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ou les grondements de Valeemar causeront votre perte.
 
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 Le dernier envol de la colombe

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Secret des Lucioles
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Secret des Lucioles

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MessageSujet: Le dernier envol de la colombe   Le dernier envol de la colombe 3horlo10Mer 14 Aoû 2024 - 15:38

— Lune 1206 — Le dernier envol de
la colombe
— Ft. Nuée de Colombes - Gouffre du Soleil -
Nuage du Météore - Nuage du Prince - Nuage d'Onyx —

Le soleil caresse avec délicatesse ma joue, avant de se perdre dans la fourrure de mon cou. Une charmante brise joue parmi les feuilles, qui frémissent, murmurent mille et un secrets dans une langue qui m’est inconnue. Mère, me parles-tu, depuis les étoiles ? Un sourire s’étire sur mon museau. Bien sûr. Tu es toujours là pour moi.

Il est l’heure. Je tends l’oreille, hume les parfums et confirme ma solitude en balayant les alentours proches des buissons parmi lesquels je patiente depuis l’aube. Parfait.

Je me coule dans les ronces, survole des racines aux courbes traitres puis me fonds dans les sous-bois. Mes pattes me portent d’elles-mêmes, fiables et précises. Une lune, que je m’éclipse chaque jour jusqu’à la frontière du Clan de la Rivière. Une lune que j’arpente les trois passages étroits permettant de s’échapper du camp sans être remarqué.

Mais je ne l’ai jamais vue, elle.

Ses enfants, oui. Difficile de ne pas les reconnaître. Leurs fourrures de feu et de suie, imitation évidente de la sienne. Leurs yeux, dorés en partie pour deux d’entre eux, miroirs des siens. J’espère seulement qu’ils ne reflètent pas aussi son âme. Voilà qui sonnerai le déclin certain des Clans, ou, tout du moins, une hécatombe, une pile de corps sans fin sur lesquels ces corbeaux s’appuieraient pour festoyer et s’envoler toujours plus haut. L’image s’imprime sur mes rétines, dresse les poils de mon échine, brouille ma vision, jusqu’à ce qu’une feuille au tendre vert pâle tombe sur ma tête. Je relève le menton, une vague de détermination pulsant dans mon cœur. Je ne laisserai pas un tel massacre avoir lieu. Jamais.

Sous le couvert des fougères, je patrouille la frontière. Je louvoie entre les chênes, je serpente le long d’un ruisseau, puis m’enfonce davantage dans les terres loin des clapotis incessants de l’eau sur les pierres chaudes que le Clan de la Rivière défend bec et griffe.

Chaque jour, mes pattes me portent à la falaise. Celle qui a vu le dernier souffle de ma très chère mère. Chaque jour, mes yeux s’attardent sur ses courbes, se perdent sur le roc, en contrebas, et les rares lueurs qui traversent les arbres pour s’y déposer.

Plus maintenant.

Une chatte s’y tient. Son pelage d’ombre dévore avec avidité les quelques rayons de soleil qui osent s’appuyer sur son dos. Comme autant de colombes, son corps est affublé d’une nuée de taches blanches qui semblent prêtes à s’envoler, à s’échapper de cette carapace dont la corruption ne convient pas à leur valeur. Ses iris, deux citrines glaciales, sondent en contrebas, à la recherche d’une réponse qui n’arrive pas. De sa silhouette à la forme de ses pattes, de son expression à la fragrance que m’apporte le vent, je la reconnais.

Nuée de Colombes.

La meurtrière.

Que fait-elle donc ici, sur les lieux du crime ? Vient-elle se baigner dans la satisfaction d’un assassinat parfait, celui d’une solitaire que personne ne peut pleurer ? Si c’est le cas, détrompe-toi. Elle vit toujours. En moi. D’un battement de paupière, j’efface cette idée saugrenue. Pour avoir étudié la femelle lors de l’assemblée, elle ne semble pas noyée d’hubris. Pourquoi es-tu là ?

Mais l’occasion est trop belle. La brise, qui m’accompagne depuis mon réveil, pousse avec douceur ma longue fourrure dans sa direction. Le ciel, joyaux d’azur, laisse le champ libre au soleil, dont les rayons dessinent un chemin qui mène jusqu’à la guerrière et, je le sais, s’achève sur la pierre, en contrebas.

J’inspire. Ce parfum… Mon esprit se perd dans le bruissement des feuilles, il s’envole sur le chant des oiseaux et admire la beauté de la forêt dans son ensemble. Ô, que j’aime ces terres. Je soupire. L’heure est venue de les défendre. Mon cœur est serein. Mon souffle, stable. Je lève un instant mes yeux vers le firmament. Es-tu avec moi, mère ?

Un zéphyr dépose un baiser sur mon front. Un sourire s’étire sur mon museau. Bien sûr. Tu es toujours là pour moi.

Je m’élance. Mes coussinets touchent à peine le sol, tandis qu’ils me rapprochent inexorablement de ma cible. La femelle d’ébène se tourne à moitié. Ses yeux croisent les miens pour la première fois, et elle arque un sourcil, le poil dressé. Puis ses iris s’écarquillent. M’a-t-elle reconnue ? Peu importe.

Mon épaule rencontre la sienne. Ses pattes cherchent les miennes et ne trouvent que l’air. Elle tend ses membres, déploie ses griffes, bat des bras pour se libérer de l’étreinte du vide. Essaie-t-elle de s’envoler ? Face au ciel, elle glisse, chute, sans détourner son regard de mon visage. Sa gueule s’entrouvre. Pour lâcher un dernier soupir, un dernier mot, un dernier
cri ?

Qui sait.

Son dos heurte le sol dans un craquement sinistre. Sa tête tombe sur la pierre, les yeux clos, une bande de soleil réchauffant sa fourrure désormais vouée à l’abandon. Une myriade d’oiseaux déserte leurs arbres dans une cacophonie paniquée, abdiquant la forêt à un silence respectueux. Comme ce jour-là.

J’observe les alentours, à la recherche d’un chaton dissimulé dans les racines. Bien entendu, je n’en trouve aucun. Sans une larme ni un sourire, je dessine de mes yeux la silhouette de la meurtrière, en contrebas.

« Regarde, mère, j’ai tenu ma promesse. Plus jamais la colombe ne prendra son envol. Plus jamais elle n’arrachera un être aimé à quiconque. »

J’incline ma tête en direction de la femelle. Une vie reste précieuse, peu importe ses méfaits, et mérite le respect qui lui est dû. J’espère que tu trouveras le repos et pourras te repentir de tes actes. Je détaille mes pattes blanches, aussi immaculées qu’à mon réveil, ce matin. Sauras-tu comprendre les miens ?

L’âme et le cœur léger, plus qu’il ne l’a jamais été de ma courte existence, je rebrousse chemin en veillant à dissimuler mes traces.

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Dernière édition par Secret des Lucioles le Mar 27 Aoû 2024 - 12:28, édité 2 fois
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Nuage de Thym
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MessageSujet: Re: Le dernier envol de la colombe   Le dernier envol de la colombe 3horlo10Mer 14 Aoû 2024 - 17:31

Le dernier envol de la colombe Gouffr12

C'est fou comme parfois, une journée qui a bien commencé peut se terminer en drame infâme. La nuit avait été douce et agréable, et si Gouffre du Soleil s'était réveillé plus qu'à l'accoutumée, c'était pour couvrir d'un regard aimant celle qui somnolait à ses côtés dans la tanière des guerriers. Depuis tant de lunes qu'ils se connaissaient et cheminaient ensemble, et Nuée de Colombes lui avait même offert la joie de devenir père à son tour. Elle et lui étaient tout simplement inséparables, et Gouffre savait à quel point elle était bénéfique pour lui. Chaque fois qu'elle était prêt d'elle, le rouquin se sentait apaisé, comme plus doux envers ses semblables, même s'il avait parfois du mal à contrôler son aigreur caractérielle, elle le rendait meilleur aux yeux du monde et de ses camarades. Pour ça, il savait qu'il lui devait beaucoup. L'aimer lui n'était pas simple. Après la mort de Source de Lumière, dont lui et Colombe avait été témoins, ils étaient devenus plus soudés. Tellement soudés qu'ils étaient tout simplement tombés éperdument amoureux, et cet amour ne semblait avoir aucune limite ni frontière. Il ne savait pas exactement ce que lui lui apportait, à part son mauvais caractère, mais il était sur d'une chose; il l'aimait à en crever. Nuée de Colombe était tout simplement sa bouffée d'oxygène, dans un monde qui l'étouffait de plus en plus.


