will she make me a sinner ? || ft. Brume Argentée

Le froid grisant pénétra dans le camp en apportant avec lui une floppée de flocons humides qui vinrent se coller à la fourrure épaisse de la guerrière argentée, celle ci tentait désespérément jusqu'à présent de se prélasser dans un coin du camp, mais le temps ne semblait pas être de cet avis. De mauvaise humeur, Brume Argentée renifla, elle détestait l'hiver, enfin pas tout les hivers, mais celui-ci était particulièrement pénible, et le plus insupportable dans tout ça, même pour une âme individualiste et indifférente comme la déesse d'argent, était de voir les estomacs vide qui criaient famine. Pour le Clan de la Rivière, l'hiver était son pire ennemi. Qui disait froid, disait gel, ce qui signifiait pas de rivière, donc pas de poissons. Les félins de la Rivière étaient forcés de s'en tenir à leurs piètres talents de chasse, et si Flocon de Neige était une excellente chasseuse, Brume Argentée préférait clairement se mouiller les pattes.

Ses yeux détaillait le camp à la recherche d'une divine inspiration, n'importe quoi qui lui permettrait de se détacher de cet endroit qu'elle trouvait lugubre et sans intérêts. Quelques jours plus tôt, alors que Valeemar avait connu des températures un peu plus hautes, la femelle argentée avait pu se délecter de quelques rayons de soleil et de paysages conviviaux où régnaient les champs d'hellébores et de cyclamens, dans cette même journée elle avait pu faire la rencontre saugrenue d'un félin du Clan de la Lune qui avait eu pour bonne idée de patauger dans l'océan glacial, enfin patauger était un grand mot quand on connaissait la véritable raison de son bain matinal. Un sourire taquin se dessina sur son visage en repensant à cette rencontre inattendue, si on lui avait dit un jour qu'elle sauverait un félin d'un Clan ennemi d'un noyade certaine, elle n'y aurait jamais crut, pourtant, c'était bien ce qu'il s'était passé et il s'en était fallu de peu avant que le félin gris sombre définitivement dans les abysses de l'océan.

Galvanisée par l'envie de vivre à nouveau des aventures grotesques, et malgré le vent glacial qui régnait aujourd'hui sur la vallée, Brume Argentée prit la sainte décision que c'était une bonne idée que d'aider à nourrir son Clan, et puis c'était un prétexte suffisant pour aller se dégourdir les pattes loin d'ici. Elle jeta un coup d'œil évasif en direction de la Tanière des Anciens, où Flocon de Neige et Ivresse des Nuages consolidaient les murs de roseaux afin d'épargner les aînés du froid mordant. Personne ne remarquerait son absence et puis de toute façon, elle serait certainement plus utile en dehors du camp que là maintenant à juste roupiller contre la pierre froide. L'argentée se faufila dans le tunnel de roseaux et commença son cheminement dans une direction hasardeuse, laissant une fois de plus, ses pas guider sa route. Rapidement, la guerrière grise se retrouva aux frontières du Clan de l'Ombre, c'était un Clan qu'elle visitait peu généralement, parce qu'avec leurs rangs d'Escadron, ils étaient bien trop à cheval sur leurs principes et si il y avait bien une chose qu'elle détestait encore plus que de rester au camp, c'était de se fritter contre des inconnus et d'engager le conflit, pourtant, l'épais manteau de neige qui couvrait le sol lui laisser croire qu'elle avait une chance, même minime de s'immiscer parmi les ombreux et de visiter leurs terres comme bon lui semblait. Son hésitation ne dura qu'une demi-seconde et bientôt ses pas franchirent l'interdit.

