Le doute n'est que le commencement de la sagesse || Ft. Nuit Polaire

Tu n'es pas une chatte qui aime remuer le passé, Nuit Polaire. Ni qui apprécie d'être tourmentée par celui-ci, ou par des divagations sans fondements. C'est sans doute ce qui a mené tes pattes jusqu'à cette rive encore endormie par le froid de la mauvaise saison. Le soleil vient à peine de se lever, et la patrouille de l'aube n'est même pas encore partie du camp. Pour te protéger du froid, ton pelage s'est gonflé. De toute façon, tu ne crains pas tellement les mauvaises températures. Pas autant que tu essaies de fuir certains fantômes qui devraient rester à leur place, dans le passé. Il ne t'arrive pas souvent de rêver, mais cette nuit a été agitée. Bien sûr, tu ne parles pas de songes comme ceux que les guérisseurs peuvent avoir. Tu es loin de posséder cette sensibilité. Ce qui a envahi ton esprit... et bien, n'est que le fruit de celui-ci. C'est le grognement d'un de tes camarades, gêné par ton agitation, qui t'a tiré de ton sommeil. Tu l'as remercié silencieusement, avant de t'extirper de la tanière des guerriers. Autant être dehors, et prendre l'air, plutôt que de déranger tous les autres pour des sottises. Tu as fait de ton mieux pour oublier tout ça, ou tout du moins pour le laisser à l'entrée de la tanière. Une nouvelle journée commence, et puisque tu es debout si tôt, il n'est pas question de rester là à rien faire. Pour définitivement passer à autre chose, tu t'es secouée, prenant ensuite quelques instants pour te lisser les poils. Tu ne risques pas de croiser grand monde, à une heure pareille, mais autant ressembler à quelque chose !

Tu te tiens sous le couvert d'un buisson depuis quelques minutes à présent. Une couche de glace recouvre encore la surface de l'eau, et tu regrettes de ne pas pouvoir y pêcher quelques poissons. Malgré tout, tu apprécies le calme de ce moment. Ce n'est peut-être que temporaire, mais vous êtes en paix. La mauvaise saison ne durera pas éternellement, et vous pourrez bientôt vous réchauffer au soleil. Mieux manger, et profiter de la chaleur, ce sont déjà deux perspectives réjouissantes. Pour ta part, tu réfléchis déjà à ce que tu pourras faire de plus pour te rendre utile. Il n'y a aucune bataille à mener, alors il faut croire que tu devras simplement redoubler d'efforts pour le reste. La prochaine fois qu'il faudra combattre, ou qu'une mission périlleuse se présentera, tu seras prête. À cette pensée, tu laisses sortir tes griffes, alors qu'une brise fraiche t'amène le parfum familier d'un de tes camarades de clan. Il s'agit de votre lieutenant -tout récent-, Soir d'Orage. Tu te demandes s'il a vraiment réussi à dormir, après un changement aussi radical dans son quotidien. Il s'approche de l'eau silencieusement, et tu te décides à sortir pour venir à sa rencontre. Il serait malvenu de simplement l'observer, sans l'avertir aussi vite de ta présence. En plus, et même si tu apprécies la solitude, l'arrivée du grand matou ne te dérange pas. Dans un petit sursaut, il remarque ta présence, et se tourne finalement vers toi. Tu esquisses un léger sourire, lorsque ta voix presque rouillée s'élève enfin. « Excuse moi, Soir d'Orage. Je ne voulais pas te surprendre.» Il s'agit d'une petite pointe d'humour par rapport à son sursaut, et pas d'une réelle excuse. Bizarrement, tu sens que même en tant que lieutenant, il ne t'en voudra pas de relever une telle chose.

Tu es à présent à ses côtés, lorsque tu poursuis.  « Très bien. Je me sens d'humeur matinale. Et toi ? Ce sont tes responsabilités, qui t'ont tiré de ton nid ? » demandes-tu gentiment en retour, pouvant à peine imaginer le poids qui doit peser sur les larges épaules du mâle. Tu ne t'inquiètes pas pour lui, toutefois. Contrairement à d'autres, tu sais que l'essentiel pour un lieutenant n'est pas de pouvoir courir le plus vite, ou sauter le plus haut. Il est avant tout là pour prendre les bonnes décisions, aux côtés de Mélodie des Étoiles.