Ce matin là, il s'était levé avant elle, ombre discrète dans la tanière des guerriers, il voulait la laisser se reposer au maximum avant d'aller chasser. La journée de la veille avait été riche en émotions, vu qu'ils avaient profité du temps pour s'entrainer en famille, avec Nuage de Météores, Nuage du Prince et Nuage d'Onyx. Gouffre, intransigeant avec ses enfants, avaient repoussé leur limites de fatigues. Mais c'était pour leur propre bien, et il le savait. Ses enfants ne devaient pas devenir des chiffes molles, ou des boulets pour le clan, et il y veillerait tout particulièrement. Tout comme son père avait veillé au fait que lui-même ne déroge pas à ses devoirs envers le clan et sa famille. Gouffre du Soleil frissonna. Ce n'était pas la fraicheur de la matinée qui faisait hérisser ses poils, mais bien le souvenir de son géniteur. Sa mort l'avait laissé indifférent au possible. Peut-être même qu'il se sentait plus soulagé, maintenant qu'il était seul maitre de son destin. Le rouquin balaya cette pensée machinalement. Il ne voulait pas penser à son père, pas à cet instant, alors que sa vie allait on ne peut mieux.


Le souvenir douloureux de son géniteur et de l'emprise qu'il avait sur lui le fit grimacer de nouveau. Des lunes de tourments, qu'il n'arrivait pas à balayer de ses pensées et de ses rêves. Heureusement qu'il avait Nuée de Colombe pour lui faire oublier toute ces souffrances qu'il avait enduré par amour pour sa famille, malgré la perte de sa mère. Son père n'était qu'un assassin et un tyran, et il n'avait eu que ce qu'il méritait, au final. C'était un juste retour des choses. Gouffre du Soleil espérait qu'il ne trouverait jamais le repos, pour tous les actes odieux qu'il avait commis. En attendant, le matou s'occuperait de ses enfants comme il fallait, s'assurant qu'ils deviennent des guerriers exceptionnels. Le doux miaulement de sa compagne, tout juste réveillée, lui fit dresser les oreilles. A broyer du noir, il ne l'avait pas entendue se glisser hors de la tanière des guerrier pour le rejoindre. Il la contempla longuement, émerveillé par la façon dont elle se mouvait. Son pelage brillant était lustré comme à son habitude, et elle lui rendait le même regard amoureux. "Prêt pour aller chasser?" lui lança Nuée de Colombe en frottant sa truffe contre la sienne. " Bien sur. J'attendais que toi tu sois prête!" répliqua le matou, taquin. Des traits d'humour, il n'en faisait pas souvent. Mais pour elle, il avait baissé toutes les barrières. 


Le soleil était déjà haut dans le ciel quand ils parvinrent à la Rivière Delta, frontière de leur territoire avec celui du Tonnerre. Le parfum d'une patrouille ennemie, probablement passée plus tôt dans la matinée, flottait encore dans l'air. Gouffre du Soleil fronça la truffe, dégouté. Cette odeur d'humus était épouvantable. Le gibier avait du également la sentir, et ils devraient se séparer pour chasser, désormais. Qu'importe, Nuée de Colombe était bonne chasseuse, contrairement à lui. A leur retour, elle le taquinerait sans doutes sur ses qualités de chasseurs qui étaient bien faibles, par rapport à elle. Gouffre n'avait pas la patience, à vrai dire. " Séparons-nous, lança le rouquin en chuchotant, nous aurons plus de chance de trouver du gibier." Acquiesçant, sa compagne battit une dernière fois des cils avant de s'éloigner discrètement. Gouffre ne se doutait pas un instant que c'était la dernière fois qu'il la verrait en vie. Il s'enfonça dans la fronde des fougères comme une ombre rousse.


Il n'avait rien pris, évidemment. Oh, il avait bien eu des occasions de le faire, mais son impatience avait tout gâché, comme à chaque fois. Il savait qu'il aurait d'autres manière de prouver sa loyauté envers le Clan, mais pas à la chasse ni à la pêche. Il contempla le ciel. Cela faisait un moment qu'il s'était séparé de sa compagne, elle devait probablement avoir amassé une bonne quantité de gibier, la connaissant. Gouffre avait un drôle de pressentiment, néanmoins. Une petite angoisse qui sourdait en lui, qu'il n'arrivait pas à faire taire. Il se décida à la retrouver, et tant pis s'il faisait fuir sa dernière proie, ils devaient rentrer au camps. Gouffre ouvrit la gueule pour capter son parfum parmi les mille effluves qui s'offrait à lui. Elle n'était pas loin. Il se faufila entre les buissons qui l'entravait, mais une odeur singulière le fit stopper net. l'odeur du sang. Ce n'était pas l'odeur du sang d'une proie, mais le sang d'un chat. Son cœur rata un battement. Il se précipita en suivant sa trace, sentant l'angoisse le consumer. Était-elle blessée? Gouffre du Soleil ne pouvait pas croire qu'elle s'était blessée en chassant, et si elle avait rencontré un renard, sur leurs terres? Il déboucha sur les rochers qui gardaient leur frontière avec le Tonnerre. Le clapotis de l'eau chanta à ses oreilles tandis qu'il observait, sous le choc, le corps de sa compagne, étendu en bas de la pente.


Impossible. Elle ne peut pas être...


Le son de son propre hurlement, pur désespoir et chagrin, lui parvint vaguement. Ses pattes étaient en pierre à cet instant, son regard fixé sur Nuée de Colombe, immobile. Impossible. Impossible. L'idée même qu'elle fut morte ne pouvait pas entrer dans son esprit, c'était irréalisable. Il se sentit bouger, automatiquement, prudemment, il s'approcha. Elle devait lui faire une farce. C'était vraiment la pire farce qu'elle ait pu inventer, et Gouffre du Soleil sentit la colère monter en lui. Mais en se tenant plus prêt d'elle, il réalisa. Son sang se glaça tandis que sa colère faisait place au désespoir. Nuée de Colombe s'était brisée le cou sur un rocher. Elle ne lui faisait pas de farce, elle était morte. Gouffre n'aurait su dire combien de temps il resta là, planté comme un piquet à ses côtés, alors que le soleil entamait sa course vers l'horizon. Quand il repris un semblant de ses esprit, il chargea la chatte sur ses épaules, avec toute la délicatesse dont il pouvait faire preuve, et entama son retour au camps, dans une démarche d'automate, hébété et choqué. Quand il parvint aux abords de son Clan, il avait mal aux pattes, il s'était coupé les coussinets sur les roches tranchantes qui bordaient la rivière, mais sa douleur n'était rien. Son esprit était vide, simplement vide. Il ne réalisait pas ce qui se passait. Le corps de Nuée de Colombe glissait sans arrêt, et il l'avait grondée plusieurs fois au cours du trajet, pour qu'elle se tienne un minimum à lui, qu'elle allait bien, qu'elle serait soignée par leur guérisseur. Ce n'était probablement qu'une égratignure, après tout. Gouffre du Soleil pénétra dans le camps, cherchant leur guérisseur du regard. Il pouvait aider Nuée de Colombe, c'était certain. Non, elle ne pouvait pas ne pas guérir. Impossible.