Tout en observant  l'environnement de pinèdes et de brume, la déesse argentée réalisa à quel point les félins à l'Assemblée exagérait sur leurs dires concernant le Clan de l'Ombre, alors oui, l'humidité permanente renforçait le sentiment de froid, et le sol, mélange de poudreuse et de boue n'avait rien d'agréable sous ses coussinets délicats, mais, elle trouvait qu'il y avait quelque chose de presque charman.. Hm ? Sa patte qui s'était enfoncée soudainement dans ce qui ressemblait a du sable mouvant, ne parvenait plus à s'extirper de la substance étrange qui la tenait prisonnière. Brume Argentée grimaça, blasée en réalisant qu'elle avait atteint le point des marécages, cet endroit effrayant que mentionnaient les anciens dans leurs contes pour terroriser les chatons. Mais la réalité était tout autre, ça n'avait rien d'effrayant c'était juste... écœurant. Agacée, elle essaya une énième tentative de se dégager de sa prison, mais son poignet restée bloquée entre deux rochers qui pataugeait eux même dans ce mélange de boue, de mousse et de neige, la sensation était désagréable en plus du froid qui commença à lui faire claquer des dents. Maintenant, la voilà bien pathétique à attendre qu'un guerrier de l'Ombre veuille bien l'aider à se défaire de sa situation, enfin si il ne décidait pas plutôt de la tuer sur place.

Le contexte était tellement risible, qu'elle eut envie de rire, deux jours plus tôt elle sauvait la vie de quelqu'un d'une noyade certaine et la voilà qui allait mourir dans les circonstances les plus stupides de l'univers, par quoi allait-elle périr ? Le froid ? La faim ? Ou les griffes d'un guerrier ? Ou peut-être qu'elle mourrait ensevelie dans cette substance dégoûtante ? C'était loin d'être digne de sa personne, une si jolie guerrière qui allait mourir dans de si piètre circonstances...

« Je ne savais pas que les poissons-chats pouvaient se satisfaire des eaux croupies du marécage. »

Ses oreilles se dressèrent instinctivement sur sa tête et Brume Argentée tenta de repérer son nouvel interlocuteur, pourtant, le paysage brumeux l'empêcher de voir pas plus loin qu'à trois queues de souris d'elle, elle soupira exaspérée.

« On dit que les poissons-chats ont une bonne capacité d'adaptation, je me suis dit qu'un peu d'eau croupie ça serait toujours mieux que de l'eau gelé non ? »

Elle était agacée à l'idée de parler à l'aveuglette, elle détestait ne pas pouvoir regarder son interlocuteur en face, mais la guerrière était fière, et resta de marbre, la tête haute et le visage impassible, si elle devait mourir, alors elle le ferait avec classe, enfin si on peut dire ça au vu de sa situation.. Et puis, soudain, à travers la brume épaisse, deux joyaux azur qui brillait d'une lueur dangereuse la fixait avec malice, Brume Argentée sursauta légèrement, ne s'attendant pas à la voir surgir d'aussi près, elle se racla légèrement la gorge, un peu mal à l'aise et gonfla sa fourrure pour se donner un air un peu plus impressionnant, mais le danger face à elle, était imposant et ne ferait qu'une bouchée de son frêle gabarit.

« Le poisson s’est trompé de fleuve, il me semble. Espérons qu’il ne tombe pas sur un requin... Il ne ferait qu’une bouchée de lui, c’est sûr. »

Elle parvint enfin à la voir complètement, et l'inconnu qui se présentait face à elle était loin d'être aussi désagréable à regarder qu'elle l'aurait pensée, un long sourire narquois s'étira sur ses babines et ses pupilles vairons brillaient d'une lueur taquine, elles aussi.

« Dans ce cas, si ce requin te ressemble, je veux bien me faire manger toute crue. »

Répondit-elle du tac au tac ne perdant pas son sens de l'humour et de la flatterie malgré sa situation plus que désavantageuse.

« Ce n’est pas un endroit recommandé pour de la friture. Je suis persuadée que tu as une excellente excuse pour être parvenue jusqu’ici, pas vrai ? Allez, creuse-toi les méninges ma jolie. »

L'expression énigmatique qui habitait le visage de son interlocutrice la troublait, mais elle ne se laissa pas démonter pour autant.

