Accalmie - ft. Aloe Vera

Accalmie.
Aloe Vera & Récif de Corail
Lune 1212


Récif de Corail se baladait au milieu des arbres du Bosquet Aquatique. Ce n’était pas son endroit favori du territoire, malgré son évidente beauté, principalement parce qu’il lui rappelait qu’il était un piètre pêcheur, mais aujourd’hui, il ne semblait y avoir personne et c’était précisément la solitude qu’il recherchait. L’ambiance de ces derniers jours était morose, trop pour qu’il puisse le supporter. Entre Flocon de Neige qui était toujours entre la vie et la mort et l'absence de la moindre piste pour retrouver les chatons, rien ne lui faisait plus de peine que de rester au camp, noyé sous les regards déprimés, sans espoir, de ses pairs.

Alors, cette après-midi là, l’heure était à la balade pour le Génie. Bien sûr qu’il était inquiet, bien sûr qu’un grand chagrin naissait dans son cœur à la vue de la pouponnière déserte ; mais il n’y pouvait rien, il ne supportait tout simplement pas cette ambiance grave, désespérante. C’était trop .. Comment dire ? Réel. Trop réel.

Perdu dans ses pensées, il s’arrêta net en apercevant la silhouette d’Aloe Vera qui se détachait au loin. La jeune reine était guerrière depuis peu, et il se demandait comment elle vivait son baptême récent avec tous les événements tragiques de ces derniers jours. Elle se déplaçait en semblant éviter avec soin les parties inondées de la zone. Corail, désireux de se changer les idées, s’approcha avec une nonchalance exagérée. Il l’observa d’abord sans trop rien dire, peu soucieux de savoir si elle avait remarqué sa présence ou non. Son pelage calico était long et semblait particulièrement soyeux. Il apparaissait assez évident que la femelle en prenait le plus grand soin. Ses yeux verts reflétaient les subtils mouvements de l’eau. Le spectacle était charmant et le guerrier avait toujours été sensible à la beauté.

« Une beauté comme toi dans un décor aussi somptueux ; me serais-je égaré dans un rêve ? »

Accalmie.
Aloe Vera & Récif de Corail
Lune 1212


Récif de Corail fut tout d’abord surpris de la réponse de sa camarade de clan, bien qu’il n’en laissa rien paraître. Aloe Vera s’étira, faisant visiblement peu cas des belles paroles du guerrier. Celui-ci ne put empêcher un sourire satisfait de s’afficher sur son visage bicolore : il adorait les défis ! Et puis, en ces temps troublés, voilà qui lui changerait les idées.

D’un bond, il se rapprocha ostensiblement de la femelle calico. Puis, toujours sans se cacher, il se mit à lui tourner autour - littéralement. Pourquoi certains chats se bornaient-ils toujours à vouloir cacher l’évidence, dissimuler ce qu’il y avait de plus vrai ? Corail n’était pas de ce genre, il disait ce qui lui traversait l’esprit et il agissait toujours en conséquence. Les mauvaises langues diraient qu’il n’était qu’un beau-parleur, mais ce ne serait qu’une odieuse diffamation. Lui, un beau-parleur ? Quelle idée ! Il avait parfois tendance à embellir les choses, certes, mais c’était une meilleur alternative que de se cacher. Combien de fois avait-il assister à des histoires d’amour naissantes, les concernés jouant à suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis ? Et ainsi encore et encore, jusqu’à la révélation larmoyante de la réalité des sentiments. Les tourtereaux auraient pu s'épargner bien des peines, mais non, ils avaient préféré tourner autour du pot, soit ! Corail n’était certainement pas de ce bord, il aimait être direct, et si une belle chose attirait son œil, il y dirigeait ses pas. Si quelqu’un lui plaisait, il lui disait, point. Rien de plus simple.

« J’ai toujours été du genre à suivre mes rêves, alors ce ne serait pas faux de dire que je t’ai suivi oui. »

Bon, les mauvaises langues n’étaient peut-être pas si mauvaises que ça. Il était bel et bien un beau-parleur. Mais qu’importe, cela ne changeait pas vraiment le fond, si ? Aloe Vera n’était pas vraiment son “rêve” à proprement parler, mais une reine aussi charmante avait de quoi devenir le rêve de n’importe qui dès le premier regard. Et puis, sa réponse était plutôt intelligente, rebondissant à la fois sur sa première phrase d’accroche et sur la réponse de la femelle. Corail avait toujours été fier de sa capacité à trouver de belles tournures de phrases. Et puis, il n’avait pas vraiment dit qu’il l’avait suivi jusqu'au Bosquet Aquatique, puisqu’il ne l’avait pas fait. Il ne savait pas trop si Aloe Vera jouait avec lui ou si elle pensait réellement que le matou l’avait suivi. Enfin, qu’importe, le résultat était le même. Il arrêta de lui tourner autour et se planta juste devant elle, plongeant son regard dans le sien.