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Dernière édition par Nuage de Thym le Jeu 15 Aoû 2024 - 2:48, édité 1 fois
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Rage de l’Amour
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MessageSujet: Re: Le dernier envol de la colombe   Le dernier envol de la colombe 3horlo10Mer 14 Aoû 2024 - 23:24

LE DERNIER ENVOL DE LA COLOMBE
feat. Innocence des Nuages, Nuée de Colombes, Nuage du Météore, Nuage du Prince, Nuage d'Onyx, Gouffre du Soleil

Past lives couldn’t ever come between us
Sometimes the dreamers finally wake up
Don’t wake me, I’m not dreaming
Don’t wake me, I’m not dreaming

Midi le cueille enfant. Le soleil pointe déjà haut lorsque Nuage du Météore passe l’entrée du camp, la fourrure échevelée et la paupière mi-close. Un bâillement irrévérent lui entrouvre la gueule et résonne, sonore, dans le camp déserté où ne traînent que quelques silhouettes alanguies à l’ombre. L’apprenti dédaigne le tas de gibier – l’estomac encore trop retourné du rude entraînement de la veille pour demander à être rempli – pour se diriger vers la tanière des apprentis. Les activités de la matinée, pourtant plus légères qu’hier, n’ont rien fait pour arranger la courte nuit qui fut la sienne. Entre un repas sous le soleil harassant et un somme piqué sur sa litière, le choix est vite vu. Il partagera un poisson avec sa mère ce soir pour se rattraper ; elle qui se plaint toujours que Gouffre accapare ses jours et plombe ses nuits.

À en juger aux odeurs familières qui lui prennent le museau lorsqu’il se couche, sa fratrie a opté de même. Ce que leur réserve Gouffre du Soleil cet après-midi, il n’y accorde aucune pensée – trop rompu aux exercices du père pour s’épuiser à en deviner la prochaine tournure corsée. Ainsi bercé entre la fourrure chaude de son frère et la respiration lente de sa sœur, il s’assoupit.

*

Sorgue le réveille adulte. Non pas qu’il en porte le nom – son baptême se profile, d’un pas pesant pour lui, d’une cavale effrénée au goût de sa mère -, non pas qu’il ne le sache encore. Le soir porte alors le nom de Nuage d'Azur, dont le visage d’ordinaire avenant est frappé d’une pâleur qui n’affecte que les fantômes. Il aurait dû savoir, alors, qu’un suaire ne drape que les mauvaises nouvelles. Trop étourdi de sommeil encore, néanmoins, tiré d’un sommeil décidément trop court, Nuage du Météore se contente de se retourner sur sa litière en grognant. «  Nuage d'Azur, j’t’aime bien mais j’préfère te prévenir que c’est pas le moment – j’me fiche bien de ce que c’est, ça peut attendre - » « Ç-ça peut pas tellement, Nuage du Météore, » et c’est le balbutiement qui le fait se redresser sur sa couche, groggy, alors que l’autre débite la nouvelle les yeux ronds, « Je pense vraiment que… que tu devrais venir. Nuage d’Onyx y est et – c’est – enfin c’est Nuée de Colombes. Viens, » assène précipitamment l’apprenti au pelage tacheté en se retirant, les yeux fuyants.

Nuage d’Onyx ? Un coup d’œil l’informe de ce que son oreille, bercée des expirations de sa sœur, aurait pu lui indiquer – aucune respiration profonde qui ne batte plus la cadence de ses rêves, aucune ombre couchée sur la litière voisine de Nuage du Prince. Nuée de Colombes ? Il s’extirpe de sa couche et sort de la tanière des apprentis. Ses yeux ne longent d’abord que les arrêtes du camp – des silhouettes familières, regroupées dans les ombres étiolées de leurs tanières respectives, se regardent et se murmurent. Comme autant de feuilles singulières d’un arbre dont il ne peut encore distinguer la forêt, Nuage du Météore observe, comme en transe, encore pataud des brumes du sommeil, l’agitation de ses camarades – tâtonne comme un aveugle jusqu’à trouver enfin le point névralgique vers lequel tous coups d’œils, tous chuchotements convergent.

Aveugle et sourd, il s’y dirige, automate. N’est-ce pas ce que tu fais de mieux ? Poupée désarticulée, vaguement intrigué, encore engourdit, les vapes qui lui bourrent l’esprit le masquent aux mines effrayées qui s’amassent graduellement aux seuils des tanières. Apprentis, guerriers et anciens portent tous le même visage – celui de Nuage d'Azur. Enfin, il arrive au niveau de l’attroupement qui s’est formé non loin du tas de gibier – son estomac gargouille bruyamment, et son regard attrape le reflet doré que gifle le soleil sur une écaille en haut de la pile. Voilà le poisson qu’il a promis à mère. Mais où est-elle ? Voilà déjà Nuage d’Onyx – fourrure d’ébène lui tournant le dos. « Eh, » dit-il en s’avançant d’une bourrade, « où est — ».

Sa voix se meurt sur sa langue alors que ses yeux se posent sur sa mère. Étendue sur la poussière, elle semble avoir endossé le rôle qui lui est réservé à lui : poupée désarticulée, le cou arrangé d’une façon qui aurait été comique, si ses yeux n’étaient pas clos d’une manière si étrange. Une blague lui survint – dis, c'est un drôle d’endroit pour faire la sieste -, aussitôt envolée qu’un matou massif, la gueule remplie d’herbes odorantes, surgit dans son champ de vision. Chant d’Espoir s’écarte de quelque pas et recrache son bagage par terre – une seconde des plus bizarres passe, assez pour qu’il revête le visage de Nuage d'Azur lui aussi. Nuage du Météore l’observe ouvrir la bouche, articuler des mots indéchiffrables – mais soudain aveugle, il voit ; sourd, il entend.

La vérité le percute de plein fouet. Il en perçoit les grondements jusque dans sa chair, avant même qu’elle ne débarque, gueule béante, et jette sur lui ses mains glacées. Des sillons sombres trahissent son passage ; alors qu’il reste figé là, Nuage du Météore les suit du regard, ces traînées rouges creusant la terre depuis l’entrée du camp jusqu’à Nuée de Colombes. La marée poisseuse s’échoue aux pattes de Gouffre du Soleil, lui plaque la fourrure contre les os, suinte entre ses coussinets ouverts – Moïse macabre se dresse devant lui. Prophète des grandes nuits, crépuscule avant-coureur des abysses dont ils ne sortiront point – qui est son père, sinon la Fin ?

Il faut une seconde latente à l’odeur métallique pour s’engouffrer dans son museau et lui colle au palais. Il en réprime un haut le cœur, la tête lui tourne, et le monde s’écroule. « Chant d’Espoir, » fébrile, bouillant, « son cou – ce que tu as, dans ta tanière ? » Ses mots se perdent. Peu importe, puisqu’ils ne portent aucun sens autre que celui de combler un silence qu’il ne peut supporter. « Merde, fais quelque chose – quelles herbes, je peux aller les chercher, c’est un tour rapide – mère, » dit-il fermement, lui poussant le bout de la patte. « MÈRE ! »

Ce sont les lambeaux de son être qu’il sent partir, se décrocher un à un des parois de son cœur et se briser en contrebas. Inconscient des réponses étouffées du guérisseur, des remous et clapotis qui tapissent la périphérie du camp, il s’étrangle. La scène fait se détourner les uns par pudeur ; les autres, peu soucieux de masquer leur fascination attristée, braquent leurs regards sur ce coin de monde où, défiant les lois primaires, le temps fait halte. Un corps déjà cadavre depuis longtemps, à l’insu des délires désespérés de ceux qui se pressent auprès d’elle et réclament à grands cris un guérisseur désemparé. Une morte ; lui, vivant, ne prétend plus en vouloir le titre, si elle n’est plus des siens. L’idée même lui est absurde.

Absurde car ce matin encore le ciel était bleu et l’air frais ; car ce midi le zénith ne s’entachait d’aucun nuage. Ce n’est pas un jour à mourir. C’est un jour à suer, à chasser, à manger, à se baigner – à vivre et à recommencer, enfin, jusqu’à ce qu’on en voie plus le bout. Il est de ces lois implicites qui régissent le monde ; le soleil se lève en orient, la rivière monte après la pluie, les morts sont refoulés aux mauvais jours. Bannis aux matins pluvieux, exilés sous les ciels gris et condamnés à hanter les brumes misérables des jours qui annoncent en leur vêtement le malheur qu’ils portent en leur giron. On ne peut mourir au soleil.

