sans encombre et de la ramener chez elle saine et sauve. L'Ours devrait se sentir soulagé, mais quelque chose encore pèse sur sa conscience et il ne sait pas quoi. Avec une pointe d'ironie amère, il songe que c'est sûrement parce que sa sœur est désormais enfermée dans une tanière gardée par ses chers collègues Escadrons. Éclair Ambré est avec elle et il en serait presque jaloux. Mais surtout, il s'inquiète pour Nuage de Chouettes... Cette cervelle de moineau pourrait bien être blessée quelque part. Ou bien avoir décidé de ne pas rentrer au camp, contrairement à son frère. Poésie des Ours brûle de poser des questions à celui-ci, et l'impossibilité de le faire le frustre encore davantage. Il se sent impuissant.

Mais surtout, il regrette. Oh, il regrette tant de choses ! Toutes ses erreurs passées lui semblent abjectes. Le guerrier en devient malade lorsqu'il songe à tout ce qui aurait pu, dû, être évité – à commencer par cette stupide dispute avec Nuage de Chouettes. Comment a-t-il pu lui cracher au visage ces horreurs, déverser sur elle toute cette colère ? Il déteste celui qu'il a été ce jour-là. Cet être étranger rempli d'une rage noire... Ce n'était pas lui. Ce n'est pas lui. Il aimerait convaincre son apprentie de cela. Lui dire qu'il est désolé, lui promettre qu'il se rattrapera, qu'il fera mieux. Et qu'elle avait raison... car comment se voiler la face plus longtemps ? Leur clan n'est plus celui qu'il était, et il doute qu'il pourra l'être à nouveau. Le comportement de sa mère est de plus en plus étrange et inquiétant, même lui doit bien le reconnaître. Il ne peut plus avoir confiance en elle, et cela le peine plus qu'il ne l'imaginait. Il le sait maintenant, avec Caresse de l'Aile enfermée, il ne lui reste plus que Nuage de Chouettes...

Et puis soudain elle est là et il n'en croit pas ses yeux. Son regard posé sur l'entrée du camp rencontre immédiatement sa fine silhouette à la robe tigrée si familière, puis ses yeux interrogateurs lorsqu'elle les tourne vers lui. Il ouvre la bouche, murmurant son nom. Puis la réalisation le frappe de plein fouet et il se dresse d'un bond, avant d'accourir vers elle. « Nuage de Chouettes ! » Cette fois, il a crié assez fort pour alerter tout le clan. Si son apprentie voulait faire une entrée discrète, c'est maintenant raté. Mais pourquoi le voudrait-elle ? Elle est chez elle. « Crotte de souris, mais où étais-tu passée ? Ça fait des heures que ton frère est rentré sans toi ! Des jours que vous êtes partis ! Tu... Tu... » Son museau se fronce et il s'écarte d'elle, soudain gêné. Les mots qui sortent alors de sa gorge sont à peine perceptibles tant il grommelle. « Tu m'as manqué. » Les oreilles rabaissées sur son crâne, il a l'air d'un apprenti pris en faute.

I'll make it up to you. - Can we start over before it's over ?

En quelques secondes, la novice décrypte une sorte de soulagement sur le visage de son mentor. Avant même d'entendre son nom prononcé de vive voix, elle constate la surprise que procure son entrée dans le camp. Nuage de Chouettes baisse les oreilles et tente de cacher son visage, effrayée que tout le clan de l'Ombre ait entendu Poésie des Ours l'appeler. Elle s'attend déjà à voir Flammes Sauvages débarquer, et toute discrétion s'envolerait alors. Pourtant il n'en est rien et seul le matou brun la rejoint, d'un pas rapide voire même d'un pas de course. Nuage de Chouettes baisse automatiquement la tête, prête à recevoir une réprimande, une leçon de moral même. Après tout le guerrier est son mentor, c'est à lui en premier d'inculquer une éducation correcte, pour le coup plutôt ratée, à son apprentie. Mais la novice ne ressent que l'inquiétude et la perplexité dans la voix de Poésie des Ours et sa gêne postérieure montre bien que lui non plus ne s'attendait pas forcément à réagir ainsi. Nuage de Chouettes relève la tête, juste à temps pour entendre un petit « Tu m'as manqué » discrètement susurré. Avec une telle tête, Nuage de Chouettes exploserait bien de rire tant il a l'air adorable.

Et pourtant, elle esquisse à peine un sourire. Rire lui semble faux, déplacé. En fait, elle ne sait pas comment réagir à ces retrouvailles ; elle ne s'attendait pas à devoir faire face à Poésie des Ours si tôt. Elle aurait aimé voir son frère, mais il n'est nulle part dans son champ de vision. Pourtant, son mentor a bien précisé qu'il était rentré... alors où est-il ? Étoile de Mystère aurait-elle mis sa paranoïa de côté et l'aurait autorisé à sortir chasser ? Difficile à croire, mais c'est pourtant la seule explication que trouve Nuage de Chouettes. La novice soupire après un vif balayage du camp: elle trouve que beaucoup trop de félins manquent à l'appel. Et ceux restant ont sincèrement l'air tendu et inquiet. Quelle joie de retrouver le clan de l'Ombre avec ses rires, sourires et ses guerriers joyeux. Voilà bien longtemps qu'un rire innocent n'a plus été entendu, et les rires nerveux des félins ne comptent pas vraiment. C'est peut-être pour ça aussi que Nuage de Chouettes se retient de rire à l'expression déconfite de son mentor, par pudeur devant le sinistre clan de l'Ombre.

