I awake to see that no one is free - Gouffre X Onyx

Quand on perd un être cher à nos yeux, le monde n'a plus la même saveur. La vie, qui s'écoulait jusque là sans encombre, jour après jour, aube après aube, semble soudain terne, et certains se demandent pour quelle raison on leur arrache leur bonheur. Et le pire, c'est que tout cela n'est qu'un éternel recommencement, la course inaliénable du temps et des accidents. l'aube pointait à peine dehors. Allongé dans sa litière, Gouffre du Soleil était réveillé depuis bien longtemps, maintenant. Devant ses yeux mi-clos, se rejouait en boucle le matin où son monde s'était effondré. Le matin où Nuée de Colombes, la prunelle de ses yeux, n'était pas revenue au camps en vie. Il revoyait la scène comme si elle s'était déroulée la veille, avec une clarté et des détails absurdes dont il n'aurait jamais voulu se souvenir. La mousse qui s'était prise dans son pelage blanc couvert de poussière et de sang, sa queue qui avait tracé un sillon presque invisible sur le sol du camps silencieux. Le regard horrifié de ses enfants, n'arrivant pas à croire ce qui leur arrivait alors, et sa propre gorge qui s'était serrée si douloureusement qu'il n'avait pu articuler un mot, se contentant de gémir. Ce matin là, il n'avait pas cru possible de vivre dans un monde où elle n'était plus. Il s'en contentait jusqu'ici, à vrai dire. Rien n'était pareil. Oh, les oiseaux chantaient de la même manière, la rivière ne s'était arrêtée de couler, bien entendu, mais s'il avait pu, Gouffre du Soleil leur aurait imposés de s'arrêter. Il n'était pas normal que la vie continue alors que la sienne s'effondrait, n'est-ce pas? Nuée de Colombe n'était plus, mais lui, était toujours là, pour une raison qu'il ignorait. Il avait longtemps souhaité prendre sa place, au début, il n'était pas juste qu'elle soit partie sans lui. Puis rapidement, il avait changé sa façon de penser. Sa mort ne pouvait pas être un hasard ou une coïncidence, c'était impossible. Jour après jour, Gouffre du Soleil s'était enfermé dans une paranoïa et une obsession qui l'avait peu à peu éloigné du code du guerrier, et de ses enfants. Il allait retrouver l'assassin de sa compagne, quoi qu'il lui en coûte.  



Récemment, sa fille adoptive, Fragment d'Onyx, avait été nommée lieutenante. Sincèrement, il était fier qu'elle ai été gratifiée d'un tel honneur, et il avait également vu là une opportunité d'approfondir leurs recherches. Grace à elle, ils ne seraient plus jamais inquiétés qu'on les questionne sur leurs maraudages nocturne, sauf à part peut-être par Etoile Polaire, mais Gouffre était suffisamment malin pour faire en sorte qu'elle ne fourre jamais son nez là-dedans. Le matou se leva, engourdi. La nuit avait été courte pour lui, et ses membres endoloris lui rappelaient qu'il n'avait plus 6 lunes depuis longtemps déjà. Puisqu'il devait faire son devoir de guerrier afin de ne pas être inquiété par sa meneuse, il se décida à aller chasser sur leurs territoires, en solitaire. Cela lui laisserait l'occasion de réfléchir à leur prochaine investigation, retardée par la nomination d'Onyx. Gouffre en avait été contrarié, évidemment, mais il savait que c'était un mal pour un bien. L'assassin se cachait toujours dans la forêt, il en était persuadé, et une fois que lui et ses fils l'auraient débusqué, Gouffre du Soleil tiendrait là leur vengeance. Le rouquin sortit à l'air libre. Les patrouilles frontalières et de chasse venaient tout juste de partir, le parfum de ses camarades flottait encore sur le camps, qui était maintenant désert. Chacun vaquait à ses occupations, sans se douter un instant que le matou passait ses nuits à entrainer ses enfants aux confins de Valeemar. Ce n'était pas de tout repos, mais Gouffre n'en avait rien à faire, c'était leur affaire familiale. Météore, Prince et Onyx se devaient d'y participer et de lui être loyal, c'était comme ça, et il ne tolèrerait aucun manquement à leur devoir. 



Le rouquin se glissa hors du camps, discret comme une ombre. Il ne tenait pas forcément à ce qu'on le voit, pour une fois, il voulait profiter de cette chasse en solitaire pour s'éclaircir l'esprit, échafauder un nouvel itinéraire. Ils avaient forcément loupé quelque chose, un indice, n'importe quoi. Autant profiter de la bonne saison pour regarnir les réserves de gibier et endormir les potentiels soupçons. En se comportant comme un guerrier exemplaire, personne ne viendrait lui demander des comptes. Ses pattes massives foulaient le sol spongieux tandis qu'il se dirigeait vers les bosquets qui bordaient leur territoire, à l'affût du moindre bruit de gibier. Malgré les apparences, il n'était pas si doué que ça a la chasse. Il se débrouillait, sans être excellent non plus. Quand il entendit des petits bruits de grattement, il stoppa net, sur le qui-vive. En cette saison, il y avait des grenouilles, et même si Gouffre n'appréciait pas leur chair molle, il savait que certains de ses camarades en raffolaient. En plus, elles était faciles à attraper, dans les bosquets aux eaux peu profondes. Gouffre du Soleil s'approcha en retenant son souffle, faisant attention à ne pas faire vibrer le sol sous ses pattes, ce qui n'était pas un exercice facile pour lui. Dans son champs de vision, une grosse grenouille brune lui tournait le dos, occupée à escalader une branche qui surplombait l'eau. Cette proie serait facile à chasser, au moins. 



Gouffre du Soleil déposa une musaraigne sur le petit tas qu'il avait composé. Il avait attrapé la grenouille, et une musaraigne à moitié déjà noyée. Peu importe le moyen, il se reviendrait pas sans rien. Sa tâche était accomplie, désormais. Alors qu'il allait se saisir de ses proies, un bruit lui fit relever la tête. La patrouille de chasse ne passait jamais par ici, normalement, c'était forcément un camarade qui souhaitait surement chasser de son côté, tranquillement. Il se tendit instinctivement, sans réellement savoir pourquoi. Il n'était vraiment pas d'humeur à faire la conversation, aujourd'hui. Il voulait juste accomplir son devoir de guerrier, et profiter de l'autre partie de la journée pour réfléchir ou vadrouiller. En apercevant une patte brune, suivie d'une fourrure entièrement ébène, il se détendit. Elle tombait à point nommée. Nul besoin de la chercher partout, elle était directement venue à lui, sans qu'il demande. " Fragment d'Onyx. Félicitation pour ta nouvelle affectation, miaula t-il d'un ton doucereux. Je ne doutais pas un instant de ta réussite, tu es ma fille, après tout." C'était en effet sa fille, mais désormais, sa loyauté envers lui serait d'autant plus mise à l'épreuve. Une fille obéit à son père.