La vie en rose [Ft. Nuage de Corbeau]

Nuage de Givre s’étira langoureusement et, malgré la chaleur ambiante, elle ne put s’empêcher de gonfler son épais pelage blanc pour se protéger des souffles de vent qui parcouraient la pinède. La saison des feuilles vertes était maintenant bien entamée, le gibier était abondant et le temps était au beau fixe, pourtant elle avait l’impression qu’ici il faisait toujours froid. Ou alors, peut-être était-ce l’atmosphère pesante qui lui glaçait le sang… La novice au pelage immaculé se demandait toujours comment le Clan de l’Ombre supportait de vivre ici. Question d’habitude, sans doute.

Tout en laissant vagabonder ses pensées, Nuage de Givre tendait l’oreille pour repérer d’éventuelles proies qui passaient par là. Elle ne devait pas oublier qu’elle était là pour chasser. Et cette fois, elle éviterait de pénétrer en territoire ennemi, ou de s’aventurer en terres libres, ou de faire quoi que ce soit d’interdit. Non que cela la dérange outre mesure, mais elle ne voulait pas se faire punir ou pire, consigner au camp alors qu’il faisait si beau. Dans quelques lunes, ce serait la saison des feuilles mortes, il ferait froid, ils auraient faim…elle n’avait pas hâte. Mais pour l’instant, elle avait du mal à imaginer faim et souffrances alors que la vie était si belle !

La novice bailla longuement et fit quelques pas paresseux. Bah, elle n’était pas obligée de chasser tout de suite, après tout ! Elle ne dirait pas non à un petit somme. Dire que quelques lunes auparavant, la simple idée de rester en place plus d’une minute la faisait frémir d’horreur. Elle ronronna. Je suis vieille… Enfin, elle ne se reposerait que si elle arrivait à trouver un endroit un peu moins glauque - elle n’arriverait jamais à s’endormir tranquillement ici. Justement, elle aperçut un rayon de soleil un peu plus loin. Elle se dirigea vers lui et déboucha dans une petite clairière où trônait une pierre. Parfait ! Nuage de Givre s’allongea sur le roc à la température idéale et se laissa chauffer par les rayons du soleil. La petite chatte ramena sa queue sur sa truffe et commença à sombrer dans le sommeil.

Ramassé sur lui-même, le félin au pelage noir de jais pouvait entendre les battements du cœur de la grosse souris qui grignotait une graine à une longueur de queue de lui. Il bondit avec aisance et tua l'animal d'un coup de dent, ne laissant s'échapper qu'une perle de sang de la plaie. Nuage de Corbeau se redressa, fier de sa prise, et l'enterra aussitôt pour se remettre en chasse. Cela faisait plusieurs lunes que son entraînement avait commencé, et l'été avait été riche d'enseignement. Il avait grandi, gagné en muscle et en carrure, mais également en technique. Il était devenu un assez bon chasseur, sa fourrure sombre lui permettant de se dissimuler habilement au milieu des arbres sombres de la pinède, et son corps fin lui offrant une meilleure souplesse que les plus massifs de son Clan. Il lui restait encore cependant beaucoup de choses à apprendre avant de pouvoir se targuer d'être un guerrier accompli, et pour l'heure il se contentait d'obéir aux ordres et de continuer à travailler dur. Un jour il aurait son nom de guerrier, et à ce moment là il pourrait enfin être pleinement fier de lui.