« Toi aussi, tu m'as manquée, Poésie des Ours. »

Sans sourire pourtant ses mots n'ont jamais été aussi sincères. Si par automatisme ses pensées allaient vers sa famille pendant sa fugue, son mentor avait toujours une place dans un coin de son esprit. Chaque proie chassée elle la devait à Poésie des Ours ; chaque réflexe pour survivre venait de ses entraînements. Et elle a envie de lui dire tout ça, de lui raconter sa première partie de chasse, de lui parler de son père et surtout lui montrer qu'elle a su survivre en terres hostiles. Mais elle a aussi beaucoup d'explications à lui fournir, et lui aussi certainement. Tellement de sujets lui viennent à l’esprit qu'elle ne sait finalement pas quoi dire ; elle se contente de le regarder, interdite. Puis, submergée par le soulagement d'être rentrée mais aussi de le voir, par la peur et l'anxiété, elle se jette sur son mentor et l'encercle d'une brève mais rassurante étreinte. Puis elle se dégage de sa chaleur pour enfin pouvoir parler, les yeux rivés sur tout sauf sur ceux de Poésie des Ours.

« Est-ce que... est-ce que tout va bien ? »

Est-ce que tu vas bien ?

Poésie des Ours n'en revient pas de revoir son apprentie si soudainement, tant son apparition correspond à l'exaucement de son vœu silencieux. Mais elle est bien là devant lui, comme si elle n'était jamais partie, et pourtant... quelque chose ne va pas. Il ne parvient pas à décider si elle a l'air heureuse de le retrouver ou non ; le sourire qu'elle lui adresse lui semble une pâle copie de son sourire habituel. Il ressent une pointe de gêne et de peine en songeant qu'il n'était probablement celui qu'elle s'attendait à voir en premier. Sûrement aurait-elle préféré rencontrer son frère ou l'un de ses amis... un ami avec lequel elle ne se serait pas disputée. Ces doutes pèsent tellement sur son esprit qu'il pense avoir mal compris lorsqu'il entend finalement Nuage de Chouettes lui dire qu'il lui a manqué également. C'est vrai alors ? Elle lui a pardonné ? A son tour, il ose l'ombre d'un sourire.

Sourire qui se transforme en exclamation de surprise ravie lorsqu'elle se jette sur lui pour un câlin. L'étreinte ne dure pas longtemps mais elle suffit à submerger le matou d'une vague de soulagement et de tendresse mêlés. Son apprentie enfin retrouvée, il lui semble que son ciel s'éclaircit tout à coup. Ses muscles relâchent une tension accumulée depuis des lunes. Il ose même un petit ronronnement furtif en même temps qu'une petite bourrade affectueuse. Ce geste le ramène aux premiers temps de leur relation, quand tout était simple et innocent ; se pourrait-il que tout redevienne comme avant ? Ours l'espère avec une telle force qu'il s'en persuaderait presque.

Mais déjà vient le temps des explications. Nuage de Chouettes évite son regard, et il comprend pourquoi. Sa question est bien plus complexe qu'elle n'en a l'air. Dans un autre contexte, il aurait répondu que oui, tout allait bien, et ils auraient parlé de la pluie et du beau temps, du chant des oiseaux. Mais au sein du Clan de l'Ombre, cela fait bien longtemps que les oiseaux ne chantent plus. Et le guerrier comprend aussitôt tous les sous-entendus qui se cachaient derrière l'apparence naïve de la question de son apprentie. Elle s'inquiète, et c'est son rôle de mentor de la rassurer ; seulement voilà, il n'est pas certain d'en être capable. Pour autant, faut-il lui mentir ?

« Viens, Nuage de Chouettes, finit-il par dire en soupirant, allons nous installer autre part pour discuter. »

Le guerrier entraîne son apprentie un peu à l'écart du camp, dans un endroit calme où ils ne seront pas dérangés. Il cherche autant le confort que la protection ; depuis quelques temps il ne sait plus à qui il peut encore se fier, et craint les oreilles indiscrètes. Vraiment, le clan a bien changé. Même hors du camp, à l'ombre des pins, l'Ours se sent épié et anxieux. Il commence par prendre une inspiration, puis cherche le regard de la jeune Chouette.

« Ma sœur est rentrée au camp. Elle était partie vivre au Tonnerre avec notre père – c'est une longue histoire... Elle m'avait demandé de garder le secret, mais j'ai finalement tout avoué à ma mère, en espérant... Bref, nous sommes allés la chercher, et... enfin, elle est rentrée. C'est à peu près la seule bonne nouvelle que j'aie à t'annoncer. »  

Son récit est abrupte et saccadé, mais au moins trouve-t-il le courage de se confier. Son apprentie a le droit de savoir, et quelque part, il se sent soulagé de partager tout cela avec elle. Enfin, il peut avoir la certitude d'être écouté par une oreille amie.

« A part ça, je... Oh Nuage de Chouettes, tout va de travers. J'ai fait de graves erreurs, je le vois maintenant, et je ne sais pas comment faire pour les réparer. Mais je crois que... non, je sais que la première chose à faire est de te demander pardon. J'ai été sacrément idiot. »

Et il n'a jamais été aussi sincère que lorsqu'il prononce ces mots.