Commères des plages [Aloe]

Ahlala, cette journée a vraiment mal commencé. Tout d’abord, Aloe s’est retrouvée de corvée de pêche, et le Clan des Étoiles sait qu’elle déteste l’eau - assez paradoxal pour une p’tite riveraine. Elle a bien tenté de secouer sa papatte dans tous les sens pour choper un poisson sans avoir à plonger la tête la première, mais rappelons-nous bien qu’elle n’a pas encore complété son apprentissage, et c’est après une glissade fort humiliante - qui n’a été remarquée par personne, BIEN HEUREUSEMENT - que la féline a bien fini cul dans l’eau. Grincheuse et ronchonne (gronchonne serait un bon mot adapté à son comportement de tous les jours), Nuage d’Aloe a fini par jouer le tout pour le tout et suivre le poisson en remontant la rivière jusqu’à tomber sur les rives de la plage… sans réussir à attraper le p’tit merdeux. Elle est même certaine que si elle avait tendu l’oreille, elle aurait pu entendre les moqueries du poisson : p’tet la prochaine fois, nullos ! Humiliée et trempée, elle est donc remontée de l’autre côté de la rive pour sécher un peu avant de devoir affronter l’immondice de l’eau et de son poil collant à sa peau pour rentrer. C’est ainsi que la calico s’est retrouvée tout près de la plage… mais hors de question d’y mettre les pattes ! De l’eau, ET du sable qui se loge entre les coussinets et craque sous la dent !? QUELLE HORREUR ! Non, l’apprentie préfère vraiment garder ses distances avec cette étendue dorée disgracieuse le plus longtemps possible.

C’est après cette aventure intense - elle a vraiment pas eu une vie compliquée pour penser ça, la calico - qu’une silhouette bicolore attire le regard d’Aloe. Une silhouette… franchement minuscule. Le fils de la cheffe ! s’exclame-t-elle intérieurement, un sourire se dessinant sur ses fines babines tandis que son plan s’érige doucement. Elle sait très bien qu’il n’a pas le droit d’être là, le folichon, et elle va pas du tout se gêner pour prévenir un adulte, voire sa propre mère si elle en a l’occasion.

Tandis qu’elle se retourne silencieusement pour aller rapporter la présence du petit sur les rives, un détail lui échappe. Elle vient tout juste de sortir de l’eau, et les petits rochers de la rive nord ont tendance à bien glisser. En tentant de faire demi-tour, la jeune féline se retrouve emportée par son propre poids et glisse sur elle-même avant de tomber au sol, les quatre fers en l’air, sa tête frôlant légèrement la partie sableuse des environs. C’est déjà trop.

- AAAAAAHHHHHHHHHGGGHHH !!! hurle-t-elle sans vergogne tandis que son poil, encore mouillé, lui colle au dos d’une manière des plus désagréables.

Bon, pour la discrétion, c’est raté…

Quelle humiliation ! Quel sacrilège ! La grande (non), la puissante (non plus), la belle (ça oui) Nuage d'Aloe se retrouve les pattes en l'air avec du sable sur le derrière de la tête ! Et cerise sur le panini, un gamin se bidonne, se fichant d'elle et de sa chute ridicule. Nuage d'Aloe se relève en vitesse, s'ébrouant d'une manière qui aurait fait tomber les grains de sable si elle n'avait pas été trempée jusqu'aux os. Ces derniers dégringolent de sa nuque - qui, rappelons-nous en, était le seul endroit où ils l'ont touchée - mais se retrouvent coincés à un endroit qu'elle ne peut pas atteindre avec sa langue râpeuse. Tentant de maintenir un semblant de dignité, la tricolore redresse le dos d'une allure princière avant de se donner des petits coups de patte pour que les grains se décrochent. Elle lance un regard meurtrier au petit, lâchant un « Ferme-la, microbe ! » vexé avec les yeux plissés et la gueule entrouverte. Quand les grains finissent enfin par tomber, la belle reprend contenance. Elle souffle un bon coup, passe la queue sur ses précieuses patounes et lance au chaton, sur un ton qu'elle compte bien rendre menaçant : « Tu rigoleras moins quand je vais dire à ta mère que t'es sorti du camp sans autorisation. » Et bim, dans tes moustaches ! pense la jeune apprentie, fière de sa répartie.

Nuage d'Aloe est bien contrainte d'ouvrir grand la gueule aux paroles du petit. Ça se voit tant que ça, qu'elle a peur de l'eau !? Elle qui refuse catégoriquement de laisser entrevoir cette petite faiblesse, voilà qu'un gamin la lui fait remarquer sans même que le sujet ne s'en rapproche. Indignée, la tricolore allait répliquer pour toucher le gosse en plein cœur - sûrement quelque chose à voir avec sa petite taille et son air de sale mioche, enfin, pas quelque chose de très recherché - mais Petite Mer commence à se diriger vers... la mer. Il en est d'abord assez loin, ce qui rend sa tentative d'effrayer l'apprentie totalement risible. Sauf que plus sa blague s'étend, plus ses petites pattes le mènent vers les vagues qui, depuis le début de leur conversation, semble s'être vraiment levée. Ni l'un, ni l'autre ne semblaient l'avoir remarqué jusqu'ici.

« C'est bon, arrête tes bêtises », dit-elle en se voulant plus saoulée qu'autre chose.

Sauf que Petite Mer s'approche vraiment, vraiment beaucoup des vagues montantes. Alors sa voix commence peu à peu à se teinter de stress ; non pas parce qu'elle en a quelque chose à faire de ce mioche insolent, mais bien parce qu'elle a une réputation à tenir, et que si la cheffe savait que son gosse était mort sous sa garde, elle ne verrait plus le territoire pendant des décennies. Et puis, dans le sens inverse, si elle était l'héroïne qui avait sauvé le fils de la cheffe, on lui jetterait des fleurs jusqu'à la fin des temps ! Non..?

« Allez, sale mioche, arrête sérieux ! » crie-t-elle tandis qu'une vague le dérobe sous ses yeux.

Il faut agir ; et vite. La calico, bien que la pire ennemie de l'eau, se précipite vers les remous agités et plonge la tête la première. Elle repousse vents et marées, monstres aquatiques et plantes carnivores, attrape le petit sans vie dans ses dents et le ramène sur la berge presque au prix de sa vie...
...du moins, c'est ce qu'elle dira quand on lui posera la question.

En réalité, Petite Mer s'est à peine éloigné de quelques mètres, et le temps que Nuage d'Aloe le rattrape et le ramène, même pas deux minutes se sont passées. Le gamin aurait peut-être même pu avoir pattes s'il avait nagé quelques secondes, mais Aloe préfère la version où elle est l'héroïne de l'année. Sans aucune délicatesse, la tricolore jette le gamin sur le sable, trempée jusqu'aux os. Elle s'ébroue immédiatement, un regard de haine et de consternation sur le visage. La grande Aloe, trempée..! Dans quel monde vit-on !?

« T'ES QU'UN GRAND MALADE ! hurle-t-elle, à deux griffes de lui foutre un coup de crocs pour lui apprendre de quel bois elle se chauffe. T'aurais pu clamser ! Heureusement que j'étais là pour te sauver, gros débile ! »

La belle finit ensuite par s'assoir, vexée, commençant une très longue toilette salée.