Le novice s'ébroua, et reporta son attention sur sa tâche. Avec ce temps radieux, les proies étaient nombreuses, surtout à l'abri du soleil, sous les arbres. A l'ombre, Nuage de Corbeau se souffrait pas trop de la chaleur, que son poil noir absorbait bien plus que les autres. Par chance, le territoire de son Clan se composait principalement de pinède ombragée et de marécage, idéal pour éviter les rayons ardents. Sa queue balayant l'air avec impatience, le félin leva la truffe et huma les alentours avec soin. Il lui semblait sentir le fumet d'une proie, non loin de là. L'apprenti se plaqua au sol et avança en silence entre les arbres, les oreilles dressées vers l'avant pour capter chaque bruit. La discrétion qui, avec les autres membres de son Clan, lui causait parfois du tord, devenait un énorme atout lorsqu'il était question de la chasse. Le noiraud pouvait aisément se fondre dans le paysage, devenant aussi silencieux et léger qu'une plume tombant délicatement au sol. Il était satisfait de sentir ses muscles bouger souplement sous son pelage.

L'odeur de la proie était forte, et rapidement, il la vit bouger, se faufilant entre les aiguilles des pins. Elle avançait avec vélocité, ne laissant que peu de répit au chasseur. Il accéléra l'allure, et se jeta sur elle sans hésiter. Une fois la proie abattue, il leva le museau et réalisa en pestant qu'il venait de franchir la frontière, et se trouvait désormais sur le territoire du Clan du Tonnerre. Il se trouvait dans une petite clairière, où la lumière vive du soleil parvenait à se frayer un chemin entre les cimes des arbres et éclairaient son centre d'un bel éclat. Le regard de l'apprenti tomba alors sur une boule de poil blanche, étendue sur une roche plate, visiblement endormie. Il se figea. Une membre du Clan ennemi ! Il allait reculer, espérant qu'elle ne l'avait pas entendu, mais trop tard, ses yeux s'ouvrir brusquement.

- Je suis désolé, s'écria-t-il prestement. Je ne... J'ai franchi la frontière sans m'en rendre compte, je le promets.

Désobéir au code du guerrier, faire des choses interdites, tout cela n'était pas vraiment le fort de Nuage de Corbeau. Tout en lui lui hurlait de faire demi tour et de disparaître entre les arbres le plus vite possible, mais une petite voix, sa curiosité, l'en empêchait et le forçait à rester planté là, droit comme un piqué, devant cette étrangère.

Pv Nuage de Givre


Le ciel était vert. Et les souris roses. Et puis les buissons sautillaient, aussi. Sans se préoccuper de ces menus détails, Nuage de Givre courait à grandes foulées souples parmi les arbres, qui la suivaient dans un grand bruissement de feuillage. La chatte blanche entendit soudain les petits grattements d'une proie. Elle s'immobilisa et aperçut un campagnol (bleu) qui grignotait une graine un peu plus loin. La novice lui bondit sur le dos et l'acheva d'un coup de dent. Elle se redressa avec un ronronnement satisfait et se dirigea vers un frêne qui s'arrêta pour la laisser enterrer sa proie entre ses racines.

Nuage de Givre se remit en marche, l'oreille tendue. Elle aperçut bientôt un écureuil qui se promenait tranquillement, la queue frétillante. La novice se mit à courir. Elle était sur le point de refermer les griffes sur l'animal lorsqu'une ombre passa sur la forêt multicolore et qu'une petite voix gênée se fit entendre. "Je suis désolé !"
Elle ouvrit les yeux avec un grognement de colère - non mais oh, elle ne pouvait même pas dormir cinq minutes en paix ? Aveuglée par le soleil, elle n'aperçut rien de prime abord, mais finit par remarquer un jeune mâle noir qui fit quelques pas en arrière en ajoutant : "Je ne... J'ai franchi la frontière sans m'en rendre compte, je le promets."

