Cry me a river | Prince des Nuées x Luciole Nuageuse

Le rire d’Éclipse Solaire illumine nos museaux aussi sûrement que l’astre qui lui prêta son nom. Une mélodie cristalline qui détend les muscles d’Explosion de Lumière, tire un rare sourire à Chant d’Antan et chasse les noirs nuages de mon esprit. Je lève les yeux pour observer les rayons jouer avec les feuilles de la forêt de bouleaux. Entre deux bourgeons, un monarque, sublime papillon roux et ébène, valse vers nous, comme s’il souhaitait également se baigner dans la joie de cet instant.

Un cri. Je vire ma tête vers ma famille. Le sol s’effondre. Je m’élance. J’étends mes pattes autant que possible. Antan disparait dans la crevasse.

Pas une crevasse, une cascade. La cascade.

Lumière et Éclipse tentent de le retenir. Je supplie mon corps d’allonger sa foulée. Je supplie le monde de s’arrêter. Ma fratrie me semble toujours plus loin.

Mes sœurs sont entraînées par le poids du géant gris. Mais enfin, j’arrive ! Je me penche pour attraper le pelage doré de l’une d’elles et…

Leurs pattes lâches. Elles tombent. Impuissante, je ne peux que fixer leurs pupilles dilatées et leurs gueules ouvertes dans des hurlements que mes oreilles n’entendent pas. Leurs corps s’écrasent sur les rochers de la chute d’eau en un craquement sec. Ils disparaissent un instant sous les remous, avant d’émerger quelques longueurs de queues plus loin sur la rivière. Je cherche mon frère du regard, et le trouve vite à leurs côtés, inerte. Mais il n’est pas seul.

Souvenir des Étoiles, Mouette Rieuse, Arôme de Cassis, Papillon Éphémère, Hiver Éternel… La Lune à son complet teinte de rouge les flots.

Soudain, une ombre s’approche de moi, et souffle au creux de mon oreille :

« Tout est ta faute. »

Pic du Sapin ! Quand ses pattes me poussent à mon tour dans la cascade, je n’y oppose aucune résistance. La crevasse se referme. Avant qu’elle ne se scelle et que l’eau ne m’engloutisse, je lève une dernière fois les yeux. Les iris verts de ma défunte mentore scintillent plus encore que la lune qui la surplombe.

Je halète, je m’étouffe dans ma propre salive, et m’allonge pour laisser la toux l’évacuer. Mon regard glisse sur le vide qui m’entoure. Une tanière aux nids pour la plupart vacant, et dont les rares occupants doivent bien faire la moitié de ma taille. Ce n’était qu’un rêve… Évidemment, comment en aurait-il pu être autrement ? La terre ne s’ouvre pas sous nos pattes sans prévenir.

De l’air. Je traine sans un bruit vers la sortie, et peine à y passer ma carcasse bien trop haute. Quand cesserais-je donc de grandir ? Certes, mes parents sont immenses, mais mes sœurs, elles ont déjà achevé leur croissance. Pourquoi est-ce que les Étoiles s’entêtent à m’étirer encore et encore vers elles ? C’est un tel gâchis de nourriture.

Pendant que je rumine, mon corps chemine machinalement vers la forêt de bouleaux en esquivant les gardes. Voilà un moment que j’avais pris l’habitude de m’échapper de la sorte, même si, depuis l’annonce de la venue de la Horde, je tâche de ne pas m’éloigner.

Ma gorge me fait mal. Mon cœur bat douloureusement dans ma poitrine. Je passe à côté de l’arbre dans lequel je me suis lovée quelques nuits auparavant et où Mouette Rieuse m’a trouvé. J’ignore la série de larges troncs sur laquelle Souvenir des Étoiles m’enseigne l’escalade et les bonds. Ce soir, je veux tout abandonner derrière moi.

S’échapper. Juste un instant, un moment. Une infime seconde, le temps d’un battement de cœur, d’un clignement de paupière. Échapper au regard de mes camarades, à la pitié de mes sœurs, à l’inquiétude de mon père. Mais surtout, échapper à mon frère, à son attitude douce et bienveillante, à son regard scrutateur qui semble lire par-delà la façade sereine et en contrôle que je m’évertue à construire depuis la mort de Pic du Sapin.

