There's a lullaby for suffering - ft. Nuit Polaire

There's a lullaby for suffering
Nuit Polaire & Récif de Corail
Lune 1212


Les chatons avaient disparu. Petit Automne, et tous les petits de Mélodie des Étoiles et de Museau Nacré. C’était une véritable tragédie pour le clan. Les recherches n'avaient rien donné jusqu'ici, mais bien sûr, il était hors de question de se décourager. Cela dit, c'était plus facile à dire qu'à faire. Même si chaque chat du clan débordait d'une énergie féroce, alimentée par l'envie de retrouver les petits et le besoin de vengeance, chaque jour qui passait sans résultat diminuait un peu plus le moral ambiant. La situation devenait urgente. Flocon de Neige était toujours entre la vie et la mort, et personne ne savait, peut-être pas même leur guérisseur, si elle allait s’en sortir. Récif de Corail était d’une nature optimiste. Il se laissait rarement abattre, même lorsque les évènements prenaient une tournure aussi dramatique. La clan retrouverait les chatons et Flocon de Neige, de son côté, était une sacrée coriace bien qu'elle ne fut plus toute jeune.

Justement, il était en chemin pour rejoindre une des filles de l’ancienne, Nuit Polaire. Ils étaient en binôme pour essayer de trouver une piste, un indice, n’importe quoi qui permettrait de retrouver la trace des chatons. Récif de Corail n’était pas spécialement un bon pisteur, il espérait donc que Nuit Polaire saurait relever le niveau - même si de ce qu’il savait, la reine brillait plus pour sa réputation de bonne combattante qu’autre chose. Enfin, à deux, ils finiraient bien par trouver quelque chose, non ? En plus, la journée était radieuse, pas de pluie, pas de brume, et presque pas de vent ; rien ne viendrait entraver leur traque. Enfin, du moins il l'espérait.

Le mâle bicolore arriva au point de rendez-vous fixé, à la lisière entre la Plaine Chatoyante et le Delta. Ils avaient pour mission d’inspecter le Delta de long en large, de la Plaine jusqu’au Bateau Fantôme. Il aperçut sa camarade qui l’attendait près d’une grosse pierre plate. Elle était aussi belle que sa mère, avec sa longue fourrure d’un blanc immaculé. Est-ce qu’elle l’attendait depuis longtemps ? Il leva les yeux vers le soleil, qui n’avait pas encore atteint son zénith, heure du rendez-vous. Donc il était parfaitement dans les temps. Était-ce ses yeux qui lui jouaient des tours ou bien la femelle le regardait avec un air drôlement sévère ? Mm, sûrement devait-elle être inquiète pour sa mère, ce qui paraissait normal. Il adopta une démarche chaloupée, accrochant un sourire en coin sur son visage.

« Bonne nouvelle, trésor, ton attente est finie : je suis là. Heureuse ?  »

Il regarda autour de lui sans attendre de réponse. Après tout, sa compagnie était charmante, non ? Qui ne se réjouirait pas de travailler avec lui ?

« Alors, par où on commence ? »

There's a lullaby for suffering.
Nuit Polaire & Récif de Corail
Lune 1212


« Allons en direction de la Plaine Chatoyante, à partir de là on pourra inspecter toute la zone. »

Récif de Corail tourna la tête vers Nuit Polaire, qui ne semblait pas du tout réagir à ses propos avec la même bonne humeur que lui. Sûrement qu’elle était très inquiète, ou déjà concentrée sur la mission, m’enfin tout de même, quelle rabat-joie !

Le guerrier opina, affichant toujours son petit sourire en coin, et marcha à sa suite. Elle avait une certaine prestance comme ça, se déplaçant d’un pas lent mais assuré, un air sévère planté sur le visage. Tout comme sa camarade, Corail se mit à inspecter les alentours. Tout pouvait servir. Signes de lutte, empreintes de pas, traces de sang, odeurs inhabituelles … Tout ce qui sortait de l’ordinaire en somme. Pour l’instant, rien à signaler. C’en était presque déprimant, tout cette normalité. C’était comme si quelqu’un se moquait d’eux quelque part. Vous vivez une tragédie, vous êtes au plus bas, mais regardez : le soleil brille, les proies gambadent et les poissons frétillent. C’est le printemps. La vie suit son cours, qu’importe que la vôtre ne soit plus qu’un long drame.