« Tu m'appelles déjà "ma jolie" ? Ca va bien trop vite entre nous, ma belle, elle appuya ses mots avec un clin d'œil complice, mon excuse elle est toute trouvée à présent, c'est le destin qui m'a fait te rencontrer. »

Si Brume Argentée pataugeait déjà dans les problèmes - ceux ci composés principalement d'humus, de boue, et de neige marronâtre -  actuellement, s'enfoncer davantage n'était finalement qu'un détail futile, de toute façon, son destin comme elle l'avait si bien dit, était certainement déjà scellée, alors autant mourir avec panache se disait-elle.

1, 2, 3, 4.. Le compte à rebours avait débuté dans son esprit, et Brume Argentée s'amusait à prédire le moment où la guerrière ombreuse s'abattrait sur elle pour lui donner le coup mortel. Son sourire taquin ne quittait pas son visage, fixant la féline calicot avec toute l'intensité et l'étrangeté dont elle était capable. Brume Argentée avait peur de la mort, enfin, elle avait peur de mourir, mais pas de comment elle allait mourir. Bien qu'elle avait déjà vécu pleins de choses amusantes, elle jugeait cela bien trop insuffisant, elle avait encore tant de choses à faire, à voir, elle n'avait été qu'un oiseau en cage toute sa vie, à qui on avait brûler les ailes trop tôt pour le dissuader de liberté. Mais l'ironie du sort était tel, qu'elle n'était pas n'importe qu'elle oiseau, c'était un phœnix en qui le feu ardent de voir le monde ne s'éteignait jamais, on pourrait lui brûler les ailes dix.. cent.. mille fois si il le fallait, mais sa soif d'aventure ne s'apaiserait en aucune circonstances, pas même lorsque la mort la regarde avec son plus beau sourire, puisqu'elle renaîtrait de ses cendres encore et encore. Alors oui, Brume Argentée n'avait pas peur de la mort, les guerres, la famine, la souffrance, elle les avait vu mainte fois dans sa vie, et la façon dont on allait lui retirer la sienne lui importait peu, c'était de taire à jamais cette soif d'aventure qui l'effrayait. C'était pour ça, et uniquement pour ça qu'elle ne pouvait pas se permettre d'abaisser ses armes face à l'ennemi, la fierté et l'orgueil, ou peut-être la fantaisie grotesque de ses rêves la forçaient à maintenir la tête haute et a fixer le danger dans les yeux, de beaux yeux d'un bleu pur et saisissant  ça oui, il fallait le dire.

« Le destin n’est pas très clément avec toi. Il t’a mise entre les mauvaises griffes, pauvre petite chose. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi... »

Pauvre petite chose. Un sourire plus grand encore s'étira sur ses lèvres, dissimulant la crispation de mâchoire qui lui fit claquer des dents dû à son agacement. Brume Argentée détestait qu'on la compare à une chose fragile et délicate, c'était l'image qu'on lui avait façonnée depuis sa plus tendre enfance, une jolie petite apprentie gracile, une guerrière au charisme imparable, une créature que le vent pouvait briser en deux,  et bien qu'elle en avait jouée toute sa vie de cette image, elle avait dû se l'approprier d'elle même, pour la muer en force, en masque, une beauté farouche, inatteignable, sa seule arme face à ce monde qui avait tenté de la tenir prisonnière de ses faiblesses. Douce créature ? Non. Tu seras froide comme la glace, tu seras tranchante comme la lame. Et puis, elle avait créer cette lumière, qui attirent tout ces pauvres papillons de nuit qui viennent se brûler les ailes à l'approcher, pour périr de par leur cupidité.

« C'est ça le jeu du destin, la surprise, il n'est jamais clément avec personne, le destin, il est plutôt sarcastique même, il se joue de nous, le destin, et ce que tu feras de moi, ne sera que le résultat de ce qu'il attend de toi, et si toi tu te jouais du destin et que tu lui montrais qu'il a tord ? Une pauvre petite chose comme moi entre les griffes d'une terrifiante créature comme toi, c'est comme la souris qui se jette sous les griffes du chasseur, il n'y a plus vraiment d'enjeux... Oh, quel ennui ce destin, j'aimerais parfois qu'il me surprenne un peu, m'enfin, là où je suis heureuse, c'est que la personne qui va m'ôter la vie aujourd'hui, est d'une beauté sauvage, j'aurais au moins le mérite de vanter aux étoiles que mon assaillante ne m'a pas laissée indifférente. »

Le rire de Brume Argentée fit doucement écho dans les marécages, quel ironie, mourir comme ça, ça n'avait rien d'héroïque, elle n'aurait rien à vanter aux étoiles ce soir, celles-ci se moqueraient plutôt d'elle et Brume Argentée se laisserait ronger de remords de ne pas avoir pu explorer davantage le monde, de ne pas avoir de souvenirs auxquels se raccrocher lorsqu'elle devra observer sa longue léthargie parmi les aïeux, dans sa nouvelle prison céleste.