La nuit est plus noire qu’un cœur d’un renard et plus épaisse que la crinière d’un lion. Au-dessus de moi, la lune est absente, laissant place à une myriade d’étoiles et leur lumière froide. Dans ce territoire que je connais si bien, je laisse mes moustaches me guider entre les racines. Bientôt, le doux clapotis de l’eau arrive à mes oreilles. La rivière.

Alors que je m’assois à son bord, ma gorge se dénoue. J’inspire profondément les effluves sucrés qui ressortent sous l’humidité du soir. Sur l’autre rive, dans les ténèbres, se trouvent un petit bois et les Cinq Rocs, mais pour l’instant, faute de lumière, je n’y dénote qu’une assemblée de formes décolorées. Je m’allonge dans l’herbe déjà couverte de rosée, et ferme les yeux pour mieux profiter des mélodies de la nuit.

« Tu n’es qu’un lâche. Venir pleurnicher au bord de l’eau, est-ce vraiment le guerrier que tu souhaites être ? »

Mes oreilles se dressent sur mon crâne. Je scanne les environs, jusqu’à distinguer une silhouette, aussi floue et noire que ce qui l’entoure. Aux termes qu’il avait employés, l’inconnu ne pouvait qu’appartenir à l’un des clans. Peut-être celui du Vent, dont le camp n’est pas si loin. Je ne peux le laisser vider son cœur alors que je suis là. Sans me lever, je trouve une branche et, de ma patte blanche, la brise d’un coup sec. Le mâle redresse aussitôt son museau dans ma direction.

« Je sais qu’il y a quelqu’un de l’autre côté de la rivière. Je ne m’attends pas à ce que tu déclines ton identité si tu respectes mon propre anonymat. »

Je reste interdite devant ses propos. Sous-entend-il ce que je pense ? C’est stupide, complètement stupide. Comme si j’avais du temps à gaspiller à converser avec un inconnu. Tu en as. Comme si j’avais besoin d’échanger avec quelqu’un qui serait dans l’incapacité de me juger. C’est le cas. Comme si…

Luciole, est-ce que c’est contre le Code du Guerrier ? me coupe une petite voix. Non ? Alors qu’as-tu à y perdre ?

« Très bien », je cède après un long silence.

J’hésite un instant, avant de poursuivre :

« Je n’ai pu m’empêcher de t’entendre un peu plus tôt. Qu’est-ce qui te tourmente tant et si bien que tu t’en confies à la rivière ? »

Comme si ces quelques phrases avaient délié ma langue, une dernière en surgit, une pointe d’un sourire dans son intonation.

« Je suis incapable de te refléter, mais, si tu le souhaites, je peux t’écouter aussi bien qu’elle. »

Une nuit sans lune. N’est-ce pas un évènement aussi rare et précieux que son opposé quand on y pense ? Une douce brise caresse la surface du ruisseau, se perd dans les herbes lourdes de rosées, et unies les deux en un océan de ténèbres sans le moindre reflet. Une étendue dénuée de lueurs, de couleurs, d’identités, dans laquelle l’Inconnu et moi-même disparaissions, l’espace de quelques heures.

« C’est bien étrange. La rivière ne me répond pas, d’habitude. »

Mais c’est qu’il a de l’humour ! À sa voix grave et franche, à ses mots articulés avec soin, je m’étais peint l’image d’un matou sérieux et terre à terre. J’étudie avec curiosité l’ébauche d’une silhouette qui se découpe sur le ciel, mais il est impossible d’en tirer le moindre trait. Peut-être est-ce pour le mieux.

Dans un bruissement discret, l’Inconnu paraît relever la tête vers les étoiles. J’étends mon cou à mon tour. Laissés seuls sur une toile d’encre, nos ancêtres n’en ressortent que davantage. Ils brillent avec une intensité aveuglante, une beauté éclatante qui me rappelle mes propres sœurs. L’Inconnu la perçoit-il ? La lumière astrale qui baigne notre rencontre et veille sur nos secrets ? La flamme qui vient envelopper nos cœurs meurtris, les isoler du monde, pour qu’ils puissent hurler leurs peines ? Et la nuit, prête à dissimuler nos larmes parmi les siennes ? Ce qui se raconte ici même ne sera su que des Étoiles.