Encore mal réveillée, l'apprentie bailla sans trop comprendre la situation. Puis elle bondit sur ses pattes et s'approcha du matou. A l'odeur, c'était un membre du Clan de l'Ombre, et un apprenti, sans doute, même s'il ne devait pas être loin d'avoir fini son apprentissage. Nuage de Givre agita la queue avec enthousiasme.
"T'en fais pas, je vais pas te manger ! Je me fiche bien que tu aies passé la frontière, il y a largement assez de gibier pour tout le monde, ronronna-t-elle. Désolée si je t'ai fait peur, mais j'étais encore un peu endormie. T'as bien fait de me réveiller, j'ai assez roupillé comme ça et je dois chasser ! Elle bondit à bas de la pierre plate et inspira l'air doux et odorant avec un soupir d'aise. Puis elle se tourna vers le félin noir de jais qui restait planté là. "Ravie de faire ta connaissance, au fait ! Tu t'appelles comment ? Tu as quel âge ? Moi c'est Nuage de Givre, j'ai onze lunes."

Elle s'étira encore un peu, fit jouer sa musculature fine et efficace puis se tourna avec amusement vers le matou qui la regardait, pétrifié.

Le temps s'était comme arrêté dans l'esprit du jeune félin. Il regardait avec appréhension la femelle du Clan du Tonnerre se redresser, avec son épais pelage blanc qui semblait élargir sa carrure, et tenta d'évaluer la situation. D'après ses estimations, celle qui lui faisait face était probablement une toute jeune guerrière, ou bien encore une apprentie, comme lui. Elle était légèrement plus grande que lui, mais tout aussi fine. Il pouvait peut-être espérer la vaincre, après tout il avait perfectionné ses techniques de combat durant ces dernières lunes, mais il était bien sûr hors de question qu'il attaque en premier. Il se tint prêt, muscles tendus, priant de toutes ses forces le Clan des Etoiles que les choses s'arrangent sans effusion de sang.

La chatte le rejoignit d'un bond agile et se planta devant lui, une expression surprenamment amicale sur les babines.  

- T'en fais pas, je vais pas te manger ! Je me fiche bien que tu aies passé la frontière, il y a largement assez de gibier pour tout le monde. Désolée si je t'ai fait peur, mais j'étais encore un peu endormie. T'as bien fait de me réveiller, j'ai assez roupillé comme ça et je dois chasser !

Nuage de Corbeau ouvrit de grands yeux effarés. Elle se fichait qu'il ait passé la frontière ? Mais quelle genre de guerrière s'agissait-il là ? Le code du guerrier était très clair concernant les limites des territoires, même durant les périodes fastes pour le gibier. Si le matou l'avait trouvé, elle, sur ses terres, il l'aurait chassé sans la moindre hésitation. Il n'allait cependant pas se plaindre de sa générosité, même s'il n'avait pas l'intention de chasser ici, cela signifiait qu'il allait pouvoir s'en tirer sans se battre, ce qui était une très bonne nouvelle. Il était par ailleurs sur le point de s'éclipser lorsqu'elle reprit la parole.

- Ravie de faire ta connaissance, au fait ! Tu t'appelles comment ? Tu as quel âge ? Moi c'est Nuage de Givre, j'ai onze lunes.

Décidemment, tout ceci prenait un tournant très particulier. Ainsi, non seulement elle n'avait cure qu'il soit sur ses terres mais en plus elle voulait faire connaissance et papoter. Le noiraud était sans voix. Il continuait de dévisager son interlocutrice avec une expression ahurie, craignant à tout moment un revirement de situation. Pourtant la fameuse Nuage de Givre, une apprentie donc comme il l'avait supposé, paraissait détendue, absolument pas sur le point de l'attaquer. Le jeune mâle relâcha donc ses muscles, et tâcha de répondre malgré son cœur qui battait encore la chamade.

- Nuage de Corbeau. J'ai euh... Dix lunes. Enchanté. Je suppose.

Par le Clan des Etoiles, il était toujours aussi peu à l'aise avec les autres. Enfin, pour sa défense, la situation était tout de même assez hors du commun. Il n'était pas fréquent d'être accueilli de la sorte lors d'une intrusion, après tout. Le matou hésita un instant, puis reprit, toujours timidement :

- Tu ne devrais pas euh... Me chasser ? Je suis un membre d'un Clan ennemi. Enfin, je ne cherche pas la bagarre mais...