Cela dit, il en fallait plus pour abattre Corail et son optimisme. Ils allaient retrouver les chatons, dégager les solitaires de Valeemar et toute cette histoire ne serait plus qu’un mauvais souvenir, un conte que les chatons des générations futures entendraient chez les anciens.

« Que peuvent-ils bien vouloir à des chatons innocents ? »

Le guerrier bicolore dévisagea un instant sa camarade, tentant de deviner s’il s’agissait d’une vraie question. Lorsqu’elle planta ses yeux verts dans les siens, il ne sut pas déchiffrer ce qu’elle voulait. Une réponse ? Le surveiller ? Simplement l’admirer peut-être ? La dernière option était la plus probable, mais il ne préférait pas s’avancer.

« Pas tellement la peine de chercher une explication si tu veux mon avis. Pourquoi certains chats sont-ils meilleurs combattants que chasseurs, pourquoi certains aiment la solitude et d’autres non, pourquoi certains n’ont pas le moindre scrupule à s’en prendre à des chatons … C’est le même genre de questions auxquelles on ne trouvera jamais de réponses. » Il s’absorba un instant dans ses pensées, et poursuivit, plus pour lui-même qu’autre chose, même s’il parlait assez fort pour que Nuit Polaire puisse l’entendre. « Pourquoi la guerre, pourquoi la marée noire ? Se poser la question, c’est un coup à devenir dingue. »

Il prit un peu d’avance sur la femelle, accélérant la marche. Une odeur étrange attira son attention, et une note d’espoir fit accélérer les battements de son cœur, mais sa joie fut de courte durée. Ce n’était rien, ou alors il l’avait aussitôt perdue. Il se retourna, essayant tant bien que mal de cacher sa déception.

« Non mais fais pas cette tête ma belle, on va les retrouver les chatons ! »

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Nuit Polaire & Récif de Corail
Lune 1212


Récif de Corail était heureux que Nuit Polaire comprenne sa logique. Mieux, elle semblait presque être d’accord. Enfin, il n’avait pas à proprement parler dit que rien n’avait de sens, mais plutôt que, sens ou non, les chats n’y pouvaient rien et qu’ils devaient l’accepter sans forcément chercher d’explications. Bon, certaines choses étaient très sûrement dénuées de sens, mais la plupart du temps, le guerrier était convaincu qu’il était possible d’en trouver un. Et en même temps, lui-même ne cherchait jamais à attribuer un sens à ce qui lui arrivait. Il vivait, simplement. Finalement, le sens était quelque chose de très personnel, différent d’un félin à l’autre. La vie avait le sens qu’on voulait bien consentir à lui donner. Cela valait aussi pour la mort.

Il jeta un regard étonné à la guerrière. Peut-être avait-elle mieux compris que lui ce qu’il avait essayé d’expliquer. Cette pensée l’amusa.

« Il va falloir que tu me donnes ton secret pour garder le sourire ! Mais sache que si tu continues de me donner ce surnom, c'est après toi qu'on devra envoyer une patrouille de recherche. »

Le mâle bicolore ne put s’empêcher d’éclater de rire ! C’est qu’elle avait une belle dose d’humour en réserve sous ses airs sévères ! Il préféra ignorer le fait qu’il pouvait tout aussi bien s’agir d’une menace on ne peut plus sérieuse, et se concentra sur le positif. C’était ça quelque part, son secret pour garder le sourire ; ignorer plus ou moins constamment une partie conséquente de la réalité. Enfin, il ne pouvait pas vraiment lui avouer. Déjà qu’il se l’avouait à peine à lui-même … Aussi, il se contenta de continuer de lui sourire.

« Peut-être que tu devrais faire opérer ton charme sur la prochaine solitaire qu'on croisera, histoire d'obtenir des informations. »

Tournant des yeux mi-surpris mi-amusés vers la guerrière à la fourrure immaculée. Il la sonda un instant. Était-ce une autre preuve qu’elle était bel et bien capable d’humour, ou alors cherchait-elle à se moquer de lui ?

« Ah, donc tu trouves que j’ai du charme ? Intéressant. »

Il balança son regard tout autour d’eux. Pas la moindre trace, pas le moindre signe, pas le moindre indice. Optimiste ou non, cela avait de quoi déprimer n'importe qui. D’un seul coup, l’immensité de leur tâche lui parut insurmontable. Pas impossible, mais simplement irréalisable dans les conditions où ils se trouvaient.