« Ma mère me manque. »

Quatre mots. Anodins en temps normal, mais si lourds de sens une fois réunis, autant que le silence qui les suit. La mienne aussi. Je ravale cette pensée. Peut-on réellement regretter ce qui n’a jamais existé ? Une relation tuée dans l’œuf dès ses premiers jours ? De plus, il ne tient qu’à moi de lui adresser la parole si je le souhaite. Rien ne m’oblige à rester cloîtré dans cette réconfortante lâcheté. Je laisse un léger soupir se glisser hors de mes babines, et plisse les yeux en direction des étoiles, à l’affût de formes reconnaissables. La mère de l’Inconnu s’y trouve-t-elle ? À moins qu’il n’y ait été métaphorique, c’est probable. Je le sens qui s’agite sur la rive, au frottement de sa queue contre les herbes, et à ceux de ses pattes sur le sol. Il cherche ses mots. Pour toute aide, je lui offre mon silence, et la patience qu’il transmet.

« Le poids des attentes me pèse parfois. L’impression de ne pas être celui que les autres attendent que je sois. Elle… ma mère… elle était la seule à ne pas me pousser. »

Elle a l’air formidable. Dans le passé, Pic du Sapin avait placé tant d’espoir en moi. Des rêves de grandeurs, qui naquirent dans mes jambes interminables et la vitesse de celles de ma génitrice. J’avais tant donné afin de façonner mes épaules pour y creuser le réceptacle de ses souhaits, j’avais sué sang et eaux, mais mon dos n’avait jamais su supporter le poids de ses demandes.

Ces derniers temps, personne n’attend rien de moi. On ne me requiert rien de plus que de vivre, de respirer, d’évoluer à mon rythme, comme si celui-ci conviendra quoi qu’il arrive. On n’exige pas de moi que je soulève une montagne, ni même que je la gravisse, mais simplement que je l’observe et m’y engage si le cœur m’en dit. Au début, j’avais accueilli ce fait avec l’âme en peine, y voyant une preuve de mon inutilité et un abandon. Mais aujourd’hui…

« Sais-tu comment un oiseau apprend à voler ? »

Sans quitter le ciel des yeux, je laisse un temps passer afin qu’il puisse réfléchir à une réponse.

« Lorsque le nid devient trop petit pour lui ou quand la nourriture vient à manquer, il s’en extirpe et saute. La première fois, il oublie d’ouvrir ses ailes, et tombe. La seconde fois, il ne pense pas à les agiter, et plane doucement jusqu’au sol. La troisième fois, il s’envole. On peut se dire : mais que font ses parents pendant qu’il risque sa vie de la sorte ? »

Enfin, c’est ce que je me suis demandé lorsque j’observais cette famille de mésanges, un jour où apporter davantage de proies au clan aurait été du gâchis.

« Si l’oisillon prend le temps de les chercher du regard, il trouvera dans les branches, son père, le bec rempli d’asticots et sa mère à l’affût du moindre prédateur. Les deux prêts à lui venir en aide si nécessaire. »

L’ombre d’un sourire se dessine sur mon museau, alors que je me remémore la scène.

« Parfois, telle une mésange, un chat a besoin de liberté pour déployer ses ailes. Je pense que ta mère l’avait compris. »

« C’est en effet ce qu’elle me disait. Que je prendrai un jour mon envol. Elle n’a jamais douté un seul instant. À raison, j’imagine, si je regarde ce que je suis devenu. Peut-être est-ce le pouvoir d’une mère ? De voir par-delà sa progéniture pour les guider au mieux sur le chemin qui leur est promis ? »

Sa voix est… étonnamment douce. Pareille aux prémices de l’aube s’étirant sur la forêt, ou les saveurs sucrées du couvert de la nuit. Intime. Émotive. Les sentiments de l’inconnu coulent au creux de chacun de ses mots, et se déversent au sein de mon oreille telle une mélodie. Un chant resté longtemps secret, qui aujourd’hui ruissèle avec tranquillité sur mon cœur, l’apaise, et lui souffle de s’ouvrir à son tour.