Il ne savait pas trop quoi ajouter. En temps normal, une petite course poursuite suffisait à ramener chacun chez soi, et on en parlait plus. Mais ce n'était visiblement pas le projet de la femelle qui lui faisait face. Elle paraissait plutôt s'amuser de la situation, comme si tout ceci était très drôle.

Le jeune félin resta ébahi encore quelques secondes, les muscles tendus, puis il balbutia :
"Nuage de Corbeau. J'ai euh... Dix lunes. Enchanté. Je suppose."

Dix lunes, d'accord. C'était bien un apprenti, un tout petit peu plus jeune que Nuage de Givre, mais plus très loin de son baptême de guerrier. La chatte blanche l'étudia encore quelques secondes. Nuage de Corbeau semblait s'être détendu, son pelage était retombé sur son échine et il l'observait maintenant avec un étonnement et une curiosité non feintes. Il ouvrit la gueule et la referma plusieurs fois, comme si il hésitait à dire quelque chose. Puis il se décida et ajouta timidement :
"Tu ne devrais pas euh... Me chasser ? Je suis un membre d'un Clan ennemi. Enfin, je ne cherche pas la bagarre mais..."

Merci de préciser. Nuage de Givre retint d'abord un ronron, puis elle réfléchit plus profondément aux paroles du maton noir. Elle ne s'était jamais posé la question, mais il y avait sans doute un fond de vérité dans les paroles de l'apprenti. Est-ce qu'elle ne trahissait pas son Clan en se montrant amicale avec ses ennemis ? Non, se tranquillisa-t-elle. En cas de guerre, je me montrerai loyale à mon Clan quoi qu'il arrive. Mais il aurait été stupide de s'arracher la fourrure juste à cause d'une erreur. Elle reprit la parole, pensive :
"C'est vrai, on dirait que je m'en fiche. Mais ce n'est pas le cas, c'est juste que c'est visible que tu n'as pas fait exprès de pénétrer mon territoire, alors pourquoi est-ce que je ferais couler le sang pour ça ? Nous avons presque le même âge. Nous sommes tous deux des apprentis, soucieux de bien faire pour leur Clan. Est-ce que nous devrions nous affronter simplement parce tu as franchi un buisson portant mon odeur ? Elle darda son regard vert sur lui et continua : Bien sûr, en cas de guerre, je t'affronterai, parce que je fais passer mon Clan en premier. Mais là, est-ce que cela en vaut vraiment la peine ? Tu sais, je pense que la majorité des accrochages entre les tribus viennent de malentendus, et que beaucoup de batailles, et de morts, auraient pu être évitées si nous avions seulement pris le temps d'en parler. Est-ce que cela fait de moi une lâche ? Non, ne réponds pas tout de suite, réfléchis d'abord."

Elle s'assit souplement et commença à faire sa toilette, un peu étonnée de s'être ouverte autant à cet apprenti qu'elle connaissait à peine.

L'apprentie du Clan du Tonnerre paru un instant déstabiliser par la remarque du noiraud. Ce dernier eu un instant peur d'avoir aggravé la situation en déclenchant les hostilités. Quel idiot il était ! Il se trouvait en territoire ennemi, il rencontrait quelqu'un qui ne se montrait pas agressif, et lui que faisait-il ? Il s'en plaignait. Cervelle de souris !

Par chance, Nuage de Givre ne perdit pas son calme et répondit tranquillement :

- C'est vrai, on dirait que je m'en fiche. Mais ce n'est pas le cas, c'est juste que c'est visible que tu n'as pas fait exprès de pénétrer mon territoire, alors pourquoi est-ce que je ferais couler le sang pour ça ? Nous avons presque le même âge. Nous sommes tous deux des apprentis, soucieux de bien faire pour leur Clan. Est-ce que nous devrions nous affronter simplement parce tu as franchi un buisson portant mon odeur ? Bien sûr, en cas de guerre, je t'affronterai, parce que je fais passer mon Clan en premier. Mais là, est-ce que cela en vaut vraiment la peine ? Tu sais, je pense que la majorité des accrochages entre les tribus viennent de malentendus, et que beaucoup de batailles, et de morts, auraient pu être évitées si nous avions seulement pris le temps d'en parler. Est-ce que cela fait de moi une lâche ? Non, ne réponds pas tout de suite, réfléchis d'abord.