Et pourtant la voilà. Inerte, gisante face à son astre à elle – gouffre immobile que Nuage du Météore ne peut appeler père, car le guerrier porte les traits déformés d’un étranger. Presque tranquille dans sa posture, pas morte, non, jamais, quoiqu’il n’arrive pas à se convaincre qu’elle soit vivante. Il sent comme un rire aigu, une révolte grondante monter en lui. Mère, aura-t-il fallu que tu t’en ailles encore défiante ? L’a-t-il jamais comprise, cette nuée  de mille secrets ? Combien de mystères recèle-t-elle dans son sourire qu’il n’a su – n’a eu guère soucis de déchiffrer, apprenti seulement concerné de combats glorieux qu’il pouvait mener ? Machine infernale, connais-tu ta propre mère ? A-t-on seulement besoin de connaître pour aimer ?

Car il aime, il aime à en crever. Enfant il se pensait son futur compagnon, le seul digne d’accompagner sa mère ; apprenti il se songe preux protecteur. Le voilà fils endeuillé. Sait-elle qu’en mourant elle se fait Cronos ? Sait-elle qu’elle les dévore un par un, les condamne à ne vivre au travers elle pour le restant de leurs jours ? Morte, et pourtant à cet instant plus vivante qu’elle ne l’a jamais été ; le ruissellement de son sang les façonne plus que le lait maternel ne les a jamais abreuvés. Planches branlantes et poussiéreuses que celles sur lesquelles se déroule leur pathétique tragédie, rideau flamboyant que tire le crépuscule sur leur misérable dernier acte. Que ne sont-ils piètres acteurs, pétrifiés et ânonnant. Il lui semble que chacun attendent qu’on leur attribue leurs tirades – il se prend à le vouloir. « Père, » dit-il machinalement. Attend les directives ; les injonctions ; les explications. Un mot de Gouffre et le monde rentrera dans l’ordre, et Nuée de Colombes se relèvera. Le père fait la pluie et le beau temps ; il n’est de coup qu’il ne saurait donner, de combat qu’il ne saurait gagner, de trépas qu’il ne saurait effacer. Un mot, et Nuage du Météore oblige : qui craindre ? Qui prier ? Qui plaindre ? Qui aimer ? « Que s'est-il passé ? »  

Nuée de Colombes gît ; trois cénotaphes l’entourent. On les nommerait fous ; il n’y manqueront de s’y conformer. Nuage d'Onyx soudain s'anime, hoquète, disparaît en chancelant. Il veut la suivre, quand un mouvement du coin de l'oeil l'arrête : l'ombre de son frère paraît. Il ne doit pas la voir. La pensée est aussi soudaine que limpide. Nuage du Météore se lève – masque tant bien que mal de son corps celui de leur mère, sans réfléchir. « Prince. » Le mot contient tout ce qu’il ne peut dire, tout ce que Nuage du Prince doit voir par lui-même. Ne regarde pas, veut-il l’implorer. Ordonner. Veut s’élever en rempart contre les visions qui pourront hanter les cauchemars de ce benjamin dont le baptême ne remonte qu’à une poignée de lunes. L’entreprise est futile, vouée à l’échec – déjà il voit le visage de son frère se muer, être miroir du sien. Mais il joue son rôle. Que sait-il faire d’autre ? Quel échiquier macabre dressent-ils ; à l’aube d’une partie lugubre dont ils ne soupçonnent encore l’existence. Leur reine est prise.

Ma Mère, Ma Mère, pourquoi m’as-tu abandonné ?

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Le dernier envol de la colombe Ad49cbe37a262595d11390c1c88158877aaec8b1

UN GRAND MERCI À LULU (code), LYS, SIL, AIDO, WAKI, MYST ET RUNA (dessins).


Dernière édition par Rage de l’Amour le Mer 14 Aoû 2024 - 23:44, édité 6 fois
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MessageSujet: Re: Le dernier envol de la colombe   Le dernier envol de la colombe 3horlo10Mer 14 Aoû 2024 - 23:27

Fragment de vie

Les membres endoloris par la fatigue, Nuage d’Onyx s’écroula dans la tanière des apprentis, à bout de force. Le soleil venait à peine de percer à l’horizon alors qu’elle revenait de son entraînement familial avec son père et ses deux frères, elle avait encore le temps de se reposer un peu avant que son vrai mentor ne vienne la chercher pour le reste de la journée. Le rythme était épuisant, mais elle savait que si Gouffre du Soleil leur imposait cette session supplémentaire, c’était dans l’unique but de faire d’eux des meilleurs membres pour le clan. Et la féline souhaitait du plus profond de son cœur de le rendre fière, de devenir réellement la meilleure. Un jour, c’est elle qui serait à la tête de ce clan, sous le regard aimant de ses parents, qui ne regretteront jamais de l’avoir recueillis et qui ne remettront jamais en compte sa place dans leur famille. L’image de ses parents heureux et fière d’elle se figea devant ses yeux, alors qu’un sommeil réparateur s’insinua dans son corps, relâchant ses muscles crispés par les douleurs d’un effort trop important.

Puis elle se leva, poussé par son mentor. Elle ne protesta pas une seule fois de la journée, même quand ses pattes menaçaient de ne plus la porter. Enfin, alors que le soleil chutait dangereusement dans le ciel, elle s’effondra à nouveau dans sa litière, fermant les yeux un moment qui lui parut aussi rapide qu’un battement de cil.

Soudainement saisit par une terrible angoisse, elle se réveilla en sursaut. La respiration saccadée par des sanglots, l’apprentie calico traversait une énième crise d’angoisse. Le monde tournait autour d’elle alors que l’anxiété filait en elle telle une aiguille, elle détestait ça, elle détestait voir ses émotions exploser, voir l’accumulation finir par un trop-plein. Elle avait beau tout faire pour ne plus penser au passé, celui-ci la rattrapait constamment, lui rapportant l’abandon de ses parents biologiques, leur terrible mort alors qu’ils avaient cessé de battre. La laissant au commun des mortels alors qu’eux rejoignaient le Clan des Etoiles, terre de paradis alors qu’elle gisait ici bas, seule et démunis, sans plus aucune famille sur laquelle s’appuyer. Entre deux spasmes, les pattes tremblantes, Onyx se força à visualiser le pelage de Nuée de Colombes, ses yeux emplis d’amour à son égard, l’intérieur réconfortant de la pouponnière, la chaleur de celle qui l’avait accueillis quand elle en avait le plus besoin. Elle sentit son cœur battre plus doucement dans sa poitrine, sa respiration devenir plus fluide, écartant ce sentiment d'asphyxie et de mort lui tombant dessus. Cette sensation que tout explosait en elle, que son monde s’écroulait à nouveau autour d’elle, qu’elle revivait encore et encore cet abandon, cette solitude, cette peur, cette absence cruelle de ceux qu’on aime, de ceux qui comptent.

Elle se rassit au fond de la tanière, encore désorientée - Pendant encore combien de temps est-ce que je vais en faire ? , l’appréhension lui tordait l’estomac. Les crises étaient parfois si violentes que même la visualisation de sa mère d’adoption n’arrivait pas à l’apaiser. Elle s’étira les pattes une à une, ayant l’impression d’être encore plus fatiguée que lorsqu’elle avait regagné sa litière. Elle traversa l’endroit plongé dans la pénombre, évitant soigneusement les quelques corps encore endormis, dont ceux de ses frères, Nuage du Prince et Nuage du Météore, qui l’avait rejoint après la session. Puis, avant qu’elle n’eut franchi le pas de la sortie, des échos de voix lui parvinrent. Elle dressa les oreilles lorsque des cris d'effroi retentirent dans le camp, laissant sa curiosité la guider, Nuage d’Onyx s’engouffra à l’extérieur, franchissant le cours d’eau qui la séparait de l’entrée du camp. Jouant des épaules, elle se fraya un passage parmi les chats agglutinés, certains muets d’horreur tandis que d’autres détournaient les yeux dans un cri d’alarme - Qu’est-ce qui peut être aussi horrible que ça ?

Puis, tout son mondre collapsa et s’effondra sur lui-même.
Son pelage s’hérissa, ses yeux s’écarquillèrent, son souffle se coupa.
Son cœur, déjà tant meurtris, se fit arracher à sa poitrine, laissant un vide emplis d’une douleur sourde et puissante, la coupant presque de ses sens.