« Enfin, qui me dit que ce n’est pas toi qui m’a suivi ? Après tout, je sais de source sûre que j’offre une compagnie tout à fait charmante. »

Il lui sourit, l’air taquin, mais ne plaisantant qu’à moitié.

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Aloe Vera & Récif de Corail
Lune 1212


Aloe Vera ne semblait pas passionnée par les propos de Récif de Corail. En fait, elle semblait s’absorber dans la contemplation de quelque chose d’invisible aux yeux du matou. Il tenta bien de suivre son regard pour comprendre ce dont il s’agissait, mais rien n’y faisait. Soit ses sens étaient plus développés que la moyenne, lui permettant de percevoir des choses devant rester à jamais cachées aux autres, soit elle l’ignorait volontairement. Non pas que Corail soit pessimiste, et il préférait de loin croire à la première possibilité, mais on l’avait déjà ignoré bien trop souvent pour ne pas considérer cela comme une option plausible. La belle lui répondit finalement, l’air détaché.

« Pardon, je n'ai pas tout entendu. Tu disais ? »

Le mâle bicolore ne put s’empêcher de sourire, amusé. Oh, il pouvait jouer à ce jeu-là lui aussi, et sûrement mieux que quiconque, prétendre être indifférent, se présenter comme hors d’atteinte. Mais peut-être que dans le cas présent, ce n’était pas la chose à faire. Celle qui venait de recevoir son nom de guerrière tout récemment présentait tous les signes d’un caractère bien trempé. Peut-être valait-il mieux jouer sur l’aspect plus négatif de ce genre de personnalité, faire ressortir de la peine ou de la colère, peut-être même … de l’indignation ? Oui, elle semblait bien du genre à s’indigner facilement. Il devait la pousser à avoir une réaction authentique, pour qu’elle perde la mainmise sur le ton de la conversation. Mais comment ? Le guerrier remua les moustaches, les yeux brillants, animés par le challenge qui se présentait à lui.

Alors qu’il s’apprêtait à offrir une répartie cinglante, qui détonnait avec sa première approche, plus mielleuse, la calico surenchérit, écorchant son nom, tout innocemment. Mais bien sûr, comme si elle ne connaissait pas son nom. Que cherchait-elle à faire ? Le déstabiliser peut-être ? Probablement. Il se retint d’exploser de rire et conserva un air tout à fait sérieux. Aloe Vera avait employé un ton assez taquin, mais ses beaux yeux émeraudes ne mentaient pas. Il y avait là une tentative de lui montrer qu’il n’était pas si important que ça. Mais que croyait-elle au juste ? Qu’il tomberait aussi facilement dans le panneau ? Il jouait lui-même à ce petit jeu depuis qu’il était novice. Ou peut-être pensait-elle simplement qu’il allait s’offusquer pour si peu ? Oh, mais c’était mal le connaître. Rares étaient ceux qui avaient déjà réussi à entacher sa bonne humeur. Plutôt que de lui donner ce qu’elle cherchait, Corail lui adressa un sourire mutin. Il était très bien capable de la déstabiliser lui aussi. Posant son regard sur l'eau tout autour d'eux, l’idée lui vint soudain pour obtenir la réaction authentique qu’il convoitait ;  il avait remarqué la façon évidente, très maniérée, que la jeune reine avait d’éviter l’eau. La demoiselle ne souhaitait pas se salir ? Dommage.

« Pour toi, je m'appelle comme tu le souhaites. Pour toi, je peux même abandonner l’idée d’avoir un nom. » Regardant autour de lui, il exagéra une expression exaspérée. « Il fait lourd pour un jour de printemps, tu ne trouves pas ? » Sur ces mots, il plongea une patte dans l’eau et aspergea la calico.

Accalmie.
Aloe Vera & Récif de Corail
Lune 1212


Après avoir arrosé Aloe Vera, Récif de Corail s’attendait à un peu d’indignation, une réaction suffisamment outrée pour qu’il puisse rebondir dessus, et, au passage, entrevoir un peu qui était réellement la calico sous ses airs suffisants. Mais là, il venait de décrocher le gros lot. La femelle venait de lui hurler dessus, avant de s’éloigner en hâte de l’eau, débutant aussitôt une toilette appliquée.

« T’as pas l’impression de déranger, là !? »

Wow, il eut même droit à un feulement digne d’une mère protégeant ses chatons, suivi de grognements tout aussi éloquents. C’est qu’elle avait l’air d’y tenir à son pelage ! Corail, ébloui par une réaction bien supérieure à ses attentes, oublia même le jeu de séduction dans lequel il les avait engagés. Ne pouvant plus se contenir, il se mit à rire ; non pas un rire moqueur, mais un rire franc. Le guerrier bicolore était juste amusé par la tournure des évènements. Lui qui tenait à se changer les idées, il avait tout gagné.