Tu peux comprendre la réflexion du lieutenant, vu son parcours. Passer de la tanière des anciens au deuxième poste le plus important du clan, outre celui de guérisseur, est quelque chose de plutôt inédit. Mais si Mélodie des Étoiles a fait ce choix, et que Soir d'Orage l'a accepté, c'est indéniablement pour de bonnes raisons. En outre, la surprise est plutôt bonne, et tu rends son sourire au matou. Avec toutes ses années d'expérience passées au sein du clan, personne ne saura mieux choisir que lui, et ce pour n'importe quelle tâche. D'ordinaire, on essaie de planifier la patrouille la veille au soir, mais tu peux comprendre que les événements de la veille ont occupé son temps et son esprit plus que d'autres choses. Tu inclines d'ailleurs doucement la tête lorsqu'il te propose de mener la dite patrouille. Puisque tu es réveillée, autant en profiter. Aux côtés d'Éclat de Péridot et de Brume Argentée, ainsi que quelques apprentis, vous ferez bonne équipe. Tes relations avec ta soeur ne sont pas au beau fixe, mais pour une patrouille, tout devrait très bien se passer. Bien sûr, quelque soit ton opinion là dessus, tu n'aurais pas refusé. Après tout, c'est au lieutenant de décider ce genre de choses, et t'es plutôt étonnée qu'il te donne le choix entre la patrouille, et un petit voyage dans la direction de la Grotte aux Murmures pour voir où en est le dégel de la rivière. Pour toi, les deux cas reviennent à réaliser une certaine vérification du territoire, alors autant rester sur la première option. « Partir en patrouille me conviendra parfaitement. Autant profiter de mon humeur matinale. » T'es pas contre voir la mine encore endormie, voire un peu grognon de ta soeur lorsque tu viendras la réveiller. Mais ça, tu ne le précises pas.

Après une seconde de silence, tu lâches un petit ronronnement.  « En tout cas, tu as déjà de bonnes idées. Ceux qui doutent de toi ne tarderont pas à voir qu'ils se sont trompés. » Certains auraient évité le sujet, mais ça ne te ressemble pas. D'autant que, le vétéran pourrait en tirer un peu de fierté. À sa place, tu jubilerais certainement à l'idée de clouer le bec de quelques guerriers sans avoir à leur dire le moindre mot. « Pour ce que ça vaut, je n'ai jamais été de cet avis, et tu peux compter sur moi si besoin. » Les mauvaises langues pourront dire que t'essaies de te faire bien voir, mais tu n'appréhendes pas les choses ainsi. Si vous allez tous dans le même sens, avec la meilleure des volontés, cela ne pourra que renforcer votre Clan. À partir de là, tant qu'il s'agit de quelqu'un de raisonnable, tu aurais pu soutenir tout nouveau lieutenant ou chef à la tête du clan. Ainsi, au delà de tous les ordres que les guerriers peuvent recevoir d'un supérieur, si le vétéran a besoin d'un soutien particulier, tu pourras le lui offrir. Bien que, tu l'imagines bien assez fort pour s'en sortir seul, comme ça a toujours été le cas.

Soir d'Orage a certainement raison. Au sein d'un même clan, il y aura toujours des avis divergents, comme ça a été le cas pour chaque nomination d'un nouveau lieutenant. Tu estimes toutefois qu'il faut rester optimiste, et tirer une force de cette situation. C'est comme chaque épreuve de la vie. Si on ne parvient pas à faire disparaitre un obstacle, on apprend à ne même plus en remarquer la gêne. La conclusion ne sera pas différente pour le lieutenant, tu en es persuadée. Suite à ses paroles, tu hoches doucement la tête, lui faisant simplement part de ton soutien dans toute cette histoire. Tu ne sais pas s'il y croira réellement, et tu doutes encore plus de le voir un beau jour te demander quoi que ce soit qui sortira de l'ordinaire. Malgré tout, t'estimes qu'un peu de soutien ne blessera personne. Et heureusement, tu ne seras pas la seule à lui en offrir. Après tout, beaucoup de voix se sont élevées pour l'acclamer, hier soir. Tu es prête à le lui rappeler, lorsque tu remarques son regard pensif en direction de l'eau paralysée par le froid. Depuis le début du gel, tu as envie de monter sur la glace et de la briser, pour libérer l'eau et les poissons. C'est un peu ce que tu ressens par rapport à ton ainé, à cet instant précis. Tu voudrais briser sa carapace et comprendre ses pensées. Comprendre où il veut en venir, à travers des paroles aussi énigmatiques.