Nuage de Corbeau baissa la tête et prit le temps de songer aux paroles de la novice. Au fond de lui il n'était pas opposé à ce qu'elle venait de dire, il n'avait jamais été très porté sur les querelles stériles qui étaient, comme elle le disait, souvent basé sur des quiproquo ou sur la fierté mal placée des membres des Clans. Pourtant, le code du guerrier était clair sur ce point : les frontières étaient importantes, elles ne devaient pas être franchies sans raison. Il était parfois difficile de savoir quel comportement était celui d'un guerrier fidèle ou d'un traitre. Hésitant, trépignant d'une patte sur l'autre, le félin au pelage de jais répondit.

- Tu as peut-être raison. C'est juste que...

Il était mal à l'aise. Prononcer ses paroles lui donnait l'impression qu'il commettait un acte de trahison. Si tous les Clans commençaient à s'incruster sur le territoire des autres sans aucune limite, les frontières n'auraient alors plus aucun sens. Et donc, quelque part, les Clans non plus. Et cela, c'était impensable. Nuage de Corbeau secoua la tête, conscient qu'il allait un peu loin. Après tout, ce n'était pas ce qu'insinuait Nuage de Givre. Il leva le museau pour la regarder dans les yeux et reprit :

- Je te présente mes excuses, je ne voulais pas mettre en doute ta loyauté ou de traiter de lâche. Je suis peut-être un peu trop rigide sur le code du guerrier... J'essaye seulement d'honorer nos ancêtres et leurs règles.

Il se gratta l'oreille, toujours un peu gêné.

- En tous cas c'est tout à ton honneur de vouloir éviter de faire couler le sang inutilement. Nous n'avons en effet pas besoin de ça.

Savoir agir avec discernement pour éviter les drames, peut-être était-ce cela, devenir un guerrier. Nuage de Corbeau sentait qu'il touchait du bout de la patte quelque chose d'important, et que cette rencontre allait lui donner matière à réflexion, dans les jours à venir.

Nuage de Corbeau inclina la tête. Il réfléchit quelques instants puis commença à se dandiner d’une patte sur l’autre, hésitant visiblement à ouvrir la gueule. Nuage de Givre l’observait toujours avec curiosité. Ce jeune matou semblait intelligent, dévoué à son clan et au code du guerrier, mais il n’avait décidément pas beaucoup de confiance en lui. Il finit par répondre :
"Tu as peut-être raison. C'est juste que..."

Le mâle tergiversa encore quelques instants. Il avait vraiment peur des apparences, réalisa Nuage de Givre. Pourtant, il n'avait pas à avoir peur d'exprimer son opinion, surtout avec la chatte blanche : Clan ennemi ou pas, elle n'empêcherait jamais quelqu'un de dire ce qu'il pensait, au contraire. L'apprentie faillit ouvrir la bouche pour l'encourager à finir sa phrase, mais elle se ravisa en comprenant qu'il serait sans doute plus envieux de se confier si on ne le forçait pas. Elle continua donc à l'observer en silence. Cela marcha puisque Nuage de Corbeau planta son regard vert dans celui de la novice et continua :
"Je te présente mes excuses, je ne voulais pas mettre en doute ta loyauté ou de traiter de lâche. Je suis peut-être un peu trop rigide sur le code du guerrier... J'essaye seulement d'honorer nos ancêtres et leurs règles."