Son rire se calmant, il s’approcha doucement de la jeune reine. En observant son air boudeur, il eut un peu de peine et en vint presque à regretter sa petite blague. Cela dit, il remarqua qu’elle lui plaisait beaucoup plus ainsi ; frustrée, prompte à s’énerver, protégeant ce qui lui était cher. Authentique. Surtout si on oubliait un instant que ce qui lui était cher était apparemment le fait de conserver un pelage immaculé … quoiqu’au fond, qu’importe. Chacun se battait pour quelque chose de différent dans la vie. L’important était de se battre, non ? Il vint de nouveau se planter devant elle.

« Allons trésor, ne t’énerve pas. »

Devant le regard vexé de la belle, il aurait soudainement aimé avoir parlé d’une voix moins suave, d’un ton moins séducteur. Il aurait aimé avoir choisi d’employer son nom et pas un sobriquet. Mais il n’y pouvait rien, c’était plus fort que lui. Il ne savait pas s’exprimer autrement ; à force, c’était devenu sa nature, tout son être était conditionné par des interactions plus superficielles les unes que les autres. Mais contrairement à d’autres, il ne se voilait pas la face. Il ne cherchait pas à se placer plus haut qu’il n’était. Il avait parfaitement conscience de ses failles, de ce vide immense dans son cœur que rien ne venait jamais combler. Oui, il savait pertinemment qu’il n’était pas juste de sa part de reprocher à Aloe Vera de protéger quelque chose d’aussi peu important que la propreté de son pelage comme s’il s’agissait de sa propre vie. Et c’est précisément pour cette raison qu’il ne lui reprochait pas. Il en riait simplement, mais avec tendresse, car il savait que dans une certaine mesure, il ne contemplait là qu’une réflection de lui-même.

Corail s’étira, son regard quitta le vide dans lequel il s’était abîmé un instant. Il observa sa camarade de clan, qui nettoyait férocement sa fourrure. Il devait bien reconnaître qu’elle effectuait sa tâche avec le plus grand soin, et que le résultat était au rendez-vous. Sa fourrure tricolore était vraiment somptueuse.

« Dis-moi, qu’est-ce qui pourrait te consoler ? »

Sur ces mots, le mâle lui offrit un sourire sincère ; le premier de sa part depuis le début de cette conversation.

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Aloe Vera & Récif de Corail
Lune 1212


Récif de Corail attendait patiemment qu’Aloe Vera daigne lui répondre. La jeune guerrière semblait hésiter à poursuivre leur conversation, son regard s’agitait comme si elle pesait le pour et le contre. Puis, finalement, elle se tourna vers lui, une lueur de défi dansant dans les profondeurs émeraudes de ses iris.

« Tu pourrais peut-être m’attraper quelques poissons si tu aimes tant l’eau. Après tout, tu as l’air de bien aimer la météo d’aujourd’hui, alors autant passer l’après-midi avec le museau dans l’eau que logé dans mon derrière. »

Le guerrier resta interdit un instant. C’était à son tour de jauger la situation. Il ne voyait pas vraiment d'inconvénient à pêcher pour elle. Le problème, c’est qu’il était un bien piètre pêcheur, et il risquait fortement de se tourner en ridicule s’il acceptait de s’essayer à la pêche. Enfin, il finirait bien par attraper un ou deux poissons, puisqu’il finissait toujours par y arriver … mais cela pouvait prendre un certain temps, et ruinerait à coup sûr l’ambiance qu’il s’était efforcé d’installer.

Il continua de dévisager la reine un instant, perdu dans ses réflexions. Puis, sur un coup de tête, il conclut son fil de pensée en se disant qu’après tout, le ridicule ne tuait pas. Et puis qui sait, peut-être que cela la ferait rire ? Autant essayer cette approche puisque de toute évidence, la flatterie ne fonctionnait pas comme prévu.

« D'accord, si ça te fait plaisir je n'y vois pas d'inconvénient. »

Il lui adressa un nouveau sourire qui se voulait plein de charme même s'il avait parlé sur un ton assez amical en fin de compte. Puis, il se tourna vers le cours d’eau, se mit en position, et patienta. À partir de là, tout est allé trop vite pour qu’il puisse comprendre exactement ce qui lui arrivait. Peut-être qu’il avait voulu écourter au maximum le temps d’attente, peut-être avait-il crût voir un poisson fantôme et s’était précipité … une petite voix emplie de paranoïa lui soufflait que c’était peut-être Aloe elle-même qui l’avait poussé ; toujours est-il qu’il avait basculé et s’était retrouvé dans l’eau de tout son long.