Tes lèvres se sont entrouvertes, alors que ton regard interrogateur s'est dirigé vers le grand matou. « Si tu commences à avoir des prémonitions, c'est peut-être une promotion de guérisseur, que Mélodie des Étoiles aurait dû te donner... » commences-tu, incrédule, et plus dans l'optique de laisser quelques secondes de plus à tes pensées pour s'organiser, que de faire sourire ton interlocuteur. « Le changement est inévitable. » Et il apporte du bon comme du mauvais. Il reste néanmoins nécessaire. Tout du moins, c'est ce que tu penses. La vie serait ennuyeuse, si chaque journée, chaque lune, se répétait inlassablement sans la moindre variation. Il te perturbe un peu de voir le lieutenant aussi sérieux. Ne se projette t-il pas sur le long terme, dans son nouveau rôle ? « Si nous avançons vers une période sombre, je suis certaine que c'est ton expérience qui sera d'un grand secours. » commences-tu en soutenant son regard. « Je suis flattée par tes paroles, et crois-moi, je compte bien occuper ta place un jour. Mais pas avant un certain temps ! » Ton timbre de voix est plus léger à présent. Tu n'as jamais eu une grande ambition pour ce genre de pouvoir. Peut-être une forme d'orgueil, qui te pousse à penser que tu ferais mieux qu'autrui, et qui t'apporterait la confiance et la fierté nécessaires si tu en viens effectivement à occuper ce rôle. Finalement, ton regard s'assombri, tout comme ton esprit. « Une période sombre... qu'est-ce qui te fait dire ça ? Est-ce à propos du solitaire ? » Vous avez connu des époques que l'on peut qualifier de terribles, alors les paroles du vétéran n'ont rien de rassurantes. Tu n'en ressens pas la peur aujourd'hui, mais... il est toujours préférable de se préparer à l'avenir, quoi qu'il vous prépare.

Tu ne t'es pas trop inquiétée de la présence de solitaires dans la vallée jusqu'ici, mais le sérieux de ton ainé te pousse à la réflexion. Après tout, ce chat errant ne s'est pas encore attaqué au Clan de la Rivière, mais il serait idiot de baisser votre garde pour une raison aussi stupide. Surtout que, s'il pose suffisamment de problèmes pour que son histoire traverse la frontière qui vous sépare du clan voisin, ce n'est certainement pas pour rien. Par mauvaise foi, tu pourrais prétendre que les autres clans sont simplement trop faibles pour gérer cette intrusion, mais la vérité ne peut être aussi simple. Et de toute évidence un lieutenant comme Soir d'Orage ne peut se limiter à une telle réflexion. Au final, que la situation s'aggrave de nouveau de la manière que le matou vient de décrire ne t'étonnerait même pas. Il est rare que les clans connaissent la paix, et celle-ci ne dure jamais bien longtemps. Mais... ce n'est pas grave, tu t'y es préparée depuis un certain temps. « Que le Clan des Étoiles nous préserve de tout cela. » réponds-tu après un soupir. Ce ne sont que des suppositions, et comme le mâle doré vient de le dire, il est trop tôt pour savoir. Tu ne comptes pas trop sur vos ancêtres pour vous éclairer, ou vous protéger de ces futurs problèmes, à vrai dire. Tes paroles marquent juste ton espoir de ne pas avoir à faire face au pire de ce que vous pouvez imaginer. Malheureusement, tu es loin de te douter de la suite des événements.

Le vétéran semble mal à l'aise, et ce sentiment te contamine lorsqu'il reprend la parole. Comment tu vas ? C'est une question qu'on ne te pose pas en général, car tu es suffisamment douée pour ne pas en donner l'envie à tes camarades. Tu es aussi douée pour te mentir autant qu'à tes pairs, mais une partie de toi sait que si le lieutenant t'interroge de cette manière, c'est qu'il n'est pas aussi dupe que les autres.  « Vraiment ? Je ne sais pas, j'ai arrêté de me questionner à ce sujet. » C'est la vérité, après tout. L'essentiel pour toi est d'avancer, de servir ton clan. Tant que tu peux le faire, il n'y a pas de problème. Bien sûr, tes démons te poursuivent d'une certaine façon, mais tu les affrontes inlassablement comme tu le ferais avec un intrus du mauvais côté de la rivière. « Nous avons tous beaucoup perdu au fil des lunes, mais le Clan de la Rivière, lui, sera toujours là. C'est ce à quoi je me raccroche. » Tu n'as pas la présomption de penser que tu es la seule à avoir connu le deuil. C'est le cas de tout le monde, de ta famille toute entière, et aussi de Soir d'Orage. Chacun appréhende cela de manière différente, mais pour toi c'est la seule façon viable. Alors qu'il s'était perdu dans tes pensées quelques instants, ton regard se reporte sur le vétéran. « Tu as connu beaucoup de malheurs, mais tu sembles toujours t'en relever. Comment fais-tu ? » Peut-être s'agit-il de l'habitude, ou bien d'une maturité que tu ne possèdes pas encore. Ou bien, le vétéran est simplement plus fort que toi, d'une certaine façon ? Ce serait dur à avaler pour toi, et quelque soit sa réponse, ou le conseil qu'il te donnera, tu n'es pas certaine de réussir à l'écouter. Tu t'es déjà un peu ouverte à lui, car tu le respectes trop pour lui mentir, et c'est déjà beaucoup plus que par le passé.