Nuage de Givre sourit. Comme la vie était inattendue, parfois ! Elle était partie chasser dans la forêt et voilà qu'elle se retrouvait en pleine discussion philosophique avec un chat ennemi - enfin, en théorie. Le jeune félin ajouta :
"En tous cas c'est tout à ton honneur de vouloir éviter de faire couler le sang inutilement. Nous n'avons en effet pas besoin de ça."

Nuage de Givre ne prit pas le temps de réfléchir et répondit spontanément :
"Tu n'as pas à t'excuser ! Je trouve qu'on a tous le droit de dire ce que l'on pense. Je ne m'en prive pas, moi, comme tu as pu le remarquer ! Au final, tu as peut-être raison. Le code du guerrier a été mis en place par des chats bien plus expérimentés que toi et moi, et nous devrions sans doute le respecter aveuglément. Seulement, moi j'en suis incapable.

Elle se lécha une patte et se la passa lentement sur l'oreille.
"Après tout, les frontières qui déchirent les Clans sont aussi les liens qui les unissent ; nous avons besoin de cette rivalité pour exister. Après, est-ce qu'elle a besoin d'être aussi sanglante, je ne sais pas ! Je trouve que l'on devrait juste essayer de faire de notre mieux en fonction de la situation.

Habitué à toujours prendre le temps de la réflexion et à beaucoup hésiter avant chaque prise de parole, Nuage de Corbeau était déconcerté par la spontanéité de son interlocutrice. Cette jeune chatte ne semblait avoir aucun filtre et dire tout simplement ce qui lui passait par la tête, sans la moindre retenue. Quelque part le noiraud admirait cela.

- Tu n'as pas à t'excuser ! Je trouve qu'on a tous le droit de dire ce que l'on pense. Je ne m'en prive pas, moi, comme tu as pu le remarquer ! Au final, tu as peut-être raison. Le code du guerrier a été mis en place par des chats bien plus expérimentés que toi et moi, et nous devrions sans doute le respecter aveuglément. Seulement, moi j'en suis incapable.

L'apprenti de l'Ombre remua les oreilles, interloqué. Incapable d'appliquer aveuglément le code du guerrier ? Cela signifiait-il que Nuage de Givre remettait parfois en doute les ordres de son chef ? Ou qu'elle se méfiait du Clan des Etoiles ? Les guerriers de jadis veillaient sur eux, respecter le code du guerrier montrait une dévotion et une confiance absolue en leur sagesse. Toutes ces règles, ces commandements, ils n'existaient pas que pour garantir la survie des Clan mais aussi et surtout leur intégrité et leur honneur.

- Après tout, les frontières qui déchirent les Clans sont aussi les liens qui les unissent ; nous avons besoin de cette rivalité pour exister. Après, est-ce qu'elle a besoin d'être aussi sanglante, je ne sais pas ! Je trouve que l'on devrait juste essayer de faire de notre mieux en fonction de la situation.

Toujours un peu septique, Nuage de Corbeau se lécha l'épaule et s'accorda le temps de la réflexion. Tuer de sang froid était bien évidemment interdit, car ce n'était ni noble ni juste. Mais défendre les frontières ne signifiait pas tuer, simplement intimider et affirmer la force du Clan. Refuser un combat pouvait en effet être perçu comme un acte de lâcheté. Le jeune mâle secoua la tête, remettant un peu d'ordre dans ses pensées. Tout cela était bien compliqué ! Appliquer simplement le code du guerrier lui avait toujours paru évident. S'interroger sur chaque règle était cependant bien plus complexe. Il reprit finalement la parole, un peu assuré que précédemment.

- Je ne pense pas que le code du guerrier nous encourage à nous entre-tuer. Plutôt à nous défendre et à protéger ce qui nous appartient. Un Clan incapable de maintenir ses frontières sera vu comme faible par les autres, et risque de se faire attaquer et voler son territoire.