Gouffre du Soleil était là, devant elle. Elle le voyait bouger, peut-être même parler, mais elle n’entendait plus rien à part le vacarme d’un silence inhabituel dans son esprit. Elle refusait d’admettre ce qui s’offrait à sa vision, elle refusait d’accepter. Non, pas encore, pas encore une fois, pitié
Mais sa prière fut vaine, et ses yeux ne puirent ignorer plus longtemps le cadavre de l’être tant aimé, de celle qui l’avait élevé et accepté comme son propre enfant, celle qui lui avait offert une seconde chance. Quelque chose se brisa irrémédiablement en elle, alors qu’elle aspirait finalement goulûment une bouffée d’oxygène.
Accompagné d’un souffle saccadé, Onyx recula, bousculant les chats amassés derrière elle. Elle croisa des yeux affolés, emplis de larmes, emplis d’inquiétudes, emplis de tristesse, et la panique monta en flèche en elle : elle se noyait entre ces pelages aux milles yeux oppressants.
Forçant son passage, elle s’extirpa, fuyante, elle parcourt en quelques foulée qu’elle ne sentit pas le camp, se collant à la barrière végétale qui bordait le camp. Puis la nausée la saisit, son ventre se retourna et tout sortit. Comme si son corps rejetait la nouvelle autant que son esprit, comme s’il tentait de se purger, d’éviter, de nier, d’oublier la vérité.

Le flash la prit à la gorge comme si un ennemi y avait planté ses crocs et lui avait arraché la jugulaire, ne lui laissant aucun répis. La violence de l’image la tabassa, son souffle se coupa une nouvelle fois, une asphyxie inévitable la saisit, provoquée par le malheur d’une vie ponctuée de douleur, de morts.
Elle revoyait la scène, ne pouvait décoller de sa rétine Nuée de Colombes, l’être tant aimé, gisant, dénuée de la moindre trace de vie, un corps déjà raide, froid, mort. Un corps souillé par le sang, au cou tordu, aux allures terrifiantes. Elle était morte, comment pouvait-elle être morte ? Pourquoi elle ? Pourquoi encore ? Pourquoi ? POURQUOI ?
Ses pensées torturées se muèrent en un hurlement, un hurlement de rage, de souffrance, de désespoir, de tout. Puis le silence.
Seulement, le silence.
Le vide,
le néant,
l’absence.

Elle ne sentait plus son coeur battre dans sa poitrine, elle ne sentait plus que la douleur. Elle ne s’entendait plus penser, elle ne pensait plus que souffrance.

Lune 1206


___________________

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Dernière édition par Fragments d'Onyx le Jeu 15 Aoû 2024 - 11:10, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le dernier envol de la colombe   Le dernier envol de la colombe 3horlo10Jeu 15 Aoû 2024 - 11:07


    ♦ Le dernier envol de la colombe
    A lire en écoutant: Fourth of July - Sufjan Stevens
    « Feat. Innocence des Nuages, Nuée de Colombes, Nuage du Météore, Nuage d'Onyx, Gouffre du Soleil»


    Lune 1206

    Prince jette un regard alentour. La clairière d’herbe grasse lui est inconnue et pourtant, elle lui semble familière. Le soleil brille haut dans le ciel. Une douce brise vient caresser la fourrure du jeune chat. Il se sent… en paix.
    Soudain, une légère bourrade à l’épaule le sort de sa rêverie. Il aperçoit tout juste son frère, Nuage du Météore s’éloigner à toute vitesse en riant de sa bêtise. Prince esquisse un sourire et s’élance à sa suite. Ils atteignent bien vite la limite de la clairière, se terminant en une pointe à pic vers la mer. Ses parents se tiennent au bord de la falaise, se dévorant du regard comme ils savent si bien le faire. Nuage d’Onyx se tient un peu à l’écart, bientôt rejoint par Nuage du Météore puis par Gouffre du Soleil, annonçant le début d’un énième entraînement.
    Prince prend un instant avant de les rejoindre et se dirige vers sa mère. Cette dernière le regarde, les yeux débordants d’amour et son doux sourire sur les babines. Avant même qu’il n’ouvre la gueule, la chatte au pelage bicolore le prend de court:

    - Mon Petit Prince…

    L’intéressé s’empourpre légèrement.

    - Je suis apprenti maintenant maman. Tu ne peux plus m’appeler comme ça! Ou Nuage du Météore se moquera de moi et ne va pas me lâcher…

    L’adulte ronronne d’amusement un instant puis reprend:

    - Prince… Quoi qu’il puisse arriver, je serai toujours fière de toi, d’accord?

    Le jeune chat cille, décontenancé par ses paroles qui tombent comme un cheveu sur la soupe. Soudain, il remarque à quel point sa mère se tient proche du bord. Trop proche.

    - Maman, tu es drôlement proche de la falaise, attenti…

    - Sois fort Prince. Ne laisse pas les épreuves endurcir ton cœur.


    Puis Nuée de Colombes recule d’un pas et bascule dans le vide.



    ***

    Prince se réveilla en sursaut, la fourrure collée à sa peau, les yeux exorbités et le souffle court. Il mit un certain temps à comprendre où il était mais la chaleur du corps de Nuage du Météore lui donna une bonne piste. La tanière des apprentis. Son chez lui depuis peu désormais. Était-ce donc qu’un affreux cauchemar?

    Le matou de feu et d’encre se leva doucement, nota l’absence de Nuage d’Onyx, sûrement déjà parti pour son entraînement, et sortit de la tanière sur la pointe des coussinets avant de se diriger vers la tanière des guerriers. Il jeta un coup d’œil à l’intérieur et une vague de soulagement faillit lui faucher les pattes lorsqu’il reconnut les pelages entremêlés de ses parents. Tout allait bien. Sa mère était tranquillement endormie dans sa tanière. En vie. Il n’avait fait qu’un mauvais rêve. Nuage du Prince lâcha un petit soupir puis fit demi-tour. Il hésita un instant à regagner sa couche mais il avait l’impression que le sommeil le fuirait dorénavant, les dernières bribes de son cauchemar s’accrochant encore à ses poils.
    À la place, il s’éclipsa du camp, profitant de ce privilège qu’il avait récemment acquis en devenant apprenti. Il n’avait pas encore pris le temps de parcourir les terres de son clan et le tour rapide que lui avait fait faire son mentor lors de son premier jour d’apprentissage n’avait pas suffit à rassasier sa curiosité. Il avait soif de découverte et avait grandement besoin de se changer les idées.

    Il avait encore les membres fourbus par l’entraînement supplémentaire que leur avait octroyé son père, ses adelphes et lui. Les leçons de Gouffre du Soleil était toujours particulièrement intense et pouvait parfois empiéter sur les journées de mentorat du jeune apprenti, le rendant bien moins productif auprès de son vrai mentor. Mais Prince refusait de se plaindre. Il avait attendu toute sa vie que son pere s’intéresse à lui et daigne passer du temps avec lui. Il avait souvent regarder Mété quitter le camp en compagnie de ce géniteur dont il voyait plus la silhouette dans le lointain qu’il n’en sentait l’odeur. Sa mère lui avait assuré que son tour viendrait et maintenant que c’était le cas, il ne voulait rien gâcher. Alors il endurait les entraînements en serrant les deux, se remémorant le regard empli de fierté que Nuée de Colombes posait sur son compagnon et ses trois enfants lorsqu’ils rentraient ensemble de leur séance.

    S’il cherchait l’approbation de son père, il mourrait pour la fierté de sa mère. Elle avait été son soleil et son refuge pendant ses six premières lunes, si douce, si encourageante. Voir son amour et sa fierté briller dans ses yeux d’or lors de son baptême lui avait donné des ailes.

    L’angoisse sous-jacente qui ne l’avait pas quitté depuis son réveil commençait à refluer et il put bientôt pleinement profiter de sa promenade. Il laissa donc ses pattes le guider sur ces paysages qui allaient désormais le voir grandir.

    ***
    Nuage du Prince revint en fin de matinée. A peine eut-il mit une patte dans le camp que son mentor lui tomba dessus, lui demandant où il était passé et le tançant d’avoir loupé une matinée d’entraînement. Le jeune chat garda le silence mais son orgueil d’enfant le tentait de lever les yeux au ciel. Avec l’entraînement de Gouffre du Soleil, il était plus qu’à jour sur son apprentissage, dépassant déjà de loin les attentes pour un apprenti de son âge.
    Mais il suivit tout de même son aîné de bonne grâce pour une nouvelle leçon.