« Tu sais, je pense qu’on n’y arrivera jamais si on n’a pas accès aux territoires des autres clans. Peut-être que certains indices que nous avons trouvés mais qui nous semblaient mener dans des impasses prendraient tout leur sens corrélés à ce qu’on pourrait trouver hors de nos terres … »

Il réalisa qu’il outrepassait peut-être les limites de ce qu’il avait le droit de dire, et il ne voulait surtout pas que Nuit Polaire en vienne à douter de sa loyauté ! Il avait parfaitement conscience de ce que les autres pensaient de lui. Et comment allait-elle interpréter ça ? Corail qui cherche à s’introduire sur les terres des autres clans, mais pourquoi faire ? Des amants à rejoindre ? De nouveaux minois à séduire ?

Il secoua la tête, agacé. Il ne servait à rien de chercher à anticiper ce que la femelle pouvait bien penser de lui, mais il ne pouvait pas s'en empêcher.

« Oublie. C’est idiot. »

Il accéléra le pas et dépassa sa camarade, faisant mine d’être concentré sur les recherches, même si en réalité, il était perdu dans ses pensées.

There's a lullaby for suffering.
Nuit Polaire & Récif de Corail
Lune 1212


Peu de choses avaient tendance à réellement étonner Récif de Corail, mais il devait bien admettre qu’il ne s’attendait pas à ce que Nuit Polaire soit d’accord avec lui. Il l’écouta avec attention, le regard grave, hochant doucement la tête.

La femelle au pelage immaculé venait d’expliciter son idée mieux qu’il n’aurait su le faire. Lui qui se targuait pourtant d’être si doué avec les mots … Enfin qu’importe, cela lui enlevait un poids de savoir que la guerrière partageait son sentiment quant à la situation. Leur réputation auprès des autres clans pouvait en prendre un coup, mais l’ennemi se fichait bien des querelles de tribus ! Au contraire, peut-être même qu’il comptait dessus. La méfiance et les conflits, voilà qui n’était guère productif dans leur contexte.

« Si tu as toutefois peur pour ta réputation, je peux aussi l'entendre. »

Corail fronça les sourcils, prêt à se défendre, lorsqu’il remarqua le rictus taquin de son interlocutrice. Il se ravisa alors, et lui sourit simplement en retour, non pas un sourire charmeur comme à son habitude, mais un sourire discret, presque gêné. Oui, il avait peur pour sa réputation, parce qu’il était tout simplement obsédé par ce que les autres pensaient de lui. Il avait toujours peur de paraître ridicule ou idiot. Alors il lissait ses mots, ne se risquait pas à donner de réels avis, de réelles idées, ne s'aventurait pas sur les terrains qu'il ne maîtrisait pas. Et puis, au fil des lunes, il s’était enfermé dans ce personnage qu’il n’arrivait plus à quitter. Bien sûr qu’il avait son petit caractère de séducteur, mais il l’avait tellement amplifié, exagéré, qu’il avait l’impression d’avoir effacé tout ce qu’il y avait sous cette belle surface. Tout ce qu’il y avait pu avoir d’autre. Tout ce qu’il y aurait pu avoir d’autre. Un instant, il eut envie d’en parler à Nuit Polaire, de lui faire part de ce poids ; mais les mots ne virent pas, coincés au fond de sa gorge, bloqués par la peur du rejet, la peur de l’autre, la peur d’entrevoir enfin un peu de ce vide immense à la place de son cœur. Non, il était plus simple de continuer comme il l’avait toujours fait.

« Tu en as déjà parlé à certains de nos camarades ? »

Le guerrier ne put s’empêcher d’émettre un petit rire sarcastique. Comme s’il avait des vraies conversations avec les membres de la Rivière … Comme s’ils avaient l'habitude de le prendre au sérieux ! Enfin, pas la peine de s’énerver ; après tout, Nuit Polaire n’y était pour rien. D’ailleurs, personne n’y était pour grand-chose. C’était lui le problème, il le savait. C’était sa plus grande qualité mais aussi son plus grand damn, il était incapable de se voiler la face.

Prenant une grande inspiration, parant son visage d’un beau sourire et de yeux rieurs, il se décida finalement à répondre.

« Non, je n’en ai parlé à personne … c’est un sujet sensible après tout, j-je euh … Je n’ai pas osé. »

Bon, ce n’était pas la confession du siècle mais il s’agissait peut-être d’un début.  

« Bon, visiblement nous perdons notre temps ici. On devrait rentrer, tu ne crois pas ? Peut-être qu’une autre patrouille rentrée bredouille pourrait convaincre l’opinion qu’il faut s’entretenir avec les autres clans de toute urgence. »