Désorienté, il se redressa puis se hissa sur la berge sans difficulté. Le voilà bien embêté. En réalité, il n’en avait rien à faire de se retrouver mouillé, au contraire ; il adorait l’eau ! En plus, même s’il avait utilisé la météo comme prétexte pour arroser la femelle, il n’avait pas menti en disant qu’il trouvait le temps lourd pour la saison.

Non, le problème, c’était que sa fourrure étant longue et très volumineuse et honnêtement, il avait conscience qu’il ne ressemblait plus à rien dès lors qu’il se retrouvait trempé. Lui qui était pourtant très fier de son pelage, il devait bien admettre qu’après un passage dans l’eau, son charisme en prenait un coup. Il lança un regard penaud à la spectatrice de son numéro improvisé. Il se sentait vulnérable et quelque part, il n’était plus si sûr que ça de vouloir l’entendre rire …

Accalmie.
Aloe Vera & Récif de Corail
Lune 1212


Récif de Corail se tenait toujours devant Aloe Vera, dégoulinant d’eau. La réaction de la calico ne se fit pas attendre ; elle éclata de rire. Agacé, le guerrier ne la quitta pas des yeux pendant qu’elle se moquait ouvertement de lui.

« Bah alors, j'aurais aimé penser qu'un mâle avec un prénom aussi aquatique sache se débrouiller avec un vulgaire poisson ! »

Difficile de ne pas lui donner raison sur ce point : il n’était qu’un bien piètre pêcheur. Enfin, lui au moins s’y essayait, quitte à finir par se mouiller les moustaches. Quelque chose lui disait que la belle n’était pas aussi prompte que lui à faire des efforts pour se nourrir, et qu’elle se contentait parfaitement du fruit de la pêche d’autrui. Comment pouvait-on naître au sein du clan de la Rivière et vouloir fuir l’eau à ce point ?

Il avait hésité à s’ébrouer près d’elle, pour l’embêter, l’entendre s’indigner à nouveau, se venger en quelque sorte de la moquerie qu'il avait subi. Cependant, cela ne lui ressemblait pas de faire deux fois de suite la même blague, et puis, il sentait que cela risquait de mettre un terme définitif à leur échange, et Corail voulait prolonger encore un peu ce moment. Il ne savait pas pourquoi, mais il n’avait pas réussi à lui en vouloir plus longtemps. Son rire était doux à entendre et passait sur son cœur comme un onguent.

Ayant recouvré un peu de son sérieux, la femelle se mit à tourner autour du guerrier, la démarche suave et assurée.

« Si tu veux m'impressionner, Récif Corallien, il va falloir faire mieux que ça. »

Elle frôla son museau du bout de sa queue, avant de se planter de nouveau en face de lui. Perdu dans la contemplation de son visage, il ne lui répondit pas immédiatement. Que pouvait-elle bien attendre de lui ? Comment pouvait-il réussir à l’impressionner ? Il n’en savait rien. Il n’était pas sûr d’en être capable, ni même d’en avoir envie. Un voile de tristesse ternit alors son regard d’ambre. Il se sentait étrangement vide, quelque chose lui manquait.

Il n’eût soudainement plus la force de faire semblant. Aussi, il comprit qu’il était temps pour lui de partir. Pourtant, il aurait voulu rester encore. Il aurait aimé, pour une fois, aller au-delà du jeu, tenter de discuter pour de vrai. Il aurait aimé avoir attrapé ce fichu poisson. Il aurait aimé qu'elle apprécie son effort plutôt que de rire de sa maladresse. Il aurait voulu lui crier qu'il faisait de son mieux, que son mieux était parfois le pire, qu'il essayait juste de s'en sortir, de devenir meilleur, plus qu'un simple charmeur ; qu'il saurait se faire ami et amant s'il pouvait trouver quelqu'un qui l'aimerait vraiment. Mais de toute évidence, Aloe Vera se jouait de lui et cette conversation ne mènerait nulle part. Enfin, il l'avait bien mérité, non ? Après tout, lui aussi cherchait à se jouer d’elle depuis le début. Il se sentait profondément stupide.

Le guerrier s’ébroua en prenant soin de rester à bonne distance de la jeune reine, histoire d’être sûr de ne pas l'éclabousser. Il planta son regard dans le sien une dernière fois avant de prendre la parole. Son ton n’était plus du tout joueur.

« Une autre fois, chérie. »

Sur ces mots, il se détourna et se mit en route vers la Plaine Chatoyante. Là-bas, il pourrait s’installer sur un rocher pour sécher au soleil et prendre un peu de temps pour réfléchir.