Brume Argentée fit une moue blasée lorsque son assaillante s'approcha davantage, peu à peu le voile brumeux qui les englobait jusqu'à maintenant, se dissipait, et les deux félines eurent toute l'opportunité de mieux se jauger. L'inconnue était grande, très grande, rare étaient les femelles de ce gabarit là, à côté, la reine argentée n'était qu'un misérable excrément de moucheron. Quand à ses yeux, elle ne s'était pas trompée, ils étaient d'une froideur et d'une beauté imparable, comme presque électriques tant les nuances se fracassaient entre elles. Sa fourrure était soignée, et arborait des couleurs originales, si le blanc était la maître pièce de sa robe, les esquisses de roux et de noir dansaient avec ferveur, refusant de se noyer dans cet océan d'ivoire. Oui, oui, la créature face à elle était d'une beauté farouche et intimidante et les yeux de Brume Argentée ne pouvait plus s'en détacher.

« Ardeur de la Tigresse. Je suis Ardeur de la Tigresse, Escadron du Clan de l’Ombre. Le destin, je m’en moque. Il n’a aucun impact sur moi. Le destin, j’en joue. Alors, sois gentille, ne me fait plus jamais le coup du clin d’œil si tu ne veux pas finir borgne. »

Même lorsqu'on veut se jouer du destin, il a toujours une longueur d'avance, se dit Brume Argentée, mais elle ne releva pas, elle n'avait pas envie que la femelle exécute ses menaces, si elle devenait borgne, elle n'aurait plus rien, et elle devrait renoncer à la seule chose qu'elle avait toujours possédée, sa beauté.

« Allez petit oiseau. Tu es libre. Vole et ne reviens plus ici. Ce n’est pas un endroit pour toi. »

Si l'envie irrépressible de s'enfuir et d'oublier cet mésaventure brûlait dans ses pattes, le désir insatiable d'en savoir davantage sur cette étrange féline, l'attirance énigmatique qu'elle pressentait en sa compagnie la poussait à rester. Brume Argentée bondit sur une racine noueuse qui jonchait le sol et secoua sa patte pleine de boue afin de s'en défaire au maximum.

« Tu permets que je fasses un brin de toilette avant de rentrer à tout jamais loin de cet endroit qui n'est pas fait pour moi ? Elle entama de se lécher le poitrail, avec une lenteur presque provocatrice. Le petit oiseau ne peut plus voler bien loin, il y a longtemps qu'on lui a brûlés les ailes ahahah, un long rire sarcastique qui résonna dans les marécage surélevant sa voix mélodieuse, mais je peux encore nager, heureusement, le petit poisson lui, pourra remonter le courant des eaux croupies pour rejoindre sa rivière gelée. Et toi alors, ça fait longtemps qu'on t'a brûlé les ailes ? »

Elle ne savait pas pourquoi elle lui avait posé cette question, à en voir sa stature, cette guerrière ne devait avoir à se plaindre de rien du tout, elle devait être respectée et écoutée dans son Clan, peut-être même qu'elle avait déjà fondée une famille ? Pourtant, c'était cette lueur, cette lueur qu'elle avait vu au moment où leurs regards s'étaient réellement croisés, quand leurs yeux avaient plongés mutuellement dans cet océan chaotique des méandres du cœur. Elle y avait lu quelque chose, d'à peine perceptible, elle ne savait pas quoi, elle ne savait plus quoi, mais elle l'avait vu, cette lueur au fond de ses yeux. Triste petite lueur.