Cette situation était vraiment étrange. Nuage de Corbeau était en tord, c'était lui qui avait franchi la frontière par accident. Et c'était lui qui expliquait à l'apprentie ennemie qu'elle devait l'affronter pour le chasser. Quel comble ! Un peu amusé, le novice ajouta :

- Après tout, tu n'en sais rien, je suis peut-être un espion et je te fais croire que je suis là par accident, alors qu'en vérité je tâte le terrain en vue d'une attaque future.

Il plissa les yeux et tenta d'avoir l'air menaçant et mystérieux. Certes, il, ne s'agissait que d'une plaisanterie, mais ce scénario n'était en vérité pas si improbable. Les Clans devaient constamment garder un œil les uns sur les autres, au cas où l'un déciderait de prendre plus de pouvoir et de s'en prendre aux autres.

Comme à chaque fois, Nuage de Corbeau se perdit quelques instants dans ses pensées, se donnant des coups de langue distraits tandis qu'il songeait aux paroles de l'apprentie rivale. Il reprit la parole d'un ton moins hésitant que les fois précédentes et lança :

"Je ne pense pas que le code du guerrier nous encourage à nous entre-tuer. Plutôt à nous défendre et à protéger ce qui nous appartient. Un Clan incapable de maintenir ses frontières sera vu comme faible par les autres, et risque de se faire attaquer et voler son territoire."

Pas faux, c'est sûr qu'il y avait forcément une certaine utilité. En soi, le code du guerrier n'était pas si mal, mais l'idée d'être belliqueux en toutes circonstances n'était pas forcément pour plaire à Nuage de Givre. Celle-ci se secoua. Il fallait vraiment qu'elle commence à penser à autre chose, ou le matou noir allait la prendre pour une folle obsédée par la paix. Ce n'était pas vrai ! Mais elle s'était un peu laissé emporter, elle devait l'admettre. L'autre apprenti reprit, l'air espiègle :

"Après tout, tu n'en sais rien, je suis peut-être un espion et je te fais croire que je suis là par accident, alors qu'en vérité je tâte le terrain en vue d'une attaque future."

Il redressa la tête en prenant un air fier et mystérieux, enfin, en essayant. Nuage de Givre ne put retenir un gloussement devant le ridicule de l'apprenti. Il était drôle, en fait, Nuage de Corbeau ! Il était juste un peu rigide sur le code du guerrier - mais qui ne le serait pas ? C'était sans doute Nuage de Givre qui était trop laxiste. Elle ne savait pas trop comment le chat noir réagirait si elle se montrait amicale comme s'il était de son Clan, mais ça ne coûtait rien d'essayer. L'apprentie calqua donc son attitude sur celle du novice et miaula :
"Fais attention, Nuage de Corbeau. Tout ce temps, je t'ai occupé, mais en fait c'était une embuscade. Mes camarades sont postés tout autour de nous, prêts à sauter sur toi."

Le félin du Clan de l'Ombre ne put s'empêcher de jeter un petit coup d'œil inquiet autour de lui. Nuage de Givre ronronna :
"Mais non, cervelle de souris ! Je blague ! Tu ne me fais toujours pas confiance, à ce que je vois ? Tu sais quoi, je vais te dire un secret."

Sans attendre la réponse de Nuage de Corbeau, elle se pencha vers lui et chuchota sur un ton confidentiel :
"Je suis nulle en combat, et j'avoue que si j'avais dû t'affronter, tu l'aurais emporté sans mal ! Comme quoi, c'est pas mal, d'être pacifique, non ?"

Nuage de Givre se redressa, un poil inquiète d'avoir confié ses faiblesses à l'ennemi. Comme d'habitude, elle n'avait pas réfléchi une seconde avant de parler, se laissant emporter par ses pulsions. Enfin, Nuage de Corbeau n'allait pas la trahir comme cela, n'est-ce pas ? Il… enfin… ils étaient amis maintenant… n'est-ce pas ?

HRP :