« Ce sont là des mots pleins de sagesse pour une voix si jeune encore. Me trompais-je si j’avance que tu es toi-même souvent tombée du nid avant de déployer tes ailes ? »

Je ne cherche nullement à retenir le sourire amusé qui se dessine sur mes babines. Je suis sûre que les ténèbres de la nouvelle lune sauront le garder pour eux. Suis-je tombée ? Plutôt deux fois qu’une. Ma première proie ratée. La seconde. Une souris. Deux pinsons. Un merle. Des mulots, beaucoup trop. On peut nourrir les cinq, non, les six clans avec le gibier qui m’ont échappé. Sans parler du plus important. Le lapin. Celui qui amena au décès de ma mentore, et à un changement radical de mon quotidien.

« J’ai chuté, oui, plus de fois qu’il n’y a d’étoiles dans le ciel. Au pied de mon arbre se trouve probablement le gouffre de mes échecs, creusé un peu plus par chacun d’entre eux. »

Il y a ce pauvre apprenti, félin d’ivoire et membre de l’Ombre, qu’une crise d’angoisse de ma part emporta sous les flots. À combien d’occasions ai-je causé du tort à autrui, mes pattes s’emmêlant dans mes émotions ? Le torrent de mes sentiments entraine trop de chats dans son sillage. Tant me disent impassible et inébranlable, mais il ne s’agit là que d’un masque. J’aspire à devenir aussi sereine et solide que mon frère.

« Je ne suis pas encore parvenue à m’envoler, mais j’ai bon espoir d’y arriver un jour. Mes parents ne veillent pas sur moi depuis les branchages, ils sont bien trop occupés pour ça. À leur place, une aigle au talent rare inspecta la moindre de mes plumes, de mes postures, et tenta de me façonner à son image. »

Ma voix vibre sous l’émotion. Une chance inestimable, pour beaucoup. Un fardeau, dans mon cas.

« Quelques lunes auparavant, elle a rejoint les étoiles, léguant son poste à un guide qui se contente de me conseiller à distance. C’est ce dernier qui m’a enseigné les bienfaits de la liberté. »

Jamais je n’aurais réalisé, sans Souvenir des Étoiles, que ma première mentore, tout aussi excellente soit-elle, ne peut pas briller dans tous les domaines. J’estime Pic du Sapin, énormément. Elle m’a tant appris. Elle m’a plus tenu compagnie que mes propres parents, n’a pas hésité une seule seconde à me défendre face à un autre clan, et a vidé son cœur dans mon éducation. Je l’affectionne, et c’est ce qui rend la chose d’autant plus douloureuse. Jamais quelqu’un ne m’a causé autant de souffrance jusqu’à ce jour. Pourtant, je ne lui en tiens pas rigueur. Car on a toutes deux fait de notre mieux, avec ce que les étoiles nous ont donné. Et qu’elle a malgré tout, forgé en moi l’amour du code, du clan, et de l’apprentissage.

« As-tu quelqu’un comme ça, toi aussi ? Un guide ? Ou un modèle, peut-être, qui influence tes choix ? »

Si Souvenir des Étoiles est le premier, Mouette Rieuse prend la place du second dans mon cœur, avec mon frère. Ils m’inspirent, et représentent tout ce que je souhaite devenir.

Les paroles de l’inconnu sont lourdes de sens. Chaque mot, choisi avec soin, dessine la silhouette d’un félin aux épaules pesantes, compressé dans un nid trop petit pour lui, balloté sur une rivière dont la destination va à l’encontre de ses principes. Un félin au cœur pulsant d’espoir et de détermination malgré la fatigue, dont les yeux n’ont de cesse de chercher la berge, afin de s’y envoler et d’y frayer son propre chemin.

Chéris tes proches et les moments avec eux. Ce sont eux qui te donneront la force d’avancer et de te surpasser.

« Toujours. »

L’affirmation surgit de ma gorge sans prévenir, avec une force, volonté qui me surprend. Une douce chaleur se niche au creux de mon ventre, tandis qu’un sourire amusé détend mes traits.

« Chaque instant à leurs côtés est un présent qu’ils m’offrent sans le réaliser. En retour, je leur donnerais jusqu’à mon dernier souffle, afin qu’ils puissent conserver le leur le plus longtemps possible. »

Je le sais, je le sens. Chaque fibre de mon corps me le clame avec une conviction absolue : jamais je ne laisserai l’un des miens souffrir. Jamais je ne les tiendrai pour acquis. En ce sens, je comprends le sentiment de Pic du Sapin, lorsqu’elle se jeta dans la mêlée pour me défendre. J’aurais simplement souhaité pouvoir en faire de même pour elle. Mais il me manquait ce jour-là les capacités nécessaires.

« Pour eux, je verserai sangs et eaux au quotidien, afin de m’assurer d’avoir la force de les protéger. Ils sont la raison de mon endurance lors des entraînements. La motivation qui me pousse à ne jamais me contenter de ce que je suis. »

C’est la première fois qu’un terme lié à la vie des clans ressort de ma gueule. Comme une confirmation discrète à l’inconnu, à ses premiers mots, une envie de lui partager davantage que des métaphores, sans aller trop loin de peur de briser la liberté de l’anonymat. Tout le monde peut s’entraîner, il est vrai. Et tout le monde peut s’appeler guerrier. Mais à Valeemar, ces mots ont une valeur bien différente.

À l’horizon, l’aube pointe son museau. Déjà… Mon cœur se serre à la vue du feu qui embrase la nuit, et réduit en cendre sa douce couverture. Elle qui permit, le temps d’un instant, à deux chats d’échanger avec leurs âmes, sans barrière ni préjugés. Il faut que je parte, je le sais. Mais j’ai envie d’offrir une dernière réponse à mon ami fugace.

« Ton faucon, ton modèle. Ce soir, tu fus son reflet. Tu as volé jusqu’ici de ta propre volonté, sans dévier du cap fixé par ton cœur. Et ce, malgré le tumulte des doutes qui balayaient ton esprit. Tu as suivi ta route. Et au passage, tu m’as accueilli sous ton aile, au lieu de m’en chasser. »

S’il avait été de sortie pour une raison liée aux obligations qui lui pèse, alors il n’aurait pas passé la nuit à échanger avec moi. De même, c’est lui, qui suggéra de taire nos noms, de gommer nos histoires, ce qui nous permit de nous ouvrir sans pudeur.

« Je dois rentrer. »

Il n’est qu’une question de secondes avant que l’aurore ne dévoile nos identités respectives. Étrangement, mon sang se glace à cette pensée. Elle m’est effrayante, insupportable. Je refuse de perdre ce lien. De le perdre. Mon corps se lève de lui-même, sans se préoccuper des douleurs d’une nuit passée dans l’herbe humide. Même si je ne le revois jamais, il est inacceptable de laisser le jour briser la magie de ce moment, et nos souvenirs.

« Puisses-tu trouver ton propre chemin. »

Une seconde de silence. Mon cerveau essaie de placer là un nom qu’il ignore. Mais je n’ai pas le temps de lui en demander un, même faux. Le soleil nous rattrape, et me pousse à déverser avec précipitations mes dernières paroles.

« Suis les Étoiles. Suis tes convictions, tes principes. Suis l’ombre de celui que tu souhaiterais être, plutôt que celle des autres. Tu n’en seras que plus heureux. »

L’aube me brûle les pattes. J’ai encore tant à te dire ! Mais ma gueule reste scellée, incapable de s’imposer davantage à l’inconnu. Alors je file, ventre à terre, dissimulant tant bien que mal ma haute stature avec la végétation. Il ne faudrait pas que ma silhouette se découpe sur l’horizon. Je laisse derrière moi le guerrier, l’apprenti faucon, les oreilles tendues afin de capter la moindre de ses paroles dans ma fuite.

La journée qui va suivre va être complexe. Dépourvu de repos, mes pattes me semblent lourdes et mon esprit émoussé. Mais ça en valait la peine.

Au revoir, ou adieu, voix dans la nuit.