Tu peux comprendre sans aucun mal la surprise de ton ainé suite à ta question. Parmi tous vos camarades, tu es bien celle qu'on imagine le moins s'intéresser à de telles réflexions. Pourtant, ce matin quelque chose te met suffisamment à l'aise face à Soir d'Orage pour oser passer au travers des remparts que tu as construits au fil des dernières lunes. Son calme peut-être, accompagné de sa sagesse apparente. Tu n'en sais trop rien, et cela n'a plus une grande importance maintenant que la question a été posée. Après quelques secondes de réflexion, tu vois finalement le matou crème hausser les épaules. Tu t'étonnes d'entendre qu'il trouve vos comportements similaires, et qu'il utilise même le mot négliger. Tu n'as jamais considéré les choses de cette manière. Au contraire, tu estimes même que cette façon de penser t'est surtout utile. Mais, vous n'avez certainement pas le même recul sur tout cela. Tu suis le regard du lieutenant lorsqu'il mentionne son accident. Effectivement, un tel événement doit tout remettre en question, et tu as du mal à imaginer la réaction que tu aurais eu à sa place. Que ferais-tu, si tu devenais incapable d'accomplir tes devoirs de guerrière ? Tu ne trouves pas de réponse, et ça te perturbe un petit peu. Presque gênée, tu piétines un peu, ne sachant plus quoi penser. « Ça ne m'étonne pas, Flocon de Neige est quelqu'un d'exceptionnel. » ronronnes-tu doucement en lui adressant une oeillade. Il est indéniable que les deux vétérans forment un beau duo, et tu peux ressentir la valeur qu'y accorde Soir d'Orage lorsqu'il en parle. S'il n'avait jamais accepté d'oublier ses maux passés, il n'aurait assurément jamais vécu une telle chose.

Tu ne t'es jamais trop souciée du regard des guerriers de jadis sur toi, cela dit. Du moins pas sous cet angle. Être une guerrière loyale ne suffit-il pas à leurs yeux ? Leur faire honte, les attrister... ou les honorer. Ce sont des concepts qui viennent tout juste de te frapper, et de te faire imaginer les regards familiers des chats que tu as pu connaitre, et qui vous ont désormais quittés. Avec une sincérité plutôt rare, tu lèves les yeux vers le ciel. Il est tôt, mais il fait déjà clair. Il n'y a aucune étoile, mais tu sais qu'elles sont quelque part derrière les nuages et à l'abri des rayons du soleil. « Honorer leur mémoire... tu penses vraiment qu'on peut le faire ainsi ? » murmures-tu après avoir laissé un instant de silence. Les étoiles ne te répondront pas, mais peut-être que le vétéran le fera. Malgré tout, une réticence commence à naitre dans ton esprit. Tout peut bien se passer, comme c'est le cas pour Soir d'Orage. Mais si l'inverse venait à se produire, que penseraient tes frères ? Et Aube Douce ? C'est sans doute très arbitraire, mais la première réponse qui te vient à l'esprit, est qu'ils te trouveraient bien naive de ne pas avoir compris la leçon les premières fois. Que leurs morts ne t'auraient rien appris. Finalement, tu reprends ta contenance habituelle pour le regarder. « Merci pour tes conseils, Soir d'Orage. J'espère un jour pouvoir me vanter de détenir autant de sagesse que toi. » Tu marques une pause, en même temps qu'un soupir t'échappe.  « Mais il faut croire que ce jour n'est pas encore arrivé. » Tu ne sais pas quand il arrivera, ni si tu le souhaites réellement. Toutefois, cette conversation n'est pas prête de quitter ton esprit, et peut-être qu'elle prendra une nouvelle importance d'ici quelques lunes. « N'en dis pas un mot à ma mère, d'accord ? » Tu sais à quel point ils sont proches, mais tu ne préfères pas inquiéter plus que nécessaire Flocon de Neige. Il n'y a pas de raison, et même si elle est loin d'être aveugle, le mieux est qu'elle n'en sache pas de trop. T'as presque l'impression d'être une chatonne en train de faire quelques bêtises, mais tu sais que le lieutenant pourra le voir autrement, comme une volonté de ne pas transmettre tes problèmes aux autres. C'est bien pour ça que tu ne parles plus autant à tes proches, après tout.