    Ils ne revinrent au camp qu’en fin de journée, alors que l’astre du jour commençait doucement à décliner, teintant le monde de nuances de rose et d’orange. Le ventre du Prince grondait depuis quelques temps, grognant son mécontentement d’avoir ainsi sauté le repas du matin pour lui préféré une promenade. Hélas pour le jeune félin, un événement semblait agiter le clan, éloignant plus encore la perspective d’un repas.

    Curieux, Nuage du Prince s’avança à son tour vers le petit attroupement, alors qu’il allait demander à un apprenti se trouvant en périphérie du groupe ce qu’il se passait, il nota les regards de pitié et de tristesse que lui jetèrent ses camarades. Un mauvais pressentiment lui enserra les tripes. Il se fraya un chemin jusqu’au centre, trop inquiet pour relever que les autres chats s’écartent pour le laisser passer. Quatre chats se trouvaient au centre du groupe. Quatre chats trop familiers. Il n’eut pas le temps de comprendre ce qu’il se passait que Nuage du Météore lui en masquait la vue. Il l’interpella. Il le supplia. Il l’appellera à l’aide. Ce frère si fort et inébranlable, ce modèle qu’il admirait depuis qu’il était en âge de marcher, semblait sur le point de se briser et le cœur de Prince tomba en chute libre.

    - Laisse moi passer, somma-t-il d’une voix blanche. Qu’est-ce qui se passe…?

    Il bouscula légèrement son aîné et posa les yeux sur le corps étendu sur le sol. Ce corps qu’il avait déjà reconnu mais refusait d’identifier.
    Nuée de Colombes gît sur le sol, sa silhouette gracile entourée d’un halo de sang. Morte. Comme un écho cynique de son cauchemar. Et comme dans son rêve, Prince ne parvint pas à hurler son désespoir. Ses yeux s’écarquillèrent, sa bouche s’ouvrît et se ferma plusieurs fois d’une manière qui aurait pu être comique si la situation n’était pas si tragique.
    Son esprit resta fermé à la réalité et l’apprenti s’approcha en titubant du corps de sa génitrice qu’il secoua doucement du bout de la patte.

    - Maman? Maman, réveille toi. Chant d’Espoir va te soigner mais on a besoin de savoir à quel point tu es blessé.

    Seul le silence lui répondit, seulement rompu par un grattement de gorge gêné quelque part dans l’assemblée. Mais Prince les ignora et reprit, d’une voix plus suppliante:

    - Maman, s’il te plaît… réveille toi. On… on doit partager un repas ce soir, tu te souviens? Puis on s’était dit qu’on irait se balader près de la mer bientôt. Mais il faut que tu te réveilles…

    Nuée de Colombes resta immobile, figée à jamais. Alors le jeune chat n’eut d’autres choix que d’accepter la triste réalité: sa mère était morte. Elle ne lui lècherait plus le haie du crâne pour le réveiller le matin, ne l’encouragerait plus jamais lorsqu’il doutait de ses capacités après une remarque de son paternel, ne partagerait plus de repas avec lui après une journée de travail. Il n’avait plus de mère.

    - Maman, s’étrangla-t-il avant de s’effondrer en sanglot, fourrant son museau dans la fourrure bicolore.

    Elle avait déjà perdu sa chaleur si familière et son odeur caractéristique commençait peu à peu à s’effacer. Mais Prince s’accrocha à elle, les yeux fermés, répétant comme une litanie « non, ce n’est pas possible, pas toi ». Mais c’était bien possible. Et le pire était arrivé.

     

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MessageSujet: Re: Le dernier envol de la colombe   Le dernier envol de la colombe 3horlo10Jeu 15 Aoû 2024 - 14:20

Le dernier envol de la colombe Gouffr13




Tous leurs camarades se pressent prêt d'eux, désormais. Sur leurs visages, le chagrin, l'horreur, et certains se détournent par pudeur, leurs regards glissants sur Gouffre du Soleil, toujours immobile. Vaguement, il voit ses enfants se presser autour du corps de leur mère, d'abord Nuage d'Onyx, puis vient Nuage du Météore. Nuage du Prince s'effondre sur leur mère, secoué par les sanglots. Nuage d'Onyx s'éloigne, le visage hébété, chancelante. Le rouquin ne voit pas par où elle fuit, son regard reste fixé sur Nuée de Colombes. Gouffre du Soleil se sent comme spectateur impuissant de la scène, pétrifié par l'horreur de ce qu'il ne peut pas accepter. Toute sa vie, il a régit la vie de sa famille, Sans même réaliser qu'il n'est pas possible d'interdire à quiconque de perdre la vie. La mort, elle prends sans réellement se soucier du chagrin des autres, sans prévenir, elle frappe et emporte avec elle les malheureux imprudents. La mort ne connait aucune justice, et ne fait aucun cadeau. Ses pattes le lancent terriblement, et Gouffre à souillé d'une trainée sombre le chemin qui mène au centre du camps. Chant d'Espoir est là, et porte tour à tour sur eux un regard qui mets le rouquin en colère. Il a posé son ballot d'herbe prêt de Nuée de Colombe, sans même s'en servir. Les herbes gisent là, piétinées par Nuage du Prince dont le visage est enfoui sous la fourrure de sa mère. Nuée de Colombes ne se réveillera pas, le regard de Chant d'Espoir en dit trop long. Le rouquin prends la réalité en pleine face, comme une gifle lancée par un adversaire deux fois trop fort pour lui, et il chancèle. Nuage du Météore glapit, lui demande ce qui s'est passé. Lui-même ne saurait le dire. Depuis le moment où il a trouvé sa compagne sans vie, il n'aurait même pas su dire combien de temps s'était écoulé. Elle ne peut pas être morte. Elle ne peut pas l'abandonner ainsi. Qu'est ce qu'il peut bien devenir, sans sa présence? Sans son amour? 



Gouffre ouvre plusieurs fois la bouche pour parler, sa bouche est sèche. Sa gueule est comme remplie de milliers de morceaux de verres, il n'arrive pas à sortir un son. Il veut répondre à Météore, mais il en est incapable pour l'instant. Gouffre le couve d'un regard désespéré, comme jamais il n'a regardé un de ses enfants. En fait, il n'a jamais posé ce genre de regard sur quiconque. Le grand Gouffre, le roc, pilier de la famille, n'a jamais éprouvé ce sentiment auparavant, même à la mort de sa propre mère. Tout ce qu'il avait réussi à éprouver ce jour-là, c'était une effroyable colère, qui avait embrasé tout son être jusqu'à l'assassinat de son père. Là seulement, il s'était calmé. Il n'avait plus de raison. Oh, la colère revenait par moment, bien sur, mais ce n'était jamais comparable. On distingue assez facilement le feu de forêt du simple feu de camps, après tout. 


Au prix d'un effort colossal tant ses membres sont raides, Gouffre avance lentement jusqu'à Nuée de Colombes. Il a conscience que c'est vraiment, vraiment terminé. Pas de seconde chance pour sa compagne. On joue, et parfois on perd, c'est la dure loi de la vie sauvage, leur liberté a forcement un prix. Gouffre du Soleil est mortifié par la réalité, il ne veut pas vivre dans un monde où elle n'est plus, et pourtant, on ne lui offre pas le choix. "Je l'ai trouvée... comme ça." Le matou est surprit par le timbre de sa propre voix, d'habitude si sûre, tonitruantes, elle est éraillée et fade. Ce n'est pas comme ça qu'il s'exprime d'ordinaire, mais sa bouche est trop sèche, sa tête semble emplie de coton tant l'info est dure à digérer. Il s'adresse à Météore, mais sans vraiment être certain que ce dernier l'ai entendu. Tant pis. Son regard est figé sur la fourrure emmêlée de sa compagne, elle qui avait pourtant pris tant de soin, chaque matin, de la lustrer. Qu'est ce qui s'est passé? les mots de son fils lui reviennent dans la figure, encore et encore. Tandis qu'il retrouve un peu de lucidité, il se pose réellement la question, en sentant malgré lui une colère monstrueuse sourdre en lui. Nuée de Colombe ne se serait jamais approché du bord de la pente toute seule, elle connaissait la dangerosité des arêtes, qui s'effritaient facilement sous le poids d'un chat. Même au cœur de la chasse, elle n'aurait jamais fait cette erreur stupide d'apprenti. Alors qui? qui l'a assassinée de sang froid? Son regard tombe sur les membres de son clan, des visages qu'il avait vu grandir. Est-il seulement possible qu'un seul de ces cœurs de renard ai pu lui en vouloir suffisamment pour la pousser? Gouffre se redresse, menaçant. Sa fourrure à doublé de volume, et la colère danse dans ses prunelles vertes. Colombe ne méritait pas de finir comme ça, poupée de chiffon à la merci des corbeaux. Elle méritait de vivre, de vivre! Le corps massif de Gouffre protège Nuage du Prince et sa mère de sa silhouette menaçante, et le rouquin balaye son regard sur ses camarades endeuillés. S'il pouvait tuer d'un regard, il n'y aurait plus âme qui vive ce jour. Soudain, une effluve familière emplie sa truffe. Cette effluve, assez vague, mais reconnaissable parmi toutes. Gouffre à vécu suffisamment de lunes pour connaître les parfums de la forêt, et même si l'odeur est presque effacé par la journée qui s'est écoulée, il la reconnait très bien. Brusquement, il fait volte-face, stupéfait. L'odeur est collée à lui, et, plongé dans le chaos de ses pensées tourbillonnantes, n'y avait pas fait attention jusque là. Il a porté Nuée de Colombe sur ses épaules, et l'odeur est également sur son pelage, discrète, mais présente. Ce parfum d'humus et de sève, qui colle à la frontière de la Rivière Delta. Leur frontière avec le Clan du Tonnerre. " Nuage du Prince" souffle t-il. Son fils ne bouge pas. Gouffre du Soleil est planté face à lui. " Nuage du Prince, reprend t-il, plus fort cette fois-ci. " Pousse-toi." Le matou veut être sur de lui. Si Prince reste trop longtemps sur la dépouille, il couvrira de sa propre odeur l'effluve de son assassin. Il doit être sur que le coupable vienne des bois. 

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MessageSujet: Re: Le dernier envol de la colombe   Le dernier envol de la colombe 3horlo10Dim 8 Sep 2024 - 12:33


Fragment de vie

Il fallait qu’elle retourne près des autres, il fallait qu’elle revoit le corps de celle qui lui avait tout donné, quand elle n’avait plus rien. Les pattes raides de terreur, elle traversa le camp en sens inverse. Cette fois, elle n’eut pas besoin de jouer des épaules pour franchir l’assemblée, ses camarades de clan se poussant d’eux-mêmes de son chemin, tandis qu’elle sentait leurs regards lui brûler l’échine.

Sa vue se déboucha enfin et son regard croisa celui de Mété, puis ses yeux se posèrent sur Prince, effondré sur le corps inerte de votre mère. Onyx refoula la nausée qui la saisit et elle s’approcha doucement, presque en reculant. Ce n’était pas la première fois que la féline calico était confrontée à un cadavre, elle avait vu ceux de ses parents biologiques, c’était l’un de ses premiers souvenirs : leurs corps froids, inertes, rongés par la maladie. Mais Colombe n’était pas décédée de maladie, non, elle était en parfaite santé. Arrivant à hauteur de Prince, Onyx garda un instant la tête haute et les yeux fermés, ne se sentant pas en capacité de baisser les yeux, de confronter la réalité. Cet instant lui parut à la fois tellement long, et tellement court. Elle finit, avec une lenteur extrême, à descendre son regard, à réellement poser les yeux sur le cadavre.

Nuée de Colombe était là, morte, le dos plié en deux, cassé. Tout était étrange dans sa position, Onyx n’aurait jamais pensé voir un corps dans un tel état. Si l’angle de son dos l'effrayait, elle fut obligée de détourner un instant les yeux de la position de son cou, cassé lui aussi, laissant s’échapper une quantité monstrueuse de sang. Si sa mère était morte depuis longtemps, son sang continuait de s’écouler - quelle est la quantité de sang contenu dans un chat ? - Ses yeux étaient fermés, comme si quelqu’un l’avait fait manuellement, est-ce que c’était l'œuvre de Gouffre du Soleil ? Elle risqua une œillade vers lui, aussi mortifié que ses enfants. L’interrogation flasha dans son esprit comme un coup de foudre, sera-t-il toujours son père si la Colombe s’est envolée ? La peur lui tordait l’estomac alors que son regard passait tout à tour sur Prince et Météore, sera-t-elle toujours leur sœur ? Colombe n’était elle pas la colle entre eux ? Elle ravala difficilement sa salive, les yeux écarquillés de choc et de peur. Son regard descendit sur ses pattes, elle remarqua à cet instant qu’elle avait marché dans le liquide poisseux formant une flaque autour du cadavre. Elle leva une patte, souillée de sang, puis recula la deuxième, les oreilles plaquées en arrière sur son crâne. Puis elle s’asseya, elle ne s’était jamais tenue aussi droite de sa vie, ne sachant plus quoi faire de son propre corps. Comment agir à présent ? Quelle était la bonne attitude à adopter ? Un drôle de bruit sortit de sa gueule, alors qu’elle essaya de ravala son chagrin, teinté d’une amer colère et d’un dégoût qu’elle ne peut dissimuler. Comment ne pas être rebuté par la vue de la dépouille accidentée ?

La voix rauque de Gouffre la tira de sa stupeur : il l’avait trouvé, comme ça. Était elle morte seule ? Avait-elle vu venir la mort ? Avait-elle eu peur ? Cent milles questions lui traversèrent l’esprit, alors que le matou vêtu de roux poussa son frère - Est-il toujours mon frère ? - Onyx ne comprit pas pourquoi est-ce que Gouffre agissait comme ça, mais elle ne posa pas de question. Elle resta là, immobile comme une statue. Elle avait peur d’exploser si elle bougeait, elle avait peur que tout sorte, elle avait peur de perdre le contrôle. Comment est-ce qu’on survivait à ça ? Comment est-ce qu’elle pouvait perdre sa mère pour la deuxième fois ? Pourquoi ? POURQUOI ? Une colère sourde monta de plus en plus fort en elle, elle se sentait au bord de l’explosion. Mais elle ne bougea pas, elle resta de marbre, attendant que quelqu’un fasse quelque chose, Météore ? Oui, Météore allait faire quelque chose, il allait s’occuper d’eux. Il était toujours son frère, non ? Avait-elle encore une famille ? Elle jeta une œillade anxieuse vers celui-ci, presque implorante.

Lune 1206



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MessageSujet: Re: Le dernier envol de la colombe   Le dernier envol de la colombe 3horlo10Jeu 7 Nov 2024 - 12:46

Nuage du Météore
LE DERNIER ENVOL DE LA COLOMBE  — Lune 1206

Le ciel suintait. Il ignorait que le temps poursuivait sa course, que le soleil en arabesque égrenait les minutes : déjà le ciel suait de carmin et la nuit s'avançait à pas de loups. Le soir les enveloppait d'un manteau de plomb qui lui faisait fléchir les pattes. Pour lui, tout s'achevait ici.

Gouffre du Soleil lui répondit d'une voix qui ne lui appartenait pas. Empruntée à un imposteur aux accents éraillés, car jamais son père ne faisait autrement que tonner ; car jamais aucune hésitation ne faisait fléchir ses ordres ; c'étaient deux parents que le soir lui prenait. Nuage du Météore demeurait debout, hébété. Tenter de faire prendre sens à ce qui tourbillonnait autour de lui était aussi vain que chasser le vent. Marionnettes aux fils tranchés, son esprit s'accrochait à tout ce qu'il trouvait de solide afin de freiner sa chute libre. Trouvée là. Trouvée là, comme ça, désarticulée. « Où ? Quand ? » ânonna-t-il d'une voix sourde.

Réclamant tout haut des faits dont son cœur n'avait cure, mais que sa raison exigeait. Des faits, il pouvait se construire un bastion. Des faits, il pouvait paver sa place forte. Du deuil, il ne pouvait que plonger dans le précipice.

Cette abîme, d'autres y glissaient déjà. Enfiévré, l'apprenti au pelage de jais et de feu vit Nuage d'Onyx rejoindre Nuage du Prince, affaissé près de la dépouille de Nuée de Colombes. Des rivières vermeilles se frayaient un chemin en sillons tortueux sur la poussière, imbibant leurs coussinets, tâchant leurs pelages ; il abaissa le regard vers ses propres pattes. Baptême funèbre que celui du sang d'une mère.

Regard meurtrier que celui jeté par son père autour de lui. Fils aîné, Nuage du Météore a grandi à l'ombre des humeurs de ce père qu'il essayait toujours d'interpréter. Anticiper les besoins et exigences de Gouffre du Soleil, déchiffrer ces clefs et pousser toujours de l'avant — morne routine. Pourtant, ce regard là — ce regard là, l'enfant soldat rompu à l'exercice ne le reconnaissait pas. Ne savait quel sens lui donner. Tout comme l'ordre succinct qui suivit : pousse-toi, Nuage du Prince.

Comme Gouffre du Soleil se penchait pour humer le pelage de Nuée de Colombes,  Nuage du Météore intercepta l’œillade anxieuse de Nuage d'Onyx. Droite, assise, les pattes noyées dans cet océan rouge qui les happait tout entier, sa fourrure frôlant celle de son cadet. Quelles drôles de petites choses ils étaient. Des bouts de vie fragmentés qui s'amoncelaient autour d'une plaie grossière et béante.

À la vue de ces deux silhouettes dont il partageait chaque heure du jour et de la nuit, une bouffée d'affection féroce l'envahit. Son premier instinct fut d'ouvrir la gueule — aboyer sur ce père péremptoire qui balayait le deuil d'un fils du revers de la patte. À la vue du matou massif, néanmoins, il s'arrêta net. Le réflexe fut tout aussi vite dissipé.

Pris entre deux feux — sa loyauté à son père et celle à sa fratrie —, Nuage du Météore attendit quelques battements de cœur que Gouffre du Soleil accomplisse ce qu'il désirait. Tout en lui voulait déguerpir de là. Déjà, le feu d'une colère sourde incendiait ses veines. Il n'avait jamais été doué en émotions. Il était toujours plus facile de résoudre ses tourments d'un coup de griffe — un combat exutoire, des blessures à fleur de peau dont il sentait les morsures avec un masochisme réconfortant. Fils de violence, il n'avait jamais su expier ses maux autrement. Et pourtant...

Pourtant il y avait Nuage du Prince, et Nuage d'Onyx. Il ne pouvait fuir. Partir, aller où ? Réclamer vengeance à qui ? Provoquer la mort en duel ? Ce que deviendraient ses deux cadets sans lui, il n'avait aucune idée — et aucune envie d'en formuler l'hypothèse. Nuage du Météore s'avança vers Nuage d'Onyx et Nuage du Prince, qu'il gratifia tous deux d'un coup de langue râpeux. « On doit la veiller, maintenant, » dit-il d'une voix rauque. « Ensemble. » Ses enfants. Son compagnon. Il ne savait si les autres amis qu'avait Nuée de Colombes braveraient la foudre de Gouffre du Soleil et oseraient s'approcher afin de la veiller. Il s'en moquait bien. Les siens étaient déjà ici.

Le mâle s'allongea près de sa mère, ne prenant pas garde à la marée poisseuse dans laquelle il se plongeait, et commença à en faire la toilette de coups de langues qu'il voulait assurés. Entre deux, il leva un regard pénétrant vers Gouffre du Soleil. N'était-ce pas à lui de conclure l'affaire ? Ou bien à Chant d'Espoir ? Étoile de Jais ? À qui revenait la tâche de déclarer la mort ? Rappeler les qualités du défunt ? Aussi futile que ces rituels lui avaient parus jusque là, Nuage du Météore se raccrochait soudain à cette tradition comme si sa propre vie en dépendait. Il fallait une voix pour le décréter. Une sentence qui l'enterrait pour de bon.

Alors, et alors seulement, leur longue nuit commencerait.


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MessageSujet: Re: Le dernier envol de la colombe   Le dernier envol de la colombe 3horlo10Jeu 7 Nov 2024 - 22:24

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Fourth of July - Sufjan Stevens


Lune 1205

Prince avait l’impression de mourir à petit feu. Jamais il n’avait connu pareil souffrance. Son cœur semblait à l’agonie, charriant un sang se glaçant chaque seconde un peu plus dans ses veines, ses entrailles se tordaient, comme aspirées par un trou noir au creux de lui-même, son cerveau n’était plus qu’une épaisse fumée noire. Et il se sentait si lourd, lourd, lourd… et en même temps si vide, vide, vide.

Le fils en deuil ne sût combien de temps il resta ainsi, mouillant de ses larmes le corps froid de sa mère. Une part de lui-même, totalement déconnectée du drame qu’il vivait, s’étonna de la quantité d’eau qu’il versa. Lui en resterait-il? Ou allait-il en finir ainsi, enveloppe desséchée par un chagrin trop grand pour lui? Ce n’est pas comme s’il allait vraiment manquer à quelqu’un. La seule personne qui semblait réellement se soucier de lui gisait dorénavant devant lui. Ne restait plus qu’une sœur qui le haïssait sans raison, un père qui ne semblait n’avoir aimé réellement qu’une seule fois dans sa vie et…
Non. Prince chassa ses sombres pensées. Il n’était pas seul. Même dans son chagrin il sentait la présence de son aîné. Météores. Son étoile. L’unique astre illuminant encore le noir futur qui semblait se dessiner.

Soudain, une voix perça le brouillard de ses pensées. Une voix autoritaire. Brute. Familière. Une voix qu’il a appris depuis ses premiers jours à écouter sans réfléchir. Son père.
Gouffre lui ordonnait de s’écarter de Colombe, une tempête se déchaînant dans ses yeux verts.
Pour la première fois, le fils s’insurgea. Gouffre ne pouvait pas lui retirer ce droit. Il pouvait pleurer sa mère. Il pouvait se montrer faible ce jour-là. Il poursuivrait ses efforts pour être le guerrier impitoyable que son père voulait qu’il soit plus tard. Mais pour l’instant, il ne pouvait rien faire d’autre que son deuil. Quel monstre éloignerait des enfants de leur mère défunte?
Hélas, malgré sa rébellion intérieure, Prince était trop épuisé et trop conditionné pour faire autre chose qu’obéir. Avec un reniflement pathétique, il se releva et s’écarta de Colombe, non sans fixer son paternel des yeux, une légère rancoeur s’installant dans ses prunelles  d’or et de joyaux. Mais il mit rapidement son amertume de côté en voyant le matou à la fourrure de flamme humer encore et encore la dépouille de sa compagne. D’abord confus -Gouffre cherchait-il à imprimer dans son esprit l’odeur de la seule personne qu’il ait réellement aimé? - un léger effroi le prit aux tripes lorsqu’il crut comprendre la manœuvre. Il flaira son propre pelage, s’attardant sur les parties ayant été en contact avec sa mère. Il reconnut l’odeur de son clan, de l’humidité familière de la rivière et de la terre, du sel s’attardant toujours sur ses poils. Puis venait en second temps, plus ténu mais néanmoins reconnaissable - le jeune apprenti aurait pu la reconnaître quelque soit les circonstances- celle de Colombe. Chaude, riche et apaisante. Et là, quasi imperceptible mais non moins dérangeante, comme un pressentiment alarmant: une odeur inconnue. Pas une proie. Pas une plante. Un chat?

Alarmé, Prince releva vivement la tête et chercha à croiser le regard de son parent, comme attendant une confirmation de la vérité qu’il voyait doucement se profiler. Une langue râpeuse se posa alors sur son crâne, le faisant légèrement sursauter. Ce n’était que Météore, annonçant le début de la veillée du corps.

Hébété par ce qu’il pensait avoir compris, terrassé par sa peine et épuisé par l’intensité de son chagrin, le benjamin de la fratrie s’avança de nouveau vers le corps sans vie de sa mère et s’allongea aux côtés de Météore, laissant leurs fourrures s’entremêler tout en luttant contre l’envie - ou le besoin- de se blottir